Chap 12 (fin du premier acte) : ...et ce qu'il advint

Par Achayre
Notes de l’auteur : Premier jet non corrigé - Ecriture du 6 au 10 mars

Changements : L'ordre des runes sur Ételrune a été modifié.

Le 07/09/23 : mise en ligne de la version corrigée

Les membres valides des Arcanes Royaux avaient rejoint leurs camarades moins fortunés. Malgré ses sentiments pour le Renard qui glapissait à trois pas d’elle, Améthyste s’occupa d’abord de Tolen. L’urgence la plus critique concernait le vénérable mage qui s’apprêtait à quitter le monde des vivants. Sa blessure était grave, mais simple à résorber. Le véritable problème venait de l’abondante quantité de sang qui engorgeait ses poumons. Assistée par Lucide, la guérisseuse tentait de lui en faire cracher autant que possible. De son côté, Cyriaque partageait ses forces entre les complaintes que lui inspirait la douleur et les insultes à l’attention de son demi-frère. Ermanno avait remballé son habituel sourire. Au chevet de son sauveur, il maintenait un garrot improvisé autour du moignon.

Sire Daan ligota le prieur délesté de sa magie nécrotique. L’homme n’en était que plus misérable. Reniflant et suppliant, il confirmait son absence d’envergure. Ses expériences contre-nature avaient coûté la vie aux habitants de son village natal, mais il n’avait de cœur que pour la mort de son père, tout aussi coupable que lui. Quant à Miraaka, elle le tenait en joue. Son index pointé directement sur le front de la loque humaine. Lasse, la belle brune de vingt-cinq ans réajusta sa chevelure derrière son oreille et prit des nouvelles de Tolen.

— Il va s’en tirer ?

— Empêcher quelqu’un de mourir, c’est un peu plus compliqué que de le tuer, répondit Améthyste, contrariée qu’on veuille la presser.

La guérisseuse n’appréciait guère la manieuse de foudre. Plus ronde et moins grande que la dernière recrue des Arcanes, Améthyste voyait en elle une caricature de mage. Superbe, puissante, mais imbue de sa personne, Miraaka était à l’autre bout du spectre des possibles. Elle se moquait souvent du physique de la trentenaire, au point de créer des tensions au sein du groupe. Améthyste n’avait pas grand-chose à lui jalouser, mis à part son talent à être un cliché ambulant. La magie qui débordait de sa personne lui donnait un aspect unique. Ses cheveux noirs bénéficiaient de subtils reflets violets, ses pupilles avaient l’éclat des pierres précieuses qui lui valaient son surnom d’aventurière, et d’amusantes étincelles pourpres s’échappaient de sa bouche lorsqu’elle riait. À cela s’ajoutait une douceur d’âme capable de franchir les murs qui protégeaient Cyriaque de toute forme d’affection. Elle était unique.

Une perle rare qui usait de tout son art pour soigner Tolen, sous le regard du prieur. Ce dernier avait une façon très déplaisante de la fixer. Ses grands yeux fous, et pleins de larmes, étaient rivés sur la guérisseuse. Il avait vu en elle un détail qui échappait à ceux qui n’y connaissaient rien à la magie des morts. Pour lui, l’aura qui entourait Améthyste avait une toute autre valeur que l’admiration qu’elle suscitait chez Cyriaque. Si le Renard avait su, ce soir-là, que le nécromancien était en mesure de lire combien de temps il restait à vivre aux êtres qui l’entouraient, aurait-il pu changer le cours du destin ? Serait-il parvenu à appréhender ce qu’était Améthyste. Un concept que Tolen, commençait à comprendre, malgré son état.

— Tu avais dit vingt ans ! gémit le mage dès qu’il fut capable de parler.

Lucide baissa les yeux. Oui, elle mentait depuis des mois. Le vieux mage n’était pas le premier à venir la consulter pour qu’elle prophétise ses derniers instants. Elle avait vu défiler des hommes et des femmes par dizaines, prêts à la payer une fortune pour connaître la date exacte de leur trépas. Une révélation qui n’était pas une libération, bien au contraire. Quiconque accédait à la connaissance de l’heure de sa mort sombrait immanquablement dans la folie à son approche. Lucide comprenait la peur qui hantait le fond des prunelles de Tolen, mais elle n’avait pas accompli le rituel, se contentant de lui offrir un horizon suffisamment éloigné pour que l’angoisse desserre son étreinte. Le vieux mage se serait éteint, l’esprit sauf, convaincu qu’il lui restait une multitude de lendemains à gaspiller.

