Chapitre 1

Par Mema
Notes de l’auteur : Bonjour à toutes et à tous! Je vous emmène maintenant à la rencontre de notre protagoniste dans le premier chapitre de ce projet :)
Bonne lecture!

               Il avait rêvé de la maison…

            Quand Orion rouvrit péniblement les yeux, ce fut pour les refermer aussitôt en poussant un grognement de souffrance. Sa tête le lançait si violemment qu’une nausée lui noua la gorge un instant. Ébloui par la lumière éclatante du soleil, les paupières parsemées de points verts, il tenta de se redresser mais abandonna, retombant sans forces sur le sable brûlant.

            Bon… C’était loin d’être une situation idéale, mais il ne servait à rien de paniquer. Il tenta de calmer sa respiration, d’étouffer l’angoisse et la frustration, et il se concentra plutôt sur son souffle en comptant mentalement les secondes. Au bout de quelques minutes, malgré la chaleur terrible qui l’entourait et la douleur de sa tête et de son corps, Orion parvint à retrouver un semblant de calme, assez pour pouvoir réfléchir à ce qui lui était arrivé. Alors qu’il reprenait lentement ses esprits, des souvenirs lui revinrent sous forme de flashes et firent de nouveau s’emballer son cœur dans sa poitrine.

            La caravane qui avance dans le désert.

            Il se força à inspirer lentement.

            Les rires des enfants qui résonnent et les voix tranquilles des hommes et des femmes.

            À expirer.

            Les toiles des tentes qui prennent soudain feu et les cris de souffrance qui s’élèvent.

            À ne pas perdre pied.

            Les corps qui jonchent le sol et le sang qui abreuve le sable.

            À ne pas laisser la colère l’emporter.

            Les pilleurs qui agrippent leur butin et disparaissent en ne laissant que mort et destruction derrière eux.

            Orion se mordit la lèvre et étouffa un grognement de frustration, luttant contre la rage et le désespoir du mieux qu’il le pouvait. Il avait un rôle, une seule chose à faire : protéger la caravane, s’assurer qu’elle arrive à bon port et traverse le désert en sécurité… Mais il n’avait rien pu faire pour empêcher ce massacre. Sa mission était un échec.

            Un échec total.

            Et en plus des nouveaux morts sur sa conscience et des nouveaux fantômes qui hanteraient ses nuits, il se ferait plus que certainement lyncher par la Guilde.

            « Fait chier… »

            Bien sûr, dès le premier signe d’attaque, il avait agrippé ses poignards et avait volé les derniers souffles de plusieurs bandits. Il avait tranché des gorges, ouvert des torses en deux, dansé sur cette mélodie de mort qu’il connaissait par cœur et maitrisait comme personne, mais ça n’avait pas suffi. Il était seul, seul parce qu’il avait été arrogant et avait refusé de l’aide de son mentor et de ses frères d’armes. Et un mercenaire seul, même le meilleur des jeunes recrues, ne faisait pas le poids face à autant d’assaillants. Une flèche ennemie s’était fichée dans son dos, lui faisant perdre l’équilibre, et un pilleur en avait profité pour plonger sa lame dans son ventre. Il avait trébuché, les yeux écarquillés sur le coup de la surprise et de la douleur, et quand son crâne avait heurté le sol, tout était devenu noir.

            Orion aurait été incapable de dire combien de temps il était resté inconscient — à vrai dire, c’était un véritable miracle qu’il soit encore en vie. Des heures ? Quelques minutes seulement ? Impossible de le savoir tant qu’il n’ouvrait pas les yeux. Tentant calmer les battements effrénés de son cœur, il analysa chacun de ses muscles, chacun de ses membres, en commençant avec les douleurs les plus bégnines.

            Un : sa tête lui faisait un mal de chien, conséquence de la chute mais aussi du soleil, il en était certain. Les yeux toujours clos, il leva lentement le bras droit et passa la main sur son crâne. Le sentant légèrement poisseux, il retint sa respiration et palpa ensuite le sable avant de pousser un soupir soulagé : il avait saigné, mais pas assez pour que le sol soit trempé. Rien d’agréable, mais rien de grave donc à ce niveau-là.

            Deux : son épaule gauche le faisait atrocement souffrir. La flèche avait manqué son cœur par miracle, allant se ficher dans son omoplate. Un mal pour un bien, mais Orion n’était pas certain de pouvoir prendre correctement soin de cette plaie, surtout qu’il était bêtement tombé en arrière et que si le bois s’était cassé dans sa chute, la tête de la flèche était toujours bien là, le faisant grimacer à chaque geste. Bon, moins rassurant, mais récupérable.

