Apprenti

Par Mart

Le vent hurlait. La pluie martelait les tuiles de ses grosses gouttes. La tourmente nocturne couvrirait tout bruit sur les toits cette nuit. Personne n’entendrait ses pas.

Will avait grandi. Malgré cela, sa silhouette pliée se distinguait à peine au-dessus des faîtes. Le ciel était noir. Les seules sources de lumière étaient les rares fenêtres encore illuminées, surtout celles des communs des auberges.

Dans les quartiers pauvres, il n’aurait pas osé prendre la voie haute. Le risque de passer à travers les plafonds y était trop grand, et l’obscurité y aurait été totale. Mais de toute façon il n’y avait là-bas rien que Garmesh désirât.

Les ordres de celui-ci étaient toujours concis : saisir l’objet convoité et revenir avec sans se faire prendre. Le reste était du ressort de Will.

Cette nuit-là, il s’agissait de voler l’argent du notaire. Garmesh ne justifiait jamais ses missions, se contentant d’indiquer une cible. Au début il s’était toujours agi de choses simples qui ne manqueraient à personne, presque un jeu en fait. Mais ils avaient fini de jouer depuis un an maintenant déjà, et les missions de Will devenaient de plus en plus sérieuses. Il était d’ailleurs certain que cette dernière importait beaucoup à Garmesh. Il lui avait donné un délai d’une semaine pour la mener à bien. Will ne doutait pas du lien entre sa sortie cette nuit et le marchandage qu’avait engagé son maître, quelques jours avant, dans le but d’acheter la maison voisine de l’orphelinat.

Peu lui importaient les raisons, à vrai dire. Il devait juste réussir pour rendre Garmesh heureux. Lorsque le maître était heureux, tout allait mieux à l’orphelinat. Lorsqu’il ne l’était pas… Une fois Will avait menacé de rompre le contrat si le gros voleur ne remplissait pas sa part. Garmesh n’avait pas aimé qu’il l’affronte ainsi. Il avait dit que c’était du chantage, et comme Will insistait, s’était fâché. Le garçon était resté calme, mais avait descendu une main vers la poignée de sa dague. Une lueur dangereuse avait brillé dans les yeux du maître, mais il avait cédé. Depuis ce jour-là, il n’y avait plus eu de punitions physiques autres que quelques fessées. À la place, le mécontentement de Garmesh se ressentait à travers ce qui arrivait ou non à table.

Le garçon ne doutait pas de sa réussite. Il avait employé bon nombre d’heures cette semaine-là, à observer les allées et venues dans la maison du notaire, de jour comme de nuit. Les grandes fenêtres de la luxueuse maison, ainsi que la proximité des toits des autres bâtiments, l’avaient beaucoup aidé dans son espionnage. Il avait ainsi pu déduire la localisation approximative de la cache du notaire, et établir son plan d’action. Il avait attendu le mauvais temps pour réduire les chances d’être vu depuis la rue, et couvrir d’éventuels bruits. Les inconvénients étaient que cela entravait ses mouvements dans la mesure où il devait redoubler d’attention pour ne pas glisser, et qu’il laisserait comme évidence une flaque d’eau dans l’étude du notaire. Et le froid aussi. Il était trempé, et la tunique noire, qui lui collait à la peau à cause de la pluie, ne faisait rien pour le protéger de la morsure du vent.

Il était presque arrivé à destination. Lorsqu’il aurait rempli sa mission, Garmesh l’accueillerait dans son bureau, et il pourrait s’y réchauffer avant d’aller se coucher. Cette pensée lui mit du baume au cœur, et il reprit son chemin sur les toits et sous la pluie un peu plus allègrement.

Quelques bâtiments plus loin, il s’arrêta de nouveau. Il y était. Devant lui se trouvait la maison du notaire, juste un peu moins haute que l’auberge au-dessus de laquelle il était accroupi.

Une petite ruelle les séparait, il devrait sauter. Il l’avait déjà fait plusieurs fois, de nuit. Mais pas sous la pluie. C’était la partie du plan qu’il aimait le moins, mais il n’avait pas voulu se défaire de tous les autres avantages pour ce seul risque. Et cette nuit, il ne reculerait pas.

