Amanita à Londres

Par Nuity

Le 24 octobre 20xx,

Mon cher et tendre compagnon de route,

(C'est nul, mais je m'en fiche, aujourd'hui ça passe.)

VACAAAAAAAAANCES ! Pendant une semaine complète et non-interrompue, je suis libre comme l'air. Je n'ai pas besoin de mettre de réveil, ni de prendre le métro, ni de sortir. Enfin si, je dois aller faire des courses, donc sortir et prendre le métro, mais c'est juste pour aujourd'hui. Car oui, je n'aurai pas non plus besoin de sortir pour récupérer Amanita : elle va arriver toute seule comme une grande directement dans mon appartement ! Nous avons droit à la magie pour nous retrouver pendant les vacances. Cette semaine, elle va visiter Londres, et aux prochaines vacances, j'irai en France pour visiter Rennes et Paris.

... oh non, je viens de me rendre compte. Si elle veut visiter la ville, elle va venir avec moi. On va prendre le métro. Urgh. Je reprends ce que j'ai dit, je vais devoir prendre le métro cette semaine. Mais ce n'est pas grave, je ne serai pas toute seule, j'accompagne ma meilleure amie ! On a un planning complet : tout ce que je n'ai pas visité de touristique, je vais le voir avec elle.

Dimanche : balades dans différents quartiers du centre de Londres, notamment Piccadilly Circus, Covent Garden, Soho et Camden Town ;

Lundi : visite du London Tower, Hyde Park, une photo devant Buckingham Palace (avec un peu de chance on verra peut-être la Reine...), et on passera l'après-midi dans une très grande librairie de Picadilly Circus, qui a un salon de thé au dernier étage !! Amanita a vraiment hâte, et moi aussi, je n'ai encore jamais essayé de prendre le thé à l'anglaise..

Mardi : On glande. On mérite. Nous irons certainement regarder un film l'après-midi dans un cinéma des environs, je n'y suis encore jamais allée !

Mercredi : Sur les conseils de Samira, nous irons faire un tour au "Tate Britain", une galerie nationale d'art britannique sur la période entre la renaissance et nos jours. Si on a le temps, on passera aussi par le "Tate Modern", qui est la version "art moderne et contemporain" du "Tate Britain".

Jeudi : Journée révisions. Nous allons bosser nos cours respectifs, très probablement dans un café ou une bibliothèque. Si on travaille bien, on ira visiter le Musée d'Histoire Naturelle en fin d'après-midi.

Vendredi : On va manger un petit déjeuner anglais le matin, un fish and chips le midi, et le soir, on va voir un musical ! Il paraît qu'ils sont super forts pour ça à Londres...

Samedi : soirée d'anniversaire !!

J'ai fait le ménage par moi-même pour me donner bonne conscience. Après tout, je suis censée me passer de magie... mais je l'avoue, je confesse ici même, j'ai utilisé un sort pour faire la vaisselle. Le reste je veux bien le faire comme une humaine, mais pas la vaisselle, c'est trop ennuyeux. Ensuite, j'ai libéré un maximum d'espace dans mon salon, pour pouvoir tracer le cercle d'incantation qui servira de "Point B". Pour se déplacer, le sortilège de téléportation le plus basique nécessite un point de départ et un point d'arrivée. Pour notre situation, nous utilisons un sort assez ancien qui ne fait pas appel à la technologie, sinon ce serait bien trop compliqué à organiser. Parfois, les méthodes on trace un cercle d'incantations avec un mélange de poudre de roche volcanique et de plomb, qui contiendra la magie, et l'on doit posséder deux objets identiques qu'on aura au préalable enchantés. Ces deux objets servent de système de géolocalisation, et je dois placer ma bague dans un espace du cercle dédié, en direction du point A. Pour moi, ce sera en direction du Sud, et pour Amanita, qui doit mettre sa bague en direction du point B, le Nord. Nous avons utilisé deux bagues que nous possédons depuis longtemps, pour être sûres de ne pas les perdre.

