[7] - Le vœu de Mazara

Notes de l’auteur : Avec 13 jours de retard, voici le DLP #7 !
Depuis plusieurs semaines, j'ai un nouveau personnage qui tourne en rond dans ma tête, impatient que je lui donne vie. C'est chose faite :)
Je n'ai pas tout à fait déterminé l'époque, ni l'environnement. Pour le moment, je ne peux pas y accorder davantage de temps pour être plus claire, mais pour cet exercice, j'espère que ce sera quand même un petit peu cohérent ... :)
Bonne lecture !

NB : j'ai un peu jonglé entre le présent et le passé en fonction de ce que je narrais, mais je ne sais pas si c'est très juste.

La petite fille est morte. On a retrouvé son corps enroulé dans un tapis persan, lui-même fourré dans le coffre en bois que les marins ont repêché ce matin. Son cou noirci indique qu’elle a été étranglée. Mais, ses longs cheveux noirs agrégés les uns aux autres, à cause du sang séché, révèlent que ce sont des chocs répétés, pendant la strangulation, qui l’ont tué. L’arrière de sa tête est défoncé. Son visage, ses bras, son dos et son abdomen sont couverts d’ecchymoses et de griffures, et des incisions profondes sont présentes au niveau de ses articulations. Elle a été battue, fouettée, puis on a essayé de la découper sans y parvenir. Sous ses ongles, les résidus de peau montrent qu’elle a tenté de lutter. Pauvre enfant. À vue d’œil, elle devait avoir à peine 7 ans. Son visage poupon semble s’être figé dans sa dernière expression comme si, même dans la mort, elle continuait à souffrir.

Séra Ogba Wietrich reste de marbre mais, intérieurement, la scène lui déchire le cœur. Qui avait pu commettre ce crime d’une atrocité inimaginable et surtout pour quelle raison ? Sans aucun doute, un être dépourvu d’humanité, se dit-elle.

« Que faites-vous ici, La Séra ?

— Ma promenade matinale, officier Gontrand.

— Vous ne devriez pas sortir sous un tel soleil.

— Oh, c’est gentil de vous soucier de moi, mais, vous savez, avec ma peau foncée, je supporte assez bien le soleil. Et puis, si je n’étais pas sortie de bon matin, j’aurais manqué une affaire intéressante.

— Je croyais que votre domaine à vous, c’était l’étrange ? Je ne pense que nous ayons besoin de vous ici, détective.

— Probablement, probablement », dit-elle alors que ses yeux concentrés montrent qu’elle est déjà en pleine investigation.

Un livre est tombé du tapis juste avant qu’on ne le déroule. Séra le ramasse et analyse la couverture détrempée. Mille et une méthodes de vœux, lit-elle écrit dans une typographie arabesque. Pourquoi le meurtrier avait-il tenté de faire disparaître l’ouvrage avec le corps ? Quelles preuves recelait-il ?

« Vous avez parlé trop vite, officier. Vous savez que mon mari est libraire et qu’il restaure aussi les livres ?

— Je sais surtout que j’aurai beau m’y opposer, si l’affaire vous intéresse, rien ne vous empêchera de vous en mêler.

— Enfin, vous commencez à me connaître, Gontrand ! Quelqu’un a-t-il signalé la disparition d’une enfant, récemment ?

— Non, madame.

— Peut-être, devriez-vous vérifier auprès de son orphelinat.

— Comment savez-vous qu’elle est orpheline, détective ?

— Son uniforme. » La fillette porte un pantalon bouffant et un boléro bleus, la tenue des orphelins.

« S’ils n’ont alerté personne sur sa disparition, c’est qu’ils sont probablement impliqués.

— Je ne pense pas.

— Pourquoi cela, détective ?

— Il aurait été plus malin de la déshabiller avant de se débarrasser du corps, afin qu’il n’y ait pas de lien avec l’orphelinat. Ils n’ont peut-être pas encore remarqué son absence. Vu l’état du corps, le meurtre semble récent.

— Oui, de toute évidence.

— Je pars avec le livre. Téléphonez-moi lorsque vous aurez localisé l’orphelinat. »

Séra rentre chez elle et monte directement à l’atelier de son mari, Aloysius Wietrich, où elle savait qu’elle le trouverait le nez plongé dans un livre.