Il prit son élan et sauta. Pendant un instant, il se trouva en l’air, autour de lui rien qu’obscurité et eau. Puis il retomba sur les tuiles. Ses pieds glissèrent, il essaya de s’accrocher au faîte avec ses mains, mais ne fit qu’en griffer le bois. Il avait eu le réflexe de relever la tête, mais il glissait rapidement vers le bord du toit, s’éraflant les genoux au passage.

Will eut un moment de panique, mais ses pieds trouvèrent la rigole et s’y plantèrent fermement. Il resta immobile le temps de calmer les battements effrénés de son cœur, puis remonta. Il devait descendre de l’autre côté, pour gagner le balcon de la chambre sa victime. Mais d’abord il devait s’occuper du chemin du retour.

Il avait d’abord envisagé d’accrocher sa corde à la cheminée, cela aurait assuré sa descente et lui aurait permis de regagner le toit ensuite. Mais il redoutait à présent de refaire le saut. Il l’accrocherait donc plutôt au balcon pour descendre dans la rue.

Il descendit donc jusqu’à l’autre extrémité du toit et vérifia qu’il était bien au-dessus du balcon. Le balcon n’était qu’une tache plus noire dans l’obscurité sous lui, mais il était bien là. Il appuya avec un pied sur la rigole de la façade pour vérifier que celle-ci tiendrait son poids, et satisfait, tourna le dos à la grand rue, avant de sauter en arrière, dans le vide. Ses doigts agrippèrent la rigole, et en un arc parfait, il atterrit sur le balcon, presque sans faire de bruit.

Il hésita un instant, puis se tourna du côté de la rue. Le risque que quelqu’un voie la corde pendre était minime, même si quelqu’un devait passer juste en dessous, il aurait probablement les yeux rivés au sol pour essayer d’éviter les flaques et protéger sa figure des lacérations de la pluie. Il défit le nœud de la corde qu’il avait enroulée autour de ses hanches et la noua solidement à un des barreaux en bois. Il préférait avoir une échappatoire rapide s’il devait prendre la fuite.

Un seul grand pas le séparait de la porte. Il se colla contre celle-ci, et se concentra jusqu’à isoler du constant bruit de la tourmente nocturne, les tranquilles et profondes respirations du notaire et de sa femme. Comme prévu, ils dormaient.

La porte était verrouillée, mais le loquet était plus là pour empêcher le vent de l’ouvrir que pour interdire l’accès à un voleur. Il ne lui résista pas longtemps, et après un déclic, la porte s’ouvrit. Will passa sans hésiter un moment, soutenant la porte pour éviter qu’elle grince, il la referma le plus vite possible.

À l’intérieur, l’obscurité était totale. La bougie sur la table de nuit s’était éteinte, comme chaque nuit depuis que Will observait la maison. Les bruits de respiration venaient de devant lui, à droite. Ils étaient toujours réguliers. Il ne les perturberait pas, il n’avait que deux pas et demi à faire en avant, ensuite tourner de nonante degrés à gauche, et faire encore trois pas avant de rencontrer la porte vers l’étude du notaire.

Celle-ci n’était même pas pourvue d’un verrou, et ses charnières étaient bien huilées. Will la passa et la referma sans un bruit. Il ne lui restait à présent plus qu’à trouver l’argent et le ramener à Garmesh. Un jeu d’enfant quelque peu compliqué par l’absence de lumière. Mais Will avait prévu le coup. Il sortit son briquet et son silex de sa poche. Le bruit du frottement serait aisément couvert par le battement rythmique de la pluie contre le toit et les fenêtres.

Il se tourna vers la droite pour mettre son corps entre ses mains et la fenêtre, puis battit le briquet. L’étincelle illumina à peine la pièce, mais cette fraction de seconde de faible lumière lui suffit pour vérifier qu’aucun meuble n’avait été changé de place depuis la dernière fois qu’il avait étudié la pièce depuis l’étage de l’auberge en face. Il contourna rapidement le bureau massif en prenant garde de ne pas heurter la chaise qui se trouvait devant, et s’accroupit derrière. Il allait de nouveau battre son briquet lorsque, tout à coup, il se figea. Quelque chose avait changé.