Je me souviens du jour où Amanita m'a offert ma bague. C'était un anneau en argent, surmonté d'une petite opale pour moi, et d'une aigue marine pour elle, des pierres correspondant à notre mois de naissance. Elle avait proclamé joyeusement que c'était des bagues d'amitié, que ça se faisait beaucoup chez les humains avec des bracelets, et que c'était un rituel presque sacré chez les enfants de leur espèce. Nous avions huit ans, et à cet âge, nous nous sommes jurées une amitié éternelle et infaillible. Pour un rituel humain, je dirais que ça fait bien son boulot pour l'instant. La bague était beaucoup trop grande à l'époque, pour elle comme pour moi, mais aujourd'hui ça me va comme un gant. Je me rends compte maintenant que je ne l'ai pas portée une seule fois depuis mon arrivée... je fais une mauvaise amie. A partir d'aujourd'hui, je vais la garder constamment sur moi.

Il est presque 11h30, il faut que je me mette en place. Ca risque de faire du bruit, je vais effacer mon sortilège de retranscription vocale pour éviter de devoir effacer plusieurs pages de "ZIOUP" et "AAAAAAAAAHHHH", et peut-être "BOUM" si jamais on se rate un peu. Le "AAAAAAH" correspond à nos cris de joie. Allez,

FINALE.

...

...

...

ECHO DES MOTS.

(...attends, je dois faire les réglages... ça écrit..)

(Ça écrit !! Trop bien ton sortilège, je vais te le piquer !)

Ah ! Voilà. Ahem. Cher journal,

Amanita est bien arrivée.

— Je suis là et entière ! Finalement, après tout ce temps avec aussi peu de magie, je trouve qu'on n'est pas trop rouillées. Ouaaah, ça rédige même les tirets et tout, avec la mise en page ! T'es trop forte, regarde la tronche de mon journal de bord, c'est une catastrophe.

[Amanita montre son journal. Son écriture est jolie, mais rien n'est réellement rédigé. Il semblerait qu'elle fasse des notes de synthèse à la fin des journées marquantes. Des feuilles volantes peuvent être constatées.]

— Ouh là, il y a énormément de points d'interrogation et de gribouillis.

— Ouais, c'est trop moche. AH ! Mais je parle Moonstonien pour de vrai et en face d'une autre personne !!

— Je continue à bien le parler avec ma "commande vocale", mais quel plaisir de t'entendre en vrai... dis-moi d'autres mots en Moonstonien, j'ai besoin de ma dose...

— Un peu comme un ASMR ?

— Un ASMR ? C'est quoi ça ?

— C'est une super invention des humains, des gens s'enregistrent pendant qu'ils font des sons satisfaisants. Je tourne à ça depuis deux semaines environ, je te ferai écouter. C'est fou à quel point les humains peuvent avoir des idées... originales. Oh, d'ailleurs, je t'ai ramené du pain français ! Regarde-moi cette belle baguette...

[Fin de l'enregistrement, mise en page manuelle. Conversations de la journée sauvegardées.]

La baguette française est un pain très long, avec une croûte très... croustillante ? Ciel, que je suis nulle pour décrire la nourriture. À l'intérieur, la mie est encore tiède et très moelleuse. J'adore ce truc ! Et puis elle a ramené des "chouquettes" et des "macarons" dans un sac en papier. Les chouquettes ressemblent aux chourêves, mais avec la crème sucrée et qui apaise en moins, et les macarons sont incroyables, je me demande comment on peut rendre une "coque" aussi croustillante et fondante à la fois. J'étais impressionnée par la saveur qu'on pouvait retrouver, que ce soit le goût du chocolat, de la framboise, du citron... J'ai bien l'impression que la culture culinaire française surpasse tout ce que j'ai pu imaginer. Je salive déjà... euh, j'ai déjà hâte de passer mes vacances en France ! Amanita avait visiblement pris quelques kilos, ce qui ne la gênait pas le moins du monde. "Je passe mon temps à bouffer, je veux tout goûter ! Il faudra que tu me fasses un bilan sanguin, car je suis sûre que mes chiffres sont détraqués... mais... c'est pour l'expérience..." m'a-t-elle dit en se léchant les lèvres et tapotant son ventre. Elle avait bonne mine, et semblait être ravie de sa vie dans le monde des humains.