« Toi, tu as trouvé un nouveau mystère à résoudre, dit-il dès qu’elle passe la porte.

— Un infanticide des plus sordides. Est-ce que tu peux réparer cet ouvrage, s’il te plaît ? » Elle le dépose devant son époux et s’installe dans un fauteuil tout en sortant un étui de cigarettes de la poche de son cardigan. Aloysius ferme sa lecture et regarde l’objet.

« Où as-tu trouvé ce tas de papier mâché ?

— Au port, il a été jeté à la mer avec la victime, lui répond-elle avec une cigarette entre les doigts qu’elle n’allume pas. Je sens qu’il renferme de précieux indices pour l’enquête. Tu penses pouvoir faire quelque chose ?

— Bien sûr ! »

Le libraire descend de son siège en tenant délicatement le pâté de papier mouillé entre ses mains et s’installe sur son plan de travail dédié à l’entretien des vieux ouvrages. Il grimpe sur un tabouret surélevé, ajuste ses lunettes et commence à séparer délicatement les pages du livre avant d’insérer, entre chaque, un carré de papier buvard.

« Tu pourras le consulter dès demain matin, Sérafina. » En trente-cinq ans de vie commune, Aloysius n’avait jamais usé de diminutif pour s’adresser à sa compagne, et inversement. Là où certains trouvaient cela formel et glacial, pour eux, c’était le symbole d’un profond respect mutuel. Puis, comme il le disait lui-même : « Je suis déjà un homme de petite taille, on ne va pas en plus raccourcir mon nom. »

« Demain matin, ce sera », répond-elle calmement en mimant une bouffée de cigarette. Elle avait arrêté de fumer depuis longtemps déjà, mais le geste lui permettait de canaliser ses pensées pour mieux réfléchir.

 Le téléphone retentit. « Ne te dérange pas, je vais prendre l’appel », dit-elle en voyant Aloysius s’apprêter à descendre de son siège. Lentement, Séra se lève de son fauteuil, s’assoit sur le coin du bureau et décroche le combiné.

« Oui ? dit-elle nonchalamment de sa voix rauque, la cigarette entre les lèvres.

— Détective, officier Gontrand à l’appareil. J’ai trouvé l’orphelinat dont la petite dépendait. Il s’agit de l’orphelinat Rêve Bleu dans le quartier d’Agrab.

— Merci, officier. Je m’y rends de ce pas.

— Je vous rejoins sur place. »

Arrivés en même temps à l’orphelinat, Séra et l’officier de police demandent à voir la directrice, madame Sharzad. Surprise par leur visite, celle-ci les reçoit volontiers dans son bureau.

« En quoi puis-je vous aider ?

— Une petite fille aux longs cheveux noirs a été retrouvée morte ce matin. D’après l’uniforme qu’elle portait, c’était une de vos protégés.

— De longs cheveux noirs ? Non ! s’exclame-t-elle en portant une main à sa bouche. Mazara …

— Aviez-vous remarqué son absence ? demande l’officier.

— Elle n’était pas absente, réplique-t-elle d’une voix tremblante, les larmes aux yeux. Elle venait d’être adoptée. Ses nouveaux parents sont venus la chercher hier matin. Je ne comprends pas. Est-il arrivé quelque chose aux parents ?

— Nous ne savons pas pour le moment. Pouvez-vous nous donner leur identité et leur adresse ? demande l’officier.

— Oui, un instant. » Elle se lève de son bureau et ouvre un tiroir à la recherche d’un dossier. « Voici le dossier de Mazara. Ses parents adoptifs sont madame et monsieur Noisulli et voici leur adresse, dit-elle en tendant une fiche.

— Merci, madame.

— Pouvez-vous nous parler de Mazara, s’il vous plaît ? interroge Séra.

— Oui, et bien … hum, par où commencer … ? Mazara était âgée de 7 ans. Abandonnée par ses parents, nous l’avons recueilli alors qu’elle avait environ 3 ans. C’était une enfant très douce. Elle s’entendait très bien avec les autres enfants, mais était d’un naturel solitaire. On la trouvait souvent assise dans un coin, absorbée par un livre. Je pense que la lecture lui donnait beaucoup d’espoir et lui permettait de s’échapper du quotidien de l’orphelinat. Mais, ce n’était pas une enfant difficile, au contraire. J’ai, j’ai du mal à croire qu’on ait pu vouloir l’assassiner.

