5. Nesli

Par Hinata
Notes de l’auteur : Salut! J'ai rajouté une deuxième partie à ce chapitre, il est donc plus long que les autres (surtout ceux des Dirigeants qui sont voulus plus brefs). N'hésitez pas à me dire en commentaire si c'est vraiment trop long !

Assise en boule sur la berge de la rivière, la jeune femme observait d’un œil morne les trois nymphes qui jouaient en amont. Au lieu de faire comme tout le monde et de sauter gentiment du haut des rochers, ce trio de garçons n’en finissait plus de faire voler dans les airs des gerbes d’eau qui défiaient les lois de la gravité.

Le village d’Arceau comptait peu de Révélés, mais cette année-là, il en avait gagné trois. Trois abrutis de quinze ans qui passaient tout leur temps à la rivière au lieu d’aider leurs parents à la maison. Si au moins ils se servaient de leur nouveau pouvoir pour rapporter du poisson, mais non. Nesli, elle, avait essayé de pêcher avec son Don, mais sans grand succès. Elle allait plus vite avec un filet en bonne et due forme qu’un morceau de métal qui n’en faisait qu’à sa tête.

« Hé ! Regardez, regardez ! »

Un des trois rigolos était enfin arrivé à créer un geyser assez puissant pour le soulever bien au-dessus du niveau de l’eau. D’un côté, Nesli en fut contente pour lui ; cela faisait quand même des semaines qu’ils essayaient d’accomplir cet exploit. D’un autre côté, elle se sentit terriblement jalouse de ces progrès et pria très fort la lune pour que ce gars tombe brutalement à plat sur la surface. S’il avait pu se noyer, elle aurait peut-être même souhaité cette éventualité.

Après avoir eu le temps de se vanter haut et fort, le garçon atteignit les limites de son pouvoir et plongea tête la première sous les rires des deux autres qui retentèrent l’expérience de leur côté.

Nesli se renfrogna un peu plus et courba le dos jusqu’à pouvoir poser son menton sur ses genoux. Une mèche verte tomba devant son visage. Elle essaya de la coincer de nouveau dans sa tresse, mais en vain. Agacée, Nesli glissa la mèche derrière son oreille.

Sa tentative de coiffure ne tenait décidemment pas la route. Ce n’était pas pour rien que Nesli gardait toujours ses cheveux détachés. Mais les circonstances demandaient qu’elle fît une exception. Pour Cyren. Etant donné ce qu’elle s’apprêtait à lui demander, elle lui devait bien ça.

« Admirez le retour à la vie du puissant dragon ! »

En amont de la rivière, la silhouette d’une grande créature transparente se formait peu à peu. Sans les explications pompeuses du Révélé, Nesli n’aurait jamais deviné ce que cet amas d’eau en mouvement était censé représenter.

« Alors ? C’est qui le meilleur ? »

« Haha, c’est pas un dragon ! On dirait juste un thon obèse ! »

Nesli ne put s’empêcher de sourire. D’accord, ces trois abrutis jouaient comme des gamins au lieu de prendre leurs responsabilités. Mais au moins ils s’amusaient, et prenaient le temps d’apprivoiser cette nouvelle part d’eux-mêmes, ce Don mystérieux qui les habitait désormais.

Au lieu de rester là recroquevillée dans sa jalousie, il était temps pour Nesli de faire ce pour quoi elle était venue : tenter à sa façon d’imiter ces trois Révélés.

Rassénérée, la jeune femme se redressa en tailleur et posa les mains à plat sur ses cuisses. Les bagues argentées passées à chacun de ses doigts étincelaient doucement sous le soleil. L’éclat du métal différait tellement de celui de l’eau que Nesli connaissait par cœur. Alors qu’elle ne s’émerveillait plus devant la beauté des lacs et des rivières entourant son village, la jeune femme ne se lassait pas de contempler ces simples anneaux.

