9.Lys

Par Codan
Notes de l’auteur : Vous avez oublié Lys ?

Le tintamarre ambiant avait toujours eu quelque chose de rassurant. Assis sur le tabouret dédié au dressage des chevaux, le petit Lysandre regardait avec un air émerveillé les artistes qui répétaient leurs numéros pour la grande représentation du soir. Son attention allait particulièrement au cracheur de feu, qui s’exerçait en dehors du chapiteau pour éviter de le brûler. Les flammes bleues qu’il projetait en l’air impressionnaient l’enfant dont les yeux s’ouvraient en grand à chaque fois qu’elles montaient un peu plus haut dans le ciel.

Remarquant la curiosité dont il était l’objet, le cracheur de feu lui lança un sourire et le rejoignit en quelques prestes enjambées. Lysandre lança ses bras en l’air pour que son père le serre contre lui, mais Danek le souleva et le fit tournoyer comme s’il ne pesait rien. Les rires de Lysandre s’envolèrent. Il noua ses bras autour du cou de son géniteur lorsque celui-ci l’enlaça avec emphase. 

— Tu ne devais pas faire tes exercices avec maman ? lui demanda-t-il, les sourcils exagérément froncés.

Le petit fit la moue et se mit à jouer avec les petites nattes de son père.

— Je ne veux pas être voltigeur. Je veux être comme toi. 

Danek lui embrassa le front.

— Et maman ? Tu ne la trouve pas jolie quand elle vole dans les airs ? Tu ne veux pas faire pareil ? 

— Non, moi je veux être fort. Je suis déjà joli. 

Sa remarque arracha un rire chaud à son géniteur. 

— Quand ton feu se sera réveillé, kenysh, je t’apprendrai. Je te promets.

— C’est ici que tu te cachais ! 

Une très belle femme s’approcha d’eux, et se lova sa petite silhouette contre Danek. L’enfant se pencha vers elle pour poser un baiser sur son nez fin. Elle se laissa attendrir une seule seconde, avant de pointer sur lui un doigt réprobateur.

— Si tu ne t’entraînes pas, tu vas perdre ton agilité et ce n’est pas bien !

Le gamin haussa les épaules et un sourire fripon fleurit sur ses lèvres. 

— L’air m’aime, de toute façon. Jamais il ne me laissera tomber.

Sa mère grimaça. 

— Je crois qu’il a hérité de ta modestie, Danek…

— Moi je suis sûr qu’il s’agit de ton humilité, Kikoe.

L’amour de leur regard n’échappa pas à Lysandre, qui en tira une énorme bouffée de bonheur. Les bras de son père se resserrent autour de lui et sa mère se leva sur la pointe des pieds pour pouvoir lui embrasser le front. 

— Il va falloir que tu viennes travailler avec maman, zhongiya.

La quiétude de cet instant fut troublé par l’agitation qui s’empara de leurs compagnons de route. Le partenaire de Saori vint vers eux, l’angoisse peinte sur ses beaux traits. Le regard de Lysandre s’attarda sur ses beaux cheveux blonds en désordre : Jaël ne laissait jamais, ô grand jamais quoique ce soit le perturber au point d’en négliger sa coiffure.

— Un contrôle, lâcha-t-il dans un murmure. Viens te cacher.

Danek reposa immédiatement son enfant à terre, et l’enfant dut serrer les lèvres pour empêcher un sanglot d’exploser. Il attrapa la main de Jaël tandis que celle de sa mère passa sur sa joue. Lysandre remarqua qu’elle trembla légèrement.

— Ne t’inquiète pas, tout va bien.

— C’est comme d’habitude, continua Danek. 

Même le grand sourire de son père ne le convainquit pas cette fois. Jaël lui tira le bras sans ménagement. Tandis qu’il suivait tant bien que mal l’allure soutenue du voltigeur, Lysandre ne put retenir les larmes qui affluèrent et brouillèrent sa vision. Il faillit trébucher sur une pierre mais la poigne de Jaël le rattrapa à temps. Ils traversèrent le campement jusqu’à trouver la roulotte de Zaya, la voyante aveugle. 

— Tu sais quoi faire, dit-il en passant une main dans sa tignasse. 

Jaël confia l’enfant à la vieille dame et fit demi-tour. Lysandre le regarda partir en reniflant. La boule d’angoisse, dans sa gorge, grossit davantage.

— Je ne t’entends pas bouger, remarqua Zaya de sa voix chaude. Dépêche-toi !