Ce samedi, nous avons surtout échangé sur ce que nous n'avions pas pu nous raconter au cours de nos sessions téléphoniques. Pour la première fois, je voyais le visage des camarades d'Amanita sur des photos, et elle voyait ceux des miens.

— Ooooh, c'est elle Samira ? Elle est trop mignonne ! Maintenant, j'ai encore plus hâte de la rencontrer ! Toutes les personnes que tu as rencontrées ont l'air géniales... je suis vraiment contente pour toi, ça me rassure énormément de savoir que tu n'es pas toute seule dans cette affaire.

— Elles le sont, oui... et pour toi aussi, ça me rassure de voir que tu t'es faite des ami.e.s ! Mais malgré tout, tu m'avais vraiment manquée. Ça fait du bien de voir une figure du royaume... mes parents me manquent aussi...

— Pareil pour moi. Même mes adelphes parfois insupportables me manquent ! Mes mères m'ont dit... oh mais attends, j'ai un truc pour toi...

[PASSAGE CRYPTE. DES RECHERCHES SONT EN COURS POUR SUPPRIMER LE SORTILÈGE. APPAREMMENT, VISIBLE UNIQUEMENT POUR DES PERSONNES SELECTIONNEES, SUSPICION D'INCLUSION D'HUMAINS.]

— ...de leur part !

— De la part de tes mères ?

— Yep. Attends un peu que je te trouve ça... c'est au fond de mon sac... AH !

D'un seul coup, Amanita a brandi un carnet vert, tout droit sorti de ses bagages, et me l'a donné. Il y était inscrit "Carnet de Santé".

— Un carnet de santé ?

— OUI ! Et regarde à la page des vaccins.

J'ai ouvert directement le petit carnet à la page des vaccins. À ma grande surprise, tout était rempli. Oui, tous les vaccins étaient indiqués comme étant "à jour".

— Tadaaaa ! C'est ton nouveau carnet de santé !!

— Mon nouveau...

J'ai regardé les premières pages. Toutes les informations notées me concernaient. C'était bel et bien un carnet de santé qui m'était destiné.

—...C'est incroyable, comment t'as fait ?

— J'ai dit à mes parents que nos carnets de santé n'étaient pas complets, et que lorsque j'ai demandé de l'aide à l'administration, on nous avait envoyées bouler. Je cherchais une solution, pour les trafiquer ou quelque chose dans le genre... pour moi ça va, car tester leurs fameuses aiguilles ne me dérange pas, mais je pensais surtout à toi... elles m'ont dit qu'elles allaient y réfléchir, mais je n'aurais jamais cru qu'elles m'enverraient de nouveaux exemplaires !

— Tu as reçu un colis ? Je croyais que c'était interdit durant les trois premiers mois de l'expérience !

— Justement... elles n'ont pas fait ça de manière légale. Comme elles font partie du comité, c'était moins difficile, mais elles ont ouvert un passage de livraison clandestin. J'ai reçu quelques sucreries et des produits de santé qu'on ne retrouvera pas ici, mais c'est tout. J'ai gardé une partie pour toi !

Amanita m'a également tendu un paquet de pastilles au lait de noisettes et à la faraisine, ainsi qu'un flacon de vitamines. Ça allait m'être très utile pour certaines potions. J'étais vraiment heureuse que ses mères aient pensé à moi aussi, elles ont pris un risque immense. Honnêtement, je n'ai aucune idée de la sanction, mais connaissant la méfiance de notre peuple envers ces expérimentations leurs actions n'auraient pas été sans conséquences si découvertes.

— Merci beaucoup, je suis très contente de m'épargner les vaccins ! Mais il vaut mieux qu'on n'en parle plus, par sécurité.