            Trois, et c’était là ce qui l’inquiétait le plus : son flanc droit était trempé de sang et la douleur presque insoutenable. Étrangement, si les bords de la plaie étaient à vif, c’était comme si le reste de son ventre était glacé, avait perdu toute sensation, sans doute pour le préserver d’une souffrance qui l’aurait rendu fou. Il palpa délicatement la blessure et laissa échapper un sifflement de douleur.

            Décidément pas idéal.

            Mais au moins, il était encore en vie.

            Son analyse terminée, Orion laissa son bras retomber sur le sable et décida de faire une nouvelle tentative. Il ouvrit lentement les yeux, les paupières tremblantes face à la lumière éblouissante du soleil. Au vu de la position de l’astre dans le ciel, il était à peine plus tard que 11h, ce qui voulait dire qu’il était resté inconscient un peu plus de deux heures. C’était trop. Trop d’exposition directe au soleil, trop de sang écoulé. Trop de temps pour espérer rattraper les pilleurs. Il fronça les sourcils et serra les dents : il n’allait pas mourir ici. Il allait vivre, panser ses plaies et rejoindre la ville la plus proche pour se faire engueuler une bonne fois avant d’accepter une nouvelle mission. Et pour ça, il fallait se lever.

            Avec des gestes d’une lenteur affolante, il se redressa péniblement, se mordant la lèvre jusqu’au sang quand la plaie de son flanc envoya une vague de douleur dans chacun de ses memrbes, avec une telle violence que de la bile lui monta aux lèvres et que sa vue se voila un instant. Mais il serra les dents en grognant et enfin, il roula sur le côté pour tomber nez à nez avec une femme aux yeux éteints.

            « Bordel de merde ! »

             Orion se recula précipitamment, s’éloignant aussi vite que possible du corps et de son regard vitreux. Le cœur battant à tout rompre, le mercenaire fut incapable de se détourner pendant quelques secondes, puis, d’un geste rageur, il se secoua, honteux de s’être laissé surprendre. Il était pourtant habitué à ce genre de spectacle, à la désolation qui suivait un combat aussi déséquilibré, mais c’était plus fort que lui : observer des soldats mourir était une chose, devoir contempler la perte d’hommes et de femmes innocents et d’enfants sans défense était toujours plus compliqué. Sans doute à cause de… Il ferma les yeux et se gifla mentalement. Il ne pouvait plus permettre au passé de le hanter ainsi, devait empêcher d’autres visages de se superposer à ceux des victimes de la caravane. Il devait rester neutre et détaché s’il voulait tenir. Voilà, se concentrer sur le côté pratique de la mission, ne penser à rien d’autre. Une partie de lui se détacha alors du massacre, laissant uniquement place à la frustration et à la rage d’avoir laissé échapper sa récompense.

            Détournant son regard de la femme, Orion se releva et jura, pressant la main sur sa blessure. La terre tourna sous ses pieds et s’il n’avait pas pu s’appuyer à ce qu’il restait de la tente la plus proche, il serait retombé aussi sec. Quand sa vue fut moins floue, il observa le massacre avec plus d’attention. Tout ce que les bandits n’avaient pas emporté avait été incendié ou presque, et vu le nuage de fumée noire qui s’élevait vers le ciel, il ne faudrait pas bien longtemps avant que d’autres pilleurs ne s’approchent de la caravane dans l’espoir de récolter quelques restes. De nombreux corps jonchaient le sol, et il ne restait plus une seule monture. Même la sienne avait disparu. Il poussa un nouveau juron en comprenant qu’il devrait faire le chemin à pied, ce qui réduisait considérablement ses chances de survie.

            Non. Non, ça ne changeait rien. Il allait y arriver.

            Il devait y arriver.

            Le mercenaire saisit un morceau de toile miraculeusement épargné et le déchira pour en faire un bandage de fortune. Inutile de chercher de l’alcool pour désinfecter la plaie : les pilleurs n’avaient laissé que les morts derrière eux. Il devrait se contenter du strict minimum et prier pour que ça suffise et surtout pour que ça tienne jusqu’à la ville la plus proche. Il déglutit et hocha la tête : ça allait aller, il avait connu pire. Il avait connu bien pire.