 D’un bras d’ébène lourd de bijoux de plumes et de breloques en bois, elle lui fit signe d’entrer dans l’habitacle. Lysandre ne prit pas le temps de s’essuyer le nez et grimpa les marches grinçantes. Il poussa les coussins et vêtements colorés lourds du parfum de la voyante pour se faufiler sous le lit, tira une petite plaque de bois et s’engouffra dans la minuscule cachette avant de replacer avec beaucoup de difficultés la maigre protection. Recroquevillé dans le noir, il se força à maîtriser sa respiration haletante comme sa mère le lui avait appris. 


 

La sensation d’étouffement le réveilla en sursaut. Un corps bougea contre le sien. Il ferma les paupières, assourdi par le battement de son cœur contre ses tempes. Chasser le sentiment d’impuissance et d’angoisse qui l’agitait se fit en quelques secondes. La force de l’habitude. Il rouvrit les yeux : il était encore dans la chambre spartiate de Chilam Fenrir où il s’était rendu la veille, les membres enroulés dans ses draps rêches. La pièce était baignée de la faible lueur du lampadaire provenant de la minuscule fenêtre. Dans un réflexe, l’espion nota de vérifier les stocks d’huile pour éclairer les rues. En tout cas, celles qu’il n’empruntait pas.

Lys caressa le dos de son amant d’une main absente. Le soupir que le soldat poussa fit frissonner la peau de son cou. Chilam planta un baiser dans le creux de sa clavicule, là où quelques heures plus tôt il avait mordu avec impatience. 

— Je t’ai réveillé, chuchota Lys. 

Chilam, dont la peau était chaude et agréable, resserra son étreinte. Lys faillit pousser un soupir de contentement. 

— Ce n’est pas grave, répondit le soldat d’une voix un peu éraillée.

Il remonta la tête pour venir l’embrasser à pleine bouche. Lys se sentit fondre et fourragea dans les cheveux longs de son amant. Il y avait quelque chose de doux sur ses lèvres, une douceur que Lys avait rarement rencontrée avant lui. Lorsque le baiser prit fin, Chilam le regarda comme s’il s’agissait de l’être le plus précieux de l’univers. Même si cela le secouait et le réchauffait depuis le plus profond de ses entrailles, l’espion ressentit une pointe acérée de culpabilité venir lui piquer le cœur.

— Je devrais rentrer au palais, lâcha-t-il. 

Une ride de mécontentement se dessina entre les sourcils du soldat. 

— Reste encore. 

Par les dieux, qu’il était faible. Il logea une longue mèche de cheveux de Chilam derrière son oreille. 

— Et si ton supérieur nous surprend ? 

Un sourire moqueur tira les lèvres de Chilam avant qu’il ne les pose contre le cou de Lys. 

— Je crois qu’il a plus de choses à cacher que moi, ne t’inquiète pas. Et je sais marchander. 

Lys ravala un rire, mais cela n’échappa pas à Chilam. 

— Tu te moques ? 

— Je t’imagines mal tenir tête à ton supérieur. 

— Je suis capable de beaucoup de choses pour toi.

Plus que les mots, c’était la simplicité et l’évidence avec lesquelles ils avaient été prononcés qui désarmèrent Lys. Il ferma les yeux. Il faillit renoncer à son projet, mais le devoir le rappela. 

— Tu fais quoi cette semaine ? 

— Surveillance de l’Amphithéâtre. Les Mushadins sont arrivées hier soir, alors ça devrait commencer à être intéressant. J’ai vu l’ami de mon frère chez les Fils de Waal, je me demande ce qu’il fait ici…

Lys se mordit la langue pour ne pas lui demander son identité. Il le saurait bien assez tôt. 

— Tu vas être davantage sollicité…

Il sentit le sourire de Chilam s’étendre contre sa peau. 

— J’aurais toujours du temps pour toi. 

Le petit sursaut qui secoua le cœur de Lys n’était pas feint.

— Je te rejoins comme d’habitude, alors ? 

Le soldat poussa un soupir. 

— Non, un peu plus tard. Nos rondes ont été allongées, je termine la mienne vers la cinquième heure de Laosha, jusqu’à la sixième heure de Waal. 

Soit une pause en début de nuit et une reprise aux aurores, sept heures de repos, calcula Lys. Il fallait qu’il vérifie si tous les soldats quittaient bien leurs gardes aux mêmes heures en croisant avec les informations de ses collègues.

