Chapitre 1

Elizabeth

« Une chute. De l’eau glaciale qui vous serre les poumons, mille lames qui vous perforent, et cette inspiration prise qui pourrait bien être la dernière. Une main qui vous serre le cou, si fort, si fort, que vous cherchez avec peine un peu d’air qui vous sauverait. Des flammes qui vous consument lentement, se nourrissant de votre corps jusqu’à ce que même votre esprit ne puisse plus repousser la mort. Une flèche qui vous transperce le cœur, un mur qui s’effondre, une vague qui vous aspire, une lutte contre des démons, un infini de passion dévorante. C’est ainsi que je mesure mon amour pour vous. Rien de plus fort, rien de plus puissant n’existe en ce monde.

Je vous aime, Elizabeth. Je ne cesserai jamais de vous aimer. 

-Clay Despenser »

Une larme roula sur la joue d’Elizabeth, qu’elle ne prit pas la peine d’essuyer. Cette lettre était donc une lettre d’adieu. L’homme qu’elle avait tant aimé partait. Elle ne le reverrait jamais. La jeune fille sortit en courant de sa chambre, dévala l’escalier et arriva en trombe dans le jardin où elle marqua une pause avant de repartir vers les bois en courant de plus belle. Elle voulait mourir, disparaître, le revoir, l’embrasser, lui parler, le voir. Elizabeth s’effondra à genoux sur le sol mouillé et pleura. Elle aimait cet homme. Elle l’aimait.

Un an plus tard…

Elle détestait cet homme. Elizabeth déchira la lettre qu’elle venait de relire après des mois sans oser la toucher. Quel menteur ! Il savait jouer avec les mots mais jamais il ne l’avait aimée. Quelle idiote avait-elle été de le croire ? De l’attendre, avec le sincère espoir qu’il revienne ? Elle se devait d’avancer. La jeune fille jeta la lettre déchirée sous son lit.

- Elsie ? Euh, je… Tu dors ?

Elizabeth sourit en entendant la voix de son frère, comme tous les vendredis à l’aube.

- Oui, je dors, répondit-elle avec sarcasme.

- Ah bon ? Dommage… Figure-toi que je me disais que cela t’aurait sûrement plu de m’accompagner pour une petite chevauchée qui t’aurait détendue avant ta loooongue journée de préparatifs et ton premier bal ce soir qui risque d’être fort é…

- On y va ? s’écria Elizabeth en ouvrant la porte de sa chambre.

Son frère sourit et ils marchèrent à pas de loup jusqu’aux écuries. Il faut dire que tout le reste de leur famille dormait et pour cause, il était seulement six heures.

- Il faudra que tu sois dans ton lit dans une demi-heure pour que personne ne remarque tes…activités d’homme.

- Pff, soupira Elizabeth, épargne-moi tes conseils, Willie.

L’intéressé leva les mains en l’air en signe de dédouanement et sortit de son box son cheval favori, un pur-sang noir.

- Je suppose que je vais encore devoir prendre ce vieux Speed…, murmura la jeune fille en se tournant vers le cheval restant, un vieux mâle à l’air fatigué.

- Qui ne porte pas bien son nom, ajouta malicieusement son frère.

- Je ne peux pas prendre Atlas pour une fois ?

- Pas question ! s’offusqua son frère en montant sur le cheval nommé.

- Je n’ai jamais pu le monter !

- Tu peux toujours monter avec moi.

- Très drôle, commenta Elizabeth en levant les yeux au ciel avant de poser une selle sur le dos de Speed.

La jeune fille enfila des bottes, remonta légèrement sa chemise de nuit et monta à son tour sur son cheval.

- Le dernier arrivé à la rivière est un…

Wellington n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’Elizabeth était déjà partie au galop, avec pour but de profiter de son avance pour l’emporter sur son frère et son superbe Atlas. La sensation du vent frais sur ses épaules fit regretter à Elizabeth de ne pas avoir mis un châle plus chaud. L’hiver s’achevait, laissant sa place au printemps, mais le temps ne semblait pas suivre. Elizabeth frissonna avant de se rendre compte que son frère la devançait. Elle donna un coup de talon sur le flanc de son cheval, mais celui-ci s’arrêta brusquement, la faisant tomber sur le sol. La jeune fille se releva rapidement en maudissant son cheval.

- Tout va bien Elsie ? demanda Willie, l’air moqueur.

- Très bien, merci ! Maintenant tu m’excuseras, je rentre ! J’ai passé l’âge des courses à cheval.

Elizabeth attrapa la longe de Speed et commença à marcher en direction du château.

- Elles ne sont même pas équitables en plus ! cria-t-elle.

Arrivée devant la demeure familiale, Elizabeth remit Speed dans son box et retira ses bottes puis se glissa dans la maison. Elle s’arrêta quelques instants devant un miroir et tenta d’arranger ses cheveux avant de remarquer un détail plus grave : sa chemise de nuit blanche était tachée de boue de haut en bas.

- Elizabeth Johnson !