Il tendit l’oreille, alerte à tous les bruits. Dehors, la pluie continuait de s’abattre contre les parois et les tuiles. Et à l’intérieur, il arrivait à distinguer le même souffle profond… Il n’y en avait qu’un seul. Il se concentra entièrement sur les bruits dans la pièce adjacente. Quelqu’un prit une grande respiration. Il y eut un frottement de tissus. La porte donnant sur le balcon grinça.

Will sentit son cœur s’emballer. Il était sûr d’avoir refermé la porte pourtant !

Le son sourd de deux pieds se posant sur le sol, le maladroit tâtonnement de deux mains, touchant lit et armoires, le bruissement de pantoufles sur le bois craquant sous le poids, Will enregistrait tous les infimes bruits, et comprenait leur signification : il avait réveillé le notaire.

Le jeune voleur se glissa sous le bureau, attentif à ne rien heurter, se forçant à respirer calmement plutôt que de retenir sa respiration. Le sang battait à ses tempes et il avait l’impression que son cœur faisait autant de bruit qu’un tambour. Les secondes semblaient s’étirer à l’infini pendant que le notaire s’approchait, tout lentement, de lui.

Il n’avait pas encore entièrement émergé de sa torpeur : ses pas étaient hésitants, et Will pouvait l’entendre frotter ses yeux.

Will était sûr que s’il sortait de sa couverture maintenant, et se précipitait vers la sortie en bousculant l’homme, celui-ci ne comprendrait ce qu’il s’était passé que lorsque le garçon serait déjà en bas.

Mais ce serait échouer, et cette mission comptait vraiment. Alors il resta où il était, à écouter les pas de l’autre s’approcher inexorablement de la porte donnant sur l’étude.

Il dépassa le lit, la main droite tâtonnant toujours le mur. Trois pas encore avant d’arriver à la porte. Will bataillait pour maintenir sa respiration égale, et avait l’impression que son cœur essayait de sortir de sa poitrine. Deux pas. Will s’assura d’une main ferme que sa dague était encore bien dans son fourreau, à sa ceinture. Un pas. La main du notaire se referma sur le chambranle de la porte. Ses pieds suivirent. Will retint sa respiration malgré lui. Dans un instant, l’homme allait pousser la porte, et fouiller la pièce. Will ne pouvait déjà plus s’échapper, la pièce était trop exiguë. Les battements de son cœur allaient le trahir, il serait découvert.

Le notaire fit encore un pas. Il se trouvait maintenant devant la porte. Il s’arrêta un instant, à Will cela sembla une éternité. Puis il y eut le bruit sourd des doigts dodus rencontrant l’autre côté du chambranle, et les pas passèrent devant la porte.

Will exhala. Il ne soupira pas, mais tout à coup, tout son stress le déserta. Bien sûr. Il allait juste fermer la porte extérieure. C’était le froid qui l’avait réveillé, pas le bruit que lui avait fait.

La porte du balcon claqua. Un grognement monta du lit, suivi du bruissement de draps. La femme se retournait dans le lit.

Le notaire mit du temps à remettre le loquet, mais y arriva enfin. Il se redirigea alors vers le lit, d’un pas plus assuré. Le froid l’avait réveillé. En passant devant la porte de l’étude, il s’arrêta de nouveau, revint se placer devant, et poussa contre le battant de la porte avec sa main. Elle resta inerte. Satisfait, il contourna le lit, se déchaussa, et se glissa de nouveau sous les couvertures.

Au coup contre la porte, Will avait sursauté, et son cœur enfin calmé avait bondi et raté un battement. Il se força à attendre patiemment que le souffle du notaire se calque sur celui de sa femme, puis attendit encore un moment. Il n’avait d’autre moyen de mesurer le passage du temps que de compter. Garmesh lui avait appris à compter jusque vingt, mais il lui avait suffi d’entendre une fois le nom des autres dizaines pour arriver jusque cent. Les chiffres étaient logiques.

