Aurore de jeunesse (7) Belles-de-nuit

Par Pouiny

Nous sortimes du lycée ensemble, marchant tranquillement. J'adaptais ma marche pour qu'il puisse me suivre même avec les béquilles. Je discutai avec Aïden de choses et d'autres avec légereté jusqu’à mon vélo, où il me demanda timidement :

« Puisque tu me l’as proposé… Tu pourrais me déposer quelque part ?

– Bien sûr ! Grimpe. »

D’un coup de main, je vérifiai que le porte bagage tenait bien, puis il s’assit en tenant négligemment ses béquilles contre lui.

« Par où on part ?

– Nord-Ouest !

– Pardon ? »

Il décolla son regard de sa boussole et étudia le trajet d’un coup d’œil sur les rues.

« Pars tout droit, puis tourne à gauche au bout de la rue.

– C’est déjà mieux ! »

Je réglai les pédales d’un coup de pied, et m’élançais. La différence de poids me prit par surprise. Mon départ fut si brusque qu’Aïden du s’accrocher d’une main à ma taille. Surpris, je fis semblant de ne pas m’en rendre compte et continua sans mot dire.

 

Il me guida sur deux lieux différents avant de me diriger vers sa maison, quand le soleil était trop bien caché pour de belles photos.

« Tes parents ne vont pas s’inquiéter de ne pas te voir ? Demanda Aïden.

– Ça m’étonnerait qu’ils soient déjà rentré, surtout !

– Ils travaillent si tard que ça ?

– C’est assez souvent qu’ils font des services de nuit. Ils sont très investi dans leur travail.

– Je vois… Tu es souvent seul, alors.

– Touché ! »

Je ris, mais en vérité un sentiment étrange m’envahissait.

« Et toi ? Tes parents travaillent beaucoup, aussi ?

– Oui et non… Mon père travaille dans une petite entreprise, pas loin d’ici. Il travaille beaucoup, mais il doit avoir a peu près avoir les mêmes horaires que moi, je pense. Ma mère travaille à mi-temps dans un magasin de la ville, pas très loin d’où on est.

– A mi-temps ? Ton père doit bien gagner sa vie, alors…

– C’est plus compliqué que ça. »

Sa main à ma taille se contracta légèrement. Je risquai un petit regard en arrière, mais je ne pus pas vraiment distinguer quoi que ce soit en roulant.

« Si tu ne veux pas m’en parler, ne te force pas. Je suis bien trop curieux.

– Désolé. C’est juste que j’en avais jamais vraiment parlé à qui que ce soit, avant.

– De quoi ?

– De tout ça. »

Essayant d’analyser ce que voulait dire ce que ‘‘tout ça’’, j’arrivai devant sa maison avant d’avoir la réponse. Assez décentrée, elle était à mi-chemin parfait entre la périphérie boisée et le centre ville. Je me stoppais doucement et m’exclamai d’un ton moqueur :

« Cher passager, vous êtes bien arrivé à destination !

– Tu es stupide.

– Et surtout, à ton service ! »

Il descendit du vélo alors que je fis semblant de m’incliner. Il se dirigea vers sa maison, et avant de s’y engouffrer, me salua de la béquille :

« A demain, Bastien.

– A demain, Aïden ! »

 

Je passai ma soirée à étudier les exercices de gym et de rééducation possible dans les livres de mes parents, utilisant la cheville ou non, notant les exercices sympathiques qui pouvaient être testé dès le lendemain. Dans mon euphorie, j’en oubliai même de me préparer à manger. Mes parents, rentrant ensemble le remarquèrent bien, constatant que contrairement à mon habitude rien n’avait été préparé.

« Bastien ? Demanda ma mère. Tu as mangé sans nous ?

– Oh, bonsoir ! Non, j’étais dans un livre, je n’ai pas fait attention.

– ‘‘Exercices physiques et rééducations’’… Pourquoi t’intéresses-tu à un livre pareil ? Me demandant mon père en me récupérant le livre des mains.

– C’est pour un ami. Et puis, ça ne vous regarde pas, que je sache ! Ne bougez pas, je vais aller préparer à manger.

– C’est pas de refus, soupira mon père en s’affalant sur le canapé. Au moins, ce sera comestible…

– Tu n’as qu’à faire les plats toi-même, si tu n’es pas content !

