Cassandre, ou l'obsession volatile

Ma vie était devenue une longue file de jours qui se ressemblaient tous. Vélo, boulot, dodo. En un peu plus étoffé : levée aux aurores, c’est-à-dire aux environs de neuf heures, suivi d’un petit-déjeuner frugal avec chocolat chaud agrémenté de tartines grillées beurrées deux fois (une première couche qui fond pour imprégner la mie, une seconde pour le goût accompagnant le chocolat, je vous le conseille d’ailleurs) ; suite à cela, une séance de sport toute spartiate où je pédalais pendant une demi-heure sur mon vélo d’appartement affectueusement surnommé Dark Vador. Tout cela m’amenait à réellement commencer la partie « boulot » de la chose autour de onze heures, ce qui était tout de même inhumain. Avec le bac de français en perspective j’essayais quand même de bosser un minimum. Malgré les hurlements de mon frère qui, depuis sa chambre, s’entraînait toujours aussi assidûment à imiter le ptérodactyle qu’on égorge, pour le plus grand bonheur de l’immeuble entier. Le pire c’est qu’il était content de nous en faire bénéficier, ce crétin, il n’y avait qu’à voir sa mine toute réjouie quand il nous rejoignait au repas.

Cela aurait pu être supportable si, récemment, ma mère n’avait pas elle aussi pété les plombs. Ne pas sortir lui pesait sur les nerfs, et même ses conférences téléphoniques avec ses amies ne lui suffisaient plus. Elle déprimait aussi parce que, depuis le confinement, plus personne ne passait dans la rue, compromettant grandement son activité de commère professionnelle. Du coup elle s’était rabattue sur les locaux. C’est-à-dire les gens qui habitaient dans les arbres du parc d’en face.

Exactement, ma mère était devenue la commère des oiseaux.

Au début, elle se contentait de passer beaucoup de temps penchée à la fenêtre de la cuisine pour observer les allées et venues des volatiles. Elle avait fini par repérer les emplacements des nids, reconnaître les habitués, leur donner des noms. A table, au lieu de la mémé qui promenait son caniche à six heures du matin, nous avions ainsi les nouvelles de Ginette la mésange bleue qui habitait dans le hêtre voisin, ou de Michel, le jeune corbeau qui apprenait à voler sous la supervision de ses parents.

Et puis les choses étaient allées crescendo, et non contente de les observer, maman avait décidé de communiquer avec ses nouveaux amis. Ses imitations du chant du merle étaient encore approximatives, mais elle gagnerait en finesse, nous assurait-elle. Entre Hippolyte et elle, je songeais sérieusement à appeler la SPA. Restait à espérer que mon père, lui, resterait normal. Mais lui, il avait l’habitude du télétravail et rester enfermé ne le dérangeait pas plus que cela. Aux repas, nous échangions des regards blasés par-dessus la tête d’Hippolyte en laissant nos chers compatriotes délirer chacun dans leur coin. Souffrons en silence, nous ne rendrions pas service aux hôpitaux surchargés en leur amenant deux nouveaux spécimens.

Bref, dans ces conditions, il est aisé d’imaginer que je n’étais pas au mieux de ma forme, et que mon moral vacillait quelque peu. Je dormais mal la nuit, passant de plus en plus de temps sur mon portable à regarder Skam parce que merde fallait que je finisse les 6 saisons avant la fin du confinement, à laisser l’algorithme YouTube m’emmener dans des tréfonds d’absurdité et de wtf, à scroller sur Instagram en attendant qu’il se passe quelque chose. Ecrire ? J’essayais, aussi, parfois. Et je me retrouvais à regarder des vidéos d’auteurs qui expliquaient que le confinement était une bonne occasion de maximiser sa productivité. Mon œil.

Je passais aussi pas mal de temps à parler avec une fille, appelons-la « La Psychopathe », virtuellement rencontrée sur le meilleur forum d’écriture du monde (et non je ne suis pas sponsorisée, regardez je ne vais même pas mettre le nom, na). On parlait de son histoire, de mes apparents troubles de mémoire, des aventures de son chat, de combien on était dans ma tête, en somme de beaucoup de choses intéressantes qui avaient le mérite de me changer les idées en ces temps durs.

D’ailleurs, j’étais justement en train de chatter avec elle tranquillou, mon classeur de français ouvert sur les genoux et des feuilles à carreaux éparpillées sur le bureau. A la base, j’étais sensé réviser mes analyses, mais entendre parler de Candide me déprimait. Le titre de ce bouquin comprenait littéralement le mot « optimisme », et pardonnez-moi si je ne pouvais pas trop le sentir ces derniers temps.

- CASSANDRE !

La voix de ma mère caressa délicatement mes tympans, suivie d’un fracas de porte ouverte, en l’occurrence celle de ma chambre. Mon portable disparut vite fait sous le bureau, mais maman avait visiblement flairé quelque chose – peut-être à mon air vaguement coupable.

