9. Cyryul

Par Arod29

Le crépuscule s’apprêtait à grignoter le jour, et la fraicheur de la nuit adoucirait bientôt la fournaise du désert des Maelstroms qui s'éployait sur les Terres Brûlées. Les très anciens, après quelques pintes de bières, éructaient quelques phrases sur un maléfique Dieu enflammé. A une époque lointaine où les hommes n'étaient même pas une idée, ce géant de feu arpentait les grandes étendues du sud. Chacun de ses pas incendiait la terre fertile. A sa mort, terrassé par une autre divinité peu encline à la chaleur, ses cendres formèrent le sable des Terres brûlées.

Les légendes de Milsden importait peu à cet aigle affamé qui s’élançait des falaises d'Auxane dans la tiédeur des vents de fin de journée. La faim le taraudait depuis plusieurs jours. L'animal profita d’une langue de chaleur pour planer quelques instants au dessus du mortel désert. Ses redoutables tourbillons de sable engloutissaient régulièrement les malchanceux voyageurs et les caravanes commerciales qui le traversaient.

Plus loin, à l'est, une grande cité blanche rayonnait au soleil. Des volutes de fumées noires, soutenues par les vents brûlants, fuyaient la ville. Au centre du labyrinthe tortueux d'artères encombrées, un imposant globe lactescent finissait une grande tour d'où provenait une litanie entêtante chantée par les adeptes d'Auxane, la divinité protectrice des Terres Brûlées. Le brouhaha des ruelles commerçantes achevait de transformer Cyryul en un haut-lieu de cacophonie. La ville qui ne dormait jamais.

Les odeurs d'épices et de viandes faisandées portées par les brises attirèrent le rapace vers la ville. Rapidement il repéra des rats qui déambulaient dans les rues, la promesse d'un bon festin. Les ailes repliées, l'aigle piqua vers une petite venelle proche du grand marché. Ce fut son dernier vol. L'infortuné volatile ignorait qu'un dôme invisible protégeait la cité depuis des centaines d'années. Tout intrus par les airs était grillé avant d'atteindre le sol. Quand les dragonnides régnaient sur le désert des Terres brulées, cette magie avait sauvé Cyryul des flammes maintes et maintes fois. Elle était devenue inutile depuis leur disparition.

Un vagabond évita de peu l'oiseau qui s'écrasa sur les pavés sablonneux. Une aubaine pour l'affamé. D'un geste vif, il ramassa le volatile encore fumant de son passage à travers la barrière et se mit à courir, son repas sous le bras. Quelques enjambées plus loin, il percuta un obstacle inattendu.

Une douleur vive l'étreignit.

Un mur! Songea-t-il.

Ce fut sa dernière pensée. Il était mort avant de percuter le sol, un trou béant dans la poitrine. L'aigle roula dans la poussière. Aussitôt un chien famélique s'enfuit avec la dépouille.

— Saleté de raclure! Rugit une voix presque féminine.

Des muscles saillants sous une armure de cuir poussiéreuse, une chevelure brune tressée, un visage anguleux, des yeux bleus intense et une main fraîchement ensanglantée. Une rencontre avec Lodith Mithis, fléau des Terres Brûlées, était souvent fatale.

— Ca pullule ces temps-ci ces putains de rats!

Elle se mit à rire et donna un coup de botte dans le corps inerte du vagabond au cœur écrasé. Elle essuya le sang coulant sur sa main sans aucune once de dégoût sur le visage.

— Ta réputation de finesse n'est pas usurpé! Ricana Grys sortant de l'ombre de la géante suivi de près par deux hommes, aussi larges que grands, aux visages tatoués.

Poussiéreux de plusieurs heures de marche dans le désert, Grys était fourbu. Son arrivée, en un seul morceau, après son voyage instantané dans le portail de Trieste, était très attendue. Le comité d'accueil était présent. Son employeur avait envoyé sa tueuse préférée, Lodith. Ce qui laissait facilement imaginer son état de colère.

— Grys tu es un flatteur mais tes trucs de séducteur ne marcheront pas avec mon patron.

— Je sais. Il prit un air contrit.

— Il n'est pas très satisfait.

— Je sais.

— J'espère que tu as une bonne excuse.

— Pas d'excuse mais une explication.

Elle lui donna une grande tape dans le dos. Le mercenaire tituba. Elle ricana bruyamment.

— J'aime les hommes de petite taille comme toi!

— Tous les hommes sont petits pour toi Lodith.

Elle s'esclaffa de nouveau.

— Et tu as de l’humour! Faudra qu'on aille boire une pinte mon Grys. Enfin si je ne reçois pas ordre de te tuer! La géante lui fit un clin d'oeil.