— Ne t'inquiète pas, même par vocal, je n'ai rien dit. Je leur ai fait comprendre que j'ai reçu le colis en disant que je savourais mes derniers biscuits de Saliavy... ces mêmes biscuits reçus dans mon colis !

Je vais moi aussi assurer leur sécurité. Au cas où, je vais crypter ce passage.

[FIN DU PASSAGE CRYPTE. LA SUITE DU JOURNAL EST EN CLAIR ET N'A PAS NECESSITE L'INTERVENTION D'UN.E TRADUCTEURICE.]

Après être allées faire quelques courses, Amanita et moi avons passé le reste de notre journée à regarder une série, au chaud sous la couette. C'est un mode de détente très courant chez les humains, et je reconnais que c'est fort agréable. Je comprends pourquoi les humains apprécient ne rien faire, car c'est si reposant... la vie humaine est épuisante, il faut bien trouver des moyens efficaces de se ressourcer !

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Le 25 octobre 20xx.

Bon, j'enregistre rapidement. On est dimanche, on va faire un tour. Amanita a préparé son sac à dos comme si elle partait en expédition dans la jungle.

— Hé, ne te moque pas de moi, Londres c'est bien plus grand que Rennes ! Et puis imagine si j'ai des ampoules aux pieds pendant qu'on se promène ? Ce n'est pas ta magie qui va me soigner, on n'est pas censées s'en servir devant tout le monde comme on le fait chez nous !

... Elle marque un point. Bye !

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Le 26 octobre 20xx.

Notre journée a été très complète, alors je vais essayer de faire un résumé.

1) Nous n'avons pas vu la Reine.

— Trop nul ! Je voulais lui faire ce truc que les gens de ma promo font... ça s'appelle un "dab" je crois ?

— Ça correspond à quoi ?

— J'en sais rien. Ça oscille entre le signe de victoire et le "bonjour" pour certains.

— Ah.

— Oui. Les français sont un peu bizarres.

2) Je ne sais pas si la Reine vit à Buckingham Palace, mais j'espère pour elle qu'elle est aidée, parce que sinon ça doit être une plaie de faire le ménage là-bas.

— C'est tellement grand, que je suis sûre qu'elle a une voiturette entre son garage et l'entrée de sa baraque pour se déplacer.

3) Le London Tower, c'est ultra flippant.

4) Le "tea time" à l'anglaise, c'est trop classe. Et super bon. Je pense à ces scones depuis plusieurs heures maintenant et je suis incapable de me débarrasser du goût que j'ai dans la bouche. Ca va être drôle, la quiche aux courgettes avec un goût de scones pour ce soir.

— J'avais l'impression d'être une princesse dans ce salon... et d'être blindée aussi. Tu crois que la reine vit comme ça ?

— J'en suis sûre. Entourée de corgis pendant qu'elle boit son thé, c'est la vie rêvée.

— ...c'est quoi un corgi ?

...je termine mon enregistrement ici, je dois refaire l'éducation d'Amanita. 'Nita, viens par là, je vais te montrer un petit diaporama pour t'expliquer ce que c'est.

— Oh ouais !!

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Le 27 octobre 20xx.

Changement de programme. J'ai oublié d'aller acheter un cadeau pour l'anniversaire de Ntina.

— Oh trop bien, on va pouvoir aller acheter son cadeau ensemble ! Je lui prendrai quelque chose aussi !!

Je vais appeler Tom en début d'après-midi pour savoir ce qui pourrait plaire à Ntina. Il sait sûrement quoi lui offrir, vu qu'ils partagent des passions communes.

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[Inscription et édition manuelle.]