— Avait-elle au moins un ou une amie, en particulier, avec qui elle passait du temps ?

— Pas vraiment. Ceci dit, elle partageait sa chambre avec la petite Noera.

— Serait-il possible de l’interroger ?

— Oui, si c’est nécessaire.

— Nous la verrons après. Aviez-vous enquêté sur ses parents adoptifs ?

— Bien sûr, détective, c’est la procédure ! Je vous assure que les Noisulli remplissaient toutes les conditions requises, dit-elle vexée que l’on puisse mettre en doute son sérieux. Un couple de gens travailleurs à qui il ne manquait qu’un enfant pour égayer leur vie. Ils voulaient une petite fille et Mazara souhaitait, de tout son cœur, avoir des parents aimants. La rencontre s’est passée merveilleusement bien, c’était comme s’ils se connaissaient depuis toujours.

— C’est très intéressant que vous parliez de souhait, poursuit Séra. Nous avons retrouvé un livre près du corps de Mazara : Mille et une méthodes de vœux. Est-ce que ça vous dit quelque chose ?

— Non, je ne crois pas que ce livre fasse partie de notre bibliothèque. Imaginez un tel livre dans un orphelinat …

— S’il ne faisait pas partie de votre collection, comment aurait-elle pu se le procurer ? 

— Hum … probablement au marché. Toutes les deux semaines, nous y emmenons les enfants. Nous leur donnons à chacun quelques pièces pour qu’ils puissent s’offrir ce qu’ils veulent. La plupart d’entre eux s’achètent des pâtisseries, mais Mazara revenait le plus souvent avec un nouveau livre trouvé chez un vendeur de bric-à-brac anciens.

— À quand remonte votre dernière visite au marché ?

— La semaine dernière, détective, mais il me semble qu’elle n’a rien acheté.

— Quand les Noisulli sont-ils entrés en contact avec vous, la première fois ?

— Hum … » La directrice se racle la gorge et semble ne plus tenir sur sa chaise. « Comme je vous l’ai dit, la procédure a été respectée. Tout a été fait dans les règles. Je vais vous demander de partir, à présent.

— En ne répondant pas à nos questions, vous entravez l’enquête, lui signifie l’officier. Et en plus, cela fait de vous un suspect…

— Nous ne vous prendrons pas plus de temps, madame Sharzad. Merci pour votre coopération. » interrompt Séra en faisant signe à l’officier de partir.

Une fois sortis, Gontrand explose. « Pourquoi n’avez-vous pas creusé davantage ? Et la petite Noera, nous n’avons même pas pu l’interroger ! Il est évident que la directrice a des choses à se reprocher.

— En effet, admet-elle en sortant une cigarette qu’elle laisse intacte.

— Alors, comment pouvez-vous rester aussi calme, Séra ?

— Parce que …, commence-t-elle en pinçant la cigarette entre ses lèvres qu’elle retire ensuite, comme si elle venait de prendre une bouffée. Je pense qu’elle dit la vérité. » L’officier Gontrand se fige en regardant Séra. Son visage se décompose à mesure qu’il répète dans sa tête ce qu’elle vient de dire.

« Mais enfin, Séra, qu’est-ce qu’il vous prend ? Il est évident que cette procédure d’adoption ne s’est pas faite dans les règles. Ces gens, les Noisulli, sont apparus à l’orphelinat il y a seulement quelques jours, j’en suis certain. Ils ont dû payer une somme indécente à la directrice pour adopter Mazara dans les plus brefs délais.

— De l’argent ? Non, je ne pense pas. Mais, vous n’avez pas totalement tort, Gontrand. Gardez bien votre raisonnement au chaud.

— Vous vous moquez de moi, Séra. Vous connaissez déjà l’identité du meurtrier.

— Je suis très flattée, officier, mais je n’en sais pas plus que vous et jamais je n’oserais me moquer de votre personne, dit-elle amusée.

— Vous m’exaspérez, détective.

— Que dites-vous d’aller faire un tour au marché, demain ?

— Pourquoi ne pas visiter les parents, d’abord ?

