7· partie 1 : Leone.

« On ne change qu'en mourant. »

 

LEONE. 

 

D'un commun accord, après plusieurs minutes interminables de délibération, il est décidé que Blondie se ferait définitivement oublier pour sa propre sécurité. 

La mine triste sur son visage témoigne qu'elle n'est pas très enchantée de cette décision, mais elle sait au fond d'elle qu'elle n'a pas d'autres choix. Il est hors de question qu'on ait risqué de la sauver pour rien. Quand bien même c'était mon idée et que je l'assume entièrement, c'est à moi maintenant de décider de la ligne de conduite à suivre et de faire en sorte que ma bande ne soit pas en danger. 

Aux yeux du monde, elle n'existera plus. 

Lentement elle ouvre l'enveloppe que je lui ai donnée, et elle pose dessus toute son attention. Ses yeux se plissent légèrement mais elle ne laisse plus passer aucune émotion. Elle est sans doute déjà trop déçue, plus rien ne la choque depuis qu'elle a appris la nouvelle. 

Elle est belle sur les photos. C'est la première réflexion que je me suis faite en les voyant chez le mercenaire. Prise à son insu, elle rayonne, mais elle n'a pas l'air de le savoir. Il y a quand même ce truc sur son visage, quelque chose d'inexplicable mais de foncièrement triste. 

Il n'y a que sur les photos d'elle prises à l'hôpital que la gaieté semble reprendre possession de son joli minois, comme si son travail était tout ce qu'il lui restait. 

Elle grimace en passant en revue les photos une à une. 

Réaction banale, personne n'aurait aimé découvrir ce genre de choses chez un inconnu. On ne sait pas ce qu'il a bien pu faire avec ces photos. Elle doit y penser elle aussi puisque son corps est pris d'un frisson perceptible. 

Je les ai trouvé accrochées d'une punaise sur un mur, mise en évidence comme s'il devait apprendre chaque trait de son visage, chaque courbe de sa silhouette, avant de l'abattre froidement et de reprendre tranquillement sa vie, comme s'il ne venait pas d'en supprimer une. 

 

Cette journée sera millimétrée à la minute près, comme d'habitude. 

Pendant que Volpe s'occupe à dresser une liste de tout ce dont nous avons besoin pour transformer une simple voiture noire en voiture de carabinier¹, je fais le tour de la ville pour trouver ce qui sera la crédibilité de mon rôle: une Alfa Giulia noire, désormais utilisée par les gendarmes du pays. Je n'aurais plus qu'à la voler avant de partir en mission. Un jeu d'enfant. 

Je m'engagerai à ce que le propriétaire retrouve sa voiture après ma mission accomplie. 

Il ne fallu pas plus de deux minutes à Volpe pour trouver tout ce dont nous avions besoin: divers autocollants pour la carrosserie pour un déguisement parfait, et un gyrophare pour le toit. Il ne me reste plus qu'à trouver la perle rare dans le quartier riche de la ville, et le reste sera uniquement entre mes mains. 

  – On a une chance de cocu, lâche Volpe, les yeux toujours rivés sur l'écran de son ordinateur. La boutique ferme ses portes dans une heure. On aura tout. Je m'en occupe. 

Il prend à peine le temps de finir sa phrase qu'il bondit hors du canapé pour enfiler sa veste et ses chaussures, Anakin sur les talons, pour rejoindre le fournisseur que nous connaissons tous très bien. Il a beau être quelqu'un de discret, Volpe est dynamique et réactif. Je ne me fais aucun souci pour sa tâche, je sais qu'elle sera bien menée et surtout, à temps. 

Je ne me préoccupe pas des autres et je disparais à mon tour dans le garage. Clés en main, j'ouvre la Volvo et me glisse à l'intérieur. Le quartier riche de la ville n'est qu'à un quart d'heure d'ici. J'ai déjà pu voir de nombreuses Alfa dans le coin.  

