Chapitre 1

Le grand soir, c'était ce soir, Lucie en avait décidé ainsi. Plus tôt dans la journée, elle avait informé Roger, de son retour sur Bordeaux pour la Saint-Sylvestre. Roger avait tempêté, pensant que Lucie l'aurait accompagnée chez ses amis. Il l'avait même menacé de lui retirer sa pension. Ce qui était drôle en soi puisque cet argent lui venait de son père décédé. Roger avait réussi à mettre la main dessus, ou du moins en avoir le contrôle jusqu'à son mariage ou ses 30 ans. La mère de Lucie n'avait pas su résister à la pression.

 

Lucie avait bien préparé sa fuite. Ses affaires avaient été stockées longtemps en avance à la consigne de la gare Montparnasse. Elle voulait donner l'impression d'être retourné sur Bordeaux, ville où elle faisait ses études. Dans son sac à dos, deux perruques, de l'argent liquide, une fausse carte d'identité, quelques vêtements passe-partout, et autres indispensables. Elle laisserait sur place son smartphone, ses cartes bancaires. Elle avait envoyé chez sa colocataire certains de ses papiers et lui avait expliqué son départ, sa fuite. Elle lui avait aussi demandé de les cacher et surtout de ne rien dire et de rester secrète. Elle se méfiait de Roger, riche, influent, puissant, il partirait à sa recherche, elle en était sûre. Elle devait se montrer prudente et discrète dès le début de sa fuite, et avait décidé de changer son apparence au moins deux fois avant de quitter Paris.

Lucie s'était ensuite rendue dans la gare routière desservant l'Est de la France. Dans une brasserie proche de la gare, elle avait de nouveau changé d'aspect, des vêtements un peu grand pour l'étoffer, une perruque longue et brune, des chaussures plateforme pour paraître plus grande, et le tour était joué. Elle avait acheté un billet avant son changement et un second ensuite pour brouiller les pistes. Le premier pour Marseille, le second pour Lyon qui partait plus tôt.

Elle ne connaissait pas la région, la vue du train laissait voir de douces collines enneigées, et couvertes de vignes. Arrivée à la gare de Lyon-Pardieu, Lucie était sortie côté Boulevard Vivier pour rejoindre la gare de Lyon-Perrache. Elle acheta un billet pour le premier TER en partance. Elle partirait donc vers Clermont-Ferrand. Les dés en étaient jetés.

 

Lucie se trouva une place tranquille. Le train n'étant pas bondé, elle avait eu le choix. Toujours stressée, la peur au ventre, Lucie était très fatiguée. Finalement, lassitude, et balancement du train, eurent raison de Lucie qui s'endormit. Elle ne vit pas Tarare, ni Roanne.

Cette petite sieste l'avait laissé un peu groggy. Elle ne se rendit pas compte de suite que son sac à main avait disparu du siège ou elle l'avait posé. En entendant l'annonce de l'arrivée en gare de Vichy, Lucie voulut sortir son billet et ne trouva pas son sac. Une panique irraisonnable la prit. Elle ne pouvait pas se tourner vers les contrôleurs du train, trop risqué. Elle n'avait plus d'argent, plus de billet ni même de faux papiers. Sa fuite se trouvait compromise. Ramassant son bagage, elle décida de descendre à la prochaine gare sans se faire remarquer. Elle aurait dû se montrer plus prudente dans le train et peut-être s’asseoir à côté d'un autre voyageur. Ce n'était plus la peine de s’appesantir, il fallait continuer à avancer et réfléchir aux différentes possibilités. Ne pas retourner en arrière, le seul objectif à viser, était de se mettre à l'abri. Un peu secouée, elle prit le temps de se concentrer. Son but étant de se rendre du côté de Dijon, espérant retrouver une amie de jeunesse de sa mère, elle décida de remonter vers le nord sans tergiverser. Pris dans une bourrasque en sortant de la gare, Lucie baissa la tête, remis sa capuche et avança vaillamment sur la place. Direction Dijon.

La neige avait redoublé d'intensité depuis le matin, Lucie se retrouva très vite frigorifiée. Elle n'avait pas réussi à sortir de la ville. Pas un chat, c'était la Saint-Sylvestre. La nuit allait tomber. Et pas d'abris en vue, ne serais ce qu'un préau d'école ... La patrouille à la recherche des sans-abris, la trouva allongée sur un banc sous un abribus, lui offrit une boisson chaude et lui proposa un centre pour la nuit. Lucie suivit le groupe et s'installa pour la nuit dans le dortoir des femmes. Cette nuit, elle avait eu de la chance. Une nuit, une seule et demain serait un autre jour. Elle arriverait bien à s’éclipser avant qu'on lui demande quoique ce soit. Elle resterait incognito coûte que coûte.

