Au clair de la brume

Notes de l’auteur : Merci à tous pour ces sessions d'écritures très productives qui ont permi à l'aboutissement de ce chapitre.

Sakti s’enfonçait. Ce marais de misère s’étendait à perte de vue. Partout où elle regardait, elle ne voyait que ce sol noirâtre qui semblait vouloir l’avaler à chaque instant. Elle s’extirpa de cet immonde limon pour mieux trébucher quelques pas plus loin, tombant la tête la première dans la boue. Elle bascula à travers la surface et se retrouva à flotter au milieu de nuages menaçants. Sakti tenta de bouger, mais elle ne semblait pas être maître de ses mouvements. Elle devait sortir d’ici au plus vite. Un flash lumineux parcourut l’environnement et elle se retrouva assise au milieu d’une pleine désertique. Elle se releva, le visage renfrogné. Elle détestait ce genre de rêves. Habituellement, ses rêves l’amenaient dans les Limbes, ou tout autre endroit paisible où son esprit se reposait des tumultes vécus. Mais actuellement, son esprit était confus. Elle se savait en danger. Sans avoir pourquoi. Tout était flou. Un nouveau flash lumineux. Elle se retrouva transportée ailleurs. Des ombres menaçantes se mouvaient autour d’elles. Une main sortie de l’une d’entre elle et se posa sur son torse. Elle hurla et tomba à genoux, transpercée d’une douleur insoutenable. Nouveau flash. Sa mère l’abandonnait au culte de Kyralia. Nouveau flash. L’Impératrice prononçait son bannissement, sourire aux lèvres. Elle se tournait vers ses frères et sœurs d’armes en quête de soutien mais ne récolta qu’évitement et mépris. Nouveau flash. Le Pukeï-Yaku transperçait son armure. Nouveau flash. Elle tremblait de froid dans la neige, tentant de survivre à son entrainement. Elle ferma les yeux. Elle voulait que cela s’arrête. Mais les flashs se firent de plus en plus nombreux. De plus en plus rapide. Elle vit défiler ses souvenirs les plus douloureux. Encore et encore. Elle se prostra sur le sol. Assaillie par ces attaques incessantes, elle sentait le peu de contrôle qu’elle avait encore glisser petit à petit loin d’elle. Elle voulait simplement que cela s’arrête. Elle s’abandonna volontairement, espérant que cela diminuerai ses souffrances. La confusion de son esprit prit le pas sur ses douleurs. Dans un état second, il lui sembla qu’elle passait à côté de quelque chose d’important. Sans savoir quoi. Qu’importe. Elle se laissa dériver. Soudain un éclair lui transperça l’abdomen.

Elle ouvrit les yeux. La douleur irradiait dans tout son corps. Elle eut juste le temps de se pencher sur le côté avant de vomir un mélange de bile et de sang séché. Toussant et crachant, elle évacua les derniers éléments l’empêchant correctement de respirer. Elle se remit bien vite sur le dos, essayant sans succès de juguler la souffrance. Un flash lumineux balaya l’espace, rapidement suivi du grondement du tonnerre. L’orage faisait rage. Elle entendait la pluie tomber sur les feuilles des arbres. Le vent souffler entre les troncs. Elle tenta de se raccrocher à ces sons familiers, communs, mais échoua encore une fois. Elle reparti dans le monde des rêves.

Elle était dans les Limbes. Elle reconnaissait sans peine ces vastes étendues éthérées. Habituellement, elle aimait s’y réfugier pour méditer. Mais aujourd’hui, le sentiment de danger était toujours présent. Elle regarda autour d’elle. Rien ne semblait avoir changé, pourtant. Son regard s’attarda sur ses mains. Une étrange ondulation parcourait son corps, le rendant vaporeux par moment. Elle tourna la tête vers un gardien proche.

— Je suis morte ? demanda-t-elle naïvement.

L’intéressé tourna lentement la tête vers l’âme qui avait été assez courageuse pour s’adresser à lui, l’examinant de la tête aux pieds. Sakti patienta en silence tandis que le squelette la toisait de ses deux orbites enflammées. Ces serviteurs éternels arpentaient les Limbes par milliers, mais elle ne savait pas quelle fonction ils étaient censés remplir.

— Vous n’avez pas été appelé. Répondit-il d’une voix rocailleuse. Mais vous pourriez l’être.

Sakti grimaça devant cette réponse. Elle fit quelques pas en réfléchissant. Elle n’était pas morte, mais pouvait quand même l’être ? Que voulait-il dire ? Elle se retourna vers le gardien avec l’intention de lui poser une nouvelle question mais sa vision se brouilla. Une onde lumineuse traversa les Limbes, semblant les emporter dans son sillage. Sakti se retrouva seule, au milieu de ce qui semblait être un champ de fleurs. Ces dernières naissaient et mourraient en permanence, faisant onduler la surface végétale. Une colonne de lumière apparue devant elle, diffusant une chaleur réconfortante. Elle s’approcha. Cette présence la rassurait. L’apaisait. Elle avança jusqu’à être au milieu du pilier de lumière. Kyralia. Elle le sentait maintenant. La présence de sa déesse. Elle s’immergea complètement au sein cette chaleur bienveillante. Kyralia veillait sur elle. Sa présence la réconfortait plus que tout. Elle sentie l’énergie parcourir toutes les fibres de son corps. Bienheureuse, elle perdit toute notion du temps, s’abandonnant complètement à sa déesse.

