[8] - Pendant ce temps-là, ...

Notes de l’auteur : La #7 me prend un peu plus de temps, mais j'espère la terminer avant la fin de la semaine. En attendant, voici déjà la #8.

« Robe ou pantalon ? Pantalon ! Il fait beau dehors, mais ce sera plus confortable pour l’audition. » Anele a 27 ans. Elle est comédienne et espère, aujourd’hui, décrocher le grand rôle qui propulsera sa carrière au théâtre. Oui, c’est une belle journée pour réaliser ses rêves.

En vitesse, elle enfile un jean, un pull rose pâle, son trenchcoat jaune et court attraper le bus qui la mènera vers son destin. Tout au long du trajet, elle se répète en boucle les répliques qu’elle devait apprendre. Cette fois-ci, elle en est certaine, le rôle sera pour elle. Depuis le temps qu’elle passe des auditions, elle estime avoir échoué suffisamment pour que la chance lui sourie enfin.

Arrivée à destination, elle descend du bus et ses jambes commencent à trembler, son cœur à battre plus fort. Le stress monte. « Tout va très bien se passer », se dit-elle. Elle prend une profonde inspiration et marche vers le Théâtre des Étoiles qui se trouve à deux rues de l’arrêt de bus. Soudain, un grondement dans le ciel. En l’espace de quelques secondes, une averse, digne des chutes du Niagara, lui tombe sur la tête. « Je hais ces jours où il fait grand soleil quand je pars de chez moi, et moins d’une heure après, il pleut comme vache qui pisse alors que je n’ai pas de parapluie ! » Dépitée, les bras ballants, le dos vouté, Anele se dit que finalement la journée n’est peut-être pas si bien partie. Elle se redresse et décide de ne pas laisser le mauvais temps la démoraliser, même si son brushing est ruiné et qu’elle ne ressemble plus à rien. « Tout va bien se passer. Oui, oui. Tout va bien se passer. »

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« Robe ou pantalon ? Robe ! Il fait gris dehors, mais ce sera mieux pour se mettre dans la peau du personnage lors de l’audition. » Elena a 27 ans. Elle est comédienne et espère, aujourd’hui, décrocher le grand rôle qui propulsera sa carrière au théâtre. Oui, c’est une belle journée pour réaliser ses rêves.

En vitesse, elle enfile une robe rose pâle, son trenchcoat jaune, prend son parapluie, au cas où, et court attraper le bus qui la mènera vers son destin. Tout au long du trajet, elle se répète en boucle les répliques qu’elle devait apprendre. Cette fois-ci, elle en est certaine, le rôle sera pour elle. Depuis le temps qu’elle passe des auditions, elle estime avoir échoué suffisamment pour que la chance lui sourie enfin.

Arrivée à destination, elle descend du bus et ses jambes commencent à trembler, son cœur à battre plus fort. Le stress monte. « Tout va très bien se passer », se dit-elle. Elle prend une profonde inspiration et marche vers le Théâtre des Étoiles qui se trouve à deux rues de l’arrêt de bus. Alors qu’elle pensait se prendre une averse sur la tête, finalement, elle a trop chaud et quitte son trenchcoat. La voilà encombrée de son manteau dans une main et son parapluie dans l’autre. « Je hais ces jours où il fait gris quand je pars de chez moi et moins d’une heure après il fait un grand soleil digne des Bahamas ! » Dégoulinante de sueur, les cheveux qui commence à boucler, Elena ne se laisse pas démoraliser par de si petits détails, même si elle a l’impression de sentir le fauve. « Tout va bien se passer. Oui, oui. Tout va bien se passer. »

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Anele est sur scène. Pétrifiée. Elle n’arrête pas de bafouiller. Sa gorge est sèche. Elle le veut tellement ce rôle qu’elle se laisse submerger par l’émotion et la peur de rater l’audition. Sans oublier qu’à son arrivée, le metteur en scène n’a pas manqué de l’incendier, soi-disant qu’elle était en retard – ce qui était faux –, mais qu’en plus, elle sentait le chat mouillé. Elle n’a même pas de chat … Anele est déstabilisée. Elle n’a qu’une envie, c’est ramasser ses affaires, courir chez elle se mettre en boule sous sa couette et prétendre que cette journée n’a jamais existé.