— Je ne finirai pas la semaine ? l’interrogea-t-il, livide d’avoir perdu trop de sang.

— Je ne sais pas, Tolen, reconnut-elle. L’oracle que j’ai rendu… c’était pour t’apaiser. Je n’ai rien vu.

Gênée par la dispute et préoccupée par Cyriaque, Améthyste s’assura que la plaie ouverte par le poignard était convenablement cicatrisée, puis se dirigea vers les frères Bribois. Dans son dos, Tolen, pourtant affaibli, laissait libre court à sa colère. Plus Lucide cherchait à se défendre, plus il trouvait à lui reprocher.

— Comment as-tu pu trahir une amitié de presque trente ans ? Tiens-tu si peu à moi que ma mort t'indiffère ?

— Tu sais aussi bien que moi comment finissent ceux qui savent, voulut-elle le raisonner.

— Et alors ? gargouilla Tolen. C’était mon choix ! Tu avais promis !

— Pour te voir te rouler en boule dans un coin ? Assister à ton effondrement lorsque tu céderas face à la panique des derniers jours ? Qui pourrait souhaiter cela à un ami ?

— Raaaah !

Tolen se redressa maladroitement sur ses jambes molles. Il s’appuyait sur la table transformée en autel, le regard fiévreux. Ces symptômes, ces réactions, que Lucide énumérait, le mage les expérimentaient en condensé. La mort n’était plus qu’à quatre couchers de soleil et cette idée lui était insupportable. Il scrutait le moindre objet autour de lui, à la manière d’un prisonnier cherchant un moyen d’échapper à la pendaison alors que la corde encerclait déjà son cou. Tolen était aux abois. De rage, il renversa les ustensiles de l’apprenti nécromancien. Ce type avait osé défier le roi, les Saintes. Il avait tué sans remords pour assouvir son envie. Le mage était prêt à tout… oui, à tout !

Sire Daan surveillait le prisonnier, mais il s’était refusé à toucher au cristal employé par Tolen pour le neutraliser. Seul le vénérable érudit savait les maîtriser et le bretteur à l’épée enchantée n’était pas idiot au point de risquer son âme lors d’un contact infortuné. La pierre luisait au sol. Tolen la ramassa et l’étudia un moment. Lucide lui parlait toujours, mais les mots ne lui parvenaient pas. Il avait dans les mains une source d’énergie qu’il savait assimiler.

Le mage porta sa main à ses côtes encore poisseuses de sang. Cette blessure avait dû avancer l’horloge de sa fin de quelques heures. Peut-être plus. Tolen n’avait pas le luxe de peser le pour et le contre de son idée. Il devait agir. Au lieu de plaquer le cristal contre son corps afin que le transfert de magie s’opère, Tolen essaya de s’en repaître. À l’image de la créature cosmique de la légende d’Oltius, qui aurait croqué dans leur monde, Tolen planta ses dents dans le cristal pour en aspirer le contenu phosphorescent. La faible magie du prieur nourrit la chair du vieux mage. Si les bénéfices étaient maigres et imperceptibles à l'œil nu, cela fonctionnait.

Dévorer la magie, consommer l’essence des autres. Jamais le vénérable Tolen ne se serait abaissé à de telles pratiques sans l’emprise que la peur de mourir avait sur lui. Il avait franchi une nouvelle ligne rouge. Loin de regretter cette transgression, le mage avait envie de rire à pleine gorge. Lucide assista à la déchéance de son ami, incapable d’intervenir. Des visions prémonitoires cauchemardesques faisaient frire son cerveau. L’image de la silhouette chétive du vieil homme s’éteignant dans son sommeil se déchira au profit d’une ombre avide d’engloutir le monde. Un torrent de larmes emporta la médium vers des limbes dont elle ne reviendrait jamais complètement. 

Si seulement Lucide avait eu la force de crier pour prévenir les autres. Ils auraient compris que la dispute n’avait plus rien d’habituelle. Sire Daan aurait pu ceinturer le mage pour l’empêcher de commettre l’irréparable. Miraaka n’aurait eu qu’à tendre le bras pour le mettre hors-jeu. Quant à Cyriaque, qu’importe ses blessures, il aurait au moins fait obstacle de son corps. Aucune de ces chances ne sourit à Améthyste.

— Content de vous revoir debout, le salua Ermanno, inconscient de ses intentions.