À peine sorti du garage, je suis accueilli par la lumière chaleureuse du soleil. Le temps est encore assez doux dehors pour un début d'année et le sentir cogner contre ma peau me rassérène un peu. 

Je ne peux m'empêcher de penser à ma sœur. Je ressens le besoin de savoir comment elle se sent, ce qu'elle fait, ce qu'elle pense en ce moment-même, si elle pense encore à moi et si elle se souvient de la promesse que je lui ai faite. J'imagine qu'elle a bien grandi depuis la dernière fois que je l'ai vu. Les enfants grandissent très vite en général. Pour le reste de la famille, je me fiche bien de ce qu'ils deviennent. Je sais que bientôt, Adelina sera avec moi et qu'ils ne pourront plus rien faire contre ça s'ils tiennent un tant soit peu à leur vie. 

Simplement penser à ce sujet me crispe et je sens mes mains serrer fermement le volant. Je ferme les yeux une seconde à peine pour ne pas dévier mon attention de la route et me force à me détendre un peu en me redressant pour m'étirer le dos. Chaque chose en son temps, et aujourd'hui, la priorité se doit d'être la belle captive que j'ai décidé de sauver sans aucune foutue raison. 

 

Je freine subitement sans même penser à jeter un coup d'œil derrière moi. Sur ma droite, parfaitement garée devant une immense propriété peu repérable se trouve la voiture qu'il me faut. Je prends un instant pour analyser les environs, avançant à faible allure jusqu'à débarquer dans la rue où elle se trouve. Je ne peux pas m'éterniser au risque de me faire repérer par un voisin qui serait un peu trop devant ses carreaux mais la réflexion se fait très rapidement dans mon esprit. Assez dissimulée par de grands sapins, elle ne sera pas difficile d'accès. 

Je m'arrête pour écrire le nom de la rue dans les notes de mon téléphone et vérifie que rien ne parait suspect dans le quartier. Si quelqu'un m'a vu, je passerai sûrement pour le type qui cherchait sa route.

En fin d'après-midi, quand le soleil commencera à se coucher, je reviendrais ici la chercher pour la ramener dans notre garage et la transformer pour régler l'affaire de la supposée mort de cette fille. 

 

···

 

Il commence à faire assez sombre quand je m'approche à nouveau de la petite rue. Laissant la Volvo à plusieurs mètres de là, je marche jusqu'à reconnaître l'Alfa, toujours garée au même endroit, cachée des vitres de la maison par tous les arbres du jardin. Si je fais les choses bien, personne ne devrait me voir. 

Je marche lentement le long du trottoir comme si je n'allais rien faire d'illégal, laissant tout de même mon regard traîner sur les fenêtres des voisins. Rien ne me parait louche, ce qui détend un peu mes muscles. 

Une fois devant la voiture, je m'arrête et feints de me baisser pour refaire le lacet de ma chaussure histoire d'être certain que la maison du propriétaire de la voiture est plongée dans le silence. De la rue, je ne peux pas voir derrière le grand portail, ce qui m'arrange puisqu'il ne peut pas me voir non plus. 

Après m'être redressé, je m'appuie de tout mon poids sur l'avant droit de la voiture, tassant l'amortisseur. Aucun bruit. Elle ne possède pas d'alarme. Je vais donc gagner du temps. Je sors de la poche de mon jogging le brise-vitre que Volpe a rapporté, et après avoir contourné la voiture pour rejoindre le côté conducteur, je porte un coup assez fort au verre qui casse immédiatement au contact. 

J'arrête tout mouvement pendant vingt secondes, ce qui laisserait le temps à n'importe qui qui aurait entendu quelque chose d'ouvrir son rideau pour guetter la rue. J'observe les alentours, et personne ne semble se douter du petit manège que je mène. 

Parfait. 

Habillement, je glisse mon bras à l'intérieur en faisant attention à ne pas m'arracher la peau avec un débris pour déverrouiller la portière. 