 

Début janvier, nouvelle année, nouveau départ, cela ne s'annonçait pas très bien : plus d'argent ni de papiers. Comment faire pour retrouver l'amie de jeunesse de sa mère. À l'époque, elle se retrouvait du côté de Beaune. Pour le moment, son enquête devait rester au point mort. Elle verrait quand elle aura retrouvé un semblant de plan. Lucie reprit son chemin vers le Nord en direction de la Bourgogne. La présence de la neige n'allait pas rendre son voyage plaisant. Mais sa détermination ferait le reste. Direction Lapalisse, 30 km de marche ne lui faisait pas peur. Elle ferait du stop, rendu en dehors de la ville. 30 km, combien de temps pour 30 km pensait-elle ? Deux jours ? Moins ? Elle s'emmitoufla encore plus dans sa doudoune, enleva sa perruque trempée et la remplaça par un bonnet en laine. La route avait été dégagée un peu plus tôt, la neige avait faibli, Lucie sortit de la ville sans encombre. Le froid et la fatigue se faisait rapidement, cruellement, ressentir, un vent glacial s'était levé. Après ce qui lui avait semblé des heures de marche, enfin le bruit d'une automobile, Lucie hésita à peine un instant qu'elle entendit déjà le moteur ralentir. 

- Il ne faut pas rester dehors par ce froid, je peux vous emmener plus loin. Il va recommencer à neiger.

- oui plus loin c'est parfait. Répondit-elle en claquant des dents.

Elle monta rapidement dans la camionnette. L'homme âgé d'une petite cinquantaine, était bavard. Elle apprit qu'il rentrait chez lui après avoir rendu visite à ses parents âgés. Il avait rempli la huche à bois pour la cheminée. Sa mère avait insisté pour qu'il reparte tôt et rentre avant la nuit retrouver sa famille.

- Je peux, demanda-t-il ?

- Hum...

- Vous n'êtes pas bavarde dis donc. Venez à la maison, ma femme vous trouvera un petit coin pour dormir, vous pourrez dîner avec nous, quand il y en a pour 4, il y en a pour 5.

- Je ne veux pas vous déranger... Je peux me débrouiller.

- Je ne peux pas vous laisser comme cela, je ne veux pas paraître insistant mais quelque chose me dit que vous avez fugué ?

- hum... Disons que je ne pouvais pas rester chez mon beau-père, maman vient de nous quitter.

- Ok, je comprends, et j’insiste, venez, il fait chaud à la maison, ce n'est pas un jour pour se retrouver seule, dehors.

 

 

En descendant de la camionnette, Jacques fut accueilli par un grand chien.

- Allez King, reste tranquille, j'ai une invitée. Fais attention.

En entrant dans le hall, sa femme l'attendait.

- Tes parents vont bien ?

- Oui aucun souci, par contre j'ai ramené une jeune femme qui a besoin d'un endroit où dormir cette nuit.

- Pas de souci, approchez, venez-vous réchauffer, je vais déjà vous montrer la salle de bain et pour le lit, on verra après le déjeuner. Le repas sera prêt dans vingt minutes.

- Merci.

La porte refermée, Lucie se laissa aller à verser quelques larmes. Elle fit rapidement une petite toilette et se rendit au-devant de ses hôtes.

 

La maison était chaleureuse, et respirait l'esprit de famille. La soirée fut joyeuse et agréable. Jacques lui proposa de la déposer à Lapalisse le lendemain, c'était jour de marché. Avec son épouse Valérie, ils étaient maraîchers en culture biologique, et vendaient sur les marchés et à domicile. Il avouait que ce n'était pas forcément une bonne idée de se déplacer avec la neige, mais il avait arraché les derniers poireaux et il était quasiment sûr de trouver preneur, il en profiterait pour faire du ravitaillement au cas où le temps se dégraderait encore plus dans les prochains jours.