Il compta jusqu’à cinq cents, perdit le compte, et recommença. Lorsqu’il en fut de nouveau à quatre cents, il ressortit son briquet et son silex de sa poche. Ses vêtements n’avaient toujours pas séché et il grelottait. Rien de tel que l’immobilité pour laisser le froid s’insinuer. Mais il n’osa faire plus que s’étirer, une fois sorti de sous le bureau.

La première étincelle lui rappela la place de la chaise et la distance jusqu’à l’étagère. À un pas de celle-ci, il battit de nouveau son briquet contre le silex. Rien que des livres. Il s’accroupit et recommença. Une ombre attira son attention : il y avait quelque chose sous la dernière planche de livres. Il se mit à plat ventre, et attira à lui le coffret en le soulevant légèrement.

Il voulut l’ouvrir, mais le couvercle ne bougea pas. Il le tâta à la recherche d’un mécanisme, mais ses doigts rencontrèrent rapidement le métal froid d’une serrure.

Il laissa ensuite ses mains explorer le dessous de l’étagère à la recherche de la clef, vérifia le bord des planches, mais ne trouva rien. Il porta donc le réceptacle à son oreille gauche et le secoua légèrement. Le tintement de métal acheva de le convaincre de la valeur de sa trouvaille, et il décida qu’il pouvait bien tout emmener. Il aurait tout son temps et de meilleurs outils dans « l’atelier » de Garmesh.

Mais au cas où sa première trouvaille serait un leurre, il vérifia quand même l’étagère perpendiculaire au bureau, mais la poussière qui recouvrait le sol en dessous le convainquit rapidement qu’il ne trouverait rien là. Ne restaient donc plus que les tiroirs du meuble massif lui-même. Mais comme il s’y attendait, ceux-ci étaient également fermés à clef.

Will se résolut à partir sans les ouvrir ; il n’y aurait probablement que des actes de propriété dans un bureau de notaire de toute façon. Il avait déjà assez traîné. Si Garmesh lui avait enseigné la patience comme une des premières vertus d’un voleur, celui-ci avait tendance à en manquer.

Will vérifia une nouvelle fois la respiration des occupants de la chambre, puis, convaincu qu’ils dormaient d’un sommeil profond, il se dirigea vers la porte, l’ouvrit, la passa et la referma en un seul mouvement fluide. En deux enjambées il se trouva devant la porte du balcon. Ses doigts agiles retirèrent le loquet sans un bruit, et l’instant d’après, il se laissait glisser le long de la corde attachée à la balustrade.

Il grimaça en atterrissant dans une flaque, mais ne s’attarda pas sur le désagrément ; il traversa la rue pour se jeter dans une petite ruelle et gagner l’orphelinat par sa porte de derrière. Il pouvait déjà sentir la chaleur du feu de bois.

Le jeune voleur se mit à courir sous la trombe d’eau, oublieux des flaques de boue et du vent cinglant. Il venait de réaliser son premier vol important.

***

Will se sentait bien. Exténué, mais bien. La chaleur du feu de bois l’entourait dans la pièce bien isolée. Garmesh l’avait accueilli avec empressement, le laissant s’asseoir sur la chaise alors qu’il était trempé. Il ne l’avait pas grondé pour le temps qu’il avait pris, la vue du coffret avait suffi à lui donner un grand sourire. Will avait rarement vu son mentor aussi content.

– Tu as vérifié si c’est le bon ?

Will hocha la tête. Mais la question semblait plus être pour la forme. Garmesh était déjà convaincu du succès.

– Donne-le-moi. Tu peux te reposer dans le fauteuil pendant que je m’occupe de l’ouvrir.

Will hésita une fraction de seconde, méfiant, avant de tendre son butin à son maître.

– J’aimerais en voir le contenu.

Il ne laisserait pas l’adulte abuser de sa fatigue pour diminuer sa part.

– Tu as fait du bon travail. Va te reposer maintenant. Ne t’en fais pas, tu auras bien plus des dix pour cent qui te reviennent.

Will en doutait, mais il ne voulait pas gâcher la bonne humeur de Garmesh en le lui disant. Il enleva donc ses vêtements trempés, pour les laisser en un tas devant l’âtre, et tourna le fauteuil vers le feu avant de s’installer dedans.