Il ne me reste que deux minutes pour démarrer et partir d'ici. Sans une once d'inquiétude, je me glisse à l'intérieur de la voiture et sors un boîtier électronique que j'avais planqué quelque part sur moi. D'une main que je glisse sous le volant, je trouve très rapidement la prise OBD² de la caisse, une habitude pour nous. Il ne me faut qu'une seconde pour la brancher sur mon boîtier, et en peu de temps qu'il ne faut pour le dire, le système de la voiture est reconnu et je peux démarrer sans problème. 

Je ne m'éternise pas ici et prends directement la route de l'appartement. Les gars n'auront que dix minutes grand maximum pour me la transformer. 

 

···

 

Il est dix-neuf heures quand, face au miroir de ma chambre, j'ajuste la chemise bleu marine ornée du mot "carabinieri" dans le dos et la glisse dans le pantalon de la même couleur, décoré de fines lignes rouges. En jetant un coup d'œil à mon reflet, le déguisement est parfait et s'ajuste parfaitement à mon corps. On pourrait me prendre pour un vrai gendarme. 

J'avais volé cet uniforme à un ancien carabinier au passé honteux avant de le descendre dans la chambre miteuse de l'hôtel qu'il occupait à cette époque. Il avait profité de son statut pour faire du trafic d'enfants. Un homme qui ne méritait pas le cadeau qu'est la vie, et j'avais pris un malin plaisir à le lui reprendre. 

Avec toute modestie, il me va bien. Je n'ai pas l'impression d'être un imposteur, dans cette tenue. Je la porte sûrement avec plus de respect que son précédent propriétaire, bien que pour ma part, tout ça ne soit que mensonges et usurpation d'identité. 

Il faut parfois faire des choix comme celui-ci pour venir au secours d'une demoiselle. 

Je n'ai qu'à confirmer sa mort auprès de sa famille et trouver une excuse pour récupérer deux ou trois vêtements essentiels. 

Un jeu d'enfant. 

Deux petits coups contre la porte me tirent de mes pensées et je guette cette dernière avant d'autoriser la personne qui se trouve derrière à entrer. 

La fille se glisse à l'intérieur comme si cette visite était interdite, la timidité pouvant se lire dans chacun de ses gestes. 

Je reste là à la regarder un peu surpris de la voir débarquer si naturellement dans ma chambre, et dès que ses yeux se posent sur moi, elle parait bien trop gênée pour dire quoique ce soit. 

Je sens son regard glisser sur mon corps sans aucune retenue et un sourire se glisse au coin de mes lèvres malgré moi, qu'elle ne manque pas de remarquer.

  – J'espère que tu aimes ce que tu vois, je lui demande d'un ton enjôleur pour tester ses limites. 

Elle ne rentre pas dans mon jeu et hausse simplement les épaules. 

  – Ce que je vois, c'est que n'importe qui tomberait dans le panneau. Ça fera l'affaire. 

Elle pense contrôler la situation, mais je peux très bien voir que ses joues ont changé de couleur. Elle a chaud, et c'est pourquoi elle tire nerveusement sur son sweat sans me quitter des yeux. 

  – Qu'est-ce que tu comptes leur dire sur moi? 

Je glisse mon arme dans le holster de ma ceinture, et le bruit qu'elle fait en se glissant à l'intérieur la crispe. Je peux sentir une tension inhabituelle dans la pièce. Je l'ignore totalement et termine de boutonner ma chemise devant elle. 

  – Je lui dirais que ton corps a été retrouvé dans une forêt, que tu avais une blessure par balle apparente au niveau du front et qu'une autopsie sera pratiquée très rapidement. 

Je la vois déglutir du coin de l'œil mais elle garde la face, acquiesçant lentement en se concentrant sur mes mots. 

  – Et pour mes affaires? Tout est dans ma chambre. 