Après s’être assurée que le trio ne faisait pas attention à elle, Nesli ferma les yeux et fit abstraction du brouhaha lointain des rires mêlés aux bruits d’éclaboussure. Comme d’habitude, l’odeur du métal vint aussitôt lui chatouiller les narines. Alors qu’elle ignorait jusqu’à son existence quelques mois plus tôt, ce parfum lui devenait chaque jour plus familier. Elle avait essayé de le décrire à Cyren, mais sans grand succès. Les mots ne suffisaient pas à expliquer la sensation que Nesli éprouvait dans ces moments-là. Si seulement quelqu’un à Arceau pouvait partager ce qu’elle ressentait. Mais il n’y avait personne ; ni à Arceau, ni à aucun endroit sur cette île géante qui tenait lieu à son peuple de royaume. C’était pour ça, entre autres, que Nesli devait partir.

Concentration ! Si ses pensées s’éparpillaient, elle n’arriverait à rien.

Se laissant envahir par l’odeur et la perception aiguë du métal enroulée autour de ses doigts, Nesli fit appel à son pouvoir. Les yeux toujours fermés, elle fit prendre à ses bagues une forme différente, façonnant la matière selon son désir.

Après un moment d’intense concentration, elle entrouvrit les paupières. Raté. L’espèce de sculpture métallique apparue dans l’herbe ne ressemblait pas, mais alors pas du tout, à un dragon. Même pas à un thon obèse.

Si seulement son échec pouvait se désagréger de lui-même, comme les créations aquatiques des Révélés normaux. Mais non, le métal restait solide une fois les manipulations de Nesli effectuées. La jeune femme devait même se concentrer de nouveau pour lui faire reprendre la forme de simples anneaux décoratifs.

Quand elle y fut parvenue, Nesli se sentit encore plus maussade qu’avant. Les trois abrutis avaient reçu leur Don après elle. Comment est-ce qu’ils arrivaient à manipuler aussi aisément leur élément, sans avoir à fermer les yeux, sans jamais se laisser distraire par la présence de leurs amis à côté d’eux ?

Se retrouver avec un Don complètement anormal était une chose, ne pas le maîtriser comme on l’entendait en était une autre. Nesli acceptait plutôt bien le fait d’être une Révélée différente de tous ceux qu’elle connaissait. Mais sa persévérance face à l’échec atteignait ses limites. Un nœud de frustration s’était formé dans sa poitrine, et il grossissait jusqu’à l’étouffer par moments.

Deux mains se plaquèrent soudain sur ses yeux. Un sourire étira les lèvres de Nesli. Un souffle lui chatouilla le cou, vite remplacé par la caresse de lèvres qu’elle connaissait bien. Les mains de Cyren glissèrent de devant ses yeux pour venir effleurer la peau nue de ses épaules. 

- C’est la troisième fois cette semaine que je te surprends en train de rêvasser devant trois garçons à moitié habillés. Est-ce que je devrais m’inquiéter ?

Nesli ne se donna pas la peine de répondre : elle n’avait jamais été très douée en répartie, et elle savait surtout que Cyren n’était pas jaloux pour un sou. Comme il s’asseyait juste derrière elle, la jeune femme se fit un plaisir de s’appuyer contre lui. Cyren enroula ses bras autour d’elle, comme s’il voulait l’empêcher de partir. Mais pour ça, il faudrait déjà qu’il soit au courant de son intention de partir. Une boule se forma dans la gorge de Nesli, et elle se blottit un peu plus contre le jeune homme. Un peu plus loin, les Révélés chahutaient toujours, ajoutant une note joyeuse aux bruits habituels de la rivière.

− Qu’est-ce que tu voulais me dire ? demanda Cyren après un moment.

Nesli soupira doucement.

− Tu es en avance, ronchonna-t-elle. Mon discours n’est pas tout à fait prêt.

− Etant donné que tu rumines depuis des jours, voire des semaines, je pense que si ton discours n’est pas encore prêt, c’est qu’il ne le sera jamais.

Nesli resta muette.

− Allez, dis-moi. Depuis quand est-ce qu’on a besoin de discours préparés pour se parler, tous les deux ?

− Je ne vais pas me rendre à Abyssale pour le Service Processionnaire.

− D’accord, hésita Cyren. Et quoi d’autre ? Il n’y a pas que ça, n’est-ce pas ?

