Je devais avoir tout juste 6 ans. Dans ma famille, les fêtes de fin d’années étaient toujours régies sous la même habitude. Nous passions Noël du côté de ma mère, en Sarthe, et nous rentrions dans le sud de la France pour le Nouvel An, puis reprenions notre vie normale par la suite. Il y avait environ huit heures de route pour se rendre jusqu’à chez ma grand-mère, qui possédait un moulin quelque part avant Le Mans. Ces longs trajets en voiture que je subissais coincé entre mon frère et ma sœur sur la banquette arrière, à regarder défiler le paysage en jouant à des cadavres exquis, annonçaient les vacances bien plus que l'arrêt de l’école.
Bien que tout fût comme d’ordinaire, du voyage jusqu’à notre arrivée chez ma grand-mère et son mari, que j’appelais affectueusement "ma copine" parce que j’étais désespérément incapable de comprendre comment fonctionnait l’accord de genre en français, ce Noël-là fût marqué par un brushing et des visages illuminés dans le noir. Voici donc ma Musique Capsule : Bohemian Rhapsody, de Queen.
Peut-être était-ce le réveillon de mes cinq ans, ou bien de mes sept. Ce n’est clairement pas le plus important ici : ma sœur, mon frère et moi avions moins de dix ans, et les longs repas des fêtes où il était interdit de jouer et de quitter la table pouvaient nous ennuyer fermement. Mais à ce Noël-là, ce Noël indéterminé dans le temps de ma mémoire, quelqu’un avait eu l’idée de donner à ma copine un coffret spécial, regroupant l’intégrale des clips de Queen. Heureux et impatient d’essayer son cadeau, il mit donc en marche le DVD offert sur le vidéoprojecteur. La soirée était bien avancée, et le repas entamé. Intrigués, mon frère, ma sœur et moi avions regardé les images se lancer sur le grand écran avec une curiosité infinie. Et ce coffret, ce DVD précis, démarrait par le clip de Bohemian Rhapsody.
Tous les adultes avaient arrêté de parler pour écouter la musique. Et nous, les trois petits enfants, étions restés figés par la même émotion. Rien de ce que j’avais entendu jusque-là ne ressemblait à ce qui résonnait dans mes oreilles. Nous regardions sans comprendre, s’enchaîner des images sombres, des coiffures bizarres, des visages que je n’arrivais pas à genrer, avec des vêtements que je n’avais jamais vus. J’avais conscience d’une certaine manière que tout ce que j’observais datait d’une autre époque. Mais laquelle ? D’où venait cette sorte d’ovni qui était en train d’exploser mélodiquement sur les enceintes du salon de ma grand-mère en plein réveillon de Noël ?
J’entendais la richesse, les sons qui partaient dans tous les sens, comme si des morceaux de chansons différentes avaient été assemblés sur une seule. J’avais l’impression de voir défiler des milliers d’histoires, un monde qui parlait d’un seul coup une tout autre langue. La voix du chanteur m’emportait avec elle dans les hauteurs, là où la guitare me donnait envie de crier de joie. J’étais transporté bien plus loin qu’aurait pu m’emmener le père Noël.
Divers clips de Queen ont continué de passer à la fin de Bohemian Rhapsody. Et, si les adultes avaient lâché leur attention pour se concentrer à nouveau à ce qu’il y avait dans leurs assiettes, mon frère, ma sœur et moi étions restés avec Queen. Nous écoutions leurs plus grands succès, les uns après les autres, et c’était pour moi la première fois que je les entendais. J’étais hypnotisé par tout : la lumière, les coiffures, la voix, la puissance à saturation… Si bien que quand le DVD s’arrêta après avoir diffusé tout ce qu’il avait pour lui, nous avons supplié pour que les parents remettent le disque au début. Ils cédèrent, laissant apparaître de nouveau Bohemian Rhapsody, qui teinta de ses accords la bûche de Noël.
Cette soirée fut si incroyable, si stoppée dans le temps, nous perdant dans une époque où nous n’existions pas, que durant des années il ne fût plus possible de fêter un réveillon sans les clips de Queen. Inlassablement, chaque année, nous le redemandions, plusieurs fois. Queen suivit ainsi la totalité des Noëls de ma jeunesse et de mon adolescence. Et quand ils ont disparu, avec les déménagements et l’âge adulte, plus jamais mes fêtes de fin d’années n’ont été les mêmes.
Peut-être suis-je la seule personne pour qui Bohemian Rhapsody sent comme les flocons de neige. Peu m’importe, car ces souvenirs si uniques et si exceptionnellement forts ont modifié à jamais la perception que j’avais du réveillon et ont forgé mes futurs goûts musicaux. Freddy Mercury est devenu mon père Noël, et cette chanson si culte a dans ma mémoire une place toute particulière, entre l’odeur des emballages de cadeau et la lumière des guirlandes, faisant écho à leurs projecteurs clignotants de toutes les couleurs.
D’abord j’adore le concept que tu nous proposes. J’ai commencé ma lecture par une chanson que j’aime beaucoup. C’est un beau souvenir que tu partages. La musique peut surgir tellement de souvenirs. Étant très mélomane, je vais découvrir d’autres titres qui t’ont marqué et très probablement faire des découvertes musicales (ce dont je raffole, plus ma discothèque est éclectique mieux c’est). C’est certain, je ne connais pas tous titres que tu cites !
Très belle continuation à toi !
Bravo pour ce texte et merci pour le partage.
Ton souvenir est magique, rolala qu'est-ce que j'aurais aimé le vivre, et ce que je veux savoir c'est surtout : est-ce que vous avez regardé I Want To Break Free pendant le réveillon ?? C'est merveilleux en tout cas d'avoir Freddy Mercury comme père Noël, là vraiment, je peux pas t'exprimer toute l'envie que je ressens.
Merci pour cette capsule, c'est tout doux, j'aime tellement tellement tellement <3
Et je suis d'accord, je ne sais plus qui avait offert ce coffret au mari de ma grand-mère mais il a vraiment changé ma vie avec un détail vraiment unique xD Merci ! :D
J'en oubliais de commenter le fait que pour toi le mari de ta mamie c'était "ta copine" ! J'ai trouvé ça adorable :) Pouvoir te souvenir d'un moment où le genre n'existait pas, au moins dans ta ptite tête, ça ne doit pas avoir de prix <3