Amitiés chamboulées

Par Bleiz
Notes de l’auteur : Bonjour à tous ! Voici un nouveau chapitre, qui correspond en fait à la première partie d'un long chapitre que j'ai dû couper en deux. Je posterai la seconde moitié rapidement, juste le temps de trouver un titre à ce nouveau chapitre. Comme toujours, n'hésitez pas à me faire part de vos impressions et de vos théories !

22 Novembre

« Tiens donc, une apparition ! J’espère que tu ne vas pas prendre tes jambes à ton cou avant d’avoir pris ton petit-déjeuner ? » m’accueillit ma mère alors que j’entrais dans la cuisine.

Il n’y a pas à dire : j’ai hérité mes punchlines et ma mauvaise humeur de ma mère. Cette verve qu’elle a, alors qu’il est à peine sept heures passées ! Je rêve d’une telle énergie à son âge. 
De leur côté, mon frère et mon père faisaient profil bas, trop occupés à beurrer leurs tartines ou à lire le journal. Les pauvres, c’est vrai que quand il y a altercation entre elle et moi, il n’est pas rare qu’il y ait quelques dommages collatéraux. Mais pas ce matin ! En effet, je me sens bien trop fatiguée et mentalement épuisée pour riposter. De plus, il semblerait qu’elle n’ait pas l’intention de m’interroger sur ma destination d’hier soir (Alzheimer, déjà ?). Je lui rendis donc une grimace de sourire et attrapais la bouteille de jus de pomme en silence. Visiblement satisfaite de ma docilité, ma mère enchaina sur une complainte quant à ses patients, pire, ses collègues de travail. D’ordinaire, seul mon père reste pour l’écouter mais ce matin, lui-même a esquivé son monologue pour aller travailler. 
C’est vrai que maintenant que j’y pense, je ne l’ai pas beaucoup vu ces derniers temps. Il passe ses journées enfermé dans son bureau. Il me fait penser à Charlotte, sauf que ses documents à lui ne sont pas numérisés. Je me rappelle d’une fois, j’étais petite encore, où j’ai eu le cran d’aller fouiller son bureau. Résultat : j’ai manqué de me faire assommer par une pile de dossiers qui se tenait dans un équilibre plus que précaire sur le bord de sa table de travail. Et j’ai récolté la plus belle engueulade de toute ma vie, la seule fois où mon père a haussé la voix sur moi. Je me demande ce qui l’occupe tant.

Toujours est-il que moi aussi, j’ai des problèmes. Comme vous le savez, je suis punie, confinée chez moi ! Adieu le grand air, la vie, les fleurs, les gens... Je pourrais en profiter pour faire un break avec mon travail de Pythie mais d’après mon manager, ce n’est pas professionnel. Du coup, elle vient à la maison. Je suis contente qu’elle vienne, ça prouve qu’elle prend sa mission à cœur et que notre entreprise va prospérer, mais c’est juste que... comment dire. J’ai grave la flemme ! Je me suis faite menacée par un gamin dans un cimetière, c’est traumatisant ! J’ai besoin de repos, n’importe quel psy ou docteur lambda pourrait vous le dire... Nooooon, allons-y, faisons travailler la devineresse, extrayons-en le jus prophétique jusqu’à ce qu’elle s’effrite sur le sol comme un vieux citron poussiéreux. Je suis à deux doigts d’appeler les services de protection de l’enfance, je vous assure ! Ou mieux encore, l’Église ! En baratinant que mes visions me viennent de la religion, j’arriverais peut-être à avoir un poste au Vatican ? Aaaah, dormir sous le ciel étoilé d’Italie, après un bon repas de spaghettis... Je divague, je sais. Je cherche à éviter de me souvenir de ce qui s’est passé ensuite.

Charlotte est arrivée peu avant le déjeuner. Installées sur mon lit, je tentais de me concentrer sur ses explications des différents avantages financiers des prochains contrats qui m’étaient proposés. Je dois dire que je n’étais pas particulièrement passionnée et que les pendants d’oreilles bleu transparents de Charlotte m’intéressaient plus que son exposé. Elle m’assena un coup de classeur sur le crâne :

« Tu pourrais au moins faire semblant d’écouter ce que je te dis !

-Voyons, bien sûr que je t’écoute... Tu parlais du lien de suffocation élastique...

-Lien de subordination juridique. Fais un effort, c’est quand même toi la première concernée.