Nesli était ravie de ne pas se tenir face à lui. Depuis qu’ils se connaissaient, les yeux bleus de Cyren avaient la capacité de lui faire radicalement perdre tous ses moyens. D’une voix plutôt assurée, elle continua sur sa lancée :

− Je ne vais pas non plus rester à Arceau.

Cyren frémit, mais ne dit rien. Est-ce qu’il se doutait déjà de quelque chose ? Il connaissait Nesli mieux que personne, la cernait mieux que ses propres parents ou sa petite sœur. Avait-il prévu ce qui allait arriver ? Nesli avait pourtant l’impression que les décisions qu’elle avait prises ne lui ressemblaient pas. Ce qui ne l’empêchait pas d’être sûre d’elle. Plus question de renoncer.

− Je suppose que tu es absolument décidée.

Le timbre étrange de sa voix fit se résoudre Nesli à pivoter pour s’asseoir face au jeune homme. Il avait l’air plus ému qu’elle ne l’aurait cru.

− Oui, répondit-elle en baissant les yeux.

− Où est-ce que tu comptes aller ?

− Chez les humains.

− Oh…Je ne pensais pas que tu voudrais partir aussi loin.

− Je suis obligée. A cause de mon Don. C’est le seul endroit où je pourrai rencontrer des gens comme moi.

− Dans un royaume étranger, fit remarquer Cyren. Quelle ironie…

Nesli se contenta d’hocher la tête. La tristesse évidente du jeune homme la bouleversait. Elle aurait mieux supporté sa contrariété. 

− Est-ce qu’au moins tu vas me laisser t’accompagner ? finit-il par demander.

Nesli sentit les larmes lui monter aux yeux.

− Bien sûr que non, suis-je bête… Tu comptes sur moi pour te remplacer au Service Processionnaire. C’est vrai que sans ça, tu te retrouves bloquée en Ruissolvie.

L’entendre dans la bouche de Cyren rendait son plan odieux. Jamais Nesli ne s’était considérée comme une personne égoïste, au contraire. Mais il fallait se rendre à l’évidence : elle était sûrement la personne la plus égocentrique du royaume. Un hoquet de culpabilité la saisit et les larmes se mirent à couler pour de bon.

− Oh non, Nesli…Viens-là.

Cyren l’attira dans ses bras et la berça doucement contre lui.

− Ce n’est pas ta faute, murmura-t-il. Tu n’as pas demandé à devenir Révélée, et encore moins une Révélée complètement hors-norme. Je ne sais pas ce que c’est, je ne sais pas ce que tu ressens, mais je te comprends, d’accord ?

Les paroles de Cyren lui faisaient un bien fou. Nesli n’arrivait pas à s’arrêter de pleurer, mais chaque mot lui enlevait un poids terrible.

− A mon humble avis, tu n’as pas besoin de maîtriser ce pouvoir étrange. Pour moi tu es déjà parfaite, tu le sais ça ? Mais si tu as besoin de ce voyage pour te sentir bien et revenir vivre le reste de tes jours avec moi, alors je te laisse volontiers partir.

Au milieu de ses larmes, Nesli eut un petit rire étranglé. Elle se détacha de Cyren pour essuyer ses joues et renifler un bon coup.

- Evidemment que je reviendrai vivre avec toi.

Ne serait-ce pas du soulagement sur le visage de Cyren ? Sans être jaloux, peut-être qu’au fond il doutait encore des sentiments qu’elle avait pour lui.

− Je t’aime.

Les yeux du jeune homme s’écarquillèrent et pour la première fois depuis que Nesli le connaissait, il détourna le regard en bleuissant légèrement.

− Moi aussi, je t’aime. C’est justement pour ça que j’aurais bien aimé venir avec toi plutôt que d’aller m’enfermer un an à la capitale à ta place. Mais c’est aussi pour ça que je vais le faire, même si je n’en ai absolument aucune envie.

Une fois n’est pas coutume, Nesli ne sut que répondre.

− Merci, balbutia-t-elle tout de même.

− Dommage qu’on soit les seuls du village à s’être tenus sages. D’ailleurs, tu es vraiment sûre que personne d’autre n’a pas …

Nesli secoua la tête :

− J’ai vérifié. En même temps, ça fait des années que je me suis désignée pour le Service.