Le barde lui souriait lorsqu’il comprit que son comportement était inquiétant. D’ordinaire, calme et mesuré dans ses gestes, le mage semblait habité par quelqu’un d’autre. Une entité agitée et tremblante. Tolen fixait Améthyste avec la même avidité que le prieur. Il vint se placer dans le dos de la guérisseuse et fouilla dans les replis de sa robe aux broderies d’une autre époque. Ermanno ne vit pas ce qu’il en sortit.

— Qu’est-ce que tu…

La fin de sa question disparut parmi les cris de douleur que poussa Améthyste. Tolen venait de la poignarder à la base du cou, à l’aide d’un de ses cristaux. Celui-ci draina les pouvoirs d’Améthyste sous la forme d’une intense lumière violette.

— Fils de chien ! jura Cyriaque en tentant de se relever.

Retenu par Ermanno qui maintenait son garrot en place, il bascula en arrière. Sire Daan le regarda faire, l’air bête. Seule Miraaka avait la capacité de défendre Améthyste, mais envoyer un éclair pendant que Tolen la touchait reviendrait à la tuer à sa place. La manieuse de foudre releva son doigt d’un centimètre et fit roussir les rares cheveux toujours debout sur le crâne du vieux mage. Ce tir de sommation ne le dissuada en rien.

L’horreur vint de l’autre main de Tolen. L’essence magique exceptionnelle de sa victime n’était pas suffisante, il lui enviait aussi sa jeunesse. Fraîchement assimilée, la magie maladroite du nécromancien amateur brûlait encore en lui. Associée aux connaissances encyclopédiques du vénérable Arcane Royal, elle se révéla suffisante pour lancer un sort interdit. Tolen posa sa main libre sur l’épaule nue d’Améthyste et murmura quatre mots dans une langue antique. La guérisseuse s'émietta, changée en sable en l’espace d’une respiration. Debout derrière elle, le vieillard se redressa, son propre corps délesté des ravages du temps. En consumant le corps de sa victime, il avait retrouvé les traits de ses cinquante ans.

Un cri emplit l’air. Cyriaque venait de sombrer à son tour dans la folie. D’une autre manière, pour d’autres raisons, mais avec l’énergie du désespoir. Le Renard se libéra de son demi-frère et empoigna Tolen. Il voulait l’étrangler. Non, ce n’était pas assez. Aveuglé par la rage, Cyriaque n’en était que plus inspiré dans sa vengeance. De sa ceinture, jaillirent tous les poinçons qu’il emportait en mission. Les outils dansèrent à travers la pièce, incrustant leur marque, des centaines de fois dans le bois des murs et de la charpente de la maison. Le bruit était assourdissant et comparable à une armée de piverts embarquée dans un assaut synchronisé sur une forêt. Tolen le laissa faire, hilare. Leurs folies respectives se faisaient échos.

Le reste du groupe s’échappa de la bâtisse lorsque les intentions de Cyriaque se précisèrent. Il poussait de toute sa rage contre les gravures, au point que la structure du bâtiment commençait à céder. La maison se déchira littéralement en deux avant de voler en éclats. Les Arcanes Royaux furent balayés par les morceaux de bois qui se dispersèrent aux alentours. À ceci près que le sol demeura intact, une bombe n’aurait pas fait plus de dégâts. Ne resta plus en lévitation qu’une nuée d’échardes porteuses de runes. Cyriaque repoussa Tolen, et les fit s’abattre sur lui.

Le corps du mage assassin fut criblé de projectiles. Pourtant, il riait toujours comme un possédé. Sous l’effet régénérant de son dernier sort, les plaies ouvertes dans sa chaire se refermèrent lentement. Cela avait cependant un coût. Le rajeunissement dont Tolen venait de bénéficier refluait. À mesure qu’il guérissait, les années défilaient sur son visage. Avec tous ces petits bouts de bois incrustés dans ses cicatrices, le vénérable mage ressemblait à un monstre de cauchemars. Il en faudrait plus pour le vaincre, mais Cyriaque était à bout de force. Améthyste n’avait eu le temps que de résorber l’amputation en un moignon à vif. La colère du mage ne suffisait plus à le maintenir debout. Le Renard se retrouva à la merci du traître.

— Tu devrais te réjouir, suggéra Tolen. Elle va vivre en moi pour toujours.