— Si vous insistez. Passons au domicile des parents à 9h, mais vous allez être déçu, officier. »

Le lendemain matin, pendant que Séra boit son café et triture sa deuxième cigarette de la journée, Aloysius la rejoint avec, entre les mains, l’ouvrage qu’elle lui a confié la veille.

« Comme neuf ! Ou presque …, lui annonce-t-il en s’installant pour prendre son petit déjeuner.

— Merci, Aloysius », lui répond-elle en se débarrassant de sa cigarette dans un cendrier.

Avec le plus grand soin, elle commence à lire l’ouvrage et attrape machinalement une nouvelle cigarette dans l’étui posé devant elle. Sur la première page se présente une liste de règles. Elle sourit, puis, elle continue sa lecture et découvre quelques-unes des méthodes pour formuler des vœux : Faire un vœu en soufflant une bougie d’anniversaire, Faire un vœu à une étoile filante, Faire un vœu en prière, Jeter une pièce dans une fontaine, Souffler un vœu sur une fleur de pissenlit … Pour chacune étaient détaillées les conditions à respecter – où ? Quand ? Comment ? – pour que le vœu fonctionne. Un véritable mode d’emploi. Soudain, Séra s’arrête sur une page cornée, intitulée : Invoquer un génie. « Hum ! » souffle-t-elle par le nez en brisant sa cigarette.

En voyant l’air de satisfaction, qu’il connaissait si bien, sur le visage de son épouse, Aloysius lui demande :

« Mystère résolu ?

— Mystère résolu ! » D’une traite, la détective avale le fond de sa tasse de café, pose une main affectueuse sur l’épaule de son mari et part en emportant le livre.

Comme convenu, Séra retrouve l’officier Gontrand au domicile des Noisulli. C’est un immeuble disposant d’une cour carrée, autour de laquelle étaient répartis les appartements sur plusieurs étages. D’après l’adresse, les Noisulli logent au rez-de-chaussée.

Le policier tambourine sur la porte pendant plusieurs minutes. Personne ne vient ouvrir, jusqu’à ce que le voisin d’en face, intrigué par le bruit, ouvre sa porte.

« Bonjour, je suis l’officier de police Ernest Gontrand et voici la détective, Séra Ogba Wietrich. Savez-vous où nous pourrions trouver madame et monsieur Noisulli ?

— Qui ? dit le vieil homme, interloqué.

— Noisulli, madame et monsieur Noisulli.

— Il n’y a jamais eu de résidents de ce nom-là dans l’immeuble.

— D’après nos informations, ils habitent ici et ont adopté une petite fille qui est rentrée avec eux il y a deux jours. Mazara, âgée de 7 ans, elle avait de longs cheveux noirs. L’avez-vous aperçu ?

— Non, jamais vu. L’appartement est vide depuis un an environ. Mais, maintenant que vous le dîtes, je me souviens avoir entendu des cris, il y a quelques jours, tard dans la nuit. Des cris d’horreur, très aigus. On aurait dit que l’on agressait quelqu’un. Comme il n’y a personne dans cet appartement, et qu’il n’y a jamais eu de problèmes dans la résidence, j’ai pensé que c’était le fruit de mon imagination ou que les bruits venaient de la rue.

— Savez-vous où se trouve le concierge pour nous faire entrer dans l’appartement ?

— C’est moi le concierge, je peux vous ouvrir ! »

Le vieil homme retourne dans son logement pour attraper un gros trousseau de clés et commence à chercher celle qu’il lui faut tout en claudiquant vers la porte d’en face. Il ouvre et entre le premier. Soudain, il pousse un cri d’effroi et laisse tomber son trousseau. Il semble prie d’un vertige et manque de s’évanouir alors que l’officier Gontrand le rattrape par le bras.

C’est une scène macabre qui accueille les enquêteurs demeurant imperturbables. L’expérience, sans doute, leur a appris à garder leur distance. Il y a du verre brisé sur le sol ; toutes les chaises sont renversées ; une grosse quantité de sang dégouline du rebord pointu d’une table basse en marbre ; juste à côté gît une lampe dorée couverte d’empreintes ensanglantées. La détective sort un grand mouchoir en tissu de son sac et enveloppe l’objet. Dans un coin de la pièce, Séra remarque également une trace rectangulaire sur le plancher, à l’endroit où devait se trouver le coffre. Outre la violence qui émane du chaos sous ses yeux, ce qui la frappe d’autant plus, c’est qu’il n’y a aucun bien personnel dans cet appartement. Rien n’indique qu’une famille a habité cet endroit. « Tous les meubles, ici présents, font partie de la location ? demande-t-elle pour confirmer ses soupçons.