Loin d’elle l’idée de blâmer qui que ce soit. Tous les ans, le Service Processionnaire ne demandait qu’une seule personne vierge de dix-sept ans. Une fois le volontaire établi, les autres pouvaient mener leur vie comme bon leur semblait. Pour toutes les nymphes nées la même année que Nesli, la question ne se posait plus depuis qu’elle s’était désignée.

− T’as de la chance que je te sois resté fidèle, commenta Cyren. Sinon, ton voyage était repoussé d’une année.

Ah oui. En fait, Nesli n’avait même pas envisagé que Cyren ait pu aller voir ailleurs en attendant qu’elle ait effectué son Service. Elle lui devait décidemment beaucoup.

− Tu crois qu’ils m’empêcheront de me coiffer ?

Nesli sourit à cette éventualité. Contrairement à elle, Cyren ne supportait pas d’avoir les cheveux détachés. Soi-disant que ses mèches lui venaient dans les yeux, ou bien le chatouillaient de partout. Il coiffait sa longue chevelure bleue depuis son plus jeune âge, perfectionnant son art capillaire au fil des années. Nesli aimait sans distinctions ses tresses, ses chignons, et chacun de ses créations personnelles qui n’avaient même pas de nom. Et surtout elle adorait le voir en train de nouer ses cheveux, voir ses longs doigts passer agilement entre les mèches, regarder ses bras fins qu’il gardait levés sans faiblir, jusqu’à un résultat qui restait impeccable pendant toute la journée, quelles que soient ses activités.

− Je ne sais pas. Demande à ton oncle. Il a déjà assisté à une Procession lunaire, non ? Il pourra bien te dire à quoi ressemblaient les servants.

− Bonne idée, mais j’ai peur de la réponse. A tous les coups, il faudra garder les cheveux « libres de tout ornement », ou quelque chose comme ça. Comme si c’était pas suffisant de devoir conserver « la pureté du corps ». Je crois pas que ça nous aurait sali de … passer plus de temps ensemble, si tu vois ce que je veux dire.

− Je ne crois pas non plus. Mais c’est la tradition. Et puis, dis-toi que quand tu reviendras d’Abyssale, toute cette histoire sera derrière nous… si tu vois ce que je veux dire. 

Cyren sourit et lui lança ce regard particulier qui, au lieu d’intimider Nesli, la rendait on ne peut plus audacieuse. Elle avança vers Cyren et ils s’embrassèrent…longtemps…reprenant à peine leur respiration entre deux baisers.

− Nesli…

Elle voulait le garder là, contre elle, pour toujours. Ne pas partir. Elle avait besoin de lui.  

− Nesli, s’il-te-plaît…

La main que Cyren passait dans ses cheveux vint se poser sur son épaule pour l’éloigner doucement de lui.

− Si on rentrait ?

Il avait raison, c’était plus sage. Ils se levèrent et s’engagèrent main dans la main sous le couvert des arbres qui bordaient la rivière. Le silence imparfait des bois prit le pas sur celui du cours d’eau. Libérée par Cyren du Service Processionnaire, Nesli s’autorisa enfin à se projeter ailleurs qu’à la capitale. Elle imagina que les saules se transformaient en sapins. Tout le monde disait qu’il n’y avait que des sapins au royaume des humains. C’était sans doute exagéré. Nesli en aurait bientôt le cœur net. Et le reste de la nature, comment était-ce de l’autre côté de la mer ?

- J’ai l’impression que tu es déjà partie…

Nesli s’arrêta net et se tourna vers Cyren. Il ne cachait pas sa mélancolie.

- Je reste jusqu’à ton départ pour Abyssale, assura-t-elle en prenant ses mains dans les siennes.

Une légère pression des doigts lui répondit, puis sur un sourire triste, Cyren la lâcha pour se remettre à marcher. Nesli le rattrapa et glissa son bras sous le sien.

– Je n’oublierai jamais ce que tu as fait pour moi, promit-elle avec sincérité.  

– La mémoire n’est pas très fiable, marmonna Cyren. C’est pour ça qu’on a inventé les livres. 

– Alors j’écrirai un livre.

Cette perspective les fit sourire tous les deux.

– Je doute que tu en aies la patience, s’amusa-t-il. Je pourrais te demander autre chose à la place ?