- Tu étais encore sur ton écran !!!

Avec les trois points d’exclamation oui, je les avais bien entendu dans son ton.

- Non, c’est pas vrai, répondis-je avec aplomb, bien qu’elle n’ait entre parenthèse posé aucune question.

Mais cet argument imparable ne parut pas suffire à la convaincre.

- C’est ça, c’est ça, allez donne-le.

- Mais j’étais même pas dessus, protestai-je vainement.

- On s’en fout, les ondes c’est pas bon pour le cerveau. Donne-le, ça t’empêche de travailler !

Je dus me soumettre, et lui remis l’objet convoité, un peu attristée d’abandonner ma Psychopathe au beau milieu d’un concours de synonymes du mot « « fondamental ».

Là-dessus, je me retrouvais seule avec Candide, qui du haut de l’Eldorado me narguait avec ses préceptes de Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possible à la con.

Mais je n’eus pas le temps de le trucider à coup de stylo à bille, ma mère revenait pour m’annoncer que c’était l’heure de manger. Hamburgers maison au programme. Ça ne se refusait pas. Même si c’était pour se farcir les nouvelles des piafs d’en face.

Cependant le destin sembla vouloir me faire passer pour une grosse médisante car le repas se déroula relativement bien. Ma mère semblait plutôt occupée à salement engueuler Hippolyte parce qu’il refusait de mettre de la salade dans son hamburger. Ces temps-ci, elle était facilement irritable à cause de l’enfermement. Mon frère essaya de déporter sa hargne sur moi en faisant remarquer que moi non plus je ne mettais pas de salade. La différence était que je la mangeais à côté, lui fit remarquer ma mère d’un ton qui signifiait « ne change pas de sujet, c’est toi qui écopes aujourd’hui. » Je faillis avoir pitié de lui, mais quand, en représailles, il se mit à piailler tel un ptérodactyle vexé, je décidais qu’il méritait un double aller simple pour l’enfer. Bref, rien d’extraordinaire.

Après cela, j’invitais Candide à aller bien se faire voir et le mis en quarantaine dans mon classeur avec mes autres analyses en cours. Merde le bac, moi j’allais me faire un après-midi spécial Seigneur des Anneaux. Je me vautrais donc sur mon lit avec mon ordinateur portable, direction la Terre du Milieu. Pour me distraire, rien de mieux qu’un film capable de rendre épique une scène où des mecs marchent entre deux rochers.

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ludivinecrtx
Posté le 15/05/2020
Mais non « (une première couche qui fond pour imprégner la mie, une seconde pour le goût accompagnant le chocolat, je vous le conseille d’ailleurs » mais bien sûre je fais la même. Petite, je faisais chier ma mère avec ça pour qu’elle me les beurre ainsi, comme ma grand-mère m’avait montré en vacances…. Pfff l’essentiel de la vie, la base, c’est inévitable, on ne peut vivre sans faire ça. Je m’arrête là, on m’a compris ! Enfin tu connais notre boucle 😉

Ce fameux vélo d’appartement 😉.

« Exactement, ma mère était devenue la commère des oiseaux ? c’est pour le roman ou c’est un fait réel ? Si oui j’adore ta mère, si non j’adore cet élément inventé mdr. Peut être même que je me reconnais en elle, parce qu’à force de regarder mon chat aller dans la cour ou rester à nos fenêtres, bah j’ai remarqué nos chats voisins… Et je leur ai donné des noms, et quand mon chat les captes je leur fait des coucous.. Putain merde, ça y est, je suis folle !’’

« Ecrire ? J’essayais, aussi, parfois. Et je me retrouvais à regarder des vidéos d’auteurs qui expliquaient que le confinement était une bonne occasion de maximiser sa productivité. Mon œil »

Si je t’assure, ça a marché pour certains lol. Bon maintenant impossible de me motiver à la réécriture mais bon.


« Je passais aussi pas mal de temps à parler avec une fille, appelons-la « La Psychopathe », virtuellement rencontrée sur le meilleur forum d’écriture du monde (et non je ne suis pas sponsorisée, regardez je ne vais même pas mettre le nom, na). On parlait de son histoire, de mes apparents troubles de mémoire, des aventures de son chat, de combien on était dans ma tête, en somme de beaucoup de choses intéressantes qui avaient le mérite de me changer les idées en ces temps durs. » Ouah elle a l’air trop cool cette fille… Hum attend appelons la LA PSYCHOPATHE oh putin, c’est pas cool ça pourrait lui donner des envie de tuer des personnages pour se venger. Je sais pas, ceux que tu aimes ou ceux qui te ressemble, non ? Enfin, je dis ça comme ça. C’est pas comme si je savais de qui tu voulais parler !