  – J'y ai réfléchi, justement, je commence en avançant jusqu'à elle. J'essaierai de récupérer ce que je peux en prétextant devoir prendre une photo de ta chambre. Pour le reste, on passera une seconde fois chez eux dans quelques jours pour être plus crédibles, en espérant qu'ils ne s'en débarrassent pas avant.

  – Il ne voudra pas les garder et cherchera à s'en débarrasser au plus vite, me coupe-t-elle en levant les yeux au fur et à mesure que je m'approche d'elle.

  – Alors il nous facilitera la tâche. Il ne verra aucun inconvénient à ce qu'on les récupère. Je lui ordonnerai de les garder jusqu'à ce qu'on revienne et je prendrais tout. Pour ne pas l'inquiéter, je lui dirais qu'on a déjà un suspect, un jeune homme que tu fréquentais, histoire qu'il ne panique pas et ne se sente pas en danger. Il ne verra pas la ruse. 

Un soupir franchit ses lèvres et elle hausse les épaules. 

  – Tout ce que je possède se trouve dans un carton, dans une commode. Il y a un sac avec dans lequel tu pourras mettre mes vêtements. J'en ai pas des tonnes. J'avais déjà prévu de m'en aller alors je ne t'encombrerai pas de beaucoup de choses. 

  – Tant mieux, dans ce cas. 

Elle recule lentement contre le mur alors que mon corps s'approche du sien jusqu'à presque le frôler. Je ne détourne pas mon regard de ses jolis yeux. Encore une fois, comme lorsque je l'ai vu à l'hôpital le soir de l'enlèvement, quelque chose me retient à l'intérieur. Et j'aimerais y rester. 

Je garde ce contact visuel tout en actionnant la poignée de la porte avant de sortir à l'extérieur pour rejoindre le garage, la laissant en plan contre mon mur, légèrement haletante à cause de la gêne que j'ai occasionnée en elle. 

 

 

Ma mission commence dès à présent. 

Je m'installe confortablement dans l'Alfa Giulia noire parfaitement déguisée par les gars et j'esquisse un sourire. Quel plaisir de monter dans une telle caisse. 

Je prends une inspiration avant d'expirer vivement. 

Je n'ai pas droit à l'erreur ce soir. 

Volpe m'ouvre le garage et j'en sors, prêt à jouer mon rôle à la perfection. Les rues ne sont pas bondées, quelques jeunes sont de sortie mais ne prêtent absolument pas attention à moi. Je glisse mon bras à travers la vitre désormais inexistante et dépourvue de débris de verre. L'air frais embaume l'habitacle et me fait légèrement frissonner. 

Dans ma tête, mon discours est déjà tout préparé. 

Je suis complètement confiant pour cette mission. Ce n'est pas la première fois que je me prends pour ce que je ne suis pas. Ce soir encore, j'arriverais sans encombre à mes fins. Le plus dur sera probablement de garder mon sang-froid devant cet homme capable de faire tuer son propre enfant. Il fait naître en moi une colère que j'ai bien intérêt à enfouir au plus profond de moi. Par chance, il est tombé sur un homme qui sait se maîtriser. 

 

Il est vingt heures quand je débarque à l'adresse qu'elle m'a laissée. Je me gare à l'entrée de l'allée et sors de la Giulia. C'est une magnifique maison qui témoigne de la richesse de sa famille. Je reste là une minute, les mains enfouies dans les poches, assez étonné. Elle ne m'avait pas du tout paru être le genre de fille venant d'un milieu si aisé. 

La longue allée fleurie amène jusqu'à la porte d'entrée et je prends soin de détailler le jardin bien entretenu. Ce qui ne m'étonne pas. Les mauvais types sont souvent ceux qui réussissent le mieux dans la vie. 

La maison est bien trop grande pour deux personnes. Elle n'a évoqué qu'un seul membre de sa famille, mais je me demande combien de gens vivent là-dedans, et s'ils étaient tous dans la confidence de cette lettre adressée au tueur à gages. Si c'est le cas, je la plains vraiment d'avoir vécu des années ici.  