A la pensée d’un tête à tête avec la géante, le mercenaire se demanda si la mort ne serait pas préférable. Il enjamba le cadavre et baissant les yeux, observa le visage de l'inconnu figé dans une expression d'incompréhension. Ses yeux étaient encore ouverts. Son regard le troubla, l'impression d'une présence qui l'observait derrière les pupilles inertes. Il cligna des yeux plusieurs fois et continua sa route.

La dépouille de l'homme resta ainsi pendant de longues heures, la foule vaquait à ses occupations, indifférente. La brigade mortuaire et son grand chariot passerait avant la nuit ramasser les cadavres. La vie continuait, placide, face à l'ombre de la mort embusquée au coin de chaque venelle et de chaque ruelle de la ville. Un jour comme un autre dans la cité brûlante.

L'infortuné s'appelait Thozen Caril et n'avait pas toujours été un errant. Sa femme, Acilla, et son fils l'attendaient depuis plusieurs heures dans la cahute délabrée qui leur servait d'abri. Un étrange pressentiment s'installa dans l'esprit d'Acilla. Elle ne reverrait pas Thozen. Une larme glissa sur son visage mais n'eut pas le temps de s'échapper. La chaleur, impitoyable, la tua, ne laissant qu'une légère trace salée sur sa joue. Elle regarda son dernier enfant, Nald, et lui sourit. Le sourire d'une mère sans espoir qui tentait, dans le monde qui s'effritait autour d'eux, de rassurer son fils.

Comment en sommes nous arrivés là?

Aussitôt, ses filles surgirent alors comme une vague brûlante dans ses pensées.

Neda sa petite, si douce, si paisible, les maudits Trioms l'avaient emporté. Chaque jour, la douleur de sa mort étreignait son coeur. Le temps n'enfouissait pas la douleur. Le vide de son absence ne se comblerait pas sans doute jamais. Une blessure éternelle.

Son ainée Selenn sombra dans un abîme de désespoir entraînant sa famille dans sa chute. Acilla leva les yeux vers la grande Tour Blanche qui luisait au soleil.

Maudite tour!

Elle serra les dents, gardant prisonnière sa colère derrière ses lèvres sèches.

Selenn avait vendu tous les biens de la famille pour devenir une adepte d'Auxane. Malgré tous les efforts de ses parents, jamais ils ne l'avaient revu, aveuglée par la doctrine empoisonnée de cette religion.

Ils furent bannis de la société. Ils devinrent des errants, la lie de Cyryul. Elle avait tellement haï sa fille. Avec les années cette rage s'était assoupie pourtant malgré tout l'amour qu'elle ressentait encore pour son enfant, la rancoeur était tapie au plus profond de son être.  

Elle serra Nald en pensant à ses filles disparues sans voir l'ombre grandir derrière elle.

Et ce jour où son mari expirait son dernier souffle dans la poussière de Cyryul, Selenn aurait du fêter ses vingt ans.

 

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Hortense
Posté le 05/09/2023
Bonjour Arod,
Changement radical de décors et nouvel univers. L'introduction en plongé à travers les yeux de l'aigle est très habile. Cela fonctionne bien jusqu'à la mort de l'oiseau. Ensuite, il me semble que tout se précipite un peu trop, si bien que l'on a du mal parfois à cerner les personnages ou à comprendre l'action. N'hésite pas à t'attarder un peu, sans pour autant tout dévoiler, donne-nous des clefs simples à mémoriser et qui structureront la suite du récit. Je ne sais pas si je suis bien claire (MDR)

Quelques remarques ou suggestions plus ciblées :
- un imposant globe lactescent finissait une grande tour : "finissait" me dérange un peu. Si le globe est dessus "surplombait, coiffait" ? Sinon, l'image n'est pas très claire.
- Tout intrus par les airs : tout intrus s'invitant par les airs ?
- Elle était devenue inutile depuis leur disparition : c'est donc une magie qu'on ne peut faire disparaître ?
- une main fraîchement ensanglantée. Une rencontre avec Lodith Mithis : je mettrais plutôt une virgule. " une rencontre..." vient en conclusion de la première partie .
- Poussiéreux de plusieurs heures : après plusieurs heures
- Le vide de son absence ne se comblerait pas sans doute jamais : un "pas" de trop
- Son ainée Selenn sombra dans un abîme de désespoir entraînant sa famille dans sa chute : "avait sombré" dans un abîme.
- Selenn avait vendu tous les biens de la famille : comment cela est-il possible. La loi autorise t'elle cela, qu'un enfant dépouille ses parents ? Selenn est un personnage qui peut prendre de l'importance, si c'est le cas, ça vaut le coup de t'y attarder un peu
- jamais ils ne l'avaient revu : revue (c'est Selenn)
A très bientôt
Arod29
Posté le 19/09/2023
Coucou Hortense !
Désolé j'ai mis un peu de temps à te répondre.
Merci pour ton commentaire et tes remarques judicieuses. Je vais essayer de rectifier tout ça! :-)
Sifoell
Posté le 25/06/2023
Oh, j'aime bien cette entrée en matière avec l'aigle qui cherche sa proie, qui se fait griller par le dôme de protection de la ville, qui est récupéré par le vagabond, qui est tué par Lodith pour avoir sans doute juste croisé son chemin (ça dit plein de choses sur la mercenaire géante).

