Aux confins du Royaume

Notes de l’auteur : Bonjour, il s'agit là de la première publication d'un travail que j'ai commencé voila plusieurs années et que je reprends après une longue pause. N'hésitez pas à faire part de vos remarques ou vos commentaires qui m’aideront j'en suis sûr à garder le cap!

Les deux soldats se tenaient littéralement à la bordure du monde. Au-dessous de leurs pieds, sous une fine couche nuageuse, ils distinguaient vaguement les traces d’écume formées par les flots déchainés à la surface d’Azurria, l’immense noyau Océanique. De puissantes rafales de vents, chargées d’effluves iodées, balayaient les hautes herbes parsemées de bruyère qui recouvraient la plaine rocailleuse de la façade orientale de l’Îlot Céleste de Nahoamal. Ce petit territoire au climat hostile, situé aux confins des Îles Centrales marquait la limite du Royaume de Sari’Nallah.

Le plus jeune des deux hommes, le regard fixé sur l’immense étendue d’eau en contrebas, rompit le silence qui s’était installé depuis qu’ils avaient pris leur tour de garde, au petit matin.

- Certains prétendent que qu’Azzuria est la source de vie de tous les êtres vivant sur les Îles Célestes.

- Balivernes, répondit le second d’un ton cinglant, ce ne sont que des vielles croyances qui ne subsistent que dans les territoires les plus reculés et arriérés du monde. Si tu veux mon avis, ces raisonnements sont le fruit de l’ignorance. Ce n’est pas le Noyau qui nous nourrit ou qui a forgé la grandeur de notre Royaume. Non… Ce sont les hommes, nos hommes, ingénieux, travailleurs et ambitieux qui, génération après génération, ont bâti notre civilisation.

Le jeune homme demeura silencieux, hochant lentement la tête. Puis il reprit.

- A votre avis, que fait-il en en dehors du Royaume ?

- Qui donc ?

- Le Roi… Il s’agit bien d’un convoi royal, n’est-ce pas ?

- C’est ce que j’ai entendu aussi… il s’arrêta un instant, observant d’un air songeur le jeune soldat drapé dans un uniforme étonnamment soigné considérant les fortes précipitations des jours précédents. Je ne sais pas ce qu’il peut bien faire sur les territoires extérieurs, reprit-il, je crois que même le Commandement ignore la raison de ce voyage. Tout ce qui concerne les mouvements du Roi relève du Haut Conseil. Nous sommes simplement chargés de surveiller la frontière du Royaume, et informer le Commandement dès que nous aurons le convoi en visuel, rien de plus.

- mmm… c’est vrai, répondit le plus jeune, reprenant sa contemplation.

Il y avait quelque chose chez cette jeune recrue qui gênait le vétéran qu’était le soldat Ogilvie. Il ne parvenait toutefois pas à définir précisément la nature de cette chose. Etait-ce ce ton candide derrière laquelle le vieux soldat percevait une pointe de fausseté ? Était-ce cette lueur froide et malsaine qu’il avait à plusieurs reprises cru entrevoir dans le regard du jeune homme ? Ou alors cette autorité naturelle qui se dégageait de cet être au corps encore si frêle. Jetant un coup d’œil rapide à la recrue il sentit un frisson parcourir son corps.

Le regard rivé vers l’Est, le jeune homme tendit soudain le bras.

- Là-bas, regardez.

Ogilvie s’empara aussitôt de la lunette de vue accrochée à sa ceinture et la pointa dans la direction indiquée.

- Je les vois, deux vedettes de reconnaissance ; ça doit être l’avant-garde du convoi. La frégate royale ne devrait tarder à apparaître.

Les deux vaisseaux à l’élégant fuselage recouvert des couleurs royales rouge et noir apparurent clairement dans le champ visuel des soldats. Dans leur sillage, une trainée de vapeur se dissipait lentement. Le bourdonnement strident de leurs moteurs fut bientôt recouvert par un grondement sourd dont la puissance montait crescendo. Emergeant d’un rideau de brume, la frégate royale fit enfin son apparition. Le vieux Ogilvie, qui avait voyagé sur bien des aéronefs au gré des campagnes militaires sur le Continent Céleste de Kimal, puis sur les Îles Centrales, fut estomaqué par la splendeur du navire Royal. Ce n’était pas une simple frégate, c’était le Daran, vaisseau amiral de la flotte royale.

Son immense coque recouverte d’un blindage en acier noir arborait à sa proue la tête de bélier, emblème du Royaume de Sari Nallah, tandis que ses flancs, parcourus de plusieurs rangées de sabords laissaient deviner une redoutable puissance de feu. Emergeant du pont supérieur à l’arrière du vaisseau, deux larges cheminées crachaient une épaisse fumée blanchâtre. Le Daran fendait les airs, solidement harnaché, par une centaine de câbles à un imposant ballon en forme d’ogive, lui aussi décoré des couleurs royales.

Ogilvie attarda son regard sur le pont principal du vaisseau. Un petit groupe de soldats qui s’y était rassemblé, semblait deviser nonchalamment, loin de l’attitude austère et disciplinée habituellement observée chez les soldats de l’armée Royale de Kardaran. Cette vision rappela avec nostalgie au vieux soldat cette sensation particulière de soulagement mêlée d’euphorie collective qui avait si souvent accompagnée ses retours de mission. Le vieil homme ne put réprimer un sourire, en raccrochant la lunette de vue à sa ceinture.

- Allons transmettre notre rapport, lança-t-il alors au jeune soldat, en tournant le dos au convoi.

- Accordez-moi encore quelques instants, répliqua la recrue d’un ton détaché, ce n’est pas tous les jours que nous est offert le privilège de contempler le majestueux Daran.