– Justement, c’est pour ça que je demande à Bastien... »

Vexée, ma mère s’assit elle aussi sur le canapé et démarra la télé. Le couple de mes parents semblait couler de plus en plus au fur et à mesure que le temps passait. Peut être était-ce leur travail qui leur prenait trop d’énergie, ou alors leur comportement bien trop différent, je n’en savais rien. Mais quand mes parents rentraient ensemble à la maison, l’ambiance en était rarement agréable. Entre eux s’était installée une ombre, opaque et gluante.

 

Je mangeai avec eux et allais vite me coucher, attendant avec impatience le lendemain. Mon premier entraînement dans le parc de la ville fut un succès. Aïden ne fut pas aussi épuisé que je l’espérai, mais je réussi au moins l’exploit de le faire respirer un peu plus fort.

« Tu es vraiment incroyable, soufflais-je.

– Quoi ?

– Si j’avais du faire moi-même tout ce que je t’ai fait faire, je pense que je serai déjà en train de manger des pissenlits par la racine.

– Tu te sous-estimes. Mais c’est vrai que ce n’était pas facile. Merci, Bastien. »

Sa main se dirigea vers moi, puis réalisant ce qu’il était en train de faire, se laissa tomber presque aussitôt. Surpris, je lui demandais :

« Tu viens d’essayer de faire quoi, là ?

– Je ne sais pas. Te serrer la main… ? »

Il paraissait lui-même perdu. Voyant sa tête confuse, je me pris a rire avant de caresser vivement ses cheveux :

« T’inquiète pas va, je suis content que ça t’ait plu ! Je vais bosser pour complexifier encore plus la séance de demain !

– Ne passe pas trop de temps non plus là dessus, si on refait ce qu’on a fait aujourd’hui déjà ça m’ira amplement…

– Sottises ! J’ai dit que j’allais te faire souffrir et je tiendrais parole ! Je ne vais pas te contenter d’une balade de santé ! »

Dit avec mon plus beau jeu de théâtre dramatique, je réussi à le faire rire. Et cette ci, il pu me tenir la main sans ressentir de gêne. Fier de moi, je le ramenai en vélo, s’arrêtant pour quelques photos de soleil. Ainsi, malgré lui, il me fit travailler mon endurance.

 

Un entraînement passa, puis deux, puis trois. Je les complexifiai et les enrichissais au fur et a mesure que je trouvais des informations dans les livres de mes parents. J’arrivai presque à atteindre les limites d’Aïden à force d’y réfléchir. Et pendant que le soleil retardait ses disparitions, lui et moi nous rapprochions sans même le réaliser. Le contact de ses mains sur ma taille en vélo ne me surprenait même plus. Après l’entraînement, et si le temps nous le permettait, j’emmenais Aïden où il me le demandait pour des photos de soleil.

 

Après quelques semaines, alors que je le ramenai et que la nuit commençait à tomber, il me demanda, hésitant :

« Est-ce que tu pourrais ne pas me ramener chez moi tout de suite ? »

Je m’arrêtai doucement sur le bord de la route pour le regarder. Son regard perdu dans le vide contemplait les montagnes entourant notre petite ville.

« J’aimerais prendre des photos de l’obscurité.

– Ah bon ?

– C’est si étonnant que ça ?

– Et bien… je pensais que ton projet artistique n’incluait que la lumière du soleil.

– Oui, mais je pense avoir changé d’avis… Je pense que l’obscurité est tout aussi importante que la lumière. »

Ses mots résonnèrent comme une douleur à mes oreilles. Faisant écho à quelque chose d’enfoui, je baissai la tête, en proie à un souvenir perdu.

« Bastien ?

– Est-ce que je peux te proposer un lieu d’obscurité, dans ce cas ?

– Tu as une idée en tête ?

– C’est assez personnel… Mais je pense que ça peut t’intéresser.

– Et bien écoute, c’est toi aux pédales... »

Je restai immobile et silencieux, hésitant. Je sentis la main d’Aïden se détendre en une sorte de caresse du bout des doigts sur ma taille.

« Tout va bien, Bastien ? »

J’avalais ma salive, puis fis demi tour. Surpris, il se raccrocha à moi.

« Oui. Je réfléchissais si c’était vraiment une bonne idée.

– Et alors ?

– Et bien, je ne vais pas y penser. »

Et doucement, par des chemins détournés, attendant la nuit, j’emmenais Aïden chez moi.

« Euh, Bastien, on rentre dans une propriété privée, là…

– Oui, normal, c’est ma maison.

– Sérieusement ? Ce palace ?!

– Désolé d’avoir des parents qui gagnent bien leur vie, répondis-je d’un ton moqueur. »

Je garai mon vélo, et il descendit, alors que je posais négligemment les anti vols sur le coté.