— Oui, c’… c’est exact, bafouille le concierge en état de choc. Je ne comprends pas ce qu’il s’est passé ici. C’est moi-même qui ai nettoyé l’appartement après le départ des derniers résidents, il y a un an. Personne n’a pu venir ici sans que je le sache.

— Nous devons retrouver les parents, déclare Gontrand.

— Je vous laisse ce privilège, officier.

— Tiens donc, est-ce que La Séra abandonnerait ?

— Ne vous réjouissez pas trop vite, Ernest. Allons au marché à présent », dit-elle en jetant un dernier coup d’œil à la pièce.

En chemin, l’officier Gontrand ne cesse de scruter le visage de Séra à l’affut d’une parole, d’une piste, n’importe quoi, mais celle-ci demeure silencieuse, perdue dans ses pensées. Le soleil tape fort sur le marché bondé de monde. L’air y est étouffant. Séra avance et n’a toujours pas ouvert la bouche depuis qu’ils ont quitté la scène de crime. Et, alors qu’ils tentent de se frayer un chemin dans la foule, entre des étalages d’épices, de fruits et de tissus, le policier n’y tient plus et craque.

« Nous perdons notre temps, Séra ! Que voulez-vous qu’un vendeur de bric-à-brac nous apporte de plus ? crie-t-il en essuyant la sueur perlant sur son front. Ce sont les parents que nous devons rechercher ! À moins que … que le vendeur soit un complice ! C’est ce que vous pensez, n’est-ce pas ?

— Absolument pas.

— Alors que faisons-nous ici ?

— Nous sommes ici pour acheter des friandises que nous porterons à l’orphelinat. »

            Séra s’arrête devant un marchand de pâtisseries et demande un mélange d’une cinquantaine de pièces différentes. Une fois ses emplettes terminées, elle invite l’officier à l’accompagner à l’orphelinat, en lui promettant de tout lui expliquer.

À leur arrivée, la directrice refuse de les recevoir, avant de céder en voyant les cadeaux ramenés par la détective. Après la distribution, Séra demande à s’entretenir avec elle et de convoquer également la petite Noera qui partageait la chambre avec Mazara.

            Dans le bureau, chacun prend un siège excepté Séra qui reste debout. Les sourcils froncés, le regard dans le vide, elle sort une cigarette de son étui qu’elle garde entre ses doigts, puis elle vient s’assoir sur le recoin du bureau, obligeant la directrice à changer de place pour lui faire face.  

« Il faudrait … être dépourvu de cœur, de conscience, ou d’âme pour ne pas être touché par la monstruosité des actes commis envers Mazara. Je sais ce que vous pensez, officier. La petite Mazara rêve d’avoir des parents, elle se rend au marché, trouve un livre intitulé Mille et une méthodes de vœux. Le vendeur comprend à ses vêtements qu’elle est orpheline. Il trouve de faux parents qui payent à madame Sharzad une somme qu’on ne peut pas refuser. Ils tuent l’enfant à peine arrivé dans son nouveau foyer et prennent la fuite.

— C’est exact, c’est ma théorie.

— Mais dans quel but ? Quel est leur intérêt, au vendeur comme aux parents ?

— Peut-être avait-elle volé le livre et le vendeur a voulu la punir. Peut-être avons-nous affaire à un tueur d’enfants sans raison apparente.

— C’est une hypothèse fort intéressante. Madame Sharzad, avez-vous perçu de l’argent pour accélérer la procédure d’adoption de Mazara ?

— Non, je vous l’ai déjà dit, tout a été fait dans les règles.

— Comment la procédure pourrait être exécutée dans les règles alors que vous avez livré une enfant aux mains d’inconnus en moins d’une semaine ? s’emporte Gontrand.

— Tout a été fait dans les règles !