- Soldat, rugit Ogilvie, à la fois excédé par le comportement du jeune homme et étonné de son aplomb, nous retournons à la base tout de suite, exécution !

A cet instant, une terrible déflagration emplit le ciel. Instinctivement, le vieux soldat attrapa son fusil et plongea au sol, à l’ombre d’un affleurement rocheux. La puissance de la détonation résonnant dans ses oreilles, il se mit à ramper sur le terrain gorgé d’eau pour rejoindre un poste d’observation, offrant une vue dégagée sur la bordure orientale.

Un détail frappa Ogilvie, lorsque, hors d’haleine, il émergea avec précaution des hautes herbes. La recrue, debout à quelques pas devant lui, n’avait pas bougé d’un pouce malgré la violence de l’explosion. Son regard était toujours fixé sur le Daran d’où une épaisse colonne de fumée noire s’échappait du flanc gauche. Les vedettes de reconnaissance avaient quant à elles amorcé une manœuvre de demi-tour pour porter secours au vaisseau royal.

Haletant, Ogilvie s’approcha du jeune homme.

- Que s’est-il passé ?  Dis-moi ce que tu as vu !

Ignorant Ogilvie, le jeune, soldat silencieux et immobile, continuait à observer le Daran, désormais en proie à d’immenses flammes, qui, depuis le pont supérieur, léchaient le ballon flotteur de l’aéronef. Soudain, telle une réplique à la première déflagration, une nouvelle détonation secoua le navire. L’une des vedettes, qui s’était imprudemment approchée du Daran fut instantanément pulvérisée, percutée par des débris provenant de la frégate Royale. Un grincement strident se fit alors entendre ; la coque se tordait lentement, semblant tout d’abord s’affaisser ; puis dans un formidable fracas, elle se brisa en deux. Pendant quelques instants, qui parurent interminables à Ogilvie, les lambeaux du navire restèrent suspendus, comme des membres d’un corps inerte, attachés au ballon flotteur. Le vieil homme vit avec effroi des hommes, soldats comme lui, précipités dans l’abîme. Une troisième explosion éventra violemment le ballon, entrainant ce qui restait du redoutable vaisseau amiral de la flotte royale dans une chute vertigineuse.

Ogilvie tomba à genoux, effondré devant le terrible spectacle qui se déroulait devant ses yeux. En quelques instants, le symbole de la puissance du Royaume de Sari’Nallah avait été réduit à néant sans qu’il ne puisse rien y faire, lui qui avait été de tous les combats et de toutes les conquêtes depuis que jeune homme, son père l’avait enrôlé dans les forces royales.

L’état de choc qui s’était emparé d’Ogilvie laissa place à la surprise puis à la peur lorsque le jeune soldat se tourna vers lui. Un inquiétant sourire se dessinait sur son visage juvénile, rendu luisant par la pluie qui s’était remise à tomber. Une lueur de folie meurtrière dansait dans son regard, alors qu’il s’approchait du vieux soldat.

- Alors, qu’en dites-vous, l’ancêtre ? lança le jeune homme dont la voix révélait une excitation à son paroxysme, beau spectacle n’est-ce pas ? Une nouvelle ère vient de s’ouvrir, et c’est la dernière chose que vous aurez vu de votre vivant, ajouta t’il en saisissant la poignée de son sabre.

Paralysé par l’émotion, le vieil homme ferma les yeux. Il ne vit pas la lame scintillante et froide décrire un élégant arc de cercle avant de pénétrer au plus profond de sa chair. Il sentit en revanche la chaleur de son corps décliner rapidement, il entendit le rire tonitruant du garçon pendant que ce dernier le soulevait. Puis ce fut le vide ; il allait rejoindre son roi dans les profondeurs du noyau Océanique.

 

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LiraBücher
Posté le 22/02/2021
Bonsoir,
Merci pour ce chapitre. On a envie de connaître la suite !
J'ai juste une remarque pour une potentielle amélioration. Il y a beaucoup de noms de lieux au début, j'avais un peu peur de ne pas m'y retrouver mais finalement on comprend assez pour suivre. Peut-être faudrait-il préciser qui contient quoi dans les lieux pour qu'on s'y retrouve mieux ? Si je comprends bien Azzuria est le monde qui contient le Royaume de Sari’Nallah, qui contient les îles centrales qui contiennent l’Îlot Céleste de Nahoamal ?
Hâte d'en savoir plus sur ce personnage du soldat psychopathe !
McCormick
Posté le 25/08/2021
Bonjour, Merci pour ton commentaire. En effet, c'est vrai qu'il y a beaucoup de lieux (et cela ne fait que commencer!). Idéalement il faudrait une carte avant même le début de l'histoire pour préciser le contexte "géographique" et Géopolitique.
Donc pour te répondre. Sari Nallah est le nom du Royaume dont les Iles Centrales constituent l'une des régions. Nahoamal est un territoire des iles centrales.
Azzuria, est en quelque sorte un globe géant, comme un noyau recouvert d'eau au dessus duquel flottent les modes Célestes pré-cités.
En espérant que ma réponse ne créé pas davantage de confusion ;-)
McCormick
Posté le 25/08/2021
Bonjour, Merci pour ton commentaire. En effet, c'est vrai qu'il y a beaucoup de lieux (et cela ne fait que commencer!). Idéalement il faudrait une carte avant même le début de l'histoire pour préciser le contexte "géographique" et Géopolitique.
Donc pour te répondre. Sari Nallah est le nom du Royaume dont les Iles Centrales constituent l'une des régions. Nahoamal est un territoire des iles centrales.
Azzuria, est en quelque sorte un globe géant, comme un noyau recouvert d'eau au dessus duquel flottent les modes Célestes pré-cités.
En espérant que ma réponse ne créé pas davantage de confusion ;-)
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