On a encore pas mal d'éléments sur ton univers avec les histoires sur les dragonnides, mais pour le moment, je ne m'y perds pas (comme tu as pas mal de personnages qui ont fait des passages éclair et sont morts rapidement, je vais sans doute dans quelques chapitres oublier leurs prénoms, mais ce n'est pas gênant j'imagine).

Oh, et cette phrase, "Ses yeux étaient encore ouverts. Son regard le troubla, l'impression d'une présence qui l'observait derrière les pupilles inertes." Je me demande s'il n'y a pas quelqu'un qui observe Grys par le regard mort du vagabond. Alzebal ? Sinfen ?

Donc, dans ce chapitre, on a eu des infos sur ce qu'il advient de Grys qui a réussi à passer le portail, et je suis pas très très sûre qu'être dans cette ville et retrouver Alzebal soit si bien que cela pour lui, vu la menace sous-jacente de Lodith.

Et j'imagine que si tu parles de la famille du vagabond qui a été tuée, c'est que l'un d'entre eux va avoir son importance par la suite :)
Arod29
Posté le 26/06/2023
Merci pour ton commentaire!
C'est vrai que j'ai beaucoup de personnages et je fais le ménage de temps en temps ;-)
Grys n'est pas au bout de ses surprises.... :-)
Nathalie
Posté le 18/06/2023
Bonjour Arod29


J’ai énormément de mal avec ton roman. Je vais essayer d’expliquer mon ressenti histoire que ça ne soit pas juste un « Je n’aime pas » fort peu utile.

J’adore les histoires multi-personnages. J’en lis et j’en écris. Mais là, il y en a trop : Erhas, Loup, Yian, Dwenn, Alzebal, le grimoire, Sinfen Otir, Tyssy Crine, Esdino, Yulni, Olser, Tili, Arcis, Grys Dilur, Ereïm, Lodith Mithis, Thozen Caril, Acilla, Nald, Neda, Selenn. 21 personnages en 12340 mots. Je n’arrive pas à suivre. Je n’ai pas le temps de m’attacher à eux si bien que je me fiche totalement de ce qui leur arrive. Les événements tragiques arrivent trop vite, trop tôt, s’enchaînent sans me laisser le temps de me poser et de découvrir les protagonistes.
Neuf chapitres et je n’ai toujours pas saisi le fil rouge, ni dans le scénario, ni dans les personnages. Je ne connais personne correctement.

Les phrases sont trop compliquées pour moi (je sais, il m’en faut peu), trop longues et contiennent des mots trop complexes pour moi (ce qui est évidemment très subjectif). Tu me diras : « T’as qu’à aller voir dans un dictionnaire. Ça augmentera ton vocabulaire disponible ». D’accord, mais quand je dois m’arrêter à chaque paragraphe, je perds en immersion. Je pourrais aussi laisser tomber mais je perds en compréhension.

C’est normal qu’il reste quelques fautes de ci de là. C’est même inévitable. Mais visiblement, l’accord du COD placé avant l’auxiliaire « avoir » te fait défaut. De ce fait, je m’arrête sans cesse dans ma lecture.
un choix qui l'avait sauvé (qui ça ? Dwenn, qui, sauf erreur de ma part, est une femme donc sauvée)
Celui qui l'avait sauvé (qui ? Encore Dwenn donc sauvée)
Il l'avait fondé (quoi donc ? Sa guilde donc fondée)
Elle ne l'avait pas reconnu (qui ça ? Toujours Dwenn, donc reconnue).
Tu me diras, 4, ce n’est pas tant que ça. Je te l’accorde mais ça me sort de l’histoire. Je cherche l’objet ou le personnage masculin. Je retourne en arrière.

