Champi-thérapie

17. Champi-thérapie
(By Kiwi)

- Alors, m’a demandé Grenade me voyant entrer. C’était bien, l’éclaircie ?

J’avais déjà mal au ventre, ça a empiré quand je l’ai vu, avec son masque que je hais. J’ai eu envie de lui cracher à la gueule, méchamment, que j’avais échangé avec FdB le baiser le plus intense de ma vie. Mais je sais ce qu’il me répondrait : j’avais bien fait, il me félicitait. FdB et moi avions tout son soutien. Pour ne pas avoir à entendre ça j’ai bredouillé le premier truc qui me passait par la tête :

- Ouais... c’est dingue de penser que quand on était petits on voyait le soleil tout le temps et maintenant c’est un évènement spécial.

- C’est vrai, m’a-t-il répondu lentement comme s’il avait compris qu’un truc clochait.

Je me suis réfugié dans ma chambre avant d’avoir à lui parler plus. Je ne me sentais pas vraiment coupable, Grenade se donne beaucoup de mal au quotidien pour me faire comprendre qu’il ne tient pas à moi. Oh, il m’aime, ça je le sais dans mes tripes. Mais il ne tient pas à moi.

Alors ce qui me faisait me sentir aussi mal, ce n’était pas la culpabilité, c’était la défaite. J’avais l’impression d’avoir perdu une bataille. Encore une, après ce raté minable de Franche-Comté. Et Fraise des Bois... C’était pas cool de se servir de lui comme je l’avais fait. Même s’il s’en foutait, que je n’étais qu’un potentiel plan cul  pour lui aussi. Je me sentais nul, vis-à-vis de l’un comme de l’autre. A pas être foutu de me tenir à ce qui compte pour moi. A pas être foutu d’abandonner quand c’est ce qu’il y a de mieux pour les autres. A avoir tout foiré à Santorga Franche-Comté.

Je suis allé sur mon profil. FdB n’était pas là, il devait être encore dans les transports. Mais j’ai trouvé celui que je cherchais :

< Yo Champi !

> Bonjour Kiwi.

< T’as vu l’éclaircie ?

> Un peu
> Depuis la baie vitrée dans le bureau de mon patron.
> Mais la moitié de la boite était là, et les fenêtres ne s’ouvrent pas, ce n’était pas extraordinaire.
> On n’a pas senti les rayons.

< Pas cool de vous priver de ça.

> Mon salaire est une bonne contrepartie.
> Et toi ? Tu es sorti ?

< Oui. Je suis allé dans la campagne avec FdB.

Sa réponse  a un peu tardé :

> C’était bien ?

Je me suis de nouveau senti mal. Si c’était bien... C’était mieux que bien, même, c’était... c’était trop bon. Je voudrais recommencer. Et en même temps je voudrais revenir en arrière et tout annuler.

< Oui et non. J’ai peur d’avoir fait une connerie.

> Dis moi.

< On s’est embrassés FdB et moi. Et j’ai rien dit à Grenade.
< Je sais pas ce qui m’a pris. J’ai lâché prise. Je sais plus du tout quoi faire maintenant.
< Je veux pas le cacher à Grenade, mais j’ai peur qu’il me dise que c’est ce qu’il espérait. Et FdB, il m’a dit qu’il était prêt à recommencer. Je lui ai dit non mais franchement, une part de moi se dit que foutu pour foutu...
< C’est pas comme si Grenade tenait à moi.
< Mais ce serait un peu me servir de FdB, non ? Et puis J’ai pas envie de renoncer à Grenade.
< Je sais pas quoi faire. Je lui dis, tu penses ?
< Champi ? T’es toujours là ?

Mon angoisse grimpait graduellement à chaque seconde sans réponse de mon ange gardien. Champignon répond toujours super vite, d’habitude. Merde ! J’avais trompé Grenade même s’il considère qu’on n’est pas ensemble, j’avais rejeté FdB même s’il ne voulait de moi qu’une relation sans affect. Ne me dites pas que je me suis aussi mis Champignon à dos !

< Désolé ! Je te raconte ma vie alors que t’as rien demandé et que t’es pas là pour ça :x

Pourtant d’habitude, il est attentif à mes peines de cœur avec Grenade. Je lui raconte tout depuis plus de six ans, des fois je me dis je dois le souler mais pourtant il est toujours là pour me consoler, me donner des conseils, me remonter le moral.

J’ai fixé l’écran pendant ce qui m’a paru être des minutes entières, sans oser respirer. Enfin, il m’a envoyé une réponse :

> Tu devrais te méfier de Fraise des Bois.

