Ce que vous êtes

La silhouette de poupée d’Olis se découpait dans l’embrasure de la porte, immobile. Tout en se relevant rapidement, Ari se prépara à lui poser mille questions. Mais il se tut quand il vit le visage de son compagnon.

Olis semblait être une personne différente. Ses yeux d’ordinaire inexpressifs étaient dorénavant imbués de larmes ; sa posture d’habitude droite était pliée en deux comme sous une violente douleur ; ses mains étaient crispées ; son visage normalement impassible affichait une expression de confusion totale ; elle marmonnait sans arrêt « ce n’est pas possible… ce n’est pas possible…»

Ari la rejoignit rapidement et verifia derrière elle la pièce de la seconde épreuve. Elle paraissait inchangée, aussi poussiéreuse et désordonnée que la dernière fois. Il n’y a pas la moindre trace de lutte.

Ari ferma la porte, puis se tourna vers Olis : « Que s’est-il passé ?

— Ce n’est possible… ce n’est pas possible…

— Olis !

— C’est elle… »

Elle regardait fixement la Conteuse comme s’il y avait un monstre à sa place. Celle-ci n’avait pas bougé depuis qu’Olis était entrée.

La Conteuse regardait fixement le sol, les mains crispées sur son grimoire tandis qu’Ari tonna : « Qu’est-ce que vous lui avez fait ?

— Asseyez-vous, Chevalier d’Or, articula-t-elle faiblement. Nous devons terminer l’épreuve. »

Ari ne répondit pas. Il guida Olis, comme un adulte guidait un enfant, sur un des fauteuils et l’y asseya. Une fois Olis installée, Ari se retourna, dégaina son épée et, d’un coup sec, trancha en deux le grimoire que tenait la Conteuse.

Son coup était si ample qu’il taillada également le visage et le buste de la Conteuse. Elle ne réagit pas, ignorant le sang d’encre qui coulait de sa plaie, fixant désespérement le grimoire coupée en deux. Ari déclara d’une voix glaciale : « Maintenant, expliquez-moi tout.

— Ce n’est pas ce qui était convenu, parvint-elle à répondre en évitant le regard d’Ari.

— Encore un mot inutile et je vous coupe quelque chose d’autre. Les yeux ? Le cou ? La langue ? J’ai bien envie de voir jusqu’où vous supportez la douleur.

— Écoutez, laissez-moi raconter mon histoire… »

L’épée fendit l’air dans une parabole silencieuse, tranchant sur son chemin les cordes vocales et la trachée de la Conteuse. Son visage trahit son choc, sa surprise, puis se tordit sous la douleur soudaine. Le sang coula à grosses gouttes, noircissant ses vêtements. 

Sans attendre, Ari prit la main d’Olis et la força à se relever d’un coup. Il partit en courant le plus vite qu’il pouvait, tirant Olis derrière lui. Ils quittèrent rapidement la pièce, traversant la salle du banquet à toute allure, mettant le plus de distance possible entre eux et la Conteuse.

Ils franchirent les diverses salles, cherchant la sortie de ce labyrinthe. Sans s’arrêter, Ari héla : « Olis ! Ressaisis-toi, il faut qu'on trouve la sortie !

— Impossible… impossible…

— Si, c’est possible ! Écoute, on ne doit pas être les premiers à atterir ici et à être victime de cette sorcière. D’autres vaisseaux sont probablement quelque part, ici ! Il faut juste qu’on en trouve un et qu’on fiche le camp !

— Impossible…

— Merde, Olis ! Tu n’as pas compris à qui on avait à faire ? Elle est… »

Ils pénétrèrent dans une autre pièce et s’arrêtèrent si brutalement qu’ils faillirent trébucher.

Olis et Ari se trouvaient dans la petite salle de lecture qu’ils venaient de quitter. Il n’y avait aucune erreur possible : c’était les mêmes parois en bois, les mêmes peintures accrochées aux murs, la même cheminée qui flambait dans un coin, la même petite porte en bois dans un coin de la pièce.

Et la Conteuse était assise dans l’un des fauteuils.