Garmesh était sorti de la pièce pendant que le garçon se déshabillait. Qu’il se réchauffe bien, ce petit était vraiment une mine d’or. Il ne faudrait pas qu’il attrape froid. Il ne pourrait probablement pas l’utiliser très longtemps vu sa méfiance et sa perspicacité. Mais rien que ce coup valait déjà tout le temps qu’il avait investi en lui. Et bien plus…

Il n’eut pas de mal à forcer la serrure, et renversa ce qu’elle protégeait sur la table de l’atelier. Les pièces d’or tintèrent, s’entrechoquant en un délicieux bruit métallique. C’était la meilleure chose qu’il ait entendue depuis longtemps. Ce ne devaient pas être toutes les économies du notaire, une bonne partie de celles-ci étaient d’ailleurs sous forme immobilière, mais c’était certainement une assez grosse perte pour le décider à céder la maison attenante à l’orphelinat. Savoir son adversaire au bord de la ruine était un bon atout pour des négociations. Garmesh ne doutait pas que le notaire commencerait par essayer de vendre bien plus cher, mais vu son besoin d’argent, il ne saurait refuser la contre-offre qu’il lui ferait, aussi basse soit-elle.

Un sourire mauvais s’étira sur les lèvres de Garmesh. Dans quelques jours, sa puissance économique dépasserait celle du notaire, et avec son nouvel atout, il doutait que le maire lui reste longtemps supérieur.

Lorsqu’il revint dans son bureau, le garçon dormait. Il eut un regard attendri en le voyant comme ça dans le fauteuil. Il ajouta une bûche au feu, suivie du coffret. Il le fit discrètement, bien qu’il doutât que même un incendie réussisse à réveiller le petit en ce moment. Demain il lui demanderait un rapport complet, pour le moment, il devait se reposer. Il laissa une généreuse portion des pièces d’or sur le bureau. Will les trouverait à son réveil et lui en serait sûrement reconnaissant. Il tourna ensuite les talons pour gagner sa chambre.

 

Kat se réveilla aussi seule qu’elle s’était couchée. Elle s’assit en tailleur sur le lit et regarda autour d’elle. Rien dans la petite chambre n’avait bougé de place depuis hier soir. Pourtant la pièce lui semblait différente. Froide, aux ombres menaçantes. Et surtout, plus vide que jamais. Peu ornée, la porte de l’unique armoire entr’ouverte, tout comme les tiroirs de la commode à côté du lit. Comme s’il venait de partir.

Il lui manquait. Depuis qu’il était devenu l’apprenti de Garmesh, Will n’avait plus eu beaucoup de temps libre à passer avec elle. Le gros voleur avait voulu les séparer, elle était certaine que c’était pour cela qu’il avait donné cette chambre à Will. Mais celui-ci avait insisté pour qu’elle la partage avec lui. Elle sourit à ce souvenir. Il ne l’avait pas laissée tomber alors, et il ne la laisserait pas tomber aujourd’hui. Jamais.

Et pourtant. Il était de moins en moins présent, alors qu’elle avait plus que jamais besoin de lui.

Ils étaient devenus tellement proches que ne pas l’avoir près d’elle était bizarre. Cela créait en elle un vide, comme s’il lui manquait une partie d’elle-même. Elle avait peur. Peur qu’il l’abandonne. Peur que le vide en elle ne soit jamais comblé, qu’elle doive pour toujours vivre avec cette déchirure. Rester vulnérable et incomplète.

Mais elle s’en rendait bien compte maintenant, ce n’était pas la même chose pour lui. Il ne serait pas aussi enthousiaste à l’idée d’apprendre sinon, il profiterait de chaque instant libre pour la rejoindre. Il ne s’endormirait pas dans le bureau de Garmesh, mais monterait se coucher avec elle.

Elle ne savait pas si c’était leur lien qui était devenu plus fort ou si c’était elle. Peut-être était-ce simplement un développement causé par l’éloignement, mais maintenant, elle n’avait plus besoin de contact pour établir le lien avec Will. Elle savait donc exactement où il était.

C’était rassurant de le savoir en sécurité, de pouvoir garder un œil sur lui, mais aussi frustrant : elle ressentait ses émotions, mais ne pouvait pas partager les siennes.