Départ pour le marché, le froid se faisait moins sentir, le vent s'étant assagi, Jacques, visiblement toujours de bonne humeur, prit la route en compagnie de Lucie et de sa fille aînée Jeanne. Il y avait en arrivant sur place quelque courageux marchand et bien peu de chalands. Jacques prépara son stand, mis en place un poêle à bois. Il disposa sa marchandise, aidée de sa fille et de Lucie. Tant qu'ils s'agitèrent, ils n'eurent pas froid, mais en attendant les acheteurs, ils se retrouvèrent coincés autour du poêle. Jacques proposa aux filles d'aller prendre un chocolat chaud au bistrot de la place. Jeanne entraîna Lucie, trop contente d'y retrouver son ami Bastien. Les deux jeunes s'assirent dans un box, un peu à l'écart. Lucie, elle se réfugia dans un coin, et se réchauffa autour de sa tasse de chocolat. Puis Lucie prit son tour sur le stand, et laissa Jacques retrouvé ses copains de marché. Il discuta avec plusieurs connaissances. Il voulait trouver un endroit tranquille pour Lucie, contre un peu de travail. C'est alors que Gilbert le boucher, entra et proposa à Jacques d'emmener sa protégée chez sa mère pour quelques jours. Il devait s'absenter et serait rassuré de savoir une présence auprès d'elle avec ce mauvais temps.

 

- Jeanne, va sur le stand, et demande à Lucie de me rejoindre, appela Jacques. Ah, tu es là aussi, Bastien, tu peux lui tenir compagnie, mais soyez sages...

 

Quelques instants plus tard, Lucie entra dans le bistrot et rejoignit les 2 hommes. Jacques tenait compagnie à un homme débonnaire habillé d'un grand tablier de boucher, une petite moustache fine ornait son visage.

- Tiens, je te présente Gilbert, on a usé nos fonds de culottes ensemble à l'école, il peut te proposer quelque chose, si ça te dit.

- Voilà, je dois m'absenter et je serais plus tranquille si ma mère avait un peu de compagnie, elle habite un peu à l'écart et il y aura quelques petits travaux à faire, donnant-donnant. Ensuite, tu pourras répartir dès que tu le souhaites ou dès qu'il fera meilleur, à ta convenance.

- Vous partez combien de temps ?

- Avec ma femme, nous revenons dimanche soir.

- Ok, je veux bien rencontrer votre mère.

- Tu verras, elle est un peu excentrique mais adorable, je te prends à la fin du marché vers 12 h 30, on mangera ici et on prendra la route, il y a une petite demi-heure de route avec la neige.

 

Midi trente arriva, et la joyeuse équipe se retrouva pour le déjeuner. Chacun reparti de son côté après quelques effusions échangées avec Jeanne.

- Je vous promets de vous tenir au courant dès que ma situation s'arrange, et je repasserai, vous voir. Dit-elle plus émue qu'elle ne voulait laisser paraître.

 

Gilbert invita Lucie à monter dans son 4×4, et ils partirent. La neige alourdissait la conduite. Mais Gilbert restait prudent. Après quelques virages sur une route déserte, une petite ferme se matérialisa devant eux. Ils n'avaient pas beaucoup échangé pendant le voyage. Mais le silence n'avait pas été gênant.

 

- Lucie, je te présente Eulalie, ma mère, maman voici Lucie, cette jeune femme va rester quelques jours avec toi, elle a besoin d'un abri tranquille.

- Venez mon enfant, ce grand dadais n'a pas vu que vous aviez froid.

Gilbert leva les yeux au ciel, fit la grimace.

- Je t'ai vu et oui, tu es et resteras toujours mon bébé, c'est comme ça. Jeune fille que vous arrive-t-il d'aussi grave.

- Maman, je prends un café et j'y vais, Clarisse m'attend pour partir.

- Tiens mon fils, il t'attendait, et tu embrasseras bien ta sœur pour moi, et les petits bouts de chou. Lucie, je vous montrerai des photos, ils sont tellement mignons.

Eulalie était comme ça, pas de question, les bras grands ouverts, le cœur aussi. Son fils lui ressemblait.

 

Gilbert parti, Eulalie installa Lucie dans la petite chambre du grenier. Ensuite, elles s'installèrent au coin du feu.

 

- Comme promis, vous allez tout me dire. Il n'y a pas de problème, que des solutions.

Lucie devant tant de gentillesse et de douceur, raconta à la vieille dame les péripéties de sa fuite. Elles arrivèrent à en rire, ce qui étonna beaucoup Lucie qui jusque-là n'avait pas réussi à se défaire d'un certain fatalisme. Elle se laissa à conter ce qu'elle n'avait rapporté à personne.

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