-Mmm... »

Elle m’observa un instant et dit :

« Tout va bien ? »

Ça lecteurs, c’est du manager de première classe. Qui a besoin d’amis ou de famille quand votre associé remarque que vous n’avez pas le moral ? Je m’apprêtais à lui dire que la routine de prophétesse commençait à me peser quand elle s’exclama :

« C’est à cause des commentaires ? Je le savais, j’aurais dû les supprimer.

-Les commentaires... » murmurais-je, toute envie de me confier s’envolant, « oui, en effet... »

Elle jeta les papiers qu’elle tenait sur le sol et me prit par les épaules :

« Ne les écoute pas. Nous, on sait que t’es une vraie devineresse. Faut les comprendre : ils ont pas l’habitude ! Et j’avoue, moi-même j’étais surprise de voir comment ça marchait.

-Mmm, oui, d’accord, qu’est-ce que tu veux dire, Marchand ?

-Ben, c’est vrai, les prophéties sur demande, ça surprend. Mais si ça fonctionne comme ça, on va pas s’en plaindre. Alors t’en fais pas pour ça, OK ? »

Je hochais la tête armée du sourire le plus artificiel que j’ai jamais porté. Je le savais, bon sang de bois ! À force de marchander mon talent, les gens ne me trouvaient plus assez mystique ! Je n’avais pas eu vent des fameux commentaires dont Charlotte me parlait avant aujourd’hui. Cependant, pas besoin de réfléchir longtemps pour imaginer leur contenu.
Et comme si le coup de marteau que je venais de me prendre en pleine tronche n’était pas suffisant, mon portable se mit à vibrer. Je le retournais rapidement, mais pas assez pour les yeux fouineurs de mon manager :

« Qui c’est Tristan ? Un gars du collège ? »

Oh misère de misère. Appeler le Vatican n’avait jamais semblé une aussi bonne idée, seulement cette fois, j’aurais voulu pouvoir passer commande d’un miracle. Je déglutis aussi discrètement que possible et m’expliquai :

« Non, en fait c’est un... étudiant. Il a notre âge mais c’est un crack des langues, hyper bon en littérature...

-Ah ? Et qu’est-ce qu’il te veut ?

-Il s’intéresse à mon cas. Dans le cadre d’un projet de recherches sur... » Allez Ingrid, dit n’importe quoi, faut juste que ça ait l’air crédible ! « ...les contes et légendes, la mythologie, etc... Et ma position en tant que voyante et Pythie l’intéresse particulièrement. »

Et l’Oscar de la plus grosse mytho est attribuée à... Ingrid Karlsen ! Vous vous cherchez des talents de comédien ? Ne cherchez plus ! Oubliez le Cours Florent et les conservatoires, prenez rendez-vous avec Ingrid Karlsen ! Charlotte hocha la tête, une moue appréciative aux lèvres.

« Pas mal ! Tu vas avoir des articles académiques écrits sur toi et ton pouvoir, si ça se trouve. C’est ce que tu voulais, non ? » Elle me donna un coup de coude joueur. « Tu vas faire partie des livres d’Histoire dans une dizaine d’années. J’en mettrais ma main au feu ! »

Je me joignis à son rire. J’étais d’accord avec elle, il y avait à présent de bonnes chances pour que mon nom soit connu dans les décennies à venir. Hélas, avec la menace que représentait Tristan, Dieu seul savait comment on allait se rappeler de moi ! Je n’eus pas l’occasion d’agoniser sur mon sort longtemps ; Charlotte était déjà debout, dossier à la main.

« Hé ! Qu’est-ce que tu fais, Marchand ? Tu ne pars pas déjà ?

-Si. Figure-toi que tu n’es pas la seule à bosser. J’ai des coups de fil à passer, des clauses à retravailler, des...

-Mais, et moi, dans tout ça ? » m’indignais-je. « Tu ne peux pas m’abandonner comme ça, alors que tu sais que je suis privée de sortie ! Même pour toi, c’est trop cruel !

-Sorry, Karlsen, mais ta mère m’a corrompue. Elle m’a promis une fausse dispense de sport si je limitais mes visites à trente minutes jusqu’à la fin de ta punition. N’empêche, je reconnais qu’avoir une mère médecin, ça a ses avantages.

-Dommage qu’elle utilise son pouvoir pour torturer sa fille. Même quand j’étais encore au collège, elle ne me faisait jamais de dispense, » grommelais-je en me levant à mon tour. Je lui attrapais la main dans une dernière tentative : « De toute façon, tu ne peux pas t’en aller maintenant. Nous n’avons pas choisi mon prochain contrat ! »

Elle se dégagea de mon emprise pour se dresser face à moi, un sourcil dubitatif levé.