Ari fit volte-face, cherchant à repartir : la porte par laquelle ils venaient d’entrer avait disparu. Ari se mordit la langue tandis qu’il entendit une voix calme derrière lui : « S’il vous plaît Ari, asseyez-vous. »

La Conteuse avait la tête penchée en avant, le front sur ses mains entrecroisées, ses coudes sur ses genoux. On ne pouvait voir ses yeux. Ari grommela : « Oh non, j’y vois clair maintenant. Je sais ce que vous voulez. » 

Comme la Conteuse ne réagit pas, Ari s’avança, les deux mains sur la pomme de son épée, les sens en alerte. Il continua : « Vous êtes Rulere lui-même n’est-ce pas ? Tout ce pouvoir, et tout ce savoir sur son passé. Et sur nos passés ! C’est comme cela que vous aviez tout appris d’Eleister : vous l’observiez à travers le Cauchemar. Vous l’aviez aussi dit vous-même dans votre histoire : une armée de ténèbres, qui seront ses yeux, ses oreilles. Vous saviez tout ! »

Ari designa tout le décor. « Et ce lieu ! Cette puissance de création quasi-divine ! Olis l’a dit : seuls les mages ayant approché le domaine divin peuvent accomplir de telles prouesses. Je ne connais qu’une seule personne pouvant avoir un tel pouvoir : le Sage lui-même. » Il s’approcha de la Conteuse. « Vous aviez été le Sage également ? Vous aviez essayé d’aider le monde, puis maintenant vous cherchez à le détruire ? Vous pouvez construire des marionnettes de papier si réalistes : vous créez les Cauchemars de la même façon ! »

Ari était dorénavant à portée d’elle : il pouvait la décapiter d’un coup. La Conteuse demeurait immobile. Ari leva son épée : « Vous allez payer pour tous vos crimes. Vous allez payer, et je pourrai enfin rentrer chez moi… »

Il abattit son épée. La Conteuse attrapa la lame en plein vol. 

Puis elle marmonna quelque chose : la lame se volatisa et Ari fut projeté en arrière, comme frappé par une masse invisible.

Il atterit sur le mur, juste à côté d’Olis, et le choc lui coupa le souffle. Alors qu’il tomba à terre et que la douleur le pétrifiait, il releva la tête, cherchant à affronter le regard de la Conteuse.

Elle pleurait. 

Ses yeux rougis fixaient Ari qui eut quelques secondes de surprise. La Conteuse articula lentement : « J’ai été un terrible hôte et une horrible personne. J’en suis navrée, Ari. Mais je ne suis pas Rulere.

— Espèce de…

— Si les Cauchemars sont également fait en papier, pourquoi ne se sont-ils pas désintégrés en mille morceaux et en une flaque d’encre à chaque fois que vous êtes parvenus à vous en débarasser d’un dans l’une de vos aventures ? Aviez-vous déjà été le témoin d’une telle chose ? »

Ari ne parvint pas à répondre. Il se releva difficilement, tandis que la Conteuse quitta son siège et s’éloigna. Elle se dirigeait vers la porte de la seconde épreuve. « Si je suis Rulere, pourquoi ne vous ai-je pas tué tout de suite ? Pourquoi je vous aime « à la folie » comme vous l’aviez supposé à raison ?

— Parce que tu voulais jouer avec nous ! Nous torturer, nous les héros qui déjouont tes plans depuis des années ! 

— Ari, penses-tu réellement à ce que tu dis ? »

La Conteuse ouvrit la porte. Elle se tourna alors vers Olis et Ari. Son regard était à la fois triste et doux : « Tu as réussi la première épreuve. Il est temps de passer la deuxième. Viens, et tu comprendras tout. Viens, et tu comprendras quel est mon rêve. »

La Conteuse quitta la pièce en refermant la porte derrière elle.

