6.2

Revigorée, je n’éprouve aucun mal à suivre Cinthya qui m’explique à une vitesse folle mes différentes tâches. Elle semble déborder d’énergie.

— Tu ne seras pas au contact direct des clients et comme je te l’ai montré en te faisant le tour du propriétaire, ton travail se concentrera dans un premier temps sur le nettoyage. Suis-moi !

Sur le côté du bar, nous traversons l’encadrement d’une porte disparue qui donne sur les cuisines. On se faufile entre les meubles surchargés d’ustensiles et d’électroménagers. Je constate qu’elle cuisinait déjà avant que je n’arrive, des légumes attendent d’être épluchés et découpés. Mais surtout, je reconnais l’odeur de sa sauce tomate si délicieuse. Elle mijote dans une marmite sur laquelle le couvercle tremble de chaleur. De la vapeur chargée en saveur s’en échappe, j’en saliverai presque…

Cinthya écarte un rideau de perles et nous montons des escaliers étriqués. Chacun de nos pas extirpe une plainte aux marches de bois déjà bien usés et, parvenues à l’étage, ma nouvelle patronne nous arrête devant l’un des casiers du vestiaire parsemé d’autocollants.

— Il n’y a pas de clés, je l’ai acheté d’occasion. Donc ne laisse rien de valeur à l’intérieur. Celui-ci sera le tien.

Ça tombe bien, je ne possède rien !

— C’est ici que tu pourras prendre tes pauses et te reposer un peu.

À ces mots, j’observe les lieux et devine qu’elle a déployé un certain effort pour rendre la pièce agréable et confortable. Un petit salon trône sur un tapis duveteux, quelques plantes égaient l’espace, suspendues par des liens tissés en macramé, les murs arborent des tableaux de films ou de jeux vidéos, une bibliothèque asymétrique croule sous les livres. Ça reste dans le thème du bar ; Geek et chaleureux.

Sur une patère, elle attrape un tablier qu’elle me tend dans la foulée.

— Enfile ça ! Tu pourras le changer au bout de deux ou trois jours, sauf si tu le taches. J’en laisse toujours des propres en cas de besoin. Je te laisse poser tes affaires et te préparer. Rejoins-moi quand tu auras fini.

Elle part aussi vite et me laisse un peu hagarde, le tablier entre les doigts. Elle a l’air de se donner à fond dans tout ce qu’elle fait et observer ce trait de sa personnalité réveille en moi ma curiosité des humains. Je me sens un peu perdue, mais décide de me jeter à l’eau en posant mon sac dans mon casier attitré. J’exhibe le tablier noir devant moi et me pose une question cruciale.

— Est-ce que je risque de gaspiller mon amanime en te portant tous les jours ?

Je le scrute sous toutes les coutures. Si je décide de copier son apparence, je ne pourrais pas utiliser sa grande poche. Il me serait impossible de garder des objets à l’intérieur de mon amanime. Puis, le logo de la taverne serait trop difficile à reproduire. Il est énorme et assez détaillé. Les lettres du mot Geek s’accrochent d’une manière désordonnée, comme si elles avaient été bousculées et, à ses pieds, gisent une tête de squelette jaune criard, portant des lunettes d’intello, ainsi qu’une choppe à l’ancienne dont le contenu s’étale dans une flaque. Le logo est tavelé de gouttes, on pourrait croire que quelqu’un a lancé le bock rempli de bière sur la tête du squelette qui a lui-même percuté le mot Geek. C’est assez comique, recherché. Si je me trompe dans sa reproduction, Cinthya ou même d’autres personnes pourraient s’en apercevoir et je ne pourrais fournir aucune explication plausible. Surtout que l’image se craquelle par endroit, certainement causé par de nombreux lavages en machine.

Je lâche un râle agacé.

Je n’ai pas trop le choix et noue le tablier autour de ma taille. Il va me demander une concentration à toute épreuve pour le garder en place. J’ouvre mon sac. Je n’ai pas le temps d’attraper mon téléphone que l’écran s’allume et vibre à plusieurs reprises.

Il faudra que je trouve une solution pour ça aussi…

Depuis ce matin, je reçois de nombreux messages de personnes inconnus. Sans doute des connaissances de la tête de lard que j’ai dépouillée. Sauf que je me décompose lorsque je le lis la notification.

« Il vous reste 7 jours pour recharger votre carte sim prépayée avant sa désactivation. »

Merde ! Merde ! Merde ! 

Je n’avais pas pensé à cette possibilité. Dépitée, je le replace dans mon sac et tombe nez à nez avec la carte de visite d’Astrid Chaullac.

Je me mords la lèvre inférieure. Peut-être devrais-je lui rendre une petite visite après mes heures de travail ? Elle m’a bien dit de ne pas hésiter à le faire.

Je lâche un soupir.

La vie des humains est vraiment compliquée.

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