Le bruit de l’orage se fit plus intense. La douleur dans son torse revient, petit à petit. Au loin, un oiseau chantait. Elle avait quitté les Limbes. Elle était toujours en vie. Une chose froide glissa le long de sa poitrine, ravivant ses souffrances. Elle grogna et ouvrit les yeux. Les cheveux blonds bouclés fut la première chose marquante qu’elle vit. La guerrière qu’elle avait aidée. L’humaine était agenouillée à ses côtés, étalant une pâte brunâtre sur ses blessures. Elle n’avait jamais vu d’humaine auparavant. Ses traits étaient moins fins que les siens. Elle n’avait pas de cornes frontales et ses oreilles étaient arrondies. Sa peau était légèrement brune. Et ces deux grands yeux bleus perçants. L’humaine s’apprêtait à remettre une couche de son onguent lorsqu’elle vit qu’elle était réveillée. Elle interrompit son geste au milieu de sa course. Sakti lue l’indécision, puis un début de panique commencer à poindre dans ses yeux clairs. Lentement, elle ferma de nouveau les yeux. Après quelques secondes, elle sentie l’humaine reprendre ses soins. La douleur qu’elle ressentait se fit petit à petit remplacer par un picotement qui lui engourdi rapidement tout le corps. Elle sombra de nouveau dans l’inconscience.

La pluie c’était arrêté. Une épaisse brume avait envahi la forêt. Sakti fixait sans vraiment les voir les branches au-dessus d’elle, baignée dans une douce chaleur. Elle avait alterné les moments de semi-conscience et les excursions dans les Limbes tant de fois qu’elle en avait perdu le compte. Cette fois-ci elle était bel et bien éveillée. Elle cligna des yeux et observa son environnement. La brume était encore épaisse, l’air frais chargée d’humidité, la luminosité ténue. Probablement le début d’une matinée. Le tronc du conifère sous lequel elle était couchée était imposant. Ses branches les plus basses étaient plusieurs mètres au-dessus de sa tête et retombaient jusqu’au sol, formant une cathédrale végétale protégeant la base du vent et de la pluie.

Elle voulut prendre appui sur ses bras pour se redresser mais s’aperçu rapidement que ses mains et ses pieds étaient entravés par une corde solidement attachée. Elle grogna et tenta de forcer pour s’en défaire mais l’onde de douleur qui traversa son torse la dissuada rapidement de faire le moindre effort. Elle halètera, surprise par l’énergie que lui avait demandé ce mouvement. Elle était vraiment diminuée physiquement. Bien sûr elle pourrait utiliser le flux de Kyralia pour grandement accélérer sa guérison et être en pleine forme d’ici quelques heures, mais elle répugnait à sacrifier plusieurs années de son espérance de vie alors qu’aucun danger immédiat ne la menaçait. Incapable de bouger, son regard explora l’espace de cette caverne végétale et s’arrêta rapidement sur l’humaine endormie à quelques pas d’elle.

Cette dernière n’avait pas quitté son armure. Elle était recroquevillée sur elle-même, les mains posées sur le pommeau de son épée, le fourreau plaqué contre son buste et grelottait dans son sommeil à cause du froid environnant. Sakti s’aperçu que si elle était bien au chaud sous une épaisse fourrure, rien ne recouvrait l’humaine dans son sommeil. Elle la remercia silencieusement pour cette considération. Son regard fut attiré par un reflet de lumière mauve aux pieds de l’endormie. Son armure de Kyralia était posée là. Manifestement nettoyée, les trois déchirures dans le cuir étaient parfaitement visibles et une démangeaison sur son torse fit écho à ce qu’elle voyait. Elle aurait dû mourir sur cette folie. Mais il était du devoir des disciples de Kyralia de protéger les vivants des créatures issues du chaos, fussent-ils des humains.

Un bruit sourd résonna dans la forêt. Sakti ne parvint pas à l’identifier. Ce dernier perturba suffisamment l’harmonie du lieu pour réveiller la guerrière endormie qui sursauta, dégainant à moitié son épée avant de s’interrompre, les sens aux aguets de tout signe suspect. Comme rien ne vint, elle rengaina son épée en poussant un léger soupire qui se transforma rapidement en bâillement. Elle s’assit et fit quelques mouvements pour s’étirer. Elle s’interrompit de nouveau lorsqu’elle aperçue le regard silencieux de Sakti braquée sur elle. Mal à l’aise, elle termina un dernier mouvement et se rapprocha d’elle. Sans un mot, elle souleva la couverture, lâchant l’air frais sur le corps de Sakti, puis entreprit de changer les bandages qui lui enserraient le torse. Un silence pesant accompagna l’opération. Une fois terminée, elle recouvrit Sakti de la fourrure précédemment enlevée, ramenant une chaleur bienfaisante le long de ses muscles, puis retourna s’assoir un peu plus loin.