« OK. Dis-moi celui qui t’intéresse le plus.

-Eh bien...

-Tu n’en as aucune idée, parce que tu t’en fiches de savoir ce que tu vas faire. T’en fais pas, je vais t’en trouver un sympa. »

Je la poursuivis jusqu’en bas des escaliers.

« M’enfin, Marchand !

-Tu devrais réfléchir à comment utiliser ton pouvoir autrement. Je comprends que ça te saoule, les boulots à la chaine, mais sans alternative, compte pas sur moi pour te donner des vacances ! »

La porte claqua derrière elle. Je me retrouvais à nouveau seule, désespérée, coincée entre un corbeau littéraire, une mère-dragon et un agent cynique et sadique. Qu’était devenue ma vie ?! Je me trainais jusqu’à ma chambre en prenant soin de marmonner suffisamment fort pour que ma mère, candy-crushant sur son téléphone dans le salon, entende ma douleur sans en comprendre un mot. Je claquais également la porte pour faire bonne mesure. Pas de réponse à ma rage, pas de cri... Décevant. 

Mon lit, voilà mon seul véritable ami ! Je me jetais dans ses bras d’édredons avec un soupir. Il n’y a pas mieux qu’un grand matelas avec une vingtaine d’oreillers. Sauf, peut-être, un moyen de me tirer de mon ennui. Urgh ! J’avais l’impression que là-haut, caché entre deux nuages, Dieu se payait ma tête. Le karma, comme certains disent. Tu ne peux pas désirer quelque chose que tu ne connais pas, gnagnagna. Mais tout allait bien ! Je ne me plaignais pas une seule seconde, pas du tout. J’étais très satisfaite de mon sort. 
Mais si seulement je trouvais quelque chose d’excitant, d’inimaginable, d’énorme ! pour me sortir de mon train-train quotidien durement acquis, alors là, je serais satisfaite. 

Vers qui pouvais-je me tourner, dans ses temps durs ? Ça me fait un peu mal de l’admettre, mais hormis Charlotte et ma famille, je n’avais pas beaucoup d’amis proches. Que voulez-vous, je suis très sélective. Je ne veux que le meilleur dans ma vie et ça inclut les gens. Bref, je ne pouvais pas parler de mes tracas à mes parents ou à Charlotte. Certainement pas à mon frère, l’imbécile, ça lui ferait trop plaisir que j’ai des ennuis. À qui pouvais-je bien me confier alors ? Comme pour me souffler la réponse, mon téléphone vibra. 

« Pythie, c’est Tristan. N’essaie même pas de bloquer mon numéro. Il faut que nous parlions. »

Je lui répondis à toute hâte :

« Pour une fois, je suis d’accord ! C’est urgent.

-Qu’est-ce que tu as fait, cette fois ?

-Rien ! Je m’ennuie, c’est tout.

-Je te demande pardon ?

-Tes menaces, ton petit air supérieur, tout ça m’a mise de très mauvaise humeur. Sauf que je ne peux pas parler de notre altercation à qui que ce soit, à cause de ta découverte. Personne ne doit savoir. Mais toi, tu sais déjà ! Donc j’ai décidé que j’allais me plaindre de toi, à toi.

-Tu peux toujours confesser ton mensonge, sinon. Ce serait une bonne idée.

-Je maintiens mon premier choix. »

Donc, en résumé, c’est ainsi que j’ai passé les deux heures qui suivirent à discuter avec mon pire ennemi. Folie, me direz-vous, chers lecteurs, et vous avez raison. Mais qu’y puis-je ? Ce n’est pas comme si être raisonnable était dans mes habitudes.

