Amour et haine

Par Dédé

 

 

— Votre mari vous a écrit une lettre ?

— Je ne sais pas si c'est vraiment mon mari...

— Ah oui ! C'est vrai.

— Mais je lui avais interdit de me reparler...

— Lui avez-vous interdit de vous écrire ?

— Non, pas vraiment... Mais cela allait de soi.

— A croire que non puisqu'il y a la lettre.

— Mais cet homme est très têtu. Je ne pense pas que j'ai quoique ce soit à me reprocher là-dedans...

— Comment ça ?

— Ce n'est pas comme si je lui avais envoyé des signaux contradictoires...

— Vous êtes sure ?

— Affirmative, madame la psy !

— D'accord, si vous le dites.

— Vous ne me croyez pas ?

— Je ne connais pas ce prétendu mari, je ne peux rien dire.

— Ah...

— Eh oui !

— Et vous me croyez capable d'envoyer des signaux contradictoires à un homme que je ne connais même pas ?

— Étant donné qu'il y a une chance sur deux pour que ce soit votre mari, vous avez des chances de le connaître. Mais le plus important, c'est que ces signaux contradictoires peuvent être envoyés inconsciemment. Vous savez, il est parfois difficile de démêler l'amour de la haine.

— Mais je ne l'aime pas et je ne le déteste pas non plus : il m'indiffère, c'est tout ! Et si je dois faire attention à mon inconscient alors que je ne sais pas du tout ce que me dicte mon conscient, je ne suis pas sortie de l'auberge...

— Un petit exercice sur les émotions, ça vous dit ?

— De quoi s'agirait-il ?

— Je vous dis un nom ou un objet et vous me dites la première émotion qui vous vient à l'esprit. Simple, non ?

— Ça en a tout l'air.

— Si je vous dis «pistache» ?

— Eh bien quoi, pistache ?

— Quelle émotion ça vous inspire ?

— De l'indifférence totale pour le peu que j'arrive à bien me souvenir à quoi ça ressemble.

— Une pistache, tout de même ! Tout le monde sait ce que c'est, voyons.

— Mais je ne suis pas tout le monde, je suis amnésique, je vous rappelle...

— Elle a bon dos, l'amnésie !

— Pardon ?

— Non, rien... Et si je vous dis «marteau» ?

— Haine. Haine, sans hésiter...

— Vous sauriez me dire pourquoi ?

— Je n'aime pas entendre prononcer ce mot... Ça me rend folle.

— Ça vous rend marteau ?

— Non, folle. Le marteau me rend folle !

— Inutile de vous énerver contre moi...

— Je m'énerve contre les marteaux, madame la psy.

— Je ne vais même pas vous demander quelle est la raison de cette haine féroce, on en aurait pour plusieurs heures... Passons.

— Passons ?

— «Cerise» ?

— Aucune idée.

— Si vous ne mettez pas du vôtre, aussi.

— Comment ça ?

— Votre mémoire ne va pas revenir toute seule, vous savez. Je veux bien vous donner différentes manières de stimuler votre mémoire mais si vous ne jouez pas le jeu, le Saint-Esprit ne va pas vous rendre vos souvenirs dans un caddie de supermarché.

— On peut trouver des souvenirs dans un caddie ?

— Absolument pas. Le caddie était métaphorique.

— Oh ! Que je déteste les métaphores...

— Pour quelle raison ?

— Je ne les comprends jamais.

— C'est bête...

— Madame la psy, si je puis me permettre, je vous trouve très... enfin... pas cordiale du tout aujourd'hui.

— En plus de vous écouter, il faudrait que je vous amène du thé, des gâteaux et de quoi faire un tricot ?

— Je n'en demande pas autant mais vous me criez dessus, vous me reprochez sans cesse ma condition d'amnésique et vous êtes très froide. Quelque chose dans votre intonation me dérange...

— Je dois sourire combien de fois à la minute pour vous satisfaire ?

— Sourire, ça me rend heureuse, vous savez.

— Vous insinuez donc que je devrai sourire plus souvent ? Qui est la psy ici ? «Couteau de cuisine» ?

— «Couteau de cuisine» ?

— Objet. Émotion. Vous vous souvenez ?

— Ah oui...

— Alors ?

— Peur... Peur, très peur...

— Que je vous comprends ! «Vodka» ?

— C'est quoi ? Le nom de votre chien ?

— Du tout... Une boisson alcoolisée.

— Dégoût !

— Vous me dites une émotion alors que vous ne saviez pas ce qu'était une vodka ?

— Je n'aime pas le mot, et encore moins l'alcool.

— Vous vous souvenez en avoir consommé ?

— Non, mais l'odeur m'insupporte...

— L'odeur, vous dites ?

— Oui.

— Intéressant, il serait intéressant de travailler sur l'évocation des odeurs, à l'avenir...

— Ça veut dire que l'exercice des émotions a été un échec ?

— Vous vous souvenez de quelque chose ?

— Non.

— L'exercice des émotions n'a alors servi à rien.

— Et vous me dites ça tout naturellement...

— Est-ce un reproche ? Non parce que je peux me mettre à pleurer, me rouler par terre de désespoir et hurler de chagrin si ça peut vous remonter le moral...

— Vous feriez ça ?

— Ironie, très chère. Ironie...

— L'ironie, c'est comme les métaphores... je ne perçois rien.

— Vous ne percevez rien. Vous ne savez rien. Votre cerveau n'est qu'une coquille vide remplie d'une énorme bulle d'air. Votre cas est désespérant. Et ceci n'est ni métaphorique ni ironique.

— Certes, mais c'est méchant, madame la psy. Quelle mouche vous a piqué pour que vous vous comportiez de la sorte ?

— Vous ne voulez pas savoir, croyez-moi...

— Il y a donc une raison ?

— Je n'en dirais pas plus.

— Une raison qui n'a rien à voir avec moi ?

— Évidemment ! Vous n'êtes pas le centre du monde, non plus. Mais je n'en dirais pas plus...

— Dites-moi !

— Non.

— Vous voulez vous confier, je le sens.

— Du tout.

— Parlez-moi !

— Je préfère éviter.

— Vous vous sentirez bien mieux après.

— Foutaises !

— C'est pourtant ce que vous m'aviez dit lors de notre première séance.

— Fumisteries !

— Videz votre sac !

— Pour quelqu'un qui n'aime pas les métaphores, vous n'avez pas peur que je vous vide mon sac sur la tête ? Avec de la chance, j'ai un couteau qui traîne...

— Parlez, enfin !

— Bon, à une condition...

— Laquelle ?

— Je ne veux plus vous voir durant un mois entier.

— Tout ce temps ?

— C'est si peu...

— Si ça peut vous aider à aller mieux, j'accepte.

— Vous acceptez ?

— J'accepte !

— Soit.

— Vous pouvez tout me confier maintenant.

— Vous êtes certaine ?

— Affirmative, madame la psy.

— Bon, d'accord... Mon mari a tué ma plante verte avant de me quitter pour élever des chèvres en Birmanie et mon chat a été tellement traumatisé qu'il a manqué de s'étouffer avec l'une de ses moustaches. Je vous préviens, si vous riez de mes malheurs, je quadruple mes honoraires !

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