Au bout de dix longues minutes, le metteur en scène met un terme à son supplice – le sien ou celui d’Anele ou encore les deux –, et sans détour lui notifie qu’elle n’est « pas retenue pour le rôle, merci, au revoir. »

Anele se précipite vers la sortie en évitant tout contact visuel et s’effondre en larmes au coin de la rue. Il pleut toujours. Elle se sent pitoyable. Oublier, c’est la seule chose à faire pour aller de l’avant, mais comment faire quand on a l’impression que la honte est une ombre massive qui nous suit pour crier à qui veut l’entendre que l’on vient de s’humilier lamentablement. S’il n’y avait que la honte qui l’accompagnait, mais la culpabilité aussi pointe le bout de son nez. Elle qui avait fait des pieds et des mains auprès de son patron, au café, pour obtenir sa journée et changer le cours de sa vie. « Tout ça pour ça … » Anele rampe jusqu’à son appartement.

Passée la porte, elle retire ses vêtements trempés, prend une douche bien chaude, et se glisse dans son lit avec une tisane. Demain sera un autre jour. Elle reprendra son tablier de serveuse.

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Elena est sur scène. Détendue. Elle déroule ses lignes de dialogue avec naturel et fluidité. Elle n’est plus Elena, elle incarne son personnage. La scène lui appartient, rien ne l’impressionne. Le metteur en scène n’a d’yeux que pour elle. Elle le voit, elle le sent. Dès son arrivée, elle s’est sentie électrifiée par les regards des autres candidates et de l’équipe de production. Peut-être ont-ils perçu sa détermination. Il ne suffit pas de vouloir, il faut se conduire comme si on avait déjà ce que l’on voulait. Elena croit en la loi de l’attraction. Elle n’a qu’une envie, c’est qu’on proclame devant tout le monde qu’elle est née pour interpréter ce rôle. Au lieu de cela, elle termine sa scène et c’est avec un grand sourire qu’on lui annonce qu’on la recontactera très bientôt pour l’informer de la suite.

Elena sort du théâtre, sereine. Le ciel est bleu, les oiseaux chantent, bla-bla-bla... Ses pieds ne touchent même plus le sol. Elle flotte jusqu’à son appartement.

À peine, passe-t-elle la porte que son téléphone sonne. C’est le metteur en scène. Le rôle est à elle ! Folle de joie, Elena saute sur son lit comme une petite fille qui vient d’apprendre qu’elle passerait le weekend à Disneyland. Bientôt, elle n’aurait plus besoin de son job de serveuse.

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Six mois plus tard, Anele travaille toujours au café. Elle se sent triste, désespérée. Sa vie n’a pas changé d’un pouce. Anele commence à douter et se dit qu’elle devrait abandonner son rêve de devenir comédienne.

Ce soir, un couple célèbre leurs 3 ans de relation. En voyant son t-shirt marqué « Demandez une chanson », les jeunes gens lui demandent un morceau. Anele n’a pas du tout le cœur à pousser la chansonnette, mais c’est dans son contrat, elle sert les boissons et chante pour les clients. Pour une fois, ils ne choisissent pas une banale chanson d’amour, mais optent pour Lovely Day de Bill Withers. Puis, dès qu’Anele entonne les premières notes, toute la salle se tait et se laisse envouter par sa voix d’or. Les amoureux se font des regards mignonnets et des sourires niais en enlaçant tous leurs doigts. « On dirait un plat de pâtes », se dit Anele.

Elle poursuit sa chanson et y met tout son cœur, en espérant que cela les motive à lui laisser un pourboire exorbitant. Quand elle termine, tous les clients se lèvent et l’applaudissent. Gênée, elle repart derrière le comptoir essuyer les verres comme si de rien n’était. Soudain, un homme s’approche, lui demande si elle a déjà envisagé de chanter sur scène. Anele faisait partie d’une chorale quand elle était enfant, mais qu’avant tout, elle aimait les pièces de théâtre et faire semblant d’être quelqu’un d’autre. L’homme se présente à son tour. C’est un producteur de comédie musicale ! Il souhaite lui faire passer une audition dès le lendemain pour son prochain spectacle. Les yeux d’Anele pétillent. Elle se tourne vers son patron qui sourit, et sans hésitation, lui accorde sa journée.

Quelques mois plus tard, Anele monte sur scène et incarne le premier rôle. Elle chante et joue la comédie, son rêve se réalise enfin.

 « Parfois, j’aime imaginer que dans un monde parallèle, j’ai eu le rôle au Théâtre des Étoiles et je me demande ce qu’il me serait arrivé. »

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Pendant ce temps-là, Elena s’apprête à donner sa première représentation au Théâtre des Étoiles. Dans sa loge, elle termine de se coiffer et se maquiller avant d’entrer sur scène. Sa famille et ses amis ont fait le déplacement, ils sont assis juste derrière le rang réservé à la presse.

Le brigadier retentit sur le plancher. Trois coups. Lever de rideau. Elena est détendue. Aucune raison d’angoisser, elle a attendu ce moment toute sa vie. C’est le moment de briller.