Finalement, même pas besoin d'appeler Tom ! Alors que j'étais en panique, je suis sortie dès ce matin avec Amanita. Nous avons pris un train au hasard, et nous sommes descendues quelques stations plus tard. En marchant un peu, j'ai vu au loin un magasin de musique, et j'ai décidé d'y jeter un oeil. Coup de chance ou pure coïncidence, j'en sais rien, mais nous sommes tombées nez à nez avec Tom, qui farfouillait parmi les boîtes remplies de pochettes à vinyles. Si au départ, il semblait ravi de me voir, il a très vite déchanté quand Amanita est apparue dans son champ de vision. J'avais pourtant parlé d'elle aux membres de l'association, et assuré qu'il n'y aurait aucun problème pour Tom, ou pour quoi que ce soit d'autre d'ailleurs. J'avais même, avec l'accord d'Amanita, transmis ses coordonnées à Jenny pour qu'elles puissent entrer en contact. Cependant, en discutant avec Ntina, j'ai vite compris que ce n'était pas aussi simple que cela chez les humains.

— Tom est sceptique. Rien de personnel envers toi ou ta copine, mais certaines de ses expériences passées l'ont conduit à se montrer méfiant en toutes circonstances. Sur ce point, il ressemble beaucoup à Jenny.

Honnêtement, je ne peux le blâmer. Les sorciers se méfient des humains, il n'est donc pas étonnant que les humains soient méfiants entre eux. Le contraire serait même plutôt inquiétant au vu du passif de l'humanité...

Tom a donc tenté de dire bonjour à Amanita de manière cordiale et assez neutre, probablement pour garder la situation sous contrôle. Le problème, c'est qu'Amanita n'a pas les mêmes limites que moi. Pour expliquer ceci, je tiens à rappeler qu'Amanita a grandi avec deux mères obsédées par les humains, tandis que moi, j'ai été simplement influencée par ma meilleure amie, sans pour autant être intégralement baignée dans cette atmosphère. Si j'étais déjà très heureuse de partir explorer ces individus, pour Amanita, c'était à un tout autre niveau : à chaque nouvelle personne qu'elle rencontrait, son excitation faisait surface. Pour faire une comparaison humaine, c'était comme si vous alliez rencontrer votre acteur ou votre actrice favori ou favorite. Alors quand elle a compris que Tom était un ami, elle n'a pas pu se contenir.

— OH ! T'es un ami d'Hope ?? AHHHH j'suis trop contente de te rencontrer !! Moi c'est Amanita j'ai 20 ans et je suis française !! Et toi ??

Le tout en l'agrippant par les épaules et en lui claquant la bise, à la française. Si je devais décrire la réaction de Tom, ce serait un mélange de profonde confusion et de questionnement. Ou en plus court, "??????". Le pauvre ne se doutait pas qu'il allait rencontrer une sorte de pile survoltée.

— Je euh... moi c'est Tom et... je suis désolé je n'ai pas compris ce que tu as dit juste après...

Effectivement, Amanita avait déballé son introduction d'une traite et sans reprendre sa respiration. Je suis habituée à l'entendre parler de cette façon, mais quand on ne la connaît pas, ça peut être difficile de décrypter ce qu'elle raconte. Parfois, je me dis que ce talent devrait être reconnu à Moonstone, que l'on devrait me donner un diplôme, pour que je puisse caler ça quelque part dans mon CV.

Amanita a ensuite canalisé toute son énergie pour retrouver son calme. Puis, comme si de rien n'était, elle a tendu sa main vers Tom, et a dit d'un air très détendu :

— Enchantée de te connaître. Je disais donc, j'ai 20 ans, et je suis française.

Tom n'en était pas moins confus. Il a pris avec hésitation la main d'Amanita, puis l'a secouée.

— Eh bien... j'ai 19 ans et je suis anglais. Car euh, je parle anglais et je suis né en Angleterre. Et, content de te connaître aussi.

Je voyais bien qu'il galérait, alors j'ai décidé d'enchaîner de manière naturelle.

— C'est Amanita, dont je te parlais. Elle est arrivée samedi midi, et sera là à la soirée de samedi prochain. On est venues acheter quelque chose pour Ntina, et je me suis dit qu'un cadeau en rapport avec la musique ou la poésie lui ferait plaisir. J'ai déjà participé au cadeau commun, mais je pensais qu'offrir autre chose à côté pourrait être cool !