– Tout ce que tu voudras.

– Reviens-moi.

L’émotion empêcha Nesli de formuler une réponse quelle qu’elle soit. Elle hocha bêtement la tête en serrant plus fort le bras de Cyren.

– Si tu dois partir un an, cinq ans, dix ans, alors qu’il en soit ainsi. Tu dois juste revenir.

- Je ne pars pas aussi longtemps, protesta-t-elle. Je serai même de retour ici avant toi !

- Tant mieux…tant mieux.

Après un silence, il articula faiblement :

- Tu veux bien me promettre quand même ?

- Cyren, je te fais la promesse de revenir dans tes bras.

- Et de ne pas prendre de risques pendant ton voyage. Promis ?

- Promis.

Alors qu’elle levait la tête pour déposer un baiser sur sa joue, un détail la troubla. Chez les nymphes, la partie masculine de la population était presque incapable de pleurer, aussi sincère soit leur chagrin. Il était très rare d’apercevoir leurs larmes. C’en étaient pourtant bien qui brillaient à présent dans les yeux du jeune homme.

Cyren les essuya maladroitement, et renifla l’air étrangement amusé.

− Entre mes larmes et ta tresse, on fait une belle paire de débutants aujourd’hui…

C’était bien vrai.

− Désolé de t’avoir passé la main dans les cheveux tout à l’heure. J’aurais dû faire attention…ta coiffure ressemble plus à grand-chose maintenant.

− Merci, répondit Nesli en défaisant du bout des doigts ce qu’il restait de sa tresse. Mais tu sais, dès le début, elle ressemblait pas à grand-chose.

- Oui, je sais. J’essayais juste de trouver une excuse à ton désespérant manque de talent.

Contente au fond de se faire taquiner, Nesli mima un air scandalisé qui redonna le sourire à Cyren. Sur cette note légère, ils entamèrent un bavardage anodin tout en marchant vers le village.

L’avenir proche était décidé, il ne leur restait plus qu’à profiter du temps qu’ils avaient encore à passer ensemble. La lune rousse n’illuminerait pas le ciel avant un mois. A ce moment-là, Cyren commencerait le Service Processionnaire à la capitale, et Nesli aurait quitté sa famille, son village, tout ce qui constituait son monde.

 

 

Quand elle posa pour la première fois le pied sur le continent, Nesli comprit pourquoi les gens d’ici portaient des chaussures. Le sol était dur, froid et sale.

A ce détail près, le port ne différait pas de celui où elle avait embarqué quelques jours plus tôt. Des deux côtés de la mer, on chargeait et vidait les navires de la même manière. Le décor était sensiblement identique, mais les acteurs, eux, quoiqu’assignés aux mêmes rôles, se distinguaient tout à fait, notamment en matière de costumes.

Quelle uniformité ! Tout le monde portait une tenue différente, certes, mais les couleurs, elles, ne variaient pour ainsi dire pas du tout ! Du noir, du marron, du gris ; ces tons se mêlaient en une boue de tissus qui se mouvait au rythme des passants. Fascinée, Nesli intégra la foule et s’engagea dans la première rue venue.

Pas le moindre brin d’herbe ne poussait entre les pavés, aucun arbre ne s’élevait aux côtés des maisons serrées. Non seulement personne n’avait de cheveux verts comme les siens, mais même la nature et sa belle couleur était bannie de la ville.  

Brrr ! D’un pas sur le côté, la jeune femme s’échappa de l’eau trouble où elle avait posé le pied. Ce minuscule ruisseau qui dégoulinait lentement au milieu de la rue rivalisait de température avec le torrent le plus glacial dans lequel Nesli ait jamais nagé. Sentant ses orteils se raidir, elle se mit activement en quête d’un endroit qui devait bien exister dans ce royaume : une boutique de souliers.

Dénicher un tel lieu lui prit plus de temps qu’escompté. Malgré l’impatience qu’elle avait de réchauffer ses pieds à l’intérieur, Nesli s’arrêta devant l’entrée. Nez en l’air, elle contempla de plus près l’enseigne métallique à l’effigie d’une chaussure qui avait harponné son regard depuis l’angle de la ruelle. La finesse et l’élégance de l’ouvrage lui susurraient que c’était là une création d’humain Révélé.