Exalté, il brandit le cristal renfermant l’énergie magique de la guérisseuse. Il n’avait plus qu’à mordre dedans pour mêler leurs deux essences dans son corps. Un geste un peu trop théâtral offrit une occasion à la seule personne capable de lui tenir tête à cet instant. Miraaka, allongée sous les décombres de la bicoque, tendit son bras et déchaîna la force des cieux contre le traître. L’éclair crépita en traversant la distance qui la séparait de sa cible. Il atteignit Tolen en plein torse et l’envoya valdinguer au-delà du promontoire. Sa silhouette tomba dans le vide et disparut dans l’obscurité. Elle venait de sauver Cyriaque, mais dut refouler l’idée qu’elle aurait pu en faire de même pour Améthyste.

Ermanno et Sire Daan émergèrent à leur tour de sous la charpie de bois. Sonnés et meurtris, ils aidèrent Lucide à se dégager. Les Arcanes Royaux étaient dans le plus piteux des états. Ceux qui ne souffraient pas de blessures physiquement luttaient avec le choc moral qui venait de les ébranler. Rien n’avait laissé présager un tel drame. La médium du groupe s'interrogeait sur la fiabilité de ses talents, face au désastre qui venait de se jouer. Sa vision de l’avenir était devenue floue et parcellaire, au-delà de ce point. Comme si le futur n’était plus écrit.

Ermanno s’avança tant qu’il put au bord du promontoire rocheux, mais la nuit était trop sombre pour distinguer le corps de Tolen. Ce ne fut qu’au moment de quitter le village devenu désert que le groupe constata la fuite de leur ancien allié. Aucun corps, seulement la trace d’un impact dans l’herbe. Personne ne fit de commentaire, mais chacun savait que cette mission de routine venait d'accoucher d’un ennemi redoutable. Quelqu’un qui connaissait tout d’eux, de leurs vies, de leurs traditions, et de leurs faiblesses.

Chargé dans une charrette, Cyriaque tenait contre son sein les derniers vestiges de son amour. Lors de l’impact provoqué par la foudre, Tolen avait lâché le cristal contenant Améthyste. Objet que le Renard avait recueilli précieusement et couvert de ses larmes. L’éclat pourpre, au centre de la pierre, pouvait paraître réconfortant, mais personne n’aurait pu consoler Cyriaque. Amputé d’une main, le mage ramena chez lui plus qu’un souvenir. La folie contractée sur le flanc de montagne devint sa compagne, et ce, pour de nombreuses années.

Il ne fit pas la route avec les autres jusqu’à la capitale du royaume. Cyriaque ne supportait plus la présence de ses camarades, et leur envie de se confier sur les conséquences de ce drame. D’un naturel solitaire, il coupa les ponts avant de se réfugier dans une maison perdue au milieu de la forêt à l’est de Grand Val, qu’il venait d’acheter. Une forte conviction lui étreignait le cœur : Tolen, ou ce qu’il était devenu, ne renoncerait pas au cristal si facilement. Les kilomètres qu’il s’évertua à mettre entre lui et le vieux draineur de vie ne le tiendrait éloigné qu’un temps. Ce crétin d’Ermanno connaissait l’emplacement de la maison. S’il venait à tomber entre les mains de Tolen, celui-ci se mettrait aussitôt sur sa piste.

L’année qui passa, Cyriaque la consacra à l’étude des runes. Sur la base d’une légende fantasmée que lui avait conté son maître, il s’était mis en tête de libérer Améthyste de sa prison de cristal. Un sort interdit, qui avait plus de chance de le tuer que de la lier à sa propre aura. Il avait conscience de répondre à une folie par une autre, plus grande, mais, tout comme Tolen, il refusait de rester dans les limites de la sagesse. Cyriaque se crut, un temps, plus fort que la mort.

Handicapé par la perte de sa main, le mage avait recours en permanence à sa magie de manipulation. Presque tous les objets de sa nouvelle habitation arboraient une rune afin qu’il puisse s’en saisir. Loin de le démoraliser, il comprit rapidement que cela lui serait salutaire. Avant de se lancer dans une expérience qui pouvait lui coûter la vie à la moindre erreur, il avait besoin d’être au plus haut de la maîtrise de ses pouvoirs. En parallèle de ses recherches, il se fixa l’objectif d’être capable de déployer son aura avec autant de puissance que ce fameux soir, mais sans s’abandonner à la rage.

La paranoïa et l’inquiétude de voir débarquer Tolen le faisaient gambader après son projet, aussi efficacement qu’un charbon ardent glissé dans ses braies. Cyriaque dormait peu, mangeait à peine et ne tolérait aucune visite. Les rares habitants de Grand Val qui se perdaient assez loin dans la forêt pour croiser sa maison apprirent vite qu’il valait mieux ne pas s’en approcher. Des rumeurs de lames sifflantes entre les arbres se répandirent en ville, et, une fois le bois renommé, personne n’osa plus venir toquer chez lui.

