Bus

Par NemoB

  Installée dans le bus, je patiente tranquillement, les écouteurs dans les oreilles. Les bruits de la ville m’ennuient, les gens encore plus. J’écoute la même musique en boucle. Inlassablement. Et puis, je me dis que c’est étonnant comme je peux me sentir apaisée dans un véhicule qui roule. Oui, je dis que c’est étonnant parce que j’ai aussi le mal des transports. C’est paradoxal.

  Quelques personnes montent. Je libère la place à côté de moi plus par convenance que par envie. Je relance la mélodie. Visiblement, personne ne veut s’assoir sur la place vacante à mes côtés. Pourquoi ? Non pas que je le veuille, mais est-ce que j’inspire de la méfiance ?

  Étrangement, je me sens mal à l’aise. Les paysages défilent à travers les vitres. Enfin, je parle de paysages, mais soyons honnête ce n’est qu’un fatras de ciment et de béton ; le tout recouvert d’une fleur. Pour faire bien ou joli, je ne sais pas. Même si la ville ne m’inspire que mépris, je reste le regard fixe sur ce qui se passe derrière la barrière transparente. Hors de question de croiser le regard d’un autre passager.

  Encore un arrêt. Un petit troupeau monte ; d’humains, pas de moutons. Quoi que.  Je ne risque pas même un cil dans la direction des nouveaux arrivants. Quelqu’un s’assoit à côté de moi. Je connais cette odeur, ou plutôt, elle me dit quelque chose. C’est un doux parfum de savon et de personne âgée. Attention, je parle du savon d’antan, vous savez celui qui glisse entre les doigts.

  Je relance la musique puis je risque un œil quand même dans sa direction. Première observation qui me permet de constater que c’est un homme. C’est marrant, il porte le même style de manteau que Pépé. Mon cœur se serre. Deuxième bref examen. Il porte aussi le même genre de casquette. Celle que les hommes portaient dans les années cinquante-soixante. Ca serre un peu plus.

  Qu’est-ce qu’il sent bon. J’ai envie de le sniffer comme certains le font avec la peau des bébés. Chacun son délire. J’éprouve de la sympathie pour cet homme sans visage. Je suppose un petit paquet de charmantes rides qui marquent la peau comme les évènements l’ont fait dans sa vie. Enfin, j’imagine.

  Le bus ralenti brusquement et le buste de mon voisin est projeté vers l’avant. Mon bras aurait dû se tendre instinctivement pour le rattraper et faire rempart mais cette fameuse convenance m’en empêche. Je suis comme un robot sans cœur, incapable de dérouiller mes membres. Fort heureusement, il ne s’est pas pris la barre en fer en pleine figure. Des dizaines d’heures de thérapie ne seraient pas venues à bout de mon remord si ça avait été le cas.

  Je vais bientôt arriver à mon arrêt. Je ne peux quand même pas lui demander de se lever, il a l’air si fragile. Et pourtant, il va bien falloir que je passe. Je m’imagine lui demander de se lever plusieurs fois dans ma tête. Je fais toujours ça, d’imaginer les choses avant. Souvent les scènes terminent en drame, le pire tableau qu’il soit. C’est amusant, non ? Non.

  On arrive bientôt. J’appuie sur le bouton pour indiquer mon intention de descendre au prochain arrêt. C’est plus pour mon voisin que pour le chauffeur. Il triture sa casquette depuis tout à l’heure. Il ne bronche pas. Cette odeur de savon n’en finit pas d’embaumer mon espace.

  Et puis finalement, le bus arrive et s’arrête. Le sans-visage se décale et s’installe sur les sièges d’à côté pour me laisser passer. J’y vais et au passage je le regarde enfin. Il n’a pas l’air si vieux ou alors il est bien conservé ? Il me sourit. Je murmure un timide merci. S’il sait lire sur les lèvres, il a compris. C’est le principal.

  La joie de son sourire sincère s’évanouit quand les contrôleurs entrent dans le bus. Où ais-je encore mis mon ticket ? Bon, ça et le fait que les portes se soient refermées sur moi. Même elles ne me détectent pas.

  C’est idiot, mais je suis tiraillée entre la peur d’être remarquée et celle de devenir invisible. Pourtant mon voisin de bus m’a vu. Il m’a souri. Il me faisait penser à Pépé. Dimanche midi, on ira manger chez lui. Ca fait bien trop longtemps qu’on ne l’a pas vu. Pépé aussi sent le savon le dimanche.

 

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Fannie
Posté le 15/05/2019
Coucou NemoB,
Cette petite scène de la vie courante est bien écrite, bien racontée, tout en simplicité. La lecture est agréable et coule toute seule. Je me reconnais dans certains sentiments, notamment ce tiraillement entre la peur d’être remarquée et celle d’être invisible. Pendant un petit moment, je me suis demandé si le vieux monsieur assis à côté d’elle n’était pas son pépé, qui aurait été lui aussi dans sa bulle. Quand il change de place, on se rend bien compte qu’il n’est pas distrait à ce point.
Bref, c’était un bon moment de lecture.
Coquilles et remarques :
personne ne veut s’assoir [s’asseoir]
mais soyons honnête ce n’est qu’un fatras [J’ajouterais une virgule avant « ce n’est »]
je reste le regard fixe [Comme il y a « regard » plus loin, je propose « je reste les yeux fixés ».]
Quoi que [Quoique ; en un mot dans ce contexte]
Ca serre un peu plus [Ça ; l’Académie française recommande de mettre les accents et la cédille aux majuscules.]
Le bus ralenti brusquement [ralentit]
à bout de mon remord [mon remords]
Souvent les scènes terminent en drame, le pire tableau qu’il soit [Je mettrais : se terminent / qui soit]
Où ais-je encore mis mon ticket ? [ai-je]
Pourtant mon voisin de bus m’a vu [vue]
Ca fait bien trop longtemps [Ça]
Liné
Posté le 02/11/2018
Hello NemoB !
J'ai beaucoup aimé ce petit de morceau de vie, très simple mais en même temps unique et poétique. Chaque lecteur peut se sentir en empathie avec ta narratrice (toi ?) à un moment où à un autre. 
Bref, merci pour cette très belle lecture du soir :-) il y aura d'autres morceaux ?
 
À très vite !
Linė 
NemoB
Posté le 02/11/2018
Salut Liné !
Merci beaucoup ! Eh oui peut-être qu'il y en aura d'autre, ça viendra en fonction de l'inspiration, je suppose. Je suis contente en tout cas que ce petit fragment t'ait plu! 
A plus tard ! 
Shimy
Posté le 28/10/2018
Très bien écrit ! ^-^ Je dois dire que je me suis laissée emporter, c'était super ! Je me trompe peut être, mais cette histoire ressent le vécu ! En tout cas l'écriture fait comme si on était la personne, on partage ses émotions.  
Bravo, du plaisir à lire cet essai
Shimy 
NemoB
Posté le 28/10/2018
Salut Shimy !
Eh bien oui, c'est purement et simplement un vrai fragment de ma vie. Brut. D'ailleurs, j'ai vraiment été manger chez mon grand-père le dimanche midi ! 
Merci pour ton commentaire positif !
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