Comme leur relation, le lien à distance semblait à voie unique, et ne diminuait en rien sa solitude.

Ce n’était pas juste. Qu’il soit si content, qu’elle souffre tant. Qu’elle soit seule. Or elle le savait bien, le monde n’était pas juste. Rester au lit à se morfondre ne lui apporterait rien. La tristesse et la douleur ne menaient à rien. Il fallait qu’elle se reprenne, qu’elle soit forte. Si elle avait été forte, rien de tout ça ne serait arrivé. Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. Et à Will. Il lui avait promis qu’il serait là pour elle, qu’il la protégerait. Il avait menti.

En descendant les escaliers, Kat se demanda si elle irait réveiller Will ou déjeunerait seule. Son sommeil était tellement agréable, son calme si reposant. Il lui donnait envie de se pelotonner contre lui et l’y rejoindre.

Mais elle ne pouvait pas. Personne n’avait le droit d’entrer dans les quartiers privés de Garmesh sans sa permission. Personne sauf Will. Will y passait plus de la moitié de la journée, et y entrait à sa guise. Will ne trouvait déjà plus Garmesh une mauvaise personne. C’est vrai qu’il le traitait bien. La situation de tous les orphelins s’était améliorée d’une certaine manière, c’était bien vrai. Mais Garmesh n’avait pas changé. Il se foutait bien du sort des enfants. Et Will ne le voyait pas. Will commençait à lui faire confiance.

Elle réprima un cri de rage en arrivant en bas des escaliers, puis, toujours fulminante, entra dans la salle à manger.

***

Will se réveilla, la rage au cœur. Un voile rouge devant les yeux, il se jeta du fauteuil et dégaina sa dague.

Lorsqu’il vit qu’il n’y avait personne autour de lui, il se calma et rengaina son arme. Il resta immobile un instant, essayant de saisir l’émotion qui l’avait étreint, mais, aussi puissante qu’elle eût été, elle s’était dissipée. Il regarda autour de lui, à la recherche de Kat. Il n’y avait qu’elle pour influer sur ses émotions aussi directement. Il ne la vit pas, mais ses yeux tombèrent sur les trois piles de pièces soigneusement disposées sur le bureau. Toutes d’or. Garmesh avait été généreux, c’était bien un tiers du butin qu’il lui avait laissé.

Will sourit, c’était bien la preuve que le maître estimait son travail et commençait à le considérer comme un associé plutôt qu’un apprenti. Le souvenir de ses félicitations acheva de gommer sa colère, et il s’habilla, empochant l’or avant de sortir de la pièce. Il faudrait aller le cacher avec le reste, Kat serait contente du montant du butin.

Il décida de la chercher en bas d’abord, et eut raison : elle se trouvait à table, arrachant furieusement des bouchées d’une miche de pain comme si celle-ci l’avait lésé personnellement.

Will sourit en la voyant si énergique, s’empara d’une miche et la rejoignit, de bonne humeur. Il s’assit à côté d’elle et la salua. Elle ne le remarqua pas ou choisit de l’ignorer. Il lui fit une tape sur l’épaule, mais à son contact, il recula sous la vague d’émotion noire qui l’assaillit.

Kat se tourna vers lui, toujours sans rien dire, et il se reprit.

– Pourquoi t’es si fâchée ?

Il lui prit la main et laissa sa surprise et sa bonne humeur batailler contre le ressentiment de son amie. Mais celui-ci était bien solide et ne cédait en rien. Will dut retirer sa main avant d’être envahi par la colère lui aussi.

– Parce que tu ne comprends même pas pourquoi ?

Ses sourcils s’étaient froncés et sa voix était dangereusement calme.

– Viens, allons dehors pour que tu m’expliques.

Will se leva, tendant la main à Kat, un grand sourire étirant ses lèvres.

– En plus on a des choses à faire.

La malice pétilla dans ses yeux, et Kat ne put empêcher un sourire de fleurir timidement sur ses lèvres. Elle prit sa main et laissa sa bonne humeur l’apaiser. Mais sa colère ne se dissipa pas, elle ne fit que la repousser. Il faudrait quand même qu’ils aient une discussion sérieuse. Will ne pourrait pas toujours tout esquiver avec un sourire, même avec ses fossettes et ses yeux pétillants.