« Merci. »

L’humaine sursauta au son de la voix éraillée de Sakti et cette dernière se surpris à sourire devant sa réaction. Elle ne savait pas comment faire pour briser cette barrière entre elles alors autant commencer par les choses évidentes. Si elle avait sans aucun doute sauvé sa vie en intervenant contre le Pukeï-Yaku, l’humaine avait fait de même en la soignant. Sa survie à court terme dépendait du bon vouloir de cette humaine. Sa gorge desséchée n’apprécia pas l’effort qu’elle venait de fournir et elle se mit à tousser sans pouvoir s’arrêter. Après une dizaine de secondes de souffrance, l’humaine la redressa le long du tronc et fit couler dans son gosier une eau bienfaitrice que Sakti s’empressa de boire. Après de longues gorgées et quelques inspirations, elle décida de faire une seconde tentative. Elle reposa son regard sur sa geôlière qui était partie s’assoir quelques pas plus loin après l’avoir abreuvée.

— Merci. Sakti fixa son interlocutrice en quête d’une réponse et décida de poursuivre la tentative. Pour les soins… et le reste.

— Je ne suis pas certaine de te laisser en vie encore longtemps, Oyukini.

— Pourquoi m’avoir sauvée dans ce cas ?

— Pourquoi ?

Son interlocutrice se redressa d’un bon, heurtant les branches les plus basses, sans y prêter la moindre attention.

— Pourquoi ? As-tu la moindre conscience de l’aberration à laquelle j’ai assisté par ta faute ? Ton intervention remet en question tout ce que je sais !  Elle me met dans une situation impossible à résoudre ! Le plus simple pour moi serait de t’abattre sur le champ et de rentrer à Ofærrbir ! J’y serais accueillie en héroïne avec ton cadavre ! La fille de l’Infranchissable général qui tue une Faucheuse Blanche, ça ferait du bruit !

— Mais ce n’est pas ce que tu comptes faire… tenta Sakti.

— Je n’en sais foutrement rien ! Depuis trois jours, dès que je te regarde, j’hésite entre te soigner et te trancher la gorge. Mais tu m’as sauvé la vie ! Tu as abattu seule ce monstre alors que mes hommes et moi n’avons fait que l’énerver. Tu aurais très bien pu attendre qu’ils finissent de nous dévorer. Mais tu ne l’as pas fait. Tu aurais pu me laisser mourir. Par deux fois ! Et tu ne l’as pas fait. Cela n’a aucun sens ! Les Faucheuses Blanches m’ont toujours été décrites comme des monstres immortels. En voir une sur le champ de bataille, c’est l’assurance de mourir dans peu de temps. Vous êtes capable d’apparaitre et de disparaitre comme bon vous semble… Vous faites repousser vos membres ! Utilisez une magie interdite ! Hantez les champs de batailles les nuits sans lunes ! Mille et une choses qui font de vous l’ennemi à abattre à tout prix. Tout ce qu’on m’a inculqué sur vous à volé en éclat le moment où tu t’es effondrée à mes pieds ! Et depuis, je suis perdue.

Elle s’assit face à Sakti, attendant une réaction, la main sur la garde de son épée.

— Les humains… là d’où je viens, ils sont décrits comme des bêtes sanguinaires. Une race entière dédiée à la mort de son prochain. Des génies du champ de bataille. Un peuple qui refuse de faire la paix car il se complait trop dans la guerre. Capable d’inventer de nouvelles horreurs pour tuer à chaque bataille. D’être mort mais de continuer à se battre. Certains vous disent même capable de relever les morts. Sakti sourit. Au moins une chose dont je peux être certaine qu’elle est fausse.

— Toute ta description est fausse, Oyukini… pas seulement la dernière phrase.

— Je pourrais dire la même chose de la tienne.

Un lourd silence s’installa. Après quelques secondes l’humaine dégaina lentement son épée. Elle admira la lame quelques instant et la posa délicatement sur ses genoux, une main toujours sur le pommeau.

— Très bien. Admettons. Nous avons toutes les deux torts. Elle fixa Sakti. Ta présence n’en reste pas moins un danger pour cette région. J’ai fait le serment de défendre ce territoire contre toutes les menaces et tu en fais partie.

— Je… non ! Je ne veux menacer personne.

— Je ne vois aucune raison pacifique qui pousserai une Faucheuse Blanche à s’aventurer sur notre territoire, surtout après la description que tu m’as faite de mon espèce.

Elle souleva l’épée et la pointa sur la gorge de Sakti, qui ne pu s’empêcher un léger mouvement de recul, très vite arrêté par le tronc d’arbre qui la soutenait.

— Pourquoi es-tu là Oyukini ? Vous préparez une nouvelle invasion ? Tu es un éclaireur pour les troupes ? Vous tentez de vous infiltrer discrètement à travers nos lignes de surveillance ?