— Ernest, calmez-vous, je vous prie. Mazara n’a pas volé ce livre, dit-elle en le sortant de son sac. Avec ses propres deniers, elle l’a acheté, en espérant de tout son cœur obtenir ce qu’elle désire le plus au monde, des parents aimants. Elle l’a lu, page par page, et choisit une méthode. Comme vous pouvez le constater, la page Invoquer un génie est cornée. Il lui manque alors une lampe. Hier, madame Sharzad, vous nous disiez qu’elle n’avait rien acheté au marché, la semaine dernière. Détrompez-vous ! Elle s’est procuré une lampe magique qu’elle a dissimulée pour ne pas attirer l’attention. Le soir, sans plus attendre, elle invoque le génie et formule son premier vœu. Que dit-elle ? Corrige-moi si je me trompe, Noera, mais ne dit-elle pas « Je souhaite être adoptée par un papa et une maman » ?

— Si, c’est bien ce qu’elle a dit, confirme Noera. Elle croyait que j’étais endormie, mais j’ai tout entendu.

— Merci, trésor. Tu peux nous laisser, maintenant. » La petite quitte la pièce et Séra reprend son raisonnement. « Avec toute l’innocence d’une enfant de 7 ans, Mazara souhaite avoir un papa et une maman. Le génie exauce son premier vœu et quelques jours plus tard, les Noisulli … comment disiez-vous déjà, Gontrand ?

— Hum … Les Noisulli sont apparus à l’orphelinat ?

— C’est bien ça. Apparus à l’orphelinat. Vous ne croyez pas si bien dire. Pourquoi avait-elle choisi le génie et non pas une autre méthode, à votre avis ? »

Gontrand et la directrice hochent les épaules.

« Tout simplement, parce que le génie exécute les vœux de façon instantanée, tandis que les autres méthodes demandent plus de temps pour se réaliser. Ainsi, il fait apparaître un papa et une maman pour Mazara. Sa magie envoute aussi la directrice, si bien qu’elle ne s’y oppose pas et est même incapable de dire autre chose que « Tout a été fait dans les règles ».

— Je n’ai pas été envoutée. Tout a été fait dans les règles.

— Vous doutez toujours ? Aviez-vous remarqué que Noisulli, écrit à l’envers, nous donne Illusion ? Les parents adoptifs de Mazara n’étaient pas réels. Ce qui explique aussi pourquoi le concierge de l’immeuble ne les a jamais vus et que vous ne les retrouverez jamais, officier.

— Mais pourquoi tuer l’enfant ?

— J’y viens, Gontrand. Laissez-moi vous lire la première page des Mille et une méthodes de vœux. Il s’agit d’une liste de règles à suivre.

Il est interdit de :

- Souhaiter la mort d’un être vivant

- Faire tomber une personne amoureuse de soi ou de n’importe qui d’autre

- Ressusciter les morts

- Souhaiter avoir plus de trois vœux, en cas d’invocation d’un génie.

Il est conseillé :

- De ne pas réfléchir à voix haute

- D’être précis dans la formulation d’un vœu. »

Séra referme le livre :

« Mazara a dit « Je souhaite être adoptée par un papa et une maman », mais rien ne lui garantissait que ce serait des parents aimants ! Formatée par l’idée que des parents adoptifs sont nécessairement un papa et une maman, elle s’est retrouvée entre les mains de tortionnaires dépourvus d’amour. « Je souhaite être adoptée par des parents aimants. » Cette simple nuance, cette petite précision, aurait fait une immense différence dans son destin.

— Les génies ne sont-ils pas censés vouloir du bien à leur maître ? demande la directrice, interloquée.

— Si vous étiez esclave, voudriez-vous du bien à la personne qui se dit être votre maître ? Il ne fait qu’exécuter littéralement ce qu’on lui demande.

— Mais où est la lampe ? demande la directrice.

— Je l’ai ramassé sur les lieux du crime, répond Séra en sortant la lampe de son sac. À en juger par les traces de sang étalé sur le flanc, je pense que Mazara a tenté d’invoquer le génie pour qu’il lui sauve la vie. Tenez, Ernest, je vous conseille de la détruire. Cela devrait libérer madame Sharzad de l’envoutement.

— Mais, mais … comment avez-vous …, bafouille l’officier Gontrand abasourdi par la prestation de La Séra.