Soudain, au bout d’un quart d’heure, l’alarme incendie retentit. Tout le monde évacue les lieux immédiatement. C’est la panique. La foule se regroupe sur le trottoir opposé pendant que les pompiers tentent de maîtriser le feu. Mais, quand ils y parviennent enfin, il ne reste plus rien du Théâtre des Étoiles, sinon un amas de bois encore fumant, comme les rêves d’Elena.

Le lendemain, les critiques sont mauvaises. Les quinze premières minutes n’ont même pas suffi à les convaincre, au point qu’ils voient l’incendie comme une bénédiction. Elena s’effondre à l’idée de reprendre son tablier de serveuse. Mais ce n’est pas tout. Le coup de grâce arrive bien plus tard, quand l’enquête révèle que l’origine de l’incendie est un fer à lisser, resté branché près d’une perruque, dans SA loge ! C’est elle, la cause de ce désastre, de sa propre déchéance. Elle qui croyait que c’était la chance de sa vie.

« Parfois, quand tout part en c… cacahuètes, j’imagine que pendant ce temps-là, dans un monde parallèle, il existe une version de moi à qui tout réussi. »

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Zig
Posté le 29/06/2020
C'est génial... c'ets hyper bien vu cette idée de dualité, avec un récit qui évolue en parallèle et joue sur un système d'échos et de différences... Vraiment j'adore !

Je te le dis tout le temps, mais je trouve que tu as un talent fou : c'est bien écrit, bien maîtrisé, bien pensé... il y a beaucoup plus que quelques mots qui se lient pour former une histoire, tu arrives à invoquer tellement d'idées, de réflexion, toujours en restant parfaitement juste et sans jamais en faire trop.

Je crois que j'ai un gros coup de cœur pour cette Nouvelle.
PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 29/06/2020
Effectivement, j'aime bien faire passer des messages dans mes histoires, sans tomber dans les grands discours qui peuvent vite être moralisateurs. Tout ce que j'espère, c'est que le message soit, malgré tout, bien capté par le lecteur.

Ton commentaire me va droit au cœur. Je suis en pleine remise en question de mes compétences en écriture. Sur la courbe de l'effet Dunning-Kruger, je crois que je suis en train de descendre de "la montagne de la stupidité" pour aller piétiner un peu dans "la vallée de l'humilité".

Très contente que cette nouvelle soit ton gros coup de cœur ! :D
Yvaine
Posté le 28/06/2020
C'est fou, ces deux personnages sont le même et différents à la fois, et la manière dont tu les exposes est splendide ! La fatalité, le destin ; réaliser son rêve à la première occasion n'est pas toujours bénéfique.
PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 29/06/2020
Le mystère de la vie, parfois les choses marchent comme on le souhaite mais ça tourne à la catastrophe, et parfois, on est au fond du trou et c'est là que la roue tourne !
Merci pour ton commentaire :)
Isapass
Posté le 25/06/2020
C'est très marrant de voir comme des idées différentes peuvent naître d'une même image ! Oui je m'extasie parce que c'est mon premier DLP, mais ça m'a toujours fait cet effet avec les thèmes des concours aussi.
Je n'écris pas du tout de tranches de vie, alors deja ça m'épate ! Je n'avais pas non plus vu l'effet "miroir" de l'illustration : pour moi, c'était deux personnes différentes :) Du coup, je trouve ton idée du parallèle pluie/soleil, triste/gaie super sympa, et j'ai encore plus aimé le twist. Double twist, même ! J'aime bien aussi l'idée que rien n'est joué d'avance, dans un sens comme dans l'autre.
Et ta plume et tres agréable à lire.
Bref, j'ai passé un bon moment ! Merci pour ça !
PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 26/06/2020
Merci pour ta lecture et ton commentaire, Isapass !

Moi aussi j'adore voir comment une même image peut faire naître une multitude d'histoires différentes. Ça rassure aussi sur le côté "tout a déjà été fait ou dit" car cet exercice prouve bien que la créativité est sans limite :D
_HP_
Posté le 25/06/2020
Hey !

J'adore ! C'est super original comme idée !
C'est amusant de voir les vies parallèles de ces deux jeunes femmes ^-^
J'adore cette interprétation, bravo ! <3
(et bon courage pour la fin de l'écriture de la 7 !! (^-^)
PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 25/06/2020
Hello HP !

Merci pour ton commentaire. Contente que cette interprétation te plaise. Je suis convaincue que nous avons tous des dizaines de versions de nous-mêmes dans des mondes parallèles :D

(merci, j'espère en venir à bout et surtout que ce sera à la hauteur !)
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