— Non ! Non, absolument pas… si c’était le cas je ne t’aurais pas sauvée…

— Alors explique moi pourquoi ! Voilà trois jours que je me torture avec ces questions. Pourquoi ? Pourquoi es-tu là ? Pourquoi m’as-tu sauvé ? Quelle était cette créature abominable ? Que faisait-elle ici ? Quelles menaces inconnues rodent encore dans les montagnes ? Que ferait mon père ? Comment dois-je réagir ? Les villages sont-ils menacés ? Dois-je enquêter seule ou demander une mobilisation générale ? Je n’en sais rien ! Et la clé de tout cela, c’est toi. Alors explique moi.

Elle reposa son épée sur ses genoux, la tapotant avec nervosité. Sakti en profita pour essayer de se détendre un peu. Après tout, elle aurait surement été dans le même état qu’elle si un humain lui avait sauvé la vie dans l’enceinte du Sanctuaire quelques années plus tôt. L’humaine reprit la parole d’un ton impérieux.

— Pourquoi es-tu là ?

— J’ai été bannie de l’Empire pour avoir manqué de respect à l’Impératrice durant une cérémonie publique.

Techniquement vrai mais cachant fondamentalement la vérité. Elle avait été bannie pour avoir défendu le droit d’exister des êtres humains comme chaque espèce vivante de cette terre. Bien que perçus comme monstrueux, ils n’étaient pas des créatures issues du chaos et à ce titre, avait le droit d’exister. D’après les enseignements de Kyralia. Pas d’après l’Empire. Sakti n’avait pas compris cette différence fondamentale. Et n’avait pas compris à quel point son propre culte devait se plier à la volonté de l’Impératrice. Elle avait défendu seule les principes de Kyralia. Son Ordre l’avait ignoré. Et lorsqu’elle c’était fait bannir, son Ordre s’était positionné en retrait, estimant qu’il n’était pas de son ressort d’intervenir. Mais expliquer tout cela était inutile et hautement risqué. Alors Sakti avait opté pour une option plus simple. Elle pourra toujours dévoiler l’entière vérité plus tard. En face d’elle, l’humaine grimaçait devant sa réponse.

— L’Empire envoi les personnes bannies sur notre territoire ?

— La plupart meurent sur le premier versant de la montagne. Si certains bannis ont réussi à survivre et à traverser les pics avant moi, je n’en n’ai vu aucune trace depuis que je suis ici.

— Depuis combien de temps es-tu ici ?

— Cela devrait faire…

Elle hésita. Depuis combien de temps était-elle ici ? Plusieurs mois, bien sûr. Combien exactement était une question sans réponse. Elle décida d’être honnête.

— Je ne sais exactement. Je suis arrivé il y a plusieurs mois, à la fin de la saison chaude.

— A la fin de l’été ? Cela doit faire un peu plus de six mois que les chaleurs ont fui les montagnes…

— Cela pourrait correspondre oui.

— Et pendant six mois nous avons été incapable de savoir que tu étais présente sur notre territoire…

— Je suis principalement resté dans les régions les plus sauvages, justifia-elle. J’ai tout fait pour éviter les humains… Je tenais à rester en vie.

— Et donc cela a changé ? Tu ne souhaites plus rester en vie ?

— Bien sûr que si ! répondit-elle immédiatement.

Elle vit l’ombre d’un sourire poindre sur le visage pourtant très sérieux de son interrogatrice. Elle se moquait d’elle ? Ou jouait ? Sakti décida de ne pas relever alors que la prochaine question arrivait.

— Dans ce cas-là, pourquoi es-tu rentrée en contact avec des humains ? Tu aurais très bien pu continuer six mois de plus ainsi visiblement. Pourquoi es-tu venue ? Pourquoi… pourquoi m’as-tu sauvée ?

Sakti pris quelques secondes de réflexion. Même pour elle, la réponse était loin d’être claire. Et difficile de cacher la vérité sur ce point. Elle allait devoir être franche. Peut-être qu’ainsi cette humaine comprendrai mieux sa situation et celle de son espèce. Du moins elle l’espérait.

— Pour commencer, j’appartiens à l’Ordre de Kyralia.

Elle vit un frisson d’appréhension parcourir le corps de son interlocutrice. Visiblement, les humains étaient aussi peu à l’aise avec les membres de son Ordre que les autres espèces.

— Je ne sais pas si vous-même vous avez des disciples ou quelque chose qui s’en rapproche mais chez nous, faire parti de cet Ordre nous attribue des devoirs auxquels nous ne devons, en aucun cas, nous soustraire. En échange, pour accomplir ces devoirs, la déesse nous bénie.

— Je pense savoir la suite. La bénédiction vous octroie certaines possibilités difficilement accessibles au commun des mortels pour accomplir ces tâches. Chaque bénédiction diffère suivant les personnes même si une certaine similitude peut être trouvé au fil du temps. Pour répondre à ton interrogation, oui, nous avons également des ordres religieux. Après tout, les dieux sont les mêmes pour tous.

— Exactement. Le premier devoir que nous avons, chez les disciples de Kyralia, c’est la lutte contre le Chaos. Et…

— Le chaos ? l’interrompit-elle.