La jeune fille se raidit avant de se retourner avec un sourire figé vers sa mère qui la toisait d’un air sévère.

- Puis-je savoir ce que vous faites dans cet état ?

- Euh, je…voyez-vous…

- Inutile de chercher des excuses, filez prendre un bain, Edwige vous en a fait couler un.

Elizabeth ne se fit pas prier et courut vers la salle de bain, au premier étage, où sa femme de chambre l’accueillit avec un air désespéré.

- Vous m’épuisez, mademoiselle.

***

Wellington

Wellington sortit de la maison familiale et attendit l’arrivée du cocher qui lui ouvrit la porte de la calèche puis s’assit à son poste. Wellington s’assit en cherchant une position confortable, il avait en effet une dizaine de minutes de route avant d’arriver au « Cercle », un club mondain où bon nombre de gentlemen de Londres se retrouvaient pour jouer au poker, boire et discuter. Pour Wellington, il s’agissait plutôt de retrouver ses amis et de parler voyages et géographie, deux sujets qui le passionnaient.

Une fois arrivé dans le club, Wellington remit son manteau à un majordome et se dirigea vers la table du fond, où étaient d’habitude attablés ses amis et lui-même autour d’un globe et de divers livres. Quelle ne fut pas sa surprise de voir ses deux meilleurs amis, Antonio Meighan, dont les parents étaient italiens et Nathan Barnett, qu’il connaissait depuis leur plus tendre enfance, entourés d’une dizaine d’hommes riant avec eux.

- Tiens, Johnson ! s’écria l’un deux en voyant Wellington approcher, joignez-vous à nous !

- Buckman, messieurs, salua l’interpellé en serrant la main de celui qui l’avait appelé.

Wellington s’assit aux côtés d’Antonio qui lui adressa un franc sourire tandis que Nathan lui adressait un discret signe de la main.

- Vous avez manqué le début de la conversation, continua Archie Buckman, un jeune homme aux mœurs dépravées avec qui Wellington n’avait pas vraiment d’affinités.

- Et quel est donc le sujet ?

- Les femmes ! s’écria un homme du groupe.

- Enfin, plutôt le mariage, corrigea Nathan.

- Il paraît que les nouvelles de cette saison sont fort belles et surtout, riches, lança un autre.

- N’en faites pas une généralité, ricana Archie, par exemple, la fille Williams elle est jolie, mais sa famille s’approche de la ruine.

- Il est vrai que ce n’est pas la femme que j’épouserais ! Mais plutôt celle qu’on compromet derrière un buisson de fleurs, renchérit un autre. 

Sa remarque déclencha un éclat de rire général.

Ou presque. Seul Wellington fronça les sourcils. Il ne cautionnait pas le fait d’avoir des aventures et surtout pas de compromettre une jeune fille pure et innocente. De plus, la « fille Williams », Tina de son prénom, était la meilleure amie d’Elizabeth, et aussi une délicate et adorable personne.

- Personne ici ne cherche donc à s’établir ? demanda soudain une voix grave que l’on n’avait pas encore entendue.

- Despenser, je vous avais à peine remarqué ! s’exclama Archie.

L’intéressé l’ignora et poursuivit :

- Personnellement je cherche à me marier le plus rapidement possible. Depuis la mort de mon père, il me faut une comtesse.

- Vous la trouverez sans mal, vous faites tomber la moindre fille avec vos lettres d’amour passionnées ! plaisanta Nathan.

- Je ne veux pas n’importe quelle idiote, Barnett.

- Auriez-vous quelqu’un en vue ?, demanda un membre du groupe.

- Peut-être, murmura Clay Despenser avec un sourire énigmatique.

- Je parie sur Cassie McKee, dit Antonio.

- Grand Dieu, non ! Elle est insupportable.

- Mais elle a de GROS atouts, dit Archie avec un air vulgaire.

- Vous dépassez les bornes, maugréa Wellington.

- Je parlais de sa dot, détendez-vous. Elle est fort riche.

Wellington se leva et salua le groupe avant de prendre congé, suivi d’Antonio et Nathan.

Une fois s’être assuré qu’ils ne pouvaient plus entendre, Archie se tourna vers le restant du groupe :

- En tout cas, j’ai un défi pour vous messieurs. Vous connaissez tous la sœur de Johnson, Elizabeth. Eh bien, le premier à la compromettre recevra, disons…

- Un cadeau de valeur de chacun des participants ! Ecrivez vos mises sur un contrat, proposa un homme.

- J’y suis ! s’écria un homme.

- Moi aussi ! dit un autre.

- Moi de même.

- Moi aussi.

- Nous sommes donc cinq ! dit Archie. Et vous Despenser ?

- Je n’ai pas cette simple prétention. Je compte non seulement la séduire mais également l’amener au pied de l’autel et en faire ma comtesse.

- Même déshonorée par l’un d’entre nous avant ?

- Elizabeth ne vous accordera jamais ne serait-ce qu’un regard, ricana Clay avant de se lever et de quitter la pièce.