Du coup, pour toutes ces raisons, je n’arrive pas à m’immerger dans ton roman (dont on m’a dit par ailleurs le plus grand bien). C’est dommage car tu sembles avoir crée un univers riche, avec des personnages haut en couleur avec un passé, un présent et un avenir, des secrets, des volontés personnelles, des forces et des faiblesses.

Ce n’était que mon ressenti personnel. Tu as bien sûr le droit de ne pas le prendre en compte, de l’oublier et de le jeter à la poubelle. Je ne t’en voudrais absolument pas. Il faut de tout pour faire un monde et je ne doute pas un seul instant que tu trouveras ton lectorat.
Arod29
Posté le 18/06/2023
Bonjour Nathalie
Merci pour ton commentaire et d'avoir tenu 9 chapitres! ;-)
Je comprends ton ressenti. C'est vrai que le début est dense mais ça l'est moins par la suite.
Pour les COD, effectivement si cela te fait sortir de ta lecture, c'est que la lecture ne te passionne pas! ;-)
Concernant le vocabulaire, difficile pour moi de changer, c'est mon style mais je comprends que l'on ne puisse pas adhérer. Je me souviens que j'avais eu ce problème quand j'étais plus jeune avec le pendule de Foucault d'Umberto Eco. Quelques années plus tard je l'avais mieux apprécier.
En tout cas, on ne peut pas plaire à tout le monde! Dommage que cela ne t'ait pas plu mais merci d'avoir essayé! :-)
A bientôt peut être!
Claire May
Posté le 18/05/2022
Hello ! toujours un plaisir de visiter ton univers sombre et dangereux ! Le désert de la mort où on ne peut poser pied est très intéressant, et on rencontre encore de nouveaux personnages !
Je me suis égarée au moment de la rencontre avec Lodith, d'abord je n'avais pas compris ce qu'il s'était passé, qui parlait, d'où elle vient, pourquoi là, pourquoi Thozen ne l'a pas vue avant de la heurter, pourquoi il en est mort, bref, mille questions, j'ai dû relire le passage plusieurs fois.
Pour les coquillettes, c'est par là :
- des yeux bleus intense => s
- Ca pullule ces temps-ci ces putains de rats! => à saupoudrer de quelques virgules bien placées
- ta réputation de finesse n'est pas usurpé => pée
- Grys tu es un flatteur mais tes trucs de séducteur ne marcheront pas avec mon patron => une virgule après Grys, une avant mais
- — Je sais. Il prit un air contrit. => à la ligne après "je sais", sinon on croit que "il prit.." fait partie du discours. Même chose pour "la géante fit un clin d'oeil"
- les virgules avant les apostrophe, comme "mon Grys"
- j'aime bien le glissement dans la narration à partir de "l'infortuné s'appelait Thozen". Par contre, tu parles de sa femme et "son fils", mais il y a des filles qui surgissent juste après... même si on comprend après qu'elles sont mortes ou disparues, ça perturbe un peu la lecture, j'ai eu l'impression d'avoir mal compris quelque chose.
- les maudits Trioms l'avaient emporté. => ée
- jamais ils ne l'avaient revu => vue
Voilà, j'espère que ça t'es utile, à très vite pour de nouvelles lectures !
Claire
Arod29
Posté le 19/05/2022
Hello Claire!
Merci pour ton commentaire!
Je pensais que la rencontre mortelle avec Lodith était claire mais je vais essayer de clarifier tout ça! :-)
Concernant la femme de Thozen, peut-être que je peux ajouter une phrase de clarification mais j'explique à la fin du chapitre ce qu'elles sont devenues. Ses 2 filles ne sont plus avec elle, l'une Neda est morte et l'autre Selenn est entrée dans une secte.
Merci pour toutes tes remarques précieuses!
A bientôt!
Edouard PArle
Posté le 09/09/2021
Salut !
Dans ce nouveau cadre, on découvre quelques personnages qui paraissent sympathiques, tu a l'air d'avoir une grosse galerie de personnages (= Celui qui m'intéresse le plus à priori c'est Selenn, j'imagine qu'elle doit avoir une place intéressante dans cette histoire.
Quelques remarques :
"et la fraicheur de la nuit" -> fraîcheur
"légendes de Milsden importait" -> importaient
"Et tu as de l’humour!" Vu qu'elle rigole avant, je trouve cette phrase inutile
" Son ainée Selenn sombra" -> aînée
"Selenn aurait du fêter" -> dû
Bien à toi !
Arod29
Posté le 09/09/2021
Hello!
Merci! Oui en effet Selenn va avoir une très grande importance dans l'histoire! ;-)
Merci d'avoir relevé les coquilles.
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