— Comme vous le disiez hier, officier, les crimes de l’étrange, c’est mon domaine. »

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Zig
Posté le 29/06/2020
La petite fille est morte. : AH BAH CA COMMENCE BIEN (oui, je sors la majuscule...).
Et je ne suis pas ironique, tu sais à quel point j'aime les morts d'enfants xD (les pauvres...)

Je n'aurais qu'une chose à dire : je veux trop un roman avec ce personnage ** Je la trouve vraiment intrigante, forte et très charismatique... Et puis moi, les enquêteurices de l'étrange, ça a toujours été mon dada !

J'espère que ça restera dans un coin de ta tête, et qu'on pourra en découvrir plus, quand tu auras du temps !
PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 29/06/2020
Haha ! Je savais que cet incipit te plairait, Zig :D

J'aimerais beaucoup développer ce personnage dans une série de romans policiers fantastiques (ou de nouvelles, à la manière de Poe).

Il faut que j'arrive à m'organiser entre tous les projets sur lesquels j'ai envie d'avancer. J'ai l'impression de m'éparpiller en ce moment, de ne pas trop savoir où donner de la tête et d'être très peu productive en dehors des DLP.
Mais, on la reverra, c'est certain ! ;)

Yvaine
Posté le 28/06/2020
Quand j'ai écrit une histoire douce, tu as écrit une nouvelle sordide ; c'est un exemple parlant d'à quel point l'imagination d'un être lui est propre.
Cette histoire est belle et morbide, et elle montre l'importance de l'éducation pour se rendre compte que tout n'est pas comme on le pense... Mais pourquoi avoir jeté l'enfant à la mer ?
L'enquête est agréable à suivre, et tout cela donne envie de lire une compilation des découvertes étranges de Sérafina !
PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 29/06/2020
Oui, c'est toute la magie du DLP, constater comment une seule et même image peut inspirer différentes histoires, différentes émotions. J'adore !
J'ai énormément de retard sur ma PàL, j'espère que tu ne m'en veux pas, je passerai te lire très bientôt !

Comme souvent, j'aime bien faire passer un petit message, sans trop m'étendre, mais en espérant qu'il soit compris.
Pourquoi jeter le corps à la mer ? Pour le faire disparaître, tout simplement. Bien sûr, il y a pleins d'autres méthodes pour disposer d'un corps ! hihihi :D
Mais plus sérieusement... Pour la métaphore, un enfant, c'est un petit trésor, et j'aimais bien le côté coffre aux trésors trouvé en mer, et finalement, c'est le coffre de l'horreur.

J'espère arriver à développer le personnage de Sérafina et l'inscrire dans une série de romans policiers. Ca me plairait beaucoup de faire ça, mais j'ai tellement d'idées en ce moment et de projets que je ne sais plus sur quoi me concentrer.
Yvaine
Posté le 29/06/2020
Je ne t'en veux pas, tu me lis si tu veux et quand tu veux !
D'accord, mais pourquoi vouloir le faire disparaître s'ils ne sont pas réels ? Sûrement dans un souci de crédibilité, mais autrement... L'idée métaphorique du coffre de l'horreur plaît beaucoup à l'auteure sadique que je suis !
Sache que si tu écris finalement quelque chose de ce genre, je serais ravie de le lire !
PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 29/06/2020
Haha ! Certes, ils ne sont pas réels, mais ils n'ont pas conscience de ne pas être réels. Ce sont des parents meurtriers qui vont au bout de leur rôle :D
Yvaine
Posté le 29/06/2020
Je comprends mieux :)
_HP_
Posté le 28/06/2020
Hello !

Ca valait le coup d'attendre ! 😄
Tu nous as emmenés dans une véritable enquête policière, dont les éléments s’enchaînaient petit à petit, sans que ce ne soit trop brusque ou incompréhensible ^^
C'est vraiment une interprétation super originale, très bien trouvée et écrite ^^ Bravo <3
PetraOstach - Charlie O'Pitt
Posté le 29/06/2020
Merci HP pour tes fidèles lectures, suivies de commentaires qui font chaud au cœur.
C'est ma 1ère nouvelle policière, je suis ravie que tu l'aies trouvée convaincante :)
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