D’ailleurs, ce temps passé à discuter avec lui ne fut ni déplaisant, ni inutile. À ma grande surprise, notre littéraire pouvait se montrer très à l’écoute. Il n’a pas bronché une seule fois tandis que je me plaignais- je veux dire, que je lui racontais ma journée. Cependant, ce n’est pas la seule chose étonnante : il se peut... et notez bien qu’il ne s’agit que d’une hypothèse... que Tristan ne soit pas l’abominable monstre sans scrupules que j’imaginais. 
Attention, je suis toujours persuadée que c’est un gamin stupide, un rat de bibliothèque avec un sérieux syndrome du sauveur. Il se peut cependant qu’il ne soit pas maléfique. Comment en suis-je arrivée à cette conclusion ? D’abord, la façon dont il m’a expliqué sa passion pour les livres. Là où je vois un objet qui va me distraire pendant quelques jours ou m’apporter des fragments de connaissance, lui visualise un monde. Un univers qui n’a rien à voir avec celui dans lequel nous sommes, où chaque mot danse avec le suivant et où les phrases sont des bateaux remplis de lecteurs assoiffés d’aventure et pleins de rêves. Sa description m’a frappé et je crois avoir aussi mal jugé ses capacités d’écrivain. Je l’ai vu, cet univers alternatif aux couleurs frappantes et sublimes, qui mordait le cœur des gens et l’attirait jusqu’à ses tréfonds pour ne les relâcher qu’au point final. C’est comme si, en ouvrant la bouche, il en sortait des images. 

Voilà, c’est ça qui m’a frappé. Il a du talent. 

Ensuite, c’est sa certitude qui m’a surprise. Vous lisez mon journal depuis un petit bout de temps et vous vous êtes certainement faits une idée de moi. Si je vous demandais de me faire une liste d’adjectifs me décrivant, je suis sûre que j’y trouverais « têtue », voire « butée » ou bien « déterminée » pour les plus bienveillants d’entre vous. Mais lui ? C’est une autre histoire, nous ne sommes pas du tout au même niveau. Il est si sincèrement persuadé que je vais finir par tomber d’accord avec lui, que je commence presque à y croire ! Mais n’exagérons rien. Je ne suis pas allée aussi loin pour tourner les talons dès que le premier venu remet en question mes choix.

Ah, lecteurs, je n’ai aucune idée de comment je vais faire. Je me sens prise au piège. Si je trouve pas une idée, je vais avoir Charlotte sur le dos, mes fans vont arrêter de s’intéresser à moi et je vais mourir d’ennui. Sauf que je ne vois pas ce que je pourrais imaginer qui puisse être meilleur que mon coup du Loto ! Quelque chose de plus tape-à-l’œil, d’excitant et surtout qui me prenne du temps, histoire que je n’ai pas à me remettre au boulot tout de suite. Vous savez, j’ai déjà accompli deux exploits en l’espace de quelques mois : ma formule mathématique prophétique et monter de toutes pièces un plan qui a dupé le monde entier. Alors, un troisième du genre qui surpasse ça, ça ne va pas être facile !
 

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Edouard PArle
Posté le 27/02/2022
Coucou !
Bonne première partie de chapitre, j'avais préparé un commentaire mental où j'écrivais qu'il ne se passait pas grand chose mais la conversation entre Tristan et Ingrid rebat les cartes. Cet appel de 2 heures augure un rapprochement qui va avoir de très grosses conséquences, j'en suis sûr... En tout cas j'ai dû mal à voir Ingrid se laisser convaincre trop facilement.
Comme benebooks, hâte de voir quel est ce troisième coup, maintenant que tu l'as annoncé il nous faut un truc qui envoie xD
Mes remarques :
"Je me suis faite menacée" -> menacer
"dans ses temps durs ?" -> ces
J'enchaîne ...
Bleiz
Posté le 28/02/2022
Coucou !
Merci pour ton commentaire. Effectivement, ce chapitre est plus lent que les autres, j'essayerai de le booster à la réécriture.
À bientôt ! :)
sifriane
Posté le 19/02/2022
Re,
Je trouve ce chapitre assez « plan-plan » par rapport aux autres, même s'il reste très agréable à lire.
J'ai hâte de voir si Tristan et Ingrid vont devenir amis. Et lequel des deux va finalement influencer l'autre.
A bientôt :)
Bleiz
Posté le 21/02/2022
Bonjour,
Je vois ce que tu veux dire. Je pense raccourcir de chapitre et le mêler au précédent et/ou au suivant, afin de garder un rythme plus soutenu à travers l'histoire.
À bientôt :)
Benebooks
Posté le 11/02/2022
Je n'ai à signaler sur ce chapitre !
La relation Tristan - Ingrid se met en place, Ingrid commence à avoir potentiellement des doutes sur son "travail" et veut remonter sa côte
J'attends de voir quel est ce troisième coup dont elle nous parle !
A bientôt pour l'autre partie ! ^^
Bleiz
Posté le 11/02/2022
Bonjour,
Merci pour ton commentaire ! Je compte retravailler ce chapitre plus tard afin de le rendre plus dynamique, peut-être ajouter un peu de foreshadowing aussi... La suite arrive bientôt !
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