Arrivé devant la porte, je prends une seconde pour entrer dans mon rôle et adopter une expression des plus sérieuses tout en feignant venir annoncer une mort réelle avant de sonner longuement. Qui sait si on m'entendra dans cette gigantesque baraque. 

La porte s'ouvre très rapidement sur un homme, à peine plus grand que moi, et qui me toise comme si j'étais la dernière des merdes. Je n'aime pas son regard de prétentieux, mais je sais déjà que c'est un connard, ce qui écourte mon irritation. 

  – C'est pour quoi? 

Je suis déguisé en gendarme mais ça n'a pas l'air d'inquiéter ce salaud. 

Je prends une voix sérieuse emplie d'empathie, et tel un acteur, je commence ma plus belle scène. 

  – Bonsoir Monsieur, je suis le carabinier Girotti. Pardon de vous déranger à cette heure si tardive, mais j'ai une mauvaise nouvelle. Vous devriez vous asseoir. 

Quel comédien. 

L'homme hausse un sourcil de façon dédaigneuse et me fait signe de la main qu'il ne compte pas bouger. 

  – Dites-moi. 

Évidemment que ça ne lui fera rien, c'est sûrement lui qui a voulu commanditer l'assassinat. Je m'apprête à lui demander s'il est bien le père de la fille, mais je me souviens que je ne connais pas son nom, et que je ne dois pas le connaître, pour la sécurité de tous. C'est notre première règle. L'anonymat. 

Tant pis, je vais jouer cartes sur table. Il faut savoir prendre quelques risques dans la vie, et puis il ne mérite pas que je le ménage. 

  – Le corps de votre fille a été découvert dans une forêt tout prêt d'ici. Tout laisse à croire que c'est un meurtre et qu'elle a été agressée. Je suis vraiment désolé. 

Je mime un air bouleversé alors que je suis plutôt concentré sur ses réactions à lui. Ses sourcils se haussent légèrement mais je ne vois pas l'ombre d'une quelconque tristesse ou d'un choc passer dans ses yeux. Il se tourne pour appeler une femme, sûrement la mère, qui arrive peu de temps derrière lui, et lui marmonne quelque chose que je ne comprends pas. Elle baisse les yeux, apporte sa main à sa bouche d'un geste exagéré, et feint le choc. Tant d'hypocrisie me ferait rouler des yeux en temps normal. 

Je ne suis pas le seul acteur ici. 

  – Quand l'avez-vous découvert?, demande la femme en s'approchant lentement de la porte. 

Elle est dans le coup. 

  – Ce matin. Deux promeneurs l'ont retrouvée. Elle se trouve à l'institut médico-légal si vous voulez, mais le corps était en mauvais état, je doute fortement que vous puissiez la voir. 

  – Je ne veux pas voir ça de toute façon, je crains les cadavres, renchérit la femme avant de s'éloigner comme si elle était trop bouleversée pour continuer cette discussion.  

  – Oui, rajoute le père, les macchabées ce n'est pas notre truc. De quoi est-elle morte? 

Je fronce les sourcils. Ils méprisent leur fille à ce point? 

  – Elle présente une plaie par balle au niveau de la tête. 

L'homme acquiesce et son regard cherche un endroit où se fixer, comme s'il était déboussolé. 

Il faut que je récupère le peu d'affaires nécessaires et que je quitte cette famille de demeurés au plus vite. Imaginer ce qu'elle a pu vivre dans une telle famille me préoccupe. 

  – Pardonnez-moi de vous déranger dans un tel moment mais j'aurai besoin de faire quelques photos de la chambre de votre fille, possiblement de ses affaires pour l'enquête.

  – Elle a un ordinateur si vous voulez, me coupe-t-il sèchement. Pour le reste, faites ce que vous avez à faire. 

  – Je vous demanderai juste de garder toutes ses affaires personnelles jusqu'à notre prochaine visite. Nous en aurons sûrement besoin pour plus d'expertises. 