— Alors je serais là vers la sixième heure de Laosha. 

— Tu peux venir plus tôt. 

— L’empereur donne des réceptions, je ne peux pas disparaître comme je le veux ! 

— Ne va pas me faire croire que Maëlan a encore l’énergie de rester debout aussi tard. 

Chilam bougea pour le surmonter. Son souffle fit frissonner Lys.

— Tu lui donnes ton énergie, n’est-ce pas ? 

La jalousie perçait dans chaque syllabe. Chez les Orgoïs, l’échange d’énergie avait quelque chose de profondément intime. Lys passa la main dans les cheveux de Chilam pour les remonter, dans un geste d’apaisement. 

— Rarement. Il n’aime pas ça. 

— Et toi ? 

Lys ferma les paupières et dégagea sa main. Il lutta contre cette impression d’étouffer qui le reprenait une fois de plus, mais elle gagna d’une courte tête contre son sang-froid.

— Chilam, ce que je fais pendant les heures où je ne suis pas avec toi ne te regarde pas. 

Le chuchotement avait cinglé dans l’air, devenu lourd de tension. Le soldat se releva brusquement, laissant la peau de Lys orpheline de sa chaleur. L’espion rouvrit les yeux pour voir, à travers le peu de lumière, son amant endosser de nouveau l’uniforme.

— Tu es puéril, soupira Lys.

Même dans l’obscurité, Lys vit les flammes de colère danser dans le regard de Chilam. Le soldat ne répondit rien. Lys serra les dents, se redressa à son tour et remit ses vêtements prestement. Il attrapa sa cape sombre, passa devant Chilam et lâcha un froid : 

— Ne m’attends pas demain. 

S’il ne le connaissait pas aussi bien, il n’aurait pas aperçut la microscopique faille ayant abîmé le masque de son amant.. Sans un regard en arrière et aussi discret qu’un chat, l’espion quitta la caserne.

 

Les rues étaient pleines de cette vieille odeur de fête, comme un mélange d’un vieux vin trop éventé et de la sueur des hommes debout depuis trop longtemps. À l’abri dans l’ombre de sa capuche, Lys évitait les saoulards qui dégobillaient leur maigre dîner sur le pavé inégal de l’Urbaïs mal famé : le Plevraïki. Même pour les marges de la capitale, le Grand Choix était une excuse pour sacrifier son salaire dans une boisson qui faisait oublier quelques heures sa misérable condition. 

Ici, il n’y avait que la lumière de la lune, lorsqu’elle n’était pas capricieuse, pour vous guider. Mais Lys aurait pu parcourir ces venelles les yeux fermés. Il s’arrêta devant une échoppe dont la devanture en bois semblait moins abîmée que les autres. Il traversa le rideau aux perles chamarrées et scintillantes qui servait de porte d’entrée. Les perles chantèrent en s’entrechoquant sur son passage. 

La pièce était petite et encombrée d’étagères lourdes d’objets insolites. Boules de cristal, bocaux où divers animaux nageaient dans le formol, pesantes odeurs d’herbes et d’épices et obscurité épaisse rendaient l’atmosphère inquiétante. Lys traça un sillon plus clair à travers la poussière recouvrant la lourde étagère de bois grinçant, avant de passer les lourd tissus tendus du plafond au sol comme simple mur. 

Sur un simple lit, de grands yeux blancs ouverts dans le noir, reposait une très vieille dame. Lys retira sa capuche et s’installa sur le fauteuil défoncé posé à côté d’elle. Elle se releva avec difficultés pour s’asseoir contre le mur, sa maigre couverture sur les genoux.

— Ton soldat t’a fichu dehors ? demanda-t-elle de sa voix rocailleuse. C’est pour ça que tu viens m’enquiquiner en pleine nuit ?

— De toute façon, tu ne dors jamais Zaya. 

Son rire chaud emplit toute la pièce et tira un sourire à Lys. 

— Je t’avais dit qu’un Orgoï n’était pas pour toi. Tu es trop libre pour t’enfermer dans leur exclusivité. 

— Mon père était comme ça ? demanda-t-il. 

Le sourire de Danek, ravivé par son rêve, devenait une nouvelle fois plus flou. L’espoir mêlé à la peine alourdirent son cœur. La vieille voyante ne répondit pas tout de suite. 

— Tu n’es pas là pour remuer le passé, petit. Que viens-tu m’apprendre ? 