— Le Chaos c’est… difficile à expliquer. Pour faire simple, il s’agirai d’une entité aussi vieille que le monde et qui corrompt l’ordre naturel des choses. La créature que nous avons affrontée est une bête issue du chaos. Sa présence dérègle l’écosystème en place et si rien n’est fait, ce dernier s’effondre et la corruption générée par le chaos se propage. En tant que disciple de Kyralia, mon devoir et de traquer ces monstres et de les éliminer.

— C’est donc pour ça que tu es intervenue.

— Oui. J’avais remarqué des problèmes dans l’équilibre naturel de la région. J’ai traqué la créature jusqu’à… jusqu’à vous. A vrai dire… quand j’ai vu qu’elle c’était approché des constructions humaines, j’ai failli faire demi-tour. Et je me suis posé beaucoup de questions avant d’intervenir pour vous prêter main forte…

Le silence revint, le temps que son interlocutrice digère les informations qu’elle venait de livrer. Si elle n’avait jamais entendu parler du Chaos cela faisait beaucoup à absorber. Mais si elle n’avait jamais entendu parler du Chaos, un autre problème, de taille, allait se poser.

— Cela ne réponds pas tout à fait à ma question. Tu aurais très bien pu attendre que nous soyons tous morts et essayer de tuer la créature. Ou même intervenir pour bénéficier de notre aide indirecte et ne pas essayer de nous sauver. Si tu ne t’étais pas préoccupée… et bien, de moi, tu n’aurais pas été aussi grièvement blessée. Pourquoi m’as-tu sauvée ?

— Je ne sais pas trop… Dans l’absolu, rien, dans l’enseignement de Kyralia, ne me dit que les humains sont des monstres. Vous apparaissez sur les fresques de la Création comme égaux à toutes les autres races. C’est juste que… c’est une sorte d’acquis dans notre société. Vous êtes un de nos ennemis. Et je n’ai jamais compris pourquoi… On m’enseigne à protéger l’équilibre naturel du Chaos. Vous faites parti de cet équilibre, quoi qu’en dise l’Empire. Je pense… elle prit une grande inspiration. Je pense que je t’ai sauvé car j’étais convaincu que l’Empire se trompait. J’ai fait le pari que, comme nous, vous connaissiez la compassion, la reconnaissance… même si on m’a dit l’inverse toute ma vie. J’ai… sa voix commença à se briser. J’ai déjà tout perdu. Hormis Kyralia. Si je m’étais trompée, je serais morte en faisant mon devoir. Et si j’avais raison… je ne sais pas trop. Une myriade de possibilités s’ouvre devant nous…

Elle se tut. Après s’être volontairement concentrée sur sa survie pour oublier tout le reste depuis son bannissement, cet interrogatoire l’obligeait à faire le point avec elle-même. Que voulait-elle ? Passer le restant de ses jours à jouer les fantômes dans ces montagnes sauvages, traquant seule les créatures du chaos, jusqu’à ce que Kyralia l’accueille définitivement en son sein ? Probablement pas. Nouer des relations avec les humains ? Pourquoi pas. Ce serait un beau pied de nez à l’Impératrice. Une belle manière de survivre. Encore fallait-il réussir à convaincre son interlocutrice que sa tête serait plus utile sur ses épaules que sur un plateau.

 

***

 

Adrianne hésitait. Son éducation lui faisait régulièrement resserrer ses doigts autour de sa garde. Elle avait l’impression d’entendre son peuple tout entier réclamer la mort de sa prisonnière. Ce monstre qui rodait dans les bois les nuits sans lune. Cette créature sanguinaire qui avait ravageait les rangs de leurs armées à chaque grande guerre. Une des légendaires Faucheuses Blanches. De l’autre côté, son instinct hurlait tout aussi fort. La tuer serait la solution de facilité. La continuité de l’ordre établi. De son éducation. Une proie facile. Un exploit glorieux. Pas de remise en question. Et aucune réponse.

Elle soupira plus fortement qu’elle le souhaitait. Cette Oyukini avait l’air honnête. Mais elle avait déjà fréquenté les nobles et se méfiait du poison des mots. Le problème, c’est que même en essayant de se convaincre que sa prisonnière lui mentait effrontément, elle n’arrivait qu’à renforcer la conviction qu’il fallait qu’elle la garde en vie. Si elle mentait, elle pouvait toujours la ramener vivante à Ofærrbir où des personnes plus expertes se chargerai de son interrogatoire. Et si elle disait la vérité…

— Cette créature que nous avons affrontée, qu’étais-ce exactement ? Je n’en n’ai jamais vu ni entendu parler avant que celle-ci décime mon unité…

— Un Pukeï-Yaku.

Devant son probable air ahuri, sa prisonnière crue bon de préciser ses pensées.

— C’est une sorte de vouivre terrestre mais tout de même capable de planer grâce à ses membranes. La plupart du temps c’est un monstre assez facile à abattre…

— Assez facile ? la coupa-t-elle nerveusement.

— La plupart du temps. Celle que nous avons affronté avait l’air plutôt ancienne. Celles que j’avais déjà chassées n’avait pas dépassé leur troisième année tandis que celle-ci devait au moins avoir dix ans. C’est exceptionnel. Plus le temps passe, plus elles grandissent et plus leurs écailles durcissent. Quand notre Ordre tue un Pukeï-Yaku aussi vieux, nous récupérons ses écailles pour en faire des pointes de flèches.