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Yourisliva
Posté le 21/05/2020
J'ai remarqué quelques coquilles, notamment de conjugaison en ce qui concerne le subjonctif. Autre faute : "ainsi que la proximité des toits des autres bâtiments, l’avaient beaucoup aidées" -> aidées -> aidé.
" Il pouvait déjà sentir chaleur du feu de bois." -> "Il pouvait déjà sentir LA chaleur du feu de bois."
Il y avait aussi quelques répétitions d'un même mot qui se trouve dans un paragraphe qui se suit, mais je ne pense pas que ça soit si gênant que ça, juste pour les perfectionnistes.
La montée d'angoisse de Will s'est faite crescendo, j'ai bien ressenti la tension que lui a procuré ce vol. J'ai envie d'en savoir un peu plus sur ce fameux lien entre Will et Kat : est-ce de la magie ou autre chose ? (Ou peut-être qu'ils sont des cousins caché -> ceci était une hypothèse erronée lol).
Mart
Posté le 21/05/2020
Aaargh ! J'ai oublié de mettre à jour le chapitre après l'avoir corrigé dans mon traitement de texte... Merci de me l'avoir signalé !
Je vais voir pour les répétitions également. Je suis assez exigeant envers moi-même avec ce texte ^^'.
Je suis content que la scène avec Will t'ait plu, je me souviens l'avoir écrit dehors sous un Soleil de plomb en Espagne... Le contraste était fort haha.
Est-ce que tu veux vraiment que je réponde à ta question ou bien espères-tu en découvrir plus là-dessus dans le récit ?
Je pense que j'ai donné des éléments sur "les pouvoirs", que tu pourrais en effet voir comme de la magie, dans les chapitres avec Éliane, non ?
Renarde
Posté le 11/08/2019
Hello Mart,
Je lis le tout rapidement avant d'y revenir, c'est pourquoi je ne laisse pas de commentaires (lecture rapide). Sauf ici. Tu as une partie du chapitre précédent inséré dans celui-ci. J'imagine que tu as remanié tes chapitres.
Mart
Posté le 11/08/2019
Coucou Renarde!
J'ai changé parfois changé le découpage... Merci de me signaler cet oubli, je vais corriger ça! 
Elia
Posté le 10/12/2017
Tu vas dire que je suis méga rapide à lire, mais bon, ce n'est pas grave hahhaha
Je voulais te dire que j'ai beaucoup apprécié ce chapitre. Tu as su faire monter la tension, me faire stresser pour Will tout en posant bien ton décor. Pour le moment j'ai du mal à voir le lien entre Will le voleur et Yvan et Brinda, mais la suite le montrera je présume.
Question : pour l'apprentissage du Will, tu as fait des recherches documentaires ? Je suis curieuse :p
Le seul chipotage que je peux te faire c'est parfois des tournures de phrase un peu surprenantes (mais sont ce des fautes ou une sensibilité différente à ton style ?), Quelques petites coquilles. Autrement et bien... Je ne trouve rien à redire ! 
Je me penche sur ton prochain chapitre dès que je peux :) 
Mart
Posté le 10/12/2017
Salut Elia!
Tu es en effet bien plus rapide à lire que moi à répondre à des commentaires ou écrire... 
Pour le moment je ne fais que poser mon monde, et s'il n'y aura jamais de véritable lien entre Will et mes deux nobliaux, chacun a son importance.
Je n'ai pas fait de recherches documentaires, juste beaucoup lu. Parmi les oeuvres qui inspirent Will, je peux citer "L'assassin Royal" de Robin Hobb, un auteur de fantasy russe dont je ne me rappelle pas le nom et le personnage de Jimmy les mains vives de Raymond E. Feist (et probablement encore d'autres...).
Je vais essayer de me remettre à l'écriture pour te fournir la suite. J'ai les idées bien en tête, mais il faut encore les coucher sur papier et j'hésite encore sur certains détails.
Merci beaucoup pour ton enthousiasme et ton assiduité, ça me fait vraiment plaisir!
À bientôt,
Mart 
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