  – Très bien. De toute façon, nous ne les garderons pas. Le deuil n'en serait que plus compliqué. Avez-vous déjà un suspect?

Le deuil, mon cul. Ça fait bien longtemps que ce salopard a fait son deuil. 

  – Un jeune homme que votre fille fréquentait. Son ADN pourrait se trouver sur ses affaires, des messages pourront possiblement être trouvés dans son ordinateur. Nous n'avons pas retrouvé son téléphone près du corps. 

Je le sens surpris mais soulagé. Il gobe mes informations avec la naïveté d'un enfant et ça me satisfait. Je lui jette un regard qu'on ne peut qualifier de compatissant et m'avance d'un pas. 

  – Je peux entrer? 

Le type se décale à peine pour me laisser passer et je ne me fais pas prier pour prendre moi-même l'initiative, frôlant son épaule. Je n'ai qu'une envie, c'est lui enfoncer mon poing dans la gueule. Je sais ce qu'il a fait à la chair de sa chair et sa façon d'être me faire enrager encore plus.

Une fois à l'intérieur, j'observe le salon dans lequel nous sommes directement plongés. Ce type gagne extrêmement bien sa vie. Au mur, des photos, mais aucune de la jolie blonde. 

  – Je vous accompagne à sa chambre, suivez-moi. 

Alors que le père de famille part devant, je continue d'observer la maison jusqu'à apercevoir de nouveau la femme faire la cuisine comme si de rien n'était. Trop concentré dans cette observation, je manque de me cogner contre une carrure équivalente à la mienne. Un jeune homme de presque mon âge me toise d'un œil mauvais. 

  – Faites attention où vous aller. 

Je l'entends fortement soupirer avant qu'un deuxième gars ne fasse son apparition. Il ressemble étrangement au premier, en plus vieux. Blondie nous avait caché qu'elle avait des frères. Je suppose qu'ils le sont puisqu'ils ont tous les trois la même couleur de cheveux. En revanche, la mère les a très foncés. Heureusement, elle ne lui ressemble pas. Son air sévère la rend vieille et vilaine à regarder. L'infirmière est tout le contraire. 

J'ai aussi envie de me faire ces deux-là. Ils ont l'air vraiment mal élevés. Ils n'ont pas non plus l'air concernés ni inquiets que leur sœur soit décédée. Ma main a coupé qu'ils connaissaient le plan de leur père. Blondie ne perd rien à déserter ces ordures. 

Toutes ces confirmations ne font qu'accroître la colère que je contiens. 

Le père m'ouvre la porte de la chambre qu'elle occupait. Ce qui me frappe directement, c'est qu'elle est presque vide. Seul un lit simple d'enfant traîne contre un mur au milieu de la pièce, et une commode, comme elle me la dit. Les murs sont blancs, comme sans vie, et rien ne les habillent: pas un seul cadre, ni une seule photo, rien. La fenêtre ne possède pas de rideaux et pourtant elle laisse passer peu de lumière. Le drap gris est parfaitement rabattu sous le matelas.

Quelque chose me frappe quand je me retourne. Derrière la porte, il y a une petite clé dans la serrure.

 

Il faut que je me débarrasse de ce type. J'aimerais le faire dans tous les sens du terme. 

  – Vous êtes sûrs que toutes ses affaires sont là? Elle n'a rien d'autre dans une autre pièce de la maison?  

  – Je vous laisse, je vais aller vérifier, mais je ne crois pas qu'il y ait grand chose de toute façon. Ma fille n'était pas très matérialiste. 

Ce crétin simule une sorte de peine qui me donne envie de rire jaune. Je prends sur moi pour me taire et le regarde s'extirper de la chambre, me laissant le champ libre. Je ne suis pas passé à côté de la facilité dont il a fait preuve en parlant d'elle au passé alors que je viens à peine de lui apprendre son "décès". Ça fait longtemps que pour lui, sa fille n'existe plus. 

