Ce que l'on ne peut posséder

Notes de l’auteur : L'envie est un vilain défaut

La reine prit donc la jeune fille sous son aile et l'imminence du mariage était l'occasion rêvée de lui apprendre les rouages de ce nouveau rôle. La souveraine avait fait preuve de sagacité en choisissant la jeune fille car celle-ci avait le don de comprendre instantanément les us et coutumes de la haute noblesse, s'éloignant instinctivement des vices du palais tout en en adoptant les vertus les plus nobles. Fine observatrice de l'art de la table, oreille attentive aux conversations de Salons, avide d'améliorer sa prose et d'enrichir sa connaissance des Humanités et des Sciences, les deux femmes avaient tissé en peu de temps un lien ténu.
Les longues promenades dans le domaine royal, où elles apercevaient parfois au loin le roi et son fils durant une chasse à cour, les après-midi passées dans la serre de la reine, dont la botanique était la passion, tout était prétexte à la transmission de nombreux savoirs. Les oeuvres d'art du palais, décor familier pour la reine, trouvaient chez celle-ci un éclat nouveau à travers la candeur du regard de la jeune tisserande, qui en captait chaque repli, chaque nervure, chaque coup de pinceau et en décelait même des nuances inédites. En cela, leur relation dépassa très vite le cadre attendu en de telles circonstances, pour devenir, oserions-nous le dire? presque filiale.
Pourtant la reine ne pouvait s'empêcher d'envier ce qu'elle ne pouvait obtenir: les cheveux d'or de la jeune fille. Chaque soir, lorsque celle-ci défaisait ses nattes et chaque matin lorsqu'elle faisait le geste inverse, la reine sentait monter en elle un sentiment qu'elle jugeait, bien évidemment, indigne de son rang. Pourtant, un soir, alors que la jeune fille venait de se placer devant sa coiffeuse afin de brosser ses cheveux, la reine lui demanda: 
"Ma chère fille, les espérances que j'avais placé en vous ont été dépassées très vite en tout point. Or, je ne peux m'empêcher d'être fascinée par ce don fabuleux, vos cheveux d'or. M'en offirierez-vous un? demanda t-elle, en frôlant la brosse posée sur la coiffeuse. Je le garderai précieusement dans ce médaillon que vous voyez à mon cou." Alors, sans hésiter un seul instant, la jeune fille tira délicatement de la brosse un cheveu d'or et l'offrit à la reine, qui s'empressa de l'enfermer dans son médaillon. Heureuse comme une enfant, elle sortit immédiatement de la chambre et ferma la porte à double tour. La jeune fille sourit tristement puis se leva comme à son habitude et ouvrit la fenêtre, jetant au léger vent frais le petit nuage blond emprisonné entre le crin de la brosse.
Le lendemain matin, sans explication aucune, la reine fit dire qu'elle ne déjeunerait pas. Chacun retourna à ses occupations entièrement tournées vers le mariage qui avait lieu dans trois jours. Le costume du prince et la robe de la princesse étaient fin prêts, mais depuis quelques minutes, l'affolement avait gagné les brodeuses. Où était donc le voile de la mariée? Il y manquait d'ultimes retouches! Ce n'est alors pas l'une d'elle qui entra avec celui-ci dans la grande salle de réception mais bien la reine! Le tenant comme on tiendrait un petit enfant, elle déclara: 
"Chers tous, vous le savez, ma jeune dame de compagnie détient un don exceptionnel. Je souhaiterais que le voile de la future princesse soit brodé de ses cheveux d'or. Pour ce faire, les couturières peigneront durant tout le jour sa chevelure tandis que les brodeuses accompliront leur tâche. Par ce prodige, cette union restera dans les mémoires de tout ceux qui y auront assisté et notre royaume rayonnera longtemps au-delà même des monts et rivières de nos contrées. Je suis consciente, jeune fille, du sacrifice que je vous demande mais que valent quelques heures de contrainte? Imaginez la magnifiscence de ce voile que vous aurez contribué à rendre inoubiable, comme l'est la tapisserie!"
Emportée par une nuée de couturières et de brodeuses, la jeune fille fut installée devant un miroir. Alors que l'une commençait à la peigner, une autre installait le voile sur une grande table, tandis que la troisième alignait ses aiguilles. 
Immobile, fixant son reflet sans prononcer une parole, le vert tilleul de ses yeux, qui ressemblait tant aux herbes menues de la tapisserie, devint soudain vert lichen et son petit nez se plissa sans que personne n'y prête attention.