Une fois que l'information est montée jusqu'au cerveau de Tom, ce dernier a repris ses esprits.

— Oh ! Oui, un cadeau pour Ntina. Ca tombe bien, tu vas pouvoir te joindre à moi ! Je cherchais des vinyles dans ce magasin pour ma collec' personnelle, et je suis tombé sur ça :

Il dégaina plus vite que son ombre une pochette, où figurait une femme noire aux cheveux courts et à l'air pensif. Elle se nommait "Anita Baker", et la chanson était "Talk to me" d'après l'inscription visible en bas.

— Je sais que cette chanteuse fait partie de ses préférées, car sa mère l'écoutait tout le temps quand elle était petite. J'ai fouillé un peu, et ce magasin a plusieurs de ses singles.

Il me montra trois autres pochettes, une intitulée "Lead me into love", "Just because" et "Same ole love".

— Oh, "Same ole love" ! S'écria d'un seul coup Amanita.

— Tu connais ? T'aimes bien ? Répondit Tom, qui d'un seul coup montra un grand intérêt envers mon amie.

— C'est une copine de la fac qui la chante tout le temps. J'ai fini par l'avoir dans la tête, et j'avoue que j'aime beaucoup... From beginning to end ,365 days of the year, I want your same ole' love ! All I want to do...

—...is keep on loving you ! I want your same ole' love !

Tom avait ainsi terminé sa phrase, et à cet instant, j'ai su qu'en les faisant se rencontrer, j'avais créé un monstre. Je dis ça car ils ont fini par chanter toute la chanson, que la patronne du magasin les a applaudis, et que si je ne les avais pas ramenés à la raison, ils auraient continué à chanter et fait l'animation dans toute la rue. Si si, je vous jure, j'ai vu cette lueur de détermination dans leur regard, celle qui dit "tout est possible, le ciel est mon unique limite". J'ai accepté d'acheter les quatre vinyles avec Tom, et alors que nous partions du magasin, Amanita et lui se sont échangés leurs numéros respectifs. Nous nous sommes dis au revoir et "à samedi !", puis nous sommes rentrées chez moi.

Lorsque nous sommes arrivées, j'ai reçu un message de la part de Tom.

Tom : Ta pote a de bons goûts ! Et elle a l'air très gentille. Je reste vigilant, mais je donne mon feu vert à Jenny pour l'instant.

Finalement, Amanita et Tom ont tapé la discute tout l'après-midi par sms. Nous avons décrété que nous irions voir un film une prochaine fois, et cette décision m'arrangeait : je devais désormais emballer le cadeau de Ntina. Manuellement. Sans aucune magie. De façon bien humaine, avec le scotch, la paire de ciseaux, et le papier cadeau. Je vous épargne les heures que je viens de subir, mais je pense en toute sincérité qu'il existe deux catégories de personnes sur cette planète : les gens normaux, et puis les élus, ceux qui emballent un cadeau à la perfection, qui savent comment plier le papier, quelle quantité utiliser, où placer le scotch. Je ne suis visiblement pas une élue.

— AH ! C'était trop drôle de te voir te battre avec le scotch. Je t'ai filmée d'ailleurs, ça a bien fait rire Tom. Il est drôle ton ami !

— C'est ça, moque-toi de moi ! Tu dois encore emballer le vinyle que tu as acheté avec moi pour Ntina je te rappelle...

Le sourire moqueur d'Amanita s'est effacé. D'un air très sérieux, elle a fouillé dans son sac à main, sorti son porte-monnaie, et m'a tendu sa carte bleue humaine.

—.... Et si je te payais pour le faire à ma place ?

Vous savez quoi ? Tant pis si ça baisse ma note. La magie, y'a que ça de vrai.

Embarla !

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Le 28 octobre 20xx.

Aujourd'hui, on va visiter des musées ! On partira toute la journée, alors on est équipées. Chaussures de randonnée (car on marche beaucoup dans un musée), glacière pour garder notre pique-nique au frais, lunettes de soleil (car nous sommes des touristes, et aussi parce qu'Amanita a les yeux fragiles face au moindre rayon...)...

— Hé ! Ne rédige pas mes points faibles comme ça, imagine si un de mes ennemis venait à s'emparer de ton journal ?

—...Depuis quand tu as des ennemis ?

—... depuis que j'ai dit à la fac que je versais mon lait avant mes céréales...

— Oh.

Les humains sont étranges.

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Le même jour, 23h.

On a tant marché que je me suis effondrée dans mon lit en rentrant. Il était 19h30, Amanita et moi venons de nous réveiller. On va se faire des nouilles instantanées et on va se recoucher. Concernant notre journée, c'était vachement cool ! L'art humain, c'est vraiment intéressant, même si je ne m'y connais pas beaucoup. Les artistes de cette planète sont impressionnants...

— Tu verras quand tu viendras en France avec moi, on ira au Louvre ! Toutes mes copines de fac disent que ce musée est génial. Oh, tiens, tes nouilles sont prêtes.

Ça tombe bien, je meurs de faim.

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Le 31 octobre 20xx.

Oh wow, je n'ai pas touché à mon journal depuis deux jours !

— Tu devrais voir le mien, c'est un bordel monstre depuis samedi dernier ! J'vais avoir du boulot en rentrant... tout reprendre et rédiger proprement...

C'est vrai que j'ai tout de même été rigoureuse durant cette semaine, alors je ne vais pas me plaindre. Pour résumer ces deux derniers jours, je dirais que j'ai sacrément bien travaillé pour la fac, que la nourriture anglaise est décidément pleine de surprises (des haricots blancs à la sauce tomate à 10 heures du matin ? Mais qui est l'idiot qui a eu une telle idée ?), et Amanita s'est découvert une passion pour les Musicals.

— Pourquoi ce n'est pas plus répandu en France ? C'est génial pourtant ! Je vais traîner sur internet en rentrant pour avoir de bonnes recommandations...

Enfin, on a aussi passé deux bonnes journées à réfléchir pour notre costume. En effet, Ntina a imposé une seule et unique chose pour son anniversaire : on doit faire un concours de costumes. J'avais moi aussi droit à une requête, que j'ai utilisée en invitant Amanita, et qui a été acceptée par toute l'association à condition qu'elle soit une bonne personne pour chacun et chacune.

— C'est pas difficile à remplir comme condition. J'aime le monde entier, tant qu'on rigole à mes blagues. Les humains aussi aiment les blagues !

Je pense que c'est tout pour l'instant, j'ai une petite idée pour mon costume, mais il va me falloir un peu de magie et de travaux manuels.

— J'vais t'aider, les travaux manuels, ça c'est mon domaine !

Parfait. Je mets fin à l'enregistrement.

[Inscription et édition manuelle.]

C'est faux, mon récapitulatif ne s'arrête pas là, mais j'veux pas qu'Amanita entende, c'est personnel. Elle m'avait manquée, vraiment. J'aime les feministas, mais devoir garder mon identité secrète, c'est si difficile... avec Amanita, je peux être moi-même sans aucun souci. J'ai toujours pu être moi-même avec elle. J'étais tellement contente de partir en exploration avec ma meilleure amie, de rentrer chez moi le soir et de savoir que je ne serai pas seule, que quelqu'un qui me comprend et me connaît par coeur sera là. C'est un peu étrange, mais j'appréhende cette soirée. Voir mes deux mondes s'entremêler, c'est bizarre. J'ai l'impression d'exposer une part de moi que personne, mis à part Amanita, n'avait vu auparavant. Même à Moonstone, je n'ouvrais pas autant mon coeur aux autres. Mais avec ma meilleure amie à mes côtés, dans cet univers nouveau, peut-être que je peux me libérer. Me réinventer ? Au moins, je peux évoluer.

... Amanita m'appelle pour qu'on commence nos costumes. On a rendez-vous chez Agatha à 19h30, et rien n'est prêt, alors il vaut mieux qu'on se bouge un peu !

 

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