            Le front perlant de sueur, Orion noua une dernière fois le bandage autour de sa blessure en serrant les dents. Presque instantanément, le tissu prit une teinte rouge alarmante, mais il n’y prêta plus attention. Se concentrant et se contorsionnant du mieux qu’il le pouvait, il tenta d’ôter la pointe de flèche qui gênait ses mouvements. Mais sans hampe à agripper, il ne parvenait pas à l’atteindre et il abandonna avec un grognement de frustration. Le souffle court et tremblant, au bord de l’évanouissement, il avisa ses poignards sur le sable, se pencha lentement et les ramassa pour les glisser dans sa ceinture avant de parcourir la zone d’un pas hésitant, à la recherche d’éventuels survivants.

            Il dépassa des dizaines de corps sans s’attarder dessus, sans plus qu’une seule émotion traverse son visage. Les visières étaient mises, l’empêchaient de baisser les yeux sur les mains tendues, les gorges ouvertes et les regards vides. Il tituba jusqu’à la fin de la caravane et sentit son estomac se soulever quand il ne put nier le corps d’un jeune garçon, un enfant d’une dizaine d’années. Le masque se fissura un instant quand il se souvint que ce petit avait été le premier à lui tendre la main et à l’inviter à joindre la vie de groupe là où tous les autres s’étaient d’abord montrés méfiants. Mais Orion serra les poings et se détourna, chassant l’émotion qui avait fait mine de lui nouer la gorge.

            Ne pas y penser, ne pas regretter ces moments de paix, ne pas se laisser adoucir.

            Rester affûté, aussi tranchant qu’une lame.

            Une lueur de colère traversa son regard et repoussa la peine, laissant la rage prendre toute la place dans son cœur. Le mercenaire se redressa et tenta de repérer les traces des pilleurs, mais le vent avait déjà tout effacé. Il était donc bien seul, seul au milieu du désert.

            Mais il allait survivre.

***

            Le sang tombait en gouttes cramoisies sur le sable, accompagnant chacun de ses pas d’un petit bruit étouffé et laissant derrière lui un chemin carmin balayé par le vent ardent de midi. Le visage couvert de son long foulard blanc, la main pressée sur sa plaie béante, Orion trébucha mais parvint à rester debout. Le front trempé de sueur, la gorge asséchée par la soif et les yeux brûlants de fièvre, le mercenaire comptait chaque mètre qui l’éloignait de la caravane et le rapprochait de la ville. Se concentrer sur l’horizon, refuser la chute quand le sable traitre se dérobait sous ses pieds, chasser les tremblements de son corps épuisé et à bout de forces.

            Avance.

            L’ordre tournait en boucle dans sa tête, comme une litanie d’injonctions qu’il devait absolument se répéter pour tenir le coup et à laquelle il se rattacherait pour ne pas perdre connaissance. Pour continuer de tenir et pour ne pas lâcher prise.

            Avance.

            Se focaliser sur ce mot, celui qui devrait résumer sa pénible marche tant qu’il ne serait pas enfin arrivé en ville. Repousser la douleur, chasser les fantômes du passé qui tentaient de l’agripper et de le faire tomber.

            Avance.

            Ne pas y penser. Ne pas écouter les battements effrénés de son cœur et chasser la souffrance qui l’étouffait aussi efficacement que la chaleur ambiante.

            Avance.

            Avance.

            Avan-…

            Le sol se déroba sous ses pieds et ses yeux se révulsèrent quand il s’effondra, son corps dévalant une dune pour aller rouler dans le sable en contrebas.

***

            La mort était capricieuse.

            Elle s’approchait de lui, semblait sur le point de l’agripper par le bras et de l’emmener avec elle, mais elle finissait toujours par se reculer pour mieux l’observer. Mais était-ce la mort qui reculait ou lui qui refusait de la laisser approcher ? Plusieurs fois, Orion la repoussa et rouvrit les yeux le temps d’une seconde. Aveuglé par la fièvre, déshydraté, il croisa le regard de sa mère et sentit le thé glisser sur ses lèvres tandis qu’elle lui tendait des biscuits secs. Il aperçut aussi un scorpion et entendit siffler un serpent. Et dans un de ces rares moments de vague lucidité, il rêva qu’une ombre le couvrait et le protégeait du soleil de plomb.

            À travers le voile flou posé sur ses yeux, il crut voir une silhouette descendre d’un dromadaire et se laisser glisser jusqu’à lui. Orion sentit qu’on le redressait précautionneusement et que de l’eau étrangement fraiche coulait sur ses lèvres. La silhouette insista quelques minutes puis le mercenaire sentit qu’une main se posait sur son bandage, l’effleurait à peine, et la douleur manqua de le faire tourner de l’œil. Il hoqueta, lutta, tenta d’ouvrir les paupières, mais il ne parvint pas à percevoir autre chose qu’une paire d’yeux dorés avant de perdre de nouveau connaissance.