Lys soupira. 

— Les heures de relèves changent. Je ne sais pas si ce sont les mêmes pour tous, mais en tout cas, pour les soldats en poste à la tour de Waal, il y en a une à la cinquième heure de Laosha et une autre à la sixième heure de Waal. 

La vieille acquiesça. 

— Ce sont les mêmes pour les quatre tours de l’Amphithéâtre, apparemment. 

— Tu sais d’autres choses ? 

Comme d’habitude, Zaya lui répondit : 

— Tu le sauras quand Cathan aura jugé bon que tu le saches. Maintenant laisse-moi finir ma nuit. 

Elle s’enfonça de nouveau entre ses draps, coupant ainsi court à la conversation. Lys se redressa et sortit de la petite boutique, abaissant de nouveau sa capuche sur son visage. 

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Isapass
Posté le 29/06/2021
Moi qui me demandais quand on reverrait Lys... :)
Toujours aussi intrigant ! Ainsi, Lys est "métisse" ? Est-ce que c'est exceptionnel ? A la capitale ça doit arriver assez souvent, non ? Ou est-ce que c'est même interdit et c'est pour ça qu'il se cachait quand il était petit ? Ce point de vue soulève plein d'interrogation et donne encore plus envie de découvrir la suite !
Quand Chilam parle de l'ami de son frère, j'imagine qu'il parle de Peon et que son frère, c'est Vidal ? Je ne sais plus si on est censé le savoir où si on le découvre ici.
J'ai quand même peur d'avoir oublié des choses, je vais peut-être refaire un tour sur le premier chapitre, pour ne rien rater.
Encore une fois : ta plume est vraiment superbe !
Codan
Posté le 18/09/2021
Je t'avais dit qu'il revenait xD
Je ne répondrais rien pour Lys.... ;) c'est le prorpre du personnage de soulever un peu de mystère, mais pas trop...
Le petit frère de Chilam, c'est Olek, qu'on voit dans le premier chapitre de Peon. On l'oublie et c'est un défaut que je dois rectifier à ma réécriture !
Roh merci encore pour le compliment ><
Elenna
Posté le 28/10/2020
Je suis complètement perdue là... et franchement intriguée. Donc Lys serait un sang-mêlé si j'ai bien compris.
Je l'avais un peu oublié j'avoue, mais bon c 'est bien que ce personnage ressorte !
Codan
Posté le 28/11/2020
Mouhahahaha je ne compte plus ceux qui l'ont complètement zappé ! Je suis fière de mon coup xD
Allez, la suite va t'éclaircir :) Bonne lecture !
Notsil
Posté le 18/06/2020
Coucou !
Oh, un diminutif (j'adore Lysandre, très très beau prénom ^^) ! Et un sang-mêlé, donc.
Intéressant, intéressant...
Très chouette le lien avec le début à la fin, qui confirme Lysandre = Lys.
Et il serait sur la même longueur d'onde que son Dieu, donc (ou il l'a influencé).
Là je me demande si ses parents (un, les 2 plutôt ?) ont connu un destin tragique, et vu qu'il ne lui reste que Zaya, ça semble être le cas.
Je me demande s'il compte perturber les combats, tout ça tout ça, du coup...
On reste intrigué ^^
Codan
Posté le 28/06/2020
Coucou en retard Notsil, pardon ><
Tu devines plein de choses, j'adore lire tes commentaires ! Tu es une lectrice qui engrange toutes les infos assez vite et qui les mets en lien, c'est hyper agréable ! Merci de ton passage ici !
Xendor
Posté le 17/06/2020
Salut !

Je t'avoue que je l'avais oublié 😅 Il faudra que je relise depuis le début pour m'en assurer, et me remettre en tête certaines choses que j'ai oublié.

Attention, petite coquille : "et se lova sa petite poitrine", au début du chapitre.

Les Orgoï ont l'air d'être très exclusifs dans leurs relations. En tous cas ce n'est pas l'avis de l'espion ^^'

Courage pour la suite, j'attends surtout d'être rendu au arènes 🙂
Codan
Posté le 17/06/2020
Hello Xendor !
Si tu l'as oublié, c'est que ce que j'avais fait pour le 1e chapitre a fonctionné mouhahaha !
... j'en ai marre des coquilles... Merci de l'avoir relevée !
Et bientôt les arènes, bientôt >< c'est compliqué pour moi ces scènes !
A la prochaine :D
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