Cyriaque avait pris l’habitude de parler au cristal renfermant Améthyste. Il lui narrait ses découvertes, lui détaillait ses hypothèses, et s’endormait à ses côtés. Rapidement, le besoin de la nommer par son prénom, et non son pseudonyme, se fit ressentir : Ételle. Une appellation aussi singulière que sa porteuse. Tout comme les résidus de bois du même nom, les gens la sous-estimaient alors qu’elle était indispensable à qui savait lui faire une place dans son quotidien. De cette liaison incongrue naquit une gravure unique en son genre. Faute de textes clairs, le Renard finit par tenter sa chance sur la seule base de ses intuitions. Les runes étant une forme d’écriture, la solution ne pouvait être que l’assemblage logique d’une série de caractères.

Laguz servirait de support à l’essence magique d’Ételle. Eihwaz lui ouvrirait la porte entre la vie et la mort. Ehwaz l’inviterait à en franchir le seuil. À l’autre bout de la gravure, Dagaz permettrait à l’aura de Cyriaque d’atteindre son paroxysme, puis de s’ouvrir aux mystères interdits grâce à Hagalaz. Pertho alignerait des souvenirs communs pour harmoniser Cyriaque avec l’énergie de sa future colocataire. Pour finir, au centre de la gravure, Gebo les lierait à jamais.

Passer de la théorie à la pratique ne se fit pas en un claquement de doigts. Bien que pressé de mettre ce qui restait d’Ételle hors de portée de Tolen, Cyriaque ne prenait pas la complexité de la tâche à la légère. Chaque rune devrait être gravée à la perfection dans un objet résistant, capable d’encaisser la débauche de magie que le Renard aurait à déchaîner.

Aucun poinçon préfabriqué n’était assez large pour l'œuvre escomptée. Tenant les outils dans sa mauvaise main, regrettant chaque heure la perte de l’autre, Cyriaque s’acharna sur la tranche épaisse de la lame d’une épée. Abandonnée par le précédent propriétaire, l’arme traînait sous un meuble depuis des lustres. Bien trop lourde et encombrante pour son style de combat, le mage l’avait remisé sans jamais y apposer de marque. Six jours de travail par face furent nécessaires pour obtenir une gravure impeccable.

Au matin d’un mercredi de novembre, tout fut prêt pour procéder au rituel. La détermination de Cyriaque n’avait pas fléchi d’un poil. Reclus dans sa cachette, nul n’était venu remettre en doute ses choix. Sans message d’Ermanno, ni le moindre signe de vie de Tolen, le mage aurait pu s’adoucir et renoncer à sa folie, mais elle avait mué avec le temps. À l’origine, il désirait soustraire Ételle à sa prison, et faire en sorte que Tolen ne puisse plus user de son pouvoir pour l’assimiler. Mais, après tant de mois en compagnie de cette pierre, qui ne pouvait rien lui rendre de son amour, Cyriaque espérait que le lien qu’il s'apprêtait à tisser lui accorderait le soulagement de sentir à nouveau sa présence.

À genoux au milieu de la salle à manger, le Renard coinça la lame gravée entre ses cuisses, dressée sur son fil. Usant de son entraînement intensif, il déploya son aura jusqu’à se sentir presque vide de sa propre personne. L’onde noire remplissait chaque pièce de la maison, au point de s’échapper de sous les portes et par la cheminée. Cyriaque la lia aux trois runes les plus proches de lui avant de frapper la pierre contenant Ételle contre le tranchant de l’arme, à l’opposé. L’énergie pourpre se déversa sur le sol. D’abord inerte, celle-ci se mit à scintiller et se contracta au niveau de la rune Laguz.

Une gravure après l’autre, l’essence d’Ételle se lia finalement à Gebo, ainsi qu’à l’aura de Cyriaque. Le creux de la rune se teinta d’un violet beaucoup plus sombre, issu du mélange de leurs deux présences. Le rituel se déroulait à merveille jusqu’à ce que le mage ne ressente une vive douleur dans chaque pore de sa peau. Gebo cherchait à lui arracher le peu d’aura que contenait encore son corps. C’était un échec. Soit le mot gravé était incorrect, soit Cyriaque manquait de puissance. Une chose était certaine, l’épée n’officiait plus comme catalyseur, mais commençait à dévorer les deux amants.