Ce n’était pas à ça que je m’attendais.

< Hein ? Pourquoi ?

> Comme ça. Il ne m’inspire pas confiance.

< Mais c’est toi qui nous a parlé de lui et qui nous a conseillé de le rencontrer !

> Je sais. J’ai pu me tromper.

Champi qui se trompe ? J’y crois pas.

< Je comprends pas, Champi. Qu’est-ce que tu lui reproches ? Il est super ! Il a peur de rien, il s’entend bien avec tout le monde, il est efficace ! On a trop de chance de l’avoir, franchement je l’adore

franchement je l’adore, franchement depuis qu’il est là je suis plus heureux. Il ne le sait pas mais il m’a appris plein de trucs. C’est un vrai pote ! un réel ! avec un visage, lui ! Pas comme toi Champi, ni comme Grenade.

J’étais en train de taper tout ça mais une nouvelle réponse m’a coupé dans mon élan :

> C’est Fraise des Bois qui a déclenché l’alarme à Santorga Franche-Comté.

Je suis resté longtemps sans répondre après avoir lu ça. Le mystère de notre erreur à Santorga Franche-Comté n’avait jamais été élucidé. On avait fini par blâmer la malchance et passer à autre chose, mais ça ne nous sortait pas de la tête. Pourquoi Champignon accusait FdB ? Et pourquoi il me le disait seulement maintenant ?

< Comment tu le sais ?

> Peu importe.

Champignon n’aime pas les questions, alors je ne lui en pose pas, et en échange il me dit toujours la vérité. Mais là quand même, il y allait fort. J’allais insister, quand Grenade est entré dans ma chambre avec des bières.

- Tiens, bois ça. Il fait chaud.

- Woaa merci.

J’étais déstabilisé, comme à chaque fois que Grenade a des petites attentions pour moi. J’ai tenté un sourire. Je ne saurais jamais s’il m’a souri en retour, mais il a effleuré ma joue de la main, comme l’avait fait FdB un peu plus tôt.

- C’est encore Champignon ? m'a-t-il demandé en désignant mon terminal de la tête.

Il s’est penché pour lire la conversation. Sans réfléchir je me suis jeté devant l’écran. Grenade et moi nous sommes figés tous les deux. Puis il a reculé. C’était la première fois, depuis toutes les années qu’on se connaissait, que je lui cachais un truc. Pour moi c’était à la limite du supportable.

- Je, euh... c’est juste que...

- Hé, c’est rien. Tu as ta vie privée, c’est normal. C’est même bien. Je n’ai pas à lire tes conversations. Excuse-moi. Je ne recommencerai pas.

Un autre mur venait de se construire entre moi et Grenade. Je n’imagine même pas la muraille qui se créera entre nous quand je lui dirai pour FdB et qu’il me répondra que c’est okay. Je l’ai regardé partir sans savoir quoi faire. Je voulais me jeter dans ses bras et pleurer, lui dire que je l’aime, et que j’essayais vraiment mais que c’était trop dur de me sevrer de lui. Lui demander pardon pour avoir embrassé quelqu’un d’autre.

Je suis revenu à mon terminal. Champignon avait continué d’écrire. Il ne développait pas ses soupçons sur FdB, mais il citait une de mes phrases précédentes :

> “Mais ce serait un peu me servir de FdB, non ? Et puis J’ai pas envie de renoncer à Grenade.”
> Tu vois les choses à l’envers Kiwi.
> C’est FdB qui se sert de toi, pas l’inverse
> Et c’est Grenade qui a renoncé à toi, pas l’inverse.

Euuh... Est-ce que c’est sensé m’aider ou est-ce que c’est sensé me faire me sentir nul ? De toute façon je ne pouvais pas répondre, j’avais une bière dans la main. Champignon a attendu un peu, puis il a fini par se déconnecter après un dernier mystérieux :

> Amuse toi autant que tu veux avec Fraise des Bois, tu n’as pas à t’en vouloir. Mais ne le laisse pas te séduire. Il est doué pour ça. Il détruira ta vie si tu lui laisse une trop grande place dedans.

Champignon est mieux qu’un horoscope. Je me suis déconnecté à mon tour. Il m’avait un peu agacé, c’était la première fois. Avoir accès à toutes les données les plus secrètes sur tous les individus de ce monde ne permet pas de connaitre vraiment le fond du cœur des gens. Il faut les voir en face, pour ça, Champi. Tes soupçons, si je n’ai pas plus de matière, je ne vais pas en tenir compte. Moi je regarde FdB droit dans les yeux. Je le connais mieux que toi.