« Et bah… Ce qu’on peut dire, c’est que tu ne manques pas d’espace pour t’entraîner. On pourrait presque faire un tennis dans ton jardin.

– C’est ça, moque-toi. Je n’ai personne avec qui m’entraîner, moi.

– Je compte pour du beurre ? »

Il avait un grand sourire amical.

« Bon, d’accord, avec mes béquilles pour l’instant, on ne dirait pas, mais quand j’en serais débarrassé, tu verras bien. Moi aussi, je peux te faire souffrir !

– J’ai hâte de voir ça. Viens, suis moi. »

Je le guidais dans mon terrain jusqu’aux belles de nuits. Toujours aussi grandes et belles, elles commençaient à peine à s’ouvrir. Silencieusement, je lui retirai ses béquilles des mains et lui intimait de me suivre. M’engouffrant au milieu des belles de nuit, il y avait à peine de la place pour deux en largeur. Il s’assit, les genoux contre lui alors que je m’allongeai, heureux de revenir à nouveau à cet endroit. Je le regardai ; ses yeux bleus avaient l’air de ne pas trop comprendre. D’une voix calme, j’expliquai :

« Les belles-de-nuit sont les fleurs préférées de ma mère. Elle en avait fait pousser de toute sorte quand j’étais enfant et a créé cet espace pour en être entourée, en sécurité, apaisée. Puis, elle a repris son travail, et je me suis approprié cet endroit. Ces fleurs… Ne s’ouvrent et ne s’épanouissent qu’à la nuit tombée. Dès que le soleil se lève, elles se ferment et attendent l’intimité de la nuit pour s’épanouir et embaumer l’air de leur parfum. Quand j’étais enfant… Toutes les nuits, j’allais jouer ici.

– Pourquoi la nuit ? »

Je réfléchis un instant, cherchant comment formuler l’ombre à quelqu’un qui ne pouvait la voir.

« Parce que je ne pouvais pas être moi le jour, je suppose. »

Aïden me regarda avec intensité pendant quelques instant. Au début de la nuit, devant ses yeux azurs, je compris bien vite que j’étais tombé sous le charme.

« Qu’est-ce qu’il y a ?

– Rien, déclara Aïden en détournant le regard. Tu me rappelles quelqu’un.

– Qui ça ?

– Je t’en parlerai peut-être, un jour.

– Mais pas ce soir ?

– Non. Je ne pourrais pas. »

Me sentant inexplicablement blessé, je détournai le regard. Sans en rajouter davantage, Aïden sorti son matériel photo. Son objectif semblait bien plus grand et complexe que celui qu’il utilisait d’ordinaire.

« Tu n’as pas le même appareil ? Demandais-je en me redressant.

– Non, je me suis acheté un objectif spécialisé pour l’obscurité, avec une sensibilité à la lumière assez forte, pour que mes images ne ressemblent pas qu’à des fonds noir. Tu veux voir ? »

En parlant, il se pencha légèrement en arrière, posant presque l’appareil sur mon œil. Sa tête était presque à quelques centimètre de la mienne, si bien que je ne vis pas grand-chose, trop perturbé par les traits de son visage.

« Ah… C’est bien… Bredouillai-je.

– N’est ce pas ! »

Son sourire ravi d’enfant devant un jouet cessa de m’achever. Je senti mon cœur remonter dans ma poitrine, semblant battre jusqu’aux oreilles. Assourdissant ma raison, je m’avançais des quelques centimètres restant, pour l’embrasser sur les lèvres.

 

Le contact dura moins d’une seconde, mais pourtant le surplus d’émotion d’excitation et de peur manqua de me vriller les tympans. Je reculais vivement et pu apercevoir les yeux ronds d’Aïden qui semblait littéralement sous le choc. Comprenant qu’à cet instant seulement que je venais de commettre la plus grosse bêtise de ma vie, je me remis debout en un éclair et m’exclamai :

« Désolé, je suis sincèrement désolé ! Je vais te laisser prendre les photos que tu veux, et je vais rentrer, et si tu veux partir je le comprendrais parfaitement, je suis un…

– Bastien ?

– … Oui ? »

Son bras se redressa pour attraper la manche de ma veste et la tirer. Surpris, je manquai de tomber, mais alors que je redescendais contre mon gré vers lui, ce fut à son tour de prendre mes lèvres au vol. Seules les belles de nuits furent témoins de notre premier baiser, rempli de tendresse et de timidité.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez