9. Nesli

Par Hinata

Le bruit de chute la fit pivoter malgré elle vers les escaliers. L’intrus qu’elles avaient entendues descendre gisait au bas des marches. Un jeune homme aux cheveux rouges.

− Viens, la pressa Hollen, allons dans la cuisine, il ne nous suivra pas là-bas.

− Attends ! Il est peut-être blessé !

− Il a juste raté une marche, protesta la serveuse.

Un grognement de douleur s’éleva du jeune homme étendu sur le sol. Il ne faisait cependant pas mine de se relever, ce qui acheva de convaincre Nesli. Elle abandonna Hollen près du comptoir et marcha vers le nouveau venu. Au moment où elle s’accroupissait, il commença à remuer, sans cesser de gémir.

− Ça va aller ? demanda-t-elle sans oser le toucher.

Il marmonna une série de jurons inarticulés et se redressa péniblement sur ses pieds. Oh. Quelle petite personne ! Alors qu’elle était encore à genoux, l’inconnu ne la dépassait que d’une ou deux têtes. Aucun doute, elle avait affaire à un nain. Les moustaches rouges, qui tombaient en deux petites tresses sur les coins de sa bouche, prouvaient assez qu’il n’était pas un adolescent humain, mais bien un adulte d’une race tout à fait différente. Ses traits restaient extrêmement juvéniles. Ce nain ne devait pas être beaucoup plus âgé qu’elle.

− Tu n’es …tu n’es pas…Tu es une nymphe.

Les yeux écarquillés du nain s’arrêtèrent tour à tour sur ses cheveux verts, ses longues oreilles en pointe, ses pupilles en amande. Exactement le type d’examen que Nesli tentait d’éviter depuis des jours en portant son capuchon sans interruption. Elle ne l’avait pas rabattue ce matin, parce qu’elle n’était censée croiser personne avant son départ ; hormis Hollen, évidemment.

− Juste une nymphe, conclut-il en gardant son regard noisette rivé au sien.

Nesli se sentit presque vexée par la formulation. D’autant que ce n’était pas tout à fait vrai. Elle était aussi Révélée, et pas une Révélée ordinaire qui plus est. Mais ça, même Hollen l’ignorait.

− Euh…oui, répondit-elle

Il la toisait, chose étrange pour quelqu’un de si petite taille. Nesli se leva. Le blessé n’avait plus l’air blessé, elle ferait mieux de s’en aller. Pas besoin d’attendre une remarque désagréable pour retourner s’abriter sous son capuchon.

Un regard par-dessus son épaule lui apprit qu’Hollen n’avait pas bougé. Une main sur le comptoir, l’humaine aux cheveux bouclés observait les deux étrangers. Quand son regard revint sur le nain, Nesli le vit se palper précautionneusement le front.

− Je me suis fait une bosse, marmonna-t-il.

− Ça aurait pu être bien pire. Regardez où vous mettez les pieds la prochaine fois.

− Je suis plutôt observateur de manière générale. C’est toi qui m’as surpris avec ton manteau flippant.

Nesli chercha une seconde à savoir si le petit homme qui levait les yeux vers elle se moquait ou non. Oh et puis, quelle importance ? Le jour allait bientôt se lever, elle voulait quitter les lieux avant que toute l’auberge ne se réveille.

− Adieu, abrégea-t-elle en tournant les talons.

A peine fut-elle de retour au comptoir qu’Hollen lui babillait à voix basse :

− Tu vois ? Il n’avait rien. Je connais bien ce genre de manœuvres.

− Ce n’était pas …

L’humaine la coupa d’un petit bruit de langue.

− Si tu n’apprends pas de tes erreurs et que tu restes aussi naïve, il ne faut pas te plaindre de ce qui t’arrive.

Nesli se sentit bleuir de colère. Non seulement elle n’était pas responsable du jugement que les humains avaient sur elle, mais en plus elle ne s’en était jamais plainte !

− Je vais prendre un peu l’air, marmonna-t-elle entre ses dents.

− Mais j’ai bientôt fini de préparer tes provisions ! Reste avec moi, tu vas avoir froid dehors !

Hollen se souciait-elle vraiment d’elle ? Est-ce qu’elle n’avait pas peur plutôt que la nymphe disparaisse dans la nature en même temps que la bague argentée promise en échange de sa discrétion ?

− Non, c’est bon, j’ai un manteau, répliqua Nesli avec force mauvaise foi.

Elle passa la porte et la fraîcheur du matin lui fit resserrer frileusement les pans de tissu autour d’elle. Ce royaume et ses températures indécentes ! L’automne commençait à peine et l’air mordait déjà méchamment même en l’absence de vent. Une chose était sûre, elle comptait bien quitter Helgrind avant le début de l’hiver.

Quelque chose dans son dos bouscula Nesli. Elle s’écarta vivement de la porte qui s’ouvrait. Oh non ! Si même Hollen devenait comme ceux qui la suivaient partout et continuaient de lui parler alors qu’elle exprimait clairement son désir de tranquillité… Si même les femmes s’y mettaient… Une de son âge avec qui elle avait sympathisé qui plus est.

Une tête apparut dans l’embrasure. Pas la moindre boucle blonde en vue, mais une touffe de cheveux rouges et ébouriffés. Impassible, le nain se glissa dehors et referma la porte derrière lui.

− Arrêtez de me suivre !

Misère. Au lieu du ton autoritaire escompté, c’était plutôt une supplique qu’elle venait d’arracher à sa gorge.

Heureusement, le nain n’afficha pas une once de moquerie. Plus le moindre signe du sourire qu’il affichait un peu plus tôt, au bas des escaliers. Le pli de sa bouche était devenu sérieux sous ses petites moustaches tressées.

− Je ne te suis pas.

Son visage se dérida légèrement quand il ajouta :

− En fait, c’est plutôt moi qui suis suivi… Je vais inspecter les annexes, tu ne voudrais pas m’accompagner par hasard ?

Quelle blague. Hollen lui avait raconté assez d’histoires sur ceux qui lui proposaient d’aller «inspecter » ou « visiter » la grange avec elle.

− Non merci, esquiva-t-elle en rabattant son capuchon sur ses oreilles frigorifiées.

Le nain ne bougea pas. Heureusement qu’il ne lui arrivait même pas à l’épaule, autrement Nesli aurait trouvé cette proximité dérangeante.

− Il se trouve, hésita-t-il après un moment de réflexion, que j’ai plus ou moins entendu ce que t’a dit la serveuse à l’instant.

Nesli se renfrogna. Il n’avait pas à se mêler de ses affaires. Elle ferait mieux de s’éloigner, ou peut-être de rejoindre tout de suite Hollen à l’intérieur. D’un autre côté, elle se sentait bizarrement plus encline à entendre ce que ce petit homme avait à dire plutôt que de laisser Hollen lui assener encore une fois ses préceptes de serveuse qui avait soi-disant tout vu, tout vécu.

− Si c’est elle qui t’a dit de rester cachée sous ce manteau comme ça, je pense qu’elle a eu tort. C’est tout.

Ah oui ? Facile à dire pour lui.

− J’aimerais bien parler plus avec toi mais je dois vraiment aller jeter un œil par là-bas. Salut.

Il quitta le perron et se dirigea d’un bon pas vers les bâtiments où les humains gardaient leurs chevaux. Une petite voix incita Nesli à le suivre. Cela faisait si longtemps qu’on ne lui avait pas montré une telle bienveillance. N’en déplaise à Hollen, il n’avait rien à voir avec les flatteurs qu’elle avait pu rencontrer. Il ne souriait pas non plus comme les commerçants, qui perdent leur gentillesse aussitôt qu’ils comprennent que leur interlocuteur n’a presque rien dans sa bourse. D’ailleurs, Nesli n’aurait bientôt plus le moindre sou. Elle aurait peut-être besoin d’une personne comme ce nain dans les parages.

Elle n’eut aucun mal à le rattraper. En même temps, avec les petites jambes qu’il avait… Mais visiblement, ce n’était pas la raison de sa lenteur. Il semblait vraiment inspecter les lieux : se baissait pour regarder sous les chariots, tournait sa tête de tout côté, scrutait le moindre recoin sombre entre les bâtiments.

− Qu’est-ce que tu cherches ? demanda Nesli une fois près de lui.

− Une petite sangsue, répondit-il avec un sourire en coin.

Soit, elle n’avait pas vraiment mérité de réponse claire. À présent, il n’allait sûrement pas manquer de faire une remarque sur son changement d’avis ridiculement rapide. Un moment s’écoula dans le silence du matin. Pas de remarque. Le nain continuait simplement son inspection.

− C’est moi qui ai décidé toute seule de me cacher, finit par lâcher Nesli, les yeux rivés sur le bout de ses chaussures.

 Aucune réponse. L’avait-il seulement entendue ou était-il trop concentré sur les bottes de foin pour faire attention à elle ?

− Ce n’est pas interdit de porter un manteau que je sache…

Elle vit clairement le nain sourire entre ses moustaches, mais il ne dit rien.   

−  De quel droit pouvez-vous donner votre avis ? maugréa-t-elle, vous ne savez pas ce qui m’est arrivé.

Le jeune homme se redressa

− Ton problème ce n’est pas que je donne mon avis, déclara finalement le nain en se massant la nuque. C’est que tu as besoin de parler, de ce qui t’est arrivé.

− Je vous demande pardon ?

− J’ai pas raison ? se contenta de l’interroger le nain.

Nesli ouvrit et referma plusieurs fois la bouche sans qu’aucun mot ne daignât en sortir. Il la regarda quelques secondes faire le poisson hors de l’eau.

− J’ai cru comprendre que tu étais sur le départ, dit-il finalement. Il se trouve que je n’ai plus rien à faire ici, non plus.

Ce disant, il lança comme un dernier regard à la ronde. Nesli se demanda s’il n’était pas lancé dans une espèce de chasse au trésor. Mais pourquoi avait-il prétendu être suivi ?

− Je ne sais pas dans quelle direction tu comptais partir, continua le nain, mais si tu as besoin de compagnie comme je crois, tu peux toujours venir avec moi.

Sur ces mots, il tourna les talons et repartit d’un bon pas vers l’auberge. Vite, vite, réfléchir.

Nesli avait perdu le goût des autres depuis son arrivée sur le continent. Sa dernière discussion aussi franche remontait à loin, probablement à sa visite chez la cordonnière de la ville portuaire. Les humains avaient refroidi son enthousiasme de voyage, c’était le moins qu’on puisse dire. Ils l’avaient dégoûtée, même.

Mais ce petit individu n’était pas un humain. Et il voyageait sur les routes, dans un royaume étranger, exactement comme elle avait rêvé de le faire. Tant pis pour l’apprentissage de son Don, elle pouvait toujours découvrir un peu cette immense partie du monde où elle se trouvait. Elle pouvait aller où bon lui semblait, il lui suffisait de marcher. Minute. Qu’est-ce qui la faisait frémir, là ? Le froid, le vent ? Non, pas seulement. Oui, un sentiment grisant venait de la ressaisir. L’envie revenait, et avec elle son audace.

− Eh, eh ! s’écria-t-elle en faisant volte-face.

Le nain s’était arrêté en chemin pour regarder par la fenêtre d’une bâtisse. Nesli le rejoignit à grandes enjambées.

− Eh, attendez, je viens avec vous.

En la voyant arriver, le nain descendit du tas de briques sur lequel il avait grimpé pour atteindre la fenêtre.  

− Oh, je pensais que tu voudrais savoir par où je m’en vais avant de prendre ta décision.

− Peu importe où vous allez.

Le nain haussa un sourcil, mais ne commenta pas.

− Euh..., hésita Nesli, je peux connaître votre nom ?  

– Beherzt.

Holà, est-ce que tous les noms de nains étaient aussi compliqués ? Il lui retourna la question et hocha simplement la tête en apprenant son prénom. Tiens, pour une fois qu’on ne la complimentait pas mielleusement sur l’exotisme et la douceur de son patronyme.

– Tu peux me tutoyer, remarqua-t-il à la place. J’ai presque le même âge que toi, et je suis pas de la royauté.

Ils s’en retournèrent à l’auberge, récupérèrent les provisions auprès d’Hollen, lui réglèrent chacun ce qu’ils leur restaient à payer pour leur séjour respectif. Juste avant de partir, Nesli retira l’une de ses bagues et la glissa discrètement à l’humaine.

− Merci pour tout.

Hollen ne lui répondit pas, trop occupée à admirer son présent argenté.

Au moment de refermer la porte de l’établissement derrière elle, Nesli aperçut un premier client descendre lentement l’escalier du fond pour venir petit-déjeuner. Elle disparut sans hésiter derrière le battant et rejoignit Beherzt qui l’attendait au bord de la route.

Ils partirent à droite, et Nesli ne savait absolument pas si c’était le Nord, le Sud ou quelque direction que ce soit. Une chape de nuages gris occultait complètement le soleil. Même sans cela, elle aurait sûrement eu du mal à déduire quoi que ce soit de sa position. Peu importe, elle n’avait pas besoin de savoir où la menaient ses pas. Nesli avançait de nouveau, elle se sentait aventurière de nouveau, et non pas fugitive.

S’il n’avait pas fait aussi froid, elle aurait levé le menton hors de son écharpe et fièrement ôté la capuche de sa tête. Mais il gelait, comme d’habitude, aussi s’en garda-t-elle. Peu importe, elle n’avait pas besoin de montrer son bonheur. De toute façon, il n’y avait personne pour la voir. Bien sûr, Beherzt marchait à côté d’elle. Mais ce n’était pas lui qu’elle voulait rassurer. Elle aurait voulu dire à Cyren et à ses parents que tout allait bien, à présent.

 

Ils marchèrent presque sans rien dire ce jour-là. L’essentiel de leur conversation, une fois le soir venu, consista pour Nesli à poser des questions sur la manière de faire un feu convenable, et pour Beherzt à le lui expliquer…avec force patience. Elle vit bien comme il lui coûtait de ralentir chacun de ses mouvements pour lui montrer. Elle s’en voulut un peu, parce qu’ils eurent froid avant que les flammes ne grandissent assez pour les réchauffer. Mais quelle fierté d’avoir contribué à cette flambée.

Elle crut rêver quand le lendemain soir, Beherzt lui demanda de faire le feu toute seule. Et comme s’il savait ne pouvoir s’empêcher de l’y aider en restant à ses côtés, il s’en alla faire un tour dans les environs. Peut-être trouver quelques baies, dit-il. Il faisait presque nuit noire quand son tas de bois produisit enfin autre chose que de la fumée. Mais elle avait réussi. Beherzt revint peu de temps après. Il avait l’air déçu, presque soucieux.

− Pas la moindre baie comestible, déplora-t-il simplement. Eh, mais c’est un beau feu, ça !

Il avait l’air fier, à la fois de son élève et de son propre enseignement.

Ce soir-là, Nesli lui raconta ses mésaventures dans le royaume des humains. Comment elle avait été accueillie tantôt comme un phénomène de foire, tantôt comme un trophée que tous les hommes se disputaient, tantôt comme une chose bizarre que personne ne voulait approcher, parfois tout cela en même temps au sein d’un même village. Comment une bande d’adolescents étaient allés jusqu’à la suivre sur la route, à la tanner pour qu’elle cède à leurs avances, à se moquer d’elle devant son refus.

− Mais…tu… Ce n’est…

Beherzt ne trouvait pas les mots.

− Est-ce qu’ils t’ont fait du mal ? Est-ce qu’ils t’ont touchée ?

− Non, jamais, le rassura-t-elle aussitôt.

Non, heureusement, personne n’avait jamais porté la main sur elle. Nesli ne savait pas ce qu’elle aurait fait, dans ce cas-là. Se serait-elle défendue ? Aurait-elle utilisé son Don, sa lance pour se préserver ? Sans doute. Est-ce qu’elle serait ici, encore en train de voyager ? Probablement pas. Et en même temps, même si on ne l’avait pas touchée, elle ne se sentait pas indemne pour autant.

En accompagnant Beherzt, elle avait choisi de continuer à se battre, de rester malgré les difficultés rencontrées. Mais cela ne voulait pas dire qu’elle avait déjà cicatrisée.

− J’ai hâte d’arriver en Edelstein, déclara-t-elle pour clore son récit sur une note un peu plus positive.

Elle avait grand espoir que les gens soient différents dans les autres royaumes.

− Si les nains sont tous comme toi, ajouta Nesli, je suis sûre que je vais apprécier ma visite.

− Oh, tous les nains ne sont pas comme moi, et heureusement.

Elle l’observa avec curiosité. Beherzt était modeste, elle avait pu s’en rendre compte. Quelle opinion avait-il vraiment de lui-même, cela Nesli n’en était pas encore sûre.

− Et puis tu sais, Nesli, tous les humains ne sont pas non plus comme ceux que tu as rencontrés.

La moue sceptique qu’elle afficha délibérément encouragea Beherzt à continuer.

− Je t’assure, ce ne serait pas juste de penser le contraire. D’ailleurs, la région que tu as traversée n’est vraiment pas la plus ouverte d’esprit. Les gens ne bougent pas beaucoup de chez eux, voire pas du tout, en fait. Toute l’activité est centrée sur les côtes, ou plus à l’Ouest, vers le royaume des elfes.

− Merci pour le cours de géographie, marmonna Nesli en lançant une brindille dans le feu.

Intérieurement, elle ne put s’empêcher de se ranger à son avis. Il était plutôt convainquant, ce petit bonhomme. Non seulement Beherzt savait un tas de choses, mais il les utilisait à bon escient dans la conversation. Elle avait eu de la chance de tomber sur un individu pareil.

 

Deux jours plus tard, ils croisèrent le cours d’une rivière. Beherzt lui apprit son nom ⸺ décidemment il connaissait le royaume comme sa poche, mais Nesli l’oublia aussitôt. Elle n’avait qu’une hâte : y plonger tête la première. Ils posèrent leurs affaires près d’un bosquet tout proche du cours d’eau. Sans se soucier de la fraîcheur de l’après-midi, Nesli y abandonna chaussures et manteau. Puis elle courut presque jusqu’à la rivière.

Son regard analysa naturellement la disposition des rochers et quel chemin elle pourrait emprunter pour atteindre le promontoire qu’elle apercevait en amont. Elle détermina sans aucun mal la profondeur de l’eau selon sa couleur. Tout était légèrement différent des rivières de la Ruissolvie, mais elle évoluait malgré tout en terrain connu.

Elle entendit Beherzt pousser un cri de stupeur en la voyant bondir du haut du rocher. Nesli percuta la surface bras en avant et fila comme une flèche au travers de l’eau sombre. Par la lune, quel bonheur ! La température horriblement basse n’enleva rien à son plaisir tout le temps qu’elle passa à onduler dans les remous. Elle suivit le courant, le remonta avec acharnement, se laissa porter de nouveau, et crut mourir d’épuisement au moment de retourner au niveau de Beherzt.

Le nain avait profité d’une de ses absences pour se déshabiller et se laver tout près du bord. Elle le retrouva assis sur un énorme rocher, emmailloté dans son manteau comme un nouveau-né. Il était allé chercher celui de Nesli également. Quand elle eut grimpé à ses côtés sur le rocher, elle lui annonça qu’il pouvait le lui emprunter, elle ne le mettrait pas avant d’avoir séché.

Alors qu’il avait l’air tout bonnement frigorifié, Beherzt n’esquissa pas à un geste vers le manteau.

− Je n’ai jamais vu de peau comme la tienne.

− Ce n’est pas une raison pour se rincer l’œil, plaisanta Nesli comme il la détaillait de pied en cap avec attention.

A sa grande surprise, le nain rougit violemment, sortit ses mains du manteau et les agita en signe d’innocence.

− Non, pas du tout…ce n’est pas ce que …

– Je disais ça pour rire, le rassura-t-elle en souriant.

Les mains du nain retombèrent, et il eut un petit sourire avant de demander :

− Comment peux-tu être aussi à l’aise avec moi après ce qu’il t’est arrivé ?

Assis en boule à ses pieds, avec ses cheveux rouges tout ébouriffés et ses joues encore un peu roses, il avait l’air d’un lutin, comme ceux des Contes de l’Ancien Temps.   

− J’avais renoncé à donner ma confiance, avoua Nesli laissant son regard errer vers la rivière. Je m’étais enfermée dans un cocon de méfiance. Mais tu as bouleversé tout ça.

Elle hasarda un coup d’œil vers le nain, qui la regardait d’un air stupéfait.

− Tu…Pourquoi moi ? demanda-t-il non sans perplexité.

Quelle réponse valait-il mieux lui donner ? Avant qu’elle ait le temps de décider, Beherzt se ressaisit et compléta avec un grand sourire :

− Tu sais, Nesli, je suis peut-être moins grand que les hommes auxquels tu as l’habitude, mais je n’en suis pas moins un homme de la tête aux pieds.

Ce fut à son tour de se sentir bleuir légèrement. Elle s’empressa d’expliquer, optant pour une réponse honnête :

− Parce que tu m’as l’air plutôt inoffensif.

Beherzt parut à la fois vexé et amusé.

− Ah oui ? Et que fais-tu de cette arme alors ?

Il désigna sa hache, enroulée de lanières et posée sur le rocher à côté du manteau délaissé. Sans se soucier de savoir s’il plaisantait, Nesli ne put retenir un hoquet d’amusement.

− Ce bout de ferraille ? On ne peut pas trop appeler ça une arme… 

− Pardon ? Hé, mais pourquoi je t’écoute de toute façon. Tu n’es pas une experte, que je sache.

− Je pourrais, rétorqua Nesli.

− Peut-être dans un monde où les nymphes ne sont pas le peuple pacifique par excellence, la railla aussitôt Beherzt.

Nesli se traita d’imbécile et rattrapa l’air de rien sa bêtise :

− Ça ne veut pas dire qu’on ne sait pas se défendre.

− Tu n’auras rien à craindre de moi en tout cas. Et pas parce que ma hache est un bout de ferraille, mais parce que je n’ai pas pour habitude d’attaquer les gens.

− Pourquoi tu te promènes avec alors ?

Le visage de Beherzt s’assombrit légèrement. Il répondit pourtant de sa voix habituelle :

− C’est bien pratique pour couper des branchages. Une fois, je me suis construit une hutte en quelques minutes. Et puis, elle me sert chaque fois que je traverse Auël.

Il avait baissé le ton sur ce mot, comme s’il espérait l’atténuer.

− Auël ?

− Quoi, tu ne … Ah oui, c’est vrai. J’oubliais que tu n’es pas d’ici. Auël est une forêt. Et on s’apprête à la traverser. Enfin, sauf si tu préfères partir de ton côté. Ce que je comprendrais. Auël n’est pas un endroit très agréable à visiter…

− Oh, je ne vois pas comment ça pourrait être pire que ma traversée des villages humains, fit remarquer Nesli.

Beherzt eut un petit rire.

− La bêtise humaine et l’hégémonie de la nature sont deux choses bien différentes, quoiqu’aussi déconcertantes l’une que l’autre.

Il arrivait parfois au nain de parler tout à coup comme un livre. Nesli n’eut pas le courage de lui demander ce que le mot « hégémonie » voulait dire. Elle était congelée. Même si ses habits séchaient plus vite que n’importe quel tissu, l’absence de soleil ralentissait le processus tout en rendant l’attente des plus inconfortables. Ce continent n’était vraiment pas fait pour les nymphes…

− Allez, viens, lui dit Beherzt, à qui ses tremblements n’avaient pas échappé. On parlera de la suite du voyage autour d’un bon feu.

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Mart
Posté le 18/06/2020
Ah tiens, je m'attendais plutôt à revoir Domyrade que Nesli. Elles arrivent vite, les réunions ^^. Beherzt m'est bien sympathique malgré le sens de son nom ("celui à qui on a enlevé le cœur"). Mais il a tout l'air d'avoir commis des atrocités malgré lui (Révélé de feu ?).
Hâte de le voir avec la Vieille :P.

Encore une fois, je lis sur téléphone, mais j'ai quand même copié un truc, ce sera ma petite contribution x).
" qu’ils leur restaient" (au moment de payer leurs dettes) ça devrait être au singulier.
Mart
Posté le 18/06/2020
Je précise : je n'ai pas confondu Nesli et Domirade, juste pas vu venir Nesli sous le capuchon ^^.
Hinata
Posté le 24/06/2020
Coucou !
ah, je comprends qu'on s'attende plus à voir débarquer Domyrade à découvert la première ! C'est cool si l'ordre de rencontre attendu est un peu bousculé ! Et je sais pas si c'est positif ou non pour toi, mais je suis contente que tu trouve que les réunions entre personnages arrivent vite ^^ J'ai tellement la hantise sourde que ce roman soit trop lent haha XD Je prends chaque remarque de rapidité comme une bénédiction XD

Ah, c'est cool les hypothèses sur Beherzt ^^ Par contre son prénom est plus positif que tu ne crois : en allemand ça veut dire "courageux/ résolu" si je ne me trompe pas :) C'est celui qui a du cœur, au contraire !

Merci pour la coquille !
(Et désolée d'avoir mis si longtemps à répondre ! )
Mart
Posté le 25/06/2020
Yo !
Ah oui, en effet, je n'avais jamais entendu cet adjectif, mais c'est en effet un synonyme de "Mutig", mea culpa ^^'.
On se comprend pour ce qui est de la lenteur... Et franchement, je ne trouve pas que le récit est trop lent jusqu'ici, mais je ne suis peut-être pas le meilleur juge ^^'.

J'ai complètement perdu ma régularité, mais je n'abandonne pas l'idée de me mettre à jour hein, j'ai juste un petit moment de passage à blanc... (Du coup t'es toute pardonnée ;) )
Notsil
Posté le 06/06/2020
Ah, c'était pas la suiveuse, mais Nesli ^^ On commence le regroupement après la présentation des personnages :) Elle a vu du pays et déchanté, la pauvrette ^^
Je l'aime bien, ce petit nain, et je sens qu'elle va redonner une coup de neuf à sa hachette, à l'occasion :)
Hinata
Posté le 08/06/2020
Et oui, c'est un peu la deuxième phase de l'histoire ^^
Haha, après Domyrade, Nesli aussi est en effet une pauvrette XD
Contente que Beherzt te plaise ^^
_HP_
Posté le 05/06/2020
Coucou !

Nesli ♥ J'adore ce personnage ! Ce chapitre n'a pas grand-chose à voir avec celui dans lequel on l'a découverte et pourtant je retrouve ce côté touchant, notamment quand elle raconte son histoire ^-^
J'aime beaucoup le lien qui se tisse entre les deux, je trouve que ça promet une très belle amitié (et rien de plus, non mais !)
Et cette forêt est très intrigante, j'ai hâte de voir ce qui les attend !!
Hinata
Posté le 06/06/2020
Hii ça me fait plaisir que tu l'aime bien ^^
Oh, j'espère que le contraste entre ses deux chapitres n'est pas trop perturbant quand même, est-ce que tu penses qu'il y a de l'incohérence au niveau du personnage ? ou alors c'est juste du à l'action/lieu/atmosphère et donc c'est juste une impression inévitable?

Owii trop bien que leur début de relation te plaise <3 (et bien sûr qu'on ne parle que d'amitié, non mais !)
ah ha, j'espère qu'Auël sera à la hauteur de tes attentes alors ^^
_HP_
Posté le 06/06/2020
Ah non non je ne trouve pas ça perturbant du tout ! C'était juste pour dire que c'était pas la même chose mais ce n'était pas du tout une critique ou quoi 😅
Hinata
Posté le 06/06/2020
Ah bah tant mieux alors haha ^^
Alice_Lath
Posté le 27/04/2020
Oh, un petit rapprochement et déjà le fiancé est oublié? Haha, enfin, je dis ça pour rire, on verra bien. Et du coup, je fais le lien avec la nymphe qui suit le nain haha, j'avais pas capté sur le moment (quichouille que je suis), mais ça fait vraiment plaisir à retrouver, ces petites jonctions à chaque fois. Maintenant, je me demande ce qui les attend dans cette forêt, je peux pas m'empêcher d'en imaginer une à la sauce du LOTR, immense, sombre, enchantée.
Hinata
Posté le 27/04/2020
Haha, ta sollicitude à l'égard de la Penelope me touche XD
Nan mais t'inquiète, prends ton temps pour faire les liens, et cool si les réunions ont quelque chose de satisfaisant ^^
Ah ha, tu découvriras la forêt bien vite, j'espère qu'elle sera à la hauteur de tes attentes ;)

Mercii pour le comm ^^
Xendor
Posté le 03/12/2019
Et bien ma foi, moi aussi j'en tombe de haut. En même temps, vu le physique de Nesli s'était inévitable qu'elle fasse l'objet des envies plus ou moins tendancieuses des uns et des autres. Ce qui m'étonne un peu c'est le caractère ambivalent de Behertz (ce nom ... est-ce qu'il possède une pulsastion ?) et de Nesli. Il y a une certaine forme de premier degré dans leurs réactions que j'apprécient mais qui m'étonnent en même temps, surtout de la part de Behertz qui semble quand même avoir un peu de bouteille dans la vie. Enfin en tous cas je suis d'accord avec ce dernier : la bêtise humaine est la première merveille du monde ^^

Xendor
Hinata
Posté le 04/12/2019
Salut ! Merci pour ton commentaire !

Que veux-tu dire exactement par caractère ambivalent ?

Héhé oui tout à fait
Xendor
Posté le 04/12/2019
Peut-être que ambivalent n'était pas le bon terme. En fait ce qui 'ma étonne un peu c'est qu'ils ne pouvaient pas trop se faire confiance à l'auberge, et qu'après quelques temps de voyage ils en arrivent à se dire des choses assez profondes sur eux. Enfin c'est ce que je pensais hier. Mais après réflexion, ce n'est pas si absurde que cela. Nesli a enfin trouvé quelqu'un à qui se confier, alors elle y va
Hinata
Posté le 04/12/2019
Ah d'accord, donc ça passe en fait, tant mieux ^^
Merci pour ta réponse !
Hinata
Posté le 07/01/2020
Le forum est cassé donc je viens te prévenir ici qu'un nouveau chapitre est à jour ;)
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