— Et c’est… comment dire… une créature courante chez vous ?

— Plutôt oui. C’est une des créatures du chaos les plus courantes du côté du Gouffre. Je ne pense pas qu’une patrouille puisse parcourir l’entièreté de la zone sans en affronter au moins une, à moins qu’un monstre plus puissant soit dans les parages.

Le Gouffre ? Des patrouilles ? Ces créatures sont courantes ? Comment survivent-ils ? Adrianne avait l’impression que chaque réponse soulevait dix questions de plus. Comment cette chose pouvait être considérée comme une banalité ? Après tout, elle ne savait rien des Oyukini et des autres races de l’Empire. Elle savait simplement qu’il s’agissait d’ennemis à abattre sans hésitation. Jusqu’à présent. Le doute la taraudait de plus en plus.

— Donc celle-ci a échappé à vos patrouilles et s’est réfugiée sur notre territoire c’est bien cela ?

— Eh bien… elle hésita. Je ne pense pas. Nous montons la garde sur la frontière ouest de l’Empire et c’est à plusieurs semaines de cheval d’ici. Si un Pukeï-Yaku, même juvénile, avait traversé l’entièreté de l’Empire, nous serions forcément intervenus avant qu’il arrive…ici.

— Stop. Stop ! Vous ne montez pas la garde de notre côté ?

— L’Ordre de Kyralia ? Non, pas du tout. L’armée impériale s’occupe de surveiller l’ouest de l’Empire. Nous gardons les territoires du Chaos à l’est.

— Mais votre ordre ne fait pas parti de l’armée ?

Le regard furieux que lui lança son interlocutrice en retour lui apporta sa réponse.

— Non. Les ressources de notre Ordre sont bien trop précieuses. A chaque grande offensive lancée, il y a toujours quelques volontaires pour rejoindre l’armée mais… Disons que cela est le prix à payer pour que nos demandes soient rapidement traitées par les pontes de l’Empire.

Adrianne sentit un immense poids lui tomber sur les épaules. Les soldats les plus craints de l’armée de l’Empire n’étaient même pas des soldats. Juste des fanatiques. Ils avaient toujours cru que les Faucheuses Blanches n’étaient pas plus nombreuses car il s’agissait de l’élite de l’élite de leurs forces. Elles avaient toujours été moins d’une dizaine sur l’ensemble des fronts. Et voilà qu’il existait, quelque part à l’est, une pléthore de personnes tout aussi puissantes. Si cette force venait à se mobiliser toute entière contre l’alliance des Sept Royaumes, Adrianne doutait fortement qu’ils puissent y résister. Elle décida d’ignorer ce fait pour l’instant et de se concentrer sur un évènement plus pressant.

— Comment ce… Pukeï-Yaku a-t-il bien pu arriver jusqu’ici si l’Empire est infranchissable pour lui ?

— Je ne peux être sûre de rien malheureusement… Par le nord, il aurait fallu qu’il survive aux Terres Anciennes et à ses habitants, chose peu probable… Au sud il y a l’Océan des Tempêtes et ces créatures ne savent pas nager dans une rivière, alors dans un océan… Elle soupira. Je n’en n’ai pas la moindre idée.

— Comment ces créatures apparaissent-elles à votre frontière ?

— C’est une créature du chaos. Comme toutes les autres elles naissent au sein des nœuds de corruption et partent ensuite la répandre le plus possible… pourquoi ? Tu penses que les humains ont laissé un nœud se développer ? Vu l’âge de la créature, c’est plus probable qu’elle a réussi à se cacher dans les montagnes après sa destruction…

— Non… je… comment le dire ? Le Chaos. Le Pukeï-Yaku. Les nœuds de corruption. Et une bonne partie du reste…

— Oui ?

— C’est la première fois que j’en entend parler.

Sa prisonnière la regarda avec un mélange de surprise et d’incompréhension. Adrianne se sentait vraiment bête, elle avait l’impression de voir le regard que lancent les gens quand quelqu’un affirme quelque chose de vraiment stupide.

— C’est ta première rencontre avec le Chaos, d’accord. Mais vos gardiens en savent certainement plus que toi à ce sujet, il faudrait les interroger…

— Non. Tu ne m’as pas comprise. C’est la première fois que quelqu’un me parle de Chaos. En dehors de quelques légendes bien évidemment. Tu es la première personne à m’en parler… comme quelque chose qui existe vraiment. Et je pense faire partie des… humains ayant reçu le plus d’éducation. Personne dans les Sept Royaumes n’est au courant de… ça.

— Oh.

Adrianne pinça ses lèvres de gêne. L’incompréhension avait fait place à l’incrédulité dans le regard de sa captive. Visiblement le Chaos était une notion si évidente chez son peuple qu’elle n’avait pas envisagé qu’elle n’y connaisse rien. Cela risquait de poser beaucoup de problèmes. Encore. Surtout si des créatures comme ce Pukeï-Yaku était considéré comme une menace mineure. Le silence s’éternisait et elle décida d’y mettre fin.

— Hum… c’est si surprenant que cela que nous ne sachions rien du Chaos ?