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Hortense
Posté le 16/08/2022
Cette histoire est toujours aussi agréable à suivre mais il me semble que le changement de comportement de la reine s'effectue un peu rapidement. On ne ressent guère ses états d'âme, serait elle plus machiavélique que ce que l'on pouvait penser au départ ou la chevelure aurait elle un pouvoir d'ensorcellement caché ?
Je vais lire la suite....
Bleumer
Posté le 06/03/2022
Je reprends ma lecture après une longue interruption, non par inintérêt mais juste car je n'apprécie guère la lecture sur écran. Je me replonge donc dans ton récit avec la même curiosité qu'avant. Même si il semblait évident que l'avidité de la reine prendrait le pas sur ses sentiments, j'ai hâte de découvrir la suite des péripéties. De nombreux autres chapitres augurent de passionnants rebondissements.
Amélie Camille
Posté le 06/03/2022
Merci Bleumer de continuer à faire vivre ce conte à travers ta lecture. Ce commentaire me fait plaisir ! A bientôt !
Anne CB
Posté le 26/10/2021
Quelle drôle de requête! Est-ce qu'elle ne cachera pas d'autres demandes, plus contraignantes? En tout cas, tu as l'art de développer le champ des possibles our faire travailler l'imagination.
Edouard PArle
Posté le 15/10/2021
Coucou !
Je lis toujours avec plaisir, j'ai l'impression que la reine va créer des ennuis.
Pas grand chose d'autres dire sinon que tu écris toujours aussi bien et que j'attend la suite avec impatience (=
A bientôt !
JeannieC.
Posté le 14/10/2021
Bonsoir ! =D
C'est parti pour la suite ~
>> "La reine pris donc la jeune fille sous son aile" Petite coquille, "prit"
>> "don de comprendre instantanément les us et coutumes de la haute noblesse, s'éloignant instinctivement des vices du palais" Un peu pesant les deux adverbes très rapprochés - peut-être "s'éloignant par instinct" ou quelque chose comme ça ?
Deux petits chipotages en somme ^^ Mais toujours aussi agréable. On se laisse porter par ta plume au fil des rebondissements, et voilà les ennuis qui arrivent pour cette demoiselle avec la reine envieuse x) J'aime beaucoup la façon très délicate dont tu rends sa peine à la toute fin, par de petites mimiques subtiles et ces métaphores autour de ses yeux.
Un plaisir !
A une prochaine pour la suite =)
Amélie Camille
Posté le 14/10/2021
Merci de nouveau, je rectifie ! J'avoue aimer les sonorités qui reviennent, créer une petite musique maïs c'est vrai que j'en abuse un peu des adverbes en-ment ! 😉
Dredgehaunt
Posté le 12/10/2021
Bonsoir Amélie,

Tu m'avais promis une version papier de ton troisième chapitre, mais il semble que j'aie été incapable d'attendre jusqu'à demain.
On ne peut que se demander quelle sorte de "malédiction" tourne autour de ce cheveu, et surtout de l'envie dont il est à l'origine.
J'aime toujours aussi profondément ta plume et ton choix de mots, que je trouve très doux malgré l'amertume que l'on devine à venir des événements.
Vivement, vivement le chapitre suivant. :)
Amélie Camille
Posté le 12/10/2021
Demain sans faute ! 🤓Merci pour ces encouragements qui font chaud au cœur !
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