« Je dus me soumettre, et lui remis l’objet convoité, un peu attristée d’abandonner ma Psychopathe au beau milieu d’un concours de synonymes du mot « « fondamental ». Ah oui, vous avez des discussions passionnantes ! C’est comme ça qu’elle a pu gagner ! Enfin, je suppose, je n’étais pas là après tout 😉.

« Je faillis avoir pitié de lui, mais quand, en représailles, il se mit à piailler tel un ptérodactyle vexé, je décidais qu’il méritait un double aller simple pour l’enfer. Bref, rien d’extraordinaire. » Et c’est moi la psychopathe ? Enfin, Elle, ton amie la psychopathe je veux dire !


"Alors la Psycopathe rassure-toi, ce 'est pas toi qui étais visée XD par contre je pense que la nana concernée va se ramener dans les commentaires dans la journée mdr."
Et oui tu as prédit l'avenir.. comme quoi tu es vraiment extra lucide du coup.

Oui je suis là petite peste !! Tu m'as bien fait rire, même mon chat m'a regardé chelou, genre ça va ?

Tu perds rien pour attendre XD. Putain, mais quelle image Lyra va avoir de moi maintenant ?

Oui c'est moi, même si c'est très exagéré, surtout venant d'une passe miroir. Genre foutage de gueule, hôpital qui se fout de la charité quoi. Et puis merde j'assume, oui voilà j'aime tuer et torturer des gens mais dans mes livres seulement.. Promis ;).
UnePasseMiroir
Posté le 15/05/2020
Ahhhh enfin quelqu'un qui comprend mon délire avec les tartines ! Mon père me regarde bizarre tous les matins à cause de ça xDDD exactement c'est fondamenta- oui oui on arrête.

Voui, le fameux vélo XD

Alors pour l'histoire de la mère, le seul truc qui est inventé c'est qu'elle leur donne des noms. Mais elle passe vraiment sa vie à les regarder et à essayer de les imiter, c'est autobiographique XDD

Oui mdr y'a des gens qui en profitent pour finir leurs tomes, on ne les citera pas ;)

Oui elle est très sympa cette fille, sauf justement quand elle menace de tuer ses persos, ça c'est pas cool T_T mais si elle applique sa menace, c'est qu'elle mérite son surnom...

Appelez-moi Madame Irma.

ça va s'il y avait que le chat comme témoin non ? XDD

J'avoue que j'ai un peu détruit ta réputation, mais j'ai eu la délicatesse de ne pas te citer directement, tu a vu comme je suis prévenante XD

Heuuu alors je suis pas d'accord, j'ai pas DU TOUT exagéré !

"j'aime tuer et torturer des gens mais dans mes livres seulement" J'espère bien XDD
Lyra
Posté le 15/05/2020
Coucou!! *Oui on entend bien les deux point d'exclamation dans la voix XD*
Je viens de lire ton chapitre d'une traite et comment dire...J'ai des putains de crampes au joues à force de sourire et rire! Je vais ressembler au Joker maintenant !
Comme d'habitude (je me répète, again...) c'est une pépite avec plein de passages géniaux entre la réunion aviaire aux repas (question subsidiaire, le ptérodactyle est-il considéré comme un piaf?), le ptérodactyle de 6eme qu'en a rien à foutre de la discrétion pasque c'est un ptérodactyle de 6eme (Conseil: menace de l'envoyer au musée d'histoire naturelle pour se faire empailler, ça le calmera), la glandouille active et le SDA XD
J'ai adoré cette phrase de fin " Pour me distraire, rien de mieux qu’un film capable de rendre épique une scène où des mecs marchent entre deux rochers." XD XD XD
Je compatis pour les parent terroristes de l'écran et du procrastinnage, ta description de la "psychopathe" était également très drôle par contre je suis toujours en train de m'interroger sur son identité potentielle...
En bref: SUPER!
Bises! ^^(avec respect de la distanciation sociale, 3L de gel hydroalcoolique et 2 épaisseurs de masque)
UnePasseMiroir
Posté le 15/05/2020
Coucou ! Visiblement mes conneries continuent à te faire marrer, c'est cool XD j'étais assez fière de ce chapitre mdr.
Ahah, bonne question ! J'ai envie de dire, le ptéro ça a des ailes donc ça pourrait, mais j'ai pas pris spé SVT donc je ne me prononcerai pas ^^
Voui c'est une réflexion qu'on s'est faite avec Elenna en regardant le SdA, c'est fou comme la musique peut rendre épique une scène de randonnée...
Alors la Psycopathe rassure-toi, ce 'est pas toi qui étais visée XD par contre je pense que la nana concernée va se ramener dans les commentaires dans la journée mdr.
Et merci !
Bise en wifi 🙍‍♀️⬅➡🙍‍♀️
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