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Fannie
Posté le 03/06/2021
De mon côté, je n’ai jamais pensé que la conteuse et Rulere pouvaient être la même personne. Je me demande même depuis le début si elle est humaine. Je ne suis pas sûre que sa condition soit enviable : rester seule dans ce bâtiment à attendre des voyageurs pour leur faire passer ces épreuves et prendre des kilomètres de notes, ce n’est pas vraiment la vie idéale dont tout le monde rêve. Est-elle seulement libre ? Si elle avait le pouvoir d’anéantir Rulere, ne l’aurait-elle pas fait depuis longtemps, si elle aime vraiment les humains ?
Coquilles et remarques :
— Mais il se tut quand il vit le visage de son compagnon. [C’est étrange de dire « son compagnon » pour une femme, mais si tu disais « sa compagne », on les imaginerait en couple ; « sa camarade », peut-être ? Ou « sa compagne de guerre », « sa sœur d’armes » ?]
— Ses yeux d’ordinaire inexpressifs étaient dorénavant imbués de larmes [embués]
— Ari la rejoignit rapidement et verifia derrière elle [vérifia]
— La Conteuse regardait fixement le sol, les mains crispées sur son grimoire tandis qu’Ari tonna : [C’est l’action la plus longue qu’il faut introduire par « tandis que » ou « alors que » ; je propose : « Alors que la conteuse regardait fixement le sol, les mains crispées sur son grimoire, Ari tonna : ».]
— Il guida Olis, comme un adulte guidait un enfant, sur un des fauteuils et l’y asseya [et l’y assit]
— Son coup était si ample qu’il taillada [fut si ample]
— fixant désespérement le grimoire coupée en deux [désespérément / coupé]
— on ne doit pas être les premiers à atterir ici et [à atterrir ; il y a aussi deux « r » à « terre »]
— Merde, Olis ! Tu n’as pas compris à qui on avait à faire ? [on avait affaire ; avoir à faire, c’est avoir du travail]
— Ari se mordit la langue tandis qu’il entendit une voix calme derrière lui : « S’il vous plaît Ari, asseyez-vous. » [S’il se mord la langue de surprise, il faut dire « Ari se mordit la langue lorsqu’il entendit une voix » ; s’il se mord déjà la langue d’émotion avant d’entendre la voix, il faut dire « Tandis qu’Ari se mordait la langue, il entendit une voix ». / Virgule après « S’il vous plaît ».]
— « Vous êtes Rulere lui-même n’est-ce pas ? [Virgule avant « n’est-ce pas ».]
— Ari designa tout le décor [désigna]
— « Et ce lieu ! Cette puissance de création quasi-divine ! [quasi divine ; il ne faut mettre un trait d’union que si « quasi » précède un nom (une quasi-divinité)]
— Ari était dorénavant à portée d’elle : il pouvait la décapiter d’un coup. [Pour être logique, il faut dire : « Elle était dorénavant à la portée d’Ari ».]
— la lame se volatisa et Ari fut projeté en arrière [se volatilisa]
— Il atterit sur le mur, juste à côté d’Olis [atterrit]
— Alors qu’il tomba à terre et que la douleur le pétrifiait, il releva la tête, cherchant à affronter le regard de la Conteuse. [La phrase est bancale ; je propose « Alors qu’il était tombé à terre et que la douleur le pétrifiait ».]
— Si les Cauchemars sont également fait en papier [faits]
— pourquoi ne se sont-ils pas désintégrés en mille morceaux et en une flaque d’encre à chaque fois que vous êtes parvenus à vous en débarasser d’un dans l’une de vos aventures ? [Cette phrase est bancale ; je propose : « pourquoi ne se sont-ils pas désintégrés en mille morceaux et en une flaque d’encre chaque fois que vous êtes parvenus à vous débarrasser (avec deux "r") de l’un d’eux dans vos aventures ? ».]
— Il se releva difficilement, tandis que la Conteuse quitta son siège et s’éloigna. [Ici aussi, c’est l’action la plus longue qu’il faut introduire par « tandis que » : « Tandis qu’il se relevait difficilement, la conteuse quitta son siège et s’éloigna ».]
— Nous torturer, nous les héros qui déjouont tes plans depuis des années ! [il faudrait placer « nous » entre deux virgules / déjouons ; sujet « qui », mis pour « nous »]
— Ari, penses-tu réellement à ce que tu dis ? » [Ici, il faudrait dire « penses-tu réellement ce que tu dis ? » ; la question n’est pas s’il y pense, mais s’il le pense vraiment, s’il est vraiment de cet avis.]
Moi aussi, j’ai hâte de comprendre.  :-)
Alice_Lath
Posté le 07/04/2021
Oooh, je sens la révélation finale qui s'approche haha et je dois dire que j'ai hâte de savoir de quoi il en retourne dans tout ça !
J'ai dû mal à saisir en quoi la Conteuse les aime à la folie alors je suis d'autant plus curieuse de savoir comment Olis a pu le deviner et ce que ça signifie
Bref, rien à redire à nouveau haha, juste une pelletée de questions dans mon ptit crâne, et des questions comme je les aime
L'ambiance est cool et le récit se lit très bien, gg !
Le Saltimbanque
Posté le 10/04/2021
ça arrive...
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