Tout ce que je veux, c'est finir d'accomplir ma mission pour quitter ce lieu irritant au plus vite. Je n'ai pas l'habitude de contenir autant d'émotions.

 

L'ambiance de cette chambre est pesante et je n'aime pas ce que je ressens en étant ici. C'est comme si la pièce était remplie de mauvaises ondes. L'air est peu soutenable et j'ai ce mal à prendre une inspiration qui m'agace encore plus. 

Je plains vraiment cette fille d'avoir grandi dans cette famille si détestable, alors que je les connais à peine depuis dix minutes. 

Je ne m'éternise pas ici et ouvre la commode. Il s'y trouve quelques sous-vêtements dont elle aurait bien besoin. Rapidement, j'ouvre quelques boutons de ma chemise d'une main habile et en glisse quelques-uns au hasard à l'intérieur. Elle a l'air d'avoir du goût, c'est le moins que l'on puisse dire, mais je m'empêche de penser plus longtemps à tout ça dans un pareil moment. Les minutes sont comptées et je n'ai pas de temps à perdre en futilités.

Il n'y a absolument rien d'autre dans la petite pièce que je puisse prendre dans si peu d'espace, mis à part son ordinateur pour lequel j'ai une excuse. 

Des pas dans le couloir me signalent que le type arrive. Je referme brusquement la commode en tâchant de faire le moins de bruit possible, glissant mes mains dans mes poches.

  – Vous avez tout ce que vous vouliez?, demande le père en restant sur le seuil de la porte, comme mal à l'aise d'avoir à rentrer dans cette chambre. 

Je hoche la tête, m'apprêtant à quitter les lieux. 

  – Je prends l'ordinateur avec moi. 

Quand je me poste devant lui, l'homme ne bouge pas mais me fixe silencieusement. Je soutiens son regard, pas le moins impressionner en attendant qu'il daigne me laisser passer. 

  – Ne pensez pas que nous sommes sans cœur, commence-t-il. Ça fait plusieurs jours que ma fille a disparue, et un policier nous a déjà dit qu'elle était probablement morte. On s'est fait à l'idée pour que ce soit moins difficile à encaisser, c'est tout. 

Il finit par s'écarter, toujours sans me quitter des yeux. Comme s'il se méfiait de quelque chose. Outre le fait qu'il soit malsain, quelque chose cloche avec ce type. 

 

 

_______________________________

¹ Gendarme italien.

² Prise de diagnostic automobile qui permet d'accéder à toutes sortes d'informations relatives à l'état de fonctionnement d'un véhicule.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
UneXtoile
Posté le 22/05/2023
Je pense que je commenterai surtout ici pour les commentaires de fin de chapitres et WP pour les bébés commentaires, ON VEUT QUE TU AI DES VUS !
Misà part ça je me souviens que j'avais adoré ce chapitre sur WP parce qu'on remarque toute la cruauté de la famille génitrice de notre héroine eurk
millobooks
Posté le 14/06/2023
merci ma douce <3
et c'est pas fini pour les atrocités!
coeurfracassé
Posté le 21/05/2023
Hello hello ! Toujours aussi génial !!!
Un chapitre un peu plus long mais que j'ai dévoré, comme toujours. Leone... fait preuve d'un véritable sang-froid. Wahou. Attention, j'ai remarqué une petite coquille vers le début, habillement --> habilement. Et puis l'effet que fait Leone sur cette fille... Ah ah ah, j'ai hâte de voir comment cette relation va évoluer. Pas vous ? Bon, à quand le chapitre suivant ;-)
Et encore bravo, l'écriture en elle-même est toujours aussi bien tournée.
millobooks
Posté le 14/06/2023
merci beaucoup!!! oui, j'ai du le couper en deux tellement il est long ;)
oui, je suis au courant de cette coquille en plus j'ai oublié de la modifier, merci😭
la suite arrive bientôt ;) merci pour tous tes commentaires <3
Vous lisez