— Disons que… je ne pensais pas qu’un peuple puisse survivre sans rien savoir contre son plus grand ennemi. Mais votre absence totale de connaissances sur le sujet semble venir du fait que vous n’y aviez jamais été confronté jusqu’à… notre rencontre. Je me trompe ?

— Je ne pense pas…

— J’envierai presque votre race… vous devez avoir une existence si paisible…

Paisible n’est clairement pas le mot qu’Adrianne utiliserait pour décrire son existence. Bien évidemment, pour une personne au service de la déesse de la mort, occupée à chasser des créatures à la force monstrueuse, créées par une entité corruptrice qui tentait sans cesse de se propager, les intrigues de la cour et la menace constante d’une nouvelle invasion devaient être considérées comme des activités reposantes. Que faire ? Qui croire ?

Elle commençait à accepter le fait que l’Oyukini lui disait la vérité. Ça ou elle avait fait prisonnière une barde-guerrière à l’imagination débordante. En admettant que cette seconde hypothèse soit fausse, la garder en vie devenait l’option la plus intelligente. Ils pourraient ainsi acquérir ses connaissances sur le Chaos et mieux lutter contre dans le cas où d’autres créatures viendraient à se manifester. Mais elle craignait d’accorder trop vite sa confiance à cette ennemie héréditaire de son peuple. Actuellement, simplement signaler sa présence suffirait à ce que l’alliance décide de lever une immense force militaire pour renforcer la frontière. Alors si elle l’amenait devant des dirigeants… Peut-être… qu’une autre voie était possible. Une voie sans politiciens ni mobilisation générale. Du moins au début. Mais cela impliquait de faire confiance à sa prisonnière. Adrianne se tortura l’esprit quelques secondes. Elle était déjà morte deux fois. Sans cette Faucheuse, cela serait vrai. Que faire ? Elle fixa les yeux de son interlocutrice. Des iris quasiment ocres et cette étincelle au fond du regard. Au diable la prudence.

— Si… si je te détachais, que ferais-tu ?

— Oh. Bonne question. Je me rendormirai, probablement.

Adrianne ne put retenir son hilarité. Elle faisait une proposition qu’elle n’aurait pas envisagé il y a vingt minutes et voilà tout ce qu’elle avait trouvé à en dire. Elle sécha rapidement ses larmes et calma son rire avec une profonde inspiration.

— Excuse-moi. De toutes les réponses possibles, c’est bien la seule que je n’attendais pas.

— Je reste malheureusement faible à cause de mes blessures. Actuellement, je serais bien incapable de me lever, liée ou non…

— Je pensais que vous aviez le pouvoir de guérir de n’importe quelle blessure en un temps record, d’où les liens.

— A vrai dire… je pourrais guérir de mes blessures en quelques heures si je le souhaitais.

— Mais tu préfères passer encore plusieurs jours allongée sans bouger dans une forêt se faisant doucement envahir par la saison froide, à ma merci, c’est logique.

— Plus j’accélère mon processus de guérison à l’aide du flux de Kyralia, plus je diminue mon espérance de vie.

Adrianne ne répondit rien. Elle n’avait pas envisagé qu’une guérison puisse être aussi coûteuse. Après tout, de nombreux mages et prêtres soignaient sans restriction. Une spécificité des disciples de Kyralia peut être ? Elle ouvrit la bouche pour s’excuser, puis la referma quand son esprit lui fit remarquer qu’elle allait s’excuser auprès d’une Oyukini. Visiblement, certaines habitudes allaient mettre un peu de temps à partir, pensa-t-elle. Elle voulu reprendre la parole mais sa détenue profita de son temps de réflexion pour la devancer.

— Si je guérissais totalement mes blessures… je pense que je perdrais un peu plus d’une décennie.

— Quoi ? Mais c’est énorme !

— Oui et non. La bénédiction de Kyralia allonge notre espérance de vie… A vrai dire, j’ai voulu l’utiliser pour arrêter l’hémorragie après avoir achevé le Pukeï-Yaku mais j’ai perdu connaissance avant d’avoir eu le temps de faire quoi que ce soit.

— D’ailleurs, pourquoi n’as-tu pas commencé par ce coup qui l’a achevé d’un coup ? On aurait gagné du temps !

— Je… je n’ai pas terminé ma formation. Utiliser le flux de Kyralia de cette manière m’épuise énormément. Cela me laisse très affaiblie et je voulais être en pleine possession de mes moyens au cas où…

— Au cas où j’essayerai de te tuer avec une boule de feu, compléta Adrianne qui se souvenait encore très bien du déroulement du combat. C’est logique malheureusement. Mais ta capacité à changer d’arme ne t’épuises pas ?

— Absolument pas. J’ai l’honneur d’avoir reçue de Kyralia le don d’appel sur un impressionnant nombre d’armes des Limbes… Habituellement, chaque disciple reçoit une arme. Deux. Trois exceptionnellement. Je… je pense avoir l’armurerie entière à ma disposition.