            La mort avait enfin choisi de venir le chercher et Orion ne ressentit aucune peur, juste une forme de soulagement.

            « Enfin… »

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Camille Vernell
Posté le 01/12/2022
Le chapitre a beaucoup de potentiel : le début in media res est redoutable. Démarrer après la bataille, après le massacre, c'est excellent. Tout retracer ensuite, fragment après fragment, aide beaucoup à imaginer l'horreur. Le rythme du chapitre a sans doute été difficile à trouver, à cause de la solitude du personnage, mais tu as réussi à créer un dynamisme qui, pour ma part, a été très efficace. Et je suis un public difficile.

Tout n'est hélas pas positif, et il y a, pour moi, un gros problème dans ce chapitre : les blessures. Orion est trop blessé.

2 heures à sécher au soleil avec des blessures aussi graves, ouvertes, sans doute couvertes de sable... Orion est mort. Tu décris tout de même une éventration. Or le ventre est une des zones les plus vascularisées et innervées du corps. À titre de comparaison, il y a autant de neurones dans le cortex cérébral d'un chien que dans ton ventre. Techniquement, il doit se tordre de douleur. S'il n'a plus de douleur, c'est que son système nerveux central est affecté (moelle épinière ou cervelet) ou qu'il a une maladie qui affecte son système nerveux central ou une thrombose. C'est possible, mais ces jambes ne fonctionnent plus.
Peut-être devrais-tu songer à alléger cette blessure ou la supprimer, car il est déjà blessé d'une flèche à l'omoplate et semble souffrir (d'après ses symptômes : nausées et envies de vomir) d'une commotion causée par sa chute ou d'une méchante insolation avec une déshydratation. Son sang devient certes plus épais, donc pratique pour limiter les hémorragies, mais peu pratique pour alimenter les organes. Tous ses muscles et tendons devraient être perclus de crampes.
Bref, c'est déjà très mal parti pour lui.
Honnêtement, je ne pouvais pas croire qu'il puisse se relever, se contorsionner pour tenter d'enlever la flèche dans son dos et marcher si longtemps dans le sable malgré l'éventration décrite. À 40% de sang perdu (soit 2 litres), le corps réagit par un choc hémorragique, coma. Avant ce stade, Orion devrait ressentir : sueurs, pâleurs, extrémités froides, marbrures et tachycardies. Minimum.
Il est beaucoup trop valide pour sa blessure. Attention à ne pas rendre le "bouclier du héros" trop visible, sinon on ne peut plus le croire en danger. L'histoire tout entière perd alors en enjeux.

Enfin, je te transmets, en vrac, quelques coquilles :

"du mieux qu’il le pouvait" => "du mieux qu'il pouvait" (une formule que tu utilises 2 fois dans le chapitre)
"engueuler" => sermonner ou récriminer seraient d'un meilleur effet
"et à l’inviter à joindre la vie de groupe là" => la vie de ce groupe OU du groupe
"Mais Orion serra les poings et se détourna, chassant l’émotion qui avait fait mine de lui nouer la gorge." => l'émotion qui lui nouait la gorge (une émotion ne peut pas "faire mine de")
Attention à tes participes présents, très (trop) utilisés par les jeunes auteurs. À employer avec parcimonie.
Tu aimes beaucoup "agripper", mais il y a des synonymes, dont certains sont très élégants : agriffer, accrocher, attraper, happer ...

Il y a quelques autres phrases maladroites, mais l'ensemble est bon (hormis l'éventration) et le rythme est très efficace. Documente-toi bien lorsque tu infliges des blessures à tes personnages. Dis-toi que parmi tes lecteurs, il y en aura toujours qui maîtriseront mieux tes sujets que toi. Tâche de te montrer crédible à leurs yeux en te documentant un maximum.

Hormis tout cela, j'attends la suite. Étonne-moi par ta plume :-)
Mema
Posté le 01/12/2022
Merci beaucoup pour ton retour très précis! Il m'aide vraiment à y voir plus clair sur de nombreux points 😃 C'est vrai que c'est assez hardcore et la crédibilité est quand même l'objectif numéro un! Je veillerai à garder ces éléments en tête au moment de la réécriture et surtout de la suite de l'histoire ! 😄 Encore merci pour ton commentaire et pour ton aide précieuse! 😃
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