Cyriaque, réputé pour son caractère plus borné qu’un bouc, refusa de se laisser consumer par son sort. Ainsi, il donna le temps à l’essence d’Ételle de l’atteindre. Elle se glissa en lui et se diffusa dans les vides en formation. Lorsque Gebo fut repue et s'apaisa, Cyriaque avait perdu la quasi-totalité de son aura. Jamais plus il ne pourrait manier autre chose que cette lame par laquelle il était lié à Ételle. La mort venait de rater une occasion de l’emporter. Pourtant, le Renard souriait car, au plus profond de lui, il entendait chanter la femme de sa vie. Cyriaque baptisa ce miracle Ételrune.

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Altaïr
Posté le 14/03/2022
Je ne trouve pas Cyriaque si taciturne que cela maintenant que j’ai lu ce qu’il a vécu … Je suppose que c’est son espoir qui l’empêche de sécher complètement de l’intérieur.
A ce stade on connaît l’origine du titre de cette histoire, mais tu gardes d’autres intrigues sous la plume pour plus tard, c’est bien mené.

Comme pour les chapitres précédents : coquilles & suggestion :

// Des flash (flashs ou flashes) prémonitoires // criblé de projectils (projectiles). // pour mêler leur (leurs) deux essences // au-delà du promontoir (promontoire). // Ermanno s’avança tant qu’il pu (put) au bord du promontoir (promontoire) rocheux, mais la nuit était trop sombre pour distinguer le corps de Tolen. //
* * *
« Ce ne fut qu’au moment de quitter le village devenu désert, que le groupe constata la disparition de leur ancien allié. » Tu as voulu dire par là qu’ils n’ont pas retrouvé son corps ? Si c’est le cas pourrais-tu le préciser ?
* * *
// il s’était mis en tête de la libérer (libérer Améthyste) // Eihwaz (avec ou sans « i » comme écrit plus loin ?) // Dix jours de travail par face furent nécessaire (nécessaires) //

Bonne continuation !
Achayre
Posté le 19/03/2022
Re !
Les deux chapitres de flash back ont été très durs à écrire et j'ai du faire plusieurs ajustements des chapitres précédents pour que ça colle.
Du coup je suis à la traine sur le chap 13 car les batteries sont à plat :/ Prendre une pause, ce serait prendre le risque de ne jamais redémarrer donc, gogogo ! J'y retourne :)
Peut être à ce soir si je carbure ou à demain si j'ai eu la flemme :p
TiteTeigne
Posté le 11/03/2022
Un chapitre plus sombre et qui s'articule parfaitement dans la suite du précédent. On sort de la dynamique du début et je trouve ce décalage très prenant (je me répète peut être avec mon commentaire précédent XD). Le personnage de Cyriaque devient touchant, on partage sa douleur et sa souffrance. On comprend mieux sa personnalité et son mode de vie actuels. On se sent plus proche de lui. La création d'Etelrune est fascinante et bien amenée. Tu éclaires le mystère de ton titre, apportant un aura encore plus important autour de cette épée.
Et apparaît la menace, Tollen, sombre et assoiffé de puissance. Capable de trahir ses plus proches compagnons. J'en ai des frissons dans le dos... Et tu poses ici un sujet très philosophique, la peur de la mort. Tu sais passer de la légèreté de l'enfance insouciante de Lev à une trahison mortelle pouvant influencer la personnalité de celui-ci après écoute de ce récit. Hâte d'en connaître les retombées !

Quelque chose me titille cependant : j'ai resurvolé la fin du chapitre 10 et le début du 11 et je n'arrive pas à situer ce passage dans la temporalité. Miraaka avait 25 ans donc il y a une vingtaine d'années peut être ?
Achayre
Posté le 11/03/2022
Merci beaucoup ! <3
Deux chapitres très difficiles à écrire, mais je suis content de voir qu'ils ont été bien compris :)
J'ai été obligé de retravailler les runes. Il faut d'ailleurs que je change un passage du chap 10 à propos de Cyriaque qui prétend maitriser les sorts par gravure, alors qu'il n'en a lancé qu'un et qu'il s'est mal passé :p

Pour la temporalité, l'histoire commence 15 ans après la mort du roi. Il s'est écoulé un peu moins d'un an d'entrainement de Lev. Dans le chap précédent, il est question de 6 mois avant la disparition du roi. Miraaka a 25 ans lors du drame et donc 40 à l'époque de la lettre :)
TiteTeigne
Posté le 13/03/2022
C'est plus clair merci :)
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