7.2

Comme d’habitude aux abords de la forêt, je me mets à l’abri sous l’ombre des arbres pour me débarrasser de mon simulacre de corps. Il n’y a pas à dire, il est plus agréable de laisser mon éther voler à sa guise plutôt que de le contraindre dans l’espace confiné d’une fausse enveloppe. En un rien de temps, je me retrouve devant notre miroir sacral. Mon amanime attire déjà les petits orbes des cauchemars juvéniles, attirés par l’abondance de mon flux. On dirait presque des feux follets, à la différence que leur sombre lumière scintille de petites étoiles. C’est une version miniature de notre organisme. Je pense que les humains trouveraient le spectacle magnifique, mais effrayant. Pour moi, c’est juste mon quotidien, je trouve cela très banal.

Je sursaute d’un bond, mais l’énergie qui m’entoure m’emprisonne, je ne peux plus esquisser le moindre mouvement. Je reconnais Lilith dans la seconde, à la manière qu’elle a de se servir. Cette soudaine brusquerie m'interroge. Cela ne lui ressemble pas. Je me garde pourtant de tout commentaire et la laisse faire son travail.

Une fois qu’elle a terminé, je peux enfin récupérer ma liberté de mouvement. Elle s’écarte de moi et je lui fais face, légèrement surprise par la réprimande que je lis dans ses yeux.

— Filez d’ici, je vous nourrirai moi-même dans un moment !

Les juvéniles s’exécutent et virevoltent comme des lucioles avant de disparaître.

Je ne l’ai jamais vu en colère et cette sévérité détonne avec la douceur qu’elle dégage. Même si pour nous l’apparence n’est qu’un moyen de parvenir à nos fins, nous ne sommes pas capables d’apprécier la beauté, ni même de l’identifier. Mais de mémoire d’homme, à une époque lointaine, il y a plus de 5 milliers d’années, c’est la perfection de ses traits qui on fait naître sa légende. Une légende qui ne fera que se renforcer au fil des millénaires. On la mentionne partout et elle nourrit à elle seule tant de folklores et de mythes, au point que son nom est mentionné dans quasiment tous les textes religieux. Les Hommes l’ont immédiatement assimilée à une vile tentatrice. Peut-être est-ce la parfaite blancheur de sa peau, aussi lisse que la porcelaine qui est en cause, ou sa magnifique chevelure rousse, aux ondulations serpentines, si lumineuse que l’on dirait des flammes. Je me demande comment a-t-elle choisi une telle apparence sans avoir eu de modèle comme nous l’avons à notre époque ? Où a-t-elle pu trouver l’inspiration pour choisir des traits aussi délicats ? Les cauchemars étaient si peu nombreux lorsqu’elle a vu le jour qu’ils se comptaient sur les doigts d’une main. Alors, même nous sommes tous admiratifs par tant d’ingéniosité, d’intelligence, de discernement dans ses choix, elle n’a rien perdu de cette grandeur et demeure encore aujourd’hui l’une des meilleures chasseuses. Sans elle, notre espèce aurait déjà subi l’extinction depuis longtemps.

Elle pose ses mains sur ses hanches, ni trop fines, ni trop opulentes. Le léger bruissement de sa robe en lin et le cliquetis de sa ceinture en anneaux d’or accaparent mon attention. Elle maîtrise son illusion jusqu’au moindre détail, même si nous sommes entre nous. Tout n’est que grâce chez elle.

— Asmodée ! Tu as chassé deux fois la même proie. Tu sais que cela est interdit !

J’ose à peine la regarder dans les yeux.

— Je ne l’ai pas chassée, cette fois. Je me suis juste nourrie de son rêve. Je n’ai transgressé aucune règle.

Elle me jauge et hume l’air chargé de mon éther prisonnier de son propre corps.

— La différence est minime, mais elle est là, j’en conviens.

Lilith marque une pause et soupire, comme si une grande fatigue l’étreignait. Ses bras se croisent sur sa poitrine, elle semble se résigner.

— Tu dois te montrer plus prudente à l’avenir, Asmodée. Il serait mal venu de donner de mauvaises idées à certains cauchemars ! Je n’aurais pas la force de résoudre…

Elle s’étrangle presque. Je me demande à quel point elle ressent ses émotions. Il est évident qu’elles sont plus intenses que les nôtres. Je l’envie sur ce point, Lilith est plus proche de l’humain qu’aucun d’entre nous.

— Tu es celle qui comprendra le mieux le risque que peuvent courir les humains, tu es proche d’eux. À ton avis… guidés par un jeûne forcé, que seront-ils prêts à leur faire subir simplement pour se nourrir sur le long terme ?

Je ne comprends pas ce qu’elle tente de me dire et elle secoue la tête, désespérée.

— Tu es encore trop naïve, Asmodée. Il faut grandir…

Une certaine tristesse m’envahit de savoir que je la déçois. Lilith a toujours été mon modèle, l’exemple à suivre.

— J’aurais aimé pouvoir t’instruire, mais pour cela, je dois partir et régler certains détails. Sois sage pendant mon absence et promets-moi de ne pas te nourrir de cet humain jusque-là !

— Je t’en fais le serment, lui réponds-je d’une toute petite voix.

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