7.1 Déception

Vers 20 heures, Cinthya me libère et je dois avouer que je suis un peu déçue de cette journée. Non seulement je n’ai pas pu voir Matthew, mais j’ai passé mon temps à récurer chaque recoin du bar. Heureusement, le fait de m’être bien nourrie m’a permis de garder le contrôle sur mon toucher et de pouvoir accomplir mes corvées sans trop de difficulté. C’est plutôt ma concentration qui en a pris un coup et, si je souhaite tenir le même rythme demain, il va me falloir chasser cette nuit et me montrer rapidement au domaine. Je n’ai pas envie de me faire sermonner parce que je gaspille mon éther pour assouvir une curiosité mal placée. Par chance, nous sommes une espèce solitaire et ne cherchons pas spécialement la compagnie de nos semblables. Si je reviens de temps à autre au manoir pour nourrir mes congénères, je pourrais demeurer à ma guise parmi les humains.

Avant de me plier à mes obligations de cauchemar, je passe à l’hôtel Myriador qui se trouve un peu plus loin dans la rue. En même temps, on ne peut pas le louper. Le tapis rouge déroulé dans la rue, la barrière de corde au métal doré, l’allée décorée de cyprès en pot finement taillés et le portier qui fait le pied de grue devant le tambour d’entrée sont d’autant d’éléments qui crient au luxe, un faste qu’affectionne Astrid, un lieu à sa propre image.

— Où allez-vous ainsi, mademoiselle ?! m’arrête le portier.

Il me détaille sous toutes les coutures. Il est évident que je fais tache parmi la clientèle huppée de l’établissement. Je ne me démonte pas pour autant et sors de mon sac à main la carte de visite qu’Astrid m’a donnée ce matin.

— Madame Chaullac m’a autorisée à lui rendre visite quand cela me chante, rétorqué-je en lui présentant le bristol.

Il le détaille puis me jauge.

— Un instant, je vous prie.

Son ton s’est adouci, comme c'est étonnant !

Je pourrais l’envoûter mais si je veux tenir la distance durant les jours à venir, je dois m’économiser, surtout lorsque j’ai d’autres moyens à ma disposition.

L’employé, dans son uniforme sombre brodé d’or, s’empare du combiné d’un vieux téléphone, posé sur sa banque d’accueil protégée par le haut-vent de l’hôtel. Il ne tourne le cadran qu’une seule fois à l’aide d’un doigt et patiente.

— Oui, c’est l’entrée. Est-ce que Madame Chaullac est disponible, s’il te plaît ?

Quelques secondes s’écoulent.

— Merci, répond-il avant de raccrocher. Madame Chaullac n’est pas là pour le moment et nous ne savons pas quand elle réintégrera l’établissement. Voulez-vous lui laisser un message ?

C’est bien ma veine…

Mais je ne désespère pas, il me reste sept jours avant la désactivation de ma carte.

— Ça ira, je vous remercie. Je repasserai.

Il me salue d’un hochement de tête avant que je m’en aille.

En marchant dans la rue, je réfléchis à mes possibilités d’action. Je suis encore surchargée d’énergie grâce à Matthew et peux très bien rentrer au manoir nourrir les miens avant de repartir en chasse pour manger à mon tour. Ainsi, la journée de demain ne sera pas trop difficile à supporter. Avec ce que je leur ai apporté avant-hier et ce que je leur offrirai ce soir, les cauchemars juvéniles tiendront largement plusieurs jours. Aussi, les cauchemars trop affaiblis par des semaines, voire des mois de diète pour partir en chasse, retrouveront l’énergie nécessaire pour se remettre au travail. Je ne devrais pas subir de questions embarrassantes sur mes absences.

Je louvoie dans les rues jusqu’à l’extérieur de Présire. Le soleil commence à décliner dans le ciel aux teintes roses et orangées. Cette nuit sera plus calme. En début de semaine, les gens travaillent et les établissements de nuits n’ouvrent que le week-end, même en plein mois d’août. Il me faudra chasser hors de la ville. J’ai mes petites habitudes et sais parfaitement où je me rendrais après ma visite au domaine.

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