Elles rirent toutes deux à la plaisanterie. La tension qu’il y avait entre elles avait presque disparue. Adrianne ne savait pas si son interlocutrice avait simplement réussi à lui faire abaisser ses défenses pour mieux frapper ou si une véritable relation de confiance était en train de se tisser. Au diable la prudence avait-elle décidé. Elle partira donc sur la seconde option. Mais déjà d’autres questions se posaient. D’autres problématiques apparaissaient.

Cette Oyukini resterait en vie. De préférence en bon état, elle commençait à l’apprécier. Mais rester plusieurs semaines encore dans cette forêt, avec si peu d’équipement, serait suicidaire avec le froid qui arrivait. Elle darda un œil mauvais sur la brume les englobant. Depuis le combat, il n’avait fait que pleuvoir, et maintenant ça. Elle voulait retourner dans la clairière. Il lui restait des tâches à accomplir. Il fallait aussi trouver une solution pour que sa prisonnière ne se fasse pas lyncher si elle l’amenait dans une ville humaine. Elle voulait des réponses. Mais le gel les aurait toutes les deux tuées avant qu’elle ait terminé de poser ses questions. Un endroit possible se dessinait dans son esprit. Elle pouvait essayer. Elle retourna son regard vers l’étrangère, qui semblait doucement se rendormir.

— Dans combien de temps penses-tu pouvoir être en état de marcher correctement ?

Elle rouvrit ses yeux, les faisant papillonner quelques secondes, rassemblant ses pensées.

— Peut être deux… non. Trois jours. Pour une marche normale.

— Nous partirons dans trois jours donc.

— Où comptes-tu m’emmener ?

— Je ne suis pas encore sûre… mais notre première destination sera la clairière de notre rencontre. Il faut que j’enterre mes hommes et que j’examine de plus près cette créature…

Un hochement de tête approbateur lui répondit.

— Dans trois jours, je pourrais t’aider. Pour tes compagnons.

— Je ne pensais pas que tu leur accorderais l’honneur d’être enterré par une disciple de Kyralia…

— Il n’y a aucune raison pour que je leur refuse cet honneur. Théoriquement. Il est vrai que je serais surement la première… faucheuse blanche, c’est ça ? Je serais la première à rendre hommage à des humains. Mais ils sont morts en combattant une créature du chaos. Tous ceux qui contribuent à préserver l’Equilibre sont dignes des honneurs de n’importe quel dieu…

— Merci.

Il y eut un moment de flottement. Visiblement, elle avait été surprise par le remerciement. Adrianne ne pouvait pas la blâmer. Elle avait failli dégainer son épée de peur lorsqu’elle lui avait adressé ses remerciements.

— Juste… pourrais-tu me rendre mon armure ?

— Pourquoi ça ?

— Si je remets mon armure tu pourras récupérer ta fourrure…

Adrianne ne dit rien et se releva. Elle rengaina son épée, avança dans sa direction, souleva délicatement la couverture, s’assied aux côtés de sa prisonnière et replaça la couverture sur leurs épaules. Elles se regardèrent plusieurs secondes puis l’Oyukini posa sa tête contre son épaule, des larmes coulant silencieusement le long de ses joues. Elle était bien incapable de deviner la raison précise de ces larmes mais Adrianne soupçonnait que le parcours de sa prisonnière était bien plus sombre qu’elle ne le laissait paraitre.

— Je m’appelle Sakti.

Sa voix larmoyante la fit presque sursauter. Après tout ce qu’elles venaient d’échanger, elles ne n’étaient jamais vraiment présentées l’une à l’autre. Pas même leur prénom. Une étape importante. Sakti. Elle n’avait jamais entendu ce nom. Sakti. Une chose nouvelle. Sakti. Un nom qui n’avait pas le poids de son éducation à porter. Sakti. Un nom qui n’avait pas besoin de représenter toute l’horreur du conflit entre leurs peuples. Sakti. Un nom de personne. Et elle était très certainement dans la même situation qu’elle, à devoir se débarrasser du carcan de son éducation biaisée pour réussir à avancer. Pour le meilleur, espérait-elle.

— Adrianne, enchantée. J’espère que nous pourrons continuer à échanger ainsi.

— Je l’espère aussi…

Sakti fut gagnée par le sommeil à la fin de sa phrase. Adrianne la regarda pour la première fois avec bienveillance. Elle devait avoir son âge. Finalement, étaient-elles si différentes l’une de l’autre ? Elle s’endormit à son tour sur cette pensée, alors que la neige commençait doucement à tomber au milieu de la brume.

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Cocochoup
Posté le 29/02/2020
Hey coucou,
Un plaisir à lire ce chapitre ! J'aime beaucoup l'exploration de la relation entre ces 2 personnages et les 2 points de vue.
Je les vois bien devenir alliées et pour suivre l'aventure ensemble !
Danalieth
Posté le 01/03/2020
Merci pour ton retour !
Ce chapitre est en effet sur la construction de leur relation. Pour se qui est de la suite... tu verras bien !
Et je suis content que l'alternance des points de vue te plaise, ce fut un débat avec moi-même (et quelques plumes) un peu long et fastidieux. Il s'agit de mon premier "vrai" dialogue et je n'étais pas certain de comment gérer tout ça.
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