Un carillon retentit lorsque Nesli passa finalement la porte. Depuis sa table de travail, une femme accorda à l’arrivante un sourire accueillant.

− Bonjour ! Je suis à vous dans un petit instant.

Nesli lui rendit son sourire, mais la cordonnière ne le vit sûrement pas car elle s’était déjà replongée dans sa besogne. Tout en savourant la tiédeur du plancher, la nymphe jeta aux alentours un œil plutôt curieux.

Sur le mur le plus proche, les étagères débordaient. Au contraire, derrière la table de l’artisane, chaque paire de chaussures reposaient à distance respectueuse des autres. Celles-là constituaient le trésor le plus précieux du lieu, cela ne faisait aucun doute. La femme qui travaillait entre ce pan de mur et l’entrée tenait le rôle de mère, bien sûr, mais aussi de gardienne.

Ses cheveux blonds irradiaient de lumière alors même que le soleil ne pénétrait pas dans la pièce. Avec autant de saleté sur les carreaux, aucun rayon n’aurait pu s’introduire par la fenêtre, même par un temps radieux. Soit, le chignon doré qui oscillait en même temps que la tête courbée de la cordonnière apportait une touche de clarté au tableau, mais il ne devait pas aider sa propriétaire à mieux distinguer ce qu’elle faisait.

L’humaine posa soudain son ouvrage et se leva d’un bond qui fit légèrement sursauter Nesli.

− Me voilà !

Pourquoi est-ce qu’elle s’approchait autant ? Un pas de plus et l’artisane allait la bousculer. Elle n’en fit rien, heureusement, et s’arrêta juste devant sa cliente en la scrutant à travers des paupières excessivement plissées. Cette femme n’y voyait pas à deux pas, Nesli en aurait mis son oreille à couper. Les oreilles de la myope, d’ailleurs, avaient l’air d’avoir déjà été raccourcies au fil du rasoir. Rien à voir avec une mutilation, bien sûr : Nesli savait que les humains possédaient tous de petits appendices auditifs. Ça ressemblait quand même un peu à des moignons, tout ronds et recroquevillés.

Toujours postée juste sous le nez de Nesli, l’humaine écarquilla brusquement les yeux, qu’elle avait très grands.

− Oh ! Ce n’est pas souvent qu’une nymphe me rend visite. Tenez, je crois bien que c’est même la première fois.

− Vous n’avez jamais rencontré de nymphes avant ? s’étonna Nesli.

− J’en ai déjà aperçues en ville, mais pas dans ma boutique. Ce sera une première fois pour toutes les deux, je suppose. Bon, alors… vous me les montrez ?

Nesli eut un mouvement de recul. Si les coutumes des commerçants de ce royaume passaient outre la pudeur, alors tant pis pour les achats, elle se débrouillerait avec ses maigres effets personnels !

− Vous êtes bien venue acheter des chaussures ? Si oui, je dois voir vos pieds pour regarder leur pointure, c’est la règle, jeune dame.

Une vague de soulagement s’empara de Nesli en même temps que l’impression d’être une sombre idiote. Elle laissa la cordonnière prendre ses mesures, et s’extasier au passage sur la forme tout à fait étrange de ses pieds. Selon l’artisane, les nymphes avaient les orteils plus longs et légèrement plus plats que ceux des humains.

− C’est pour mieux nager ?

Nesli répondit oui, mais sans en avoir en fait la moindre idée. Ce n’était pas elle qui avait choisi la forme de ses doigts de pied ; ils étaient comme ça, voilà tout.

− Il va vous falloir impérativement des souliers sur mesure. Ce n’est pas donné, mais je peux vous concocter quelque chose de parfaitement adapté à votre morphologie, et aussi à l’usage que vous en ferez, tant que nous y sommes. C’est pour naviguer sur quel genre de bateau ?

− Pas donné ? s’inquiéta Nesli. Combien en demandez-vous exactement ?

 − Ça se compte en pièces d’or.

Oh non. Ses parents lui avaient remis une somme d’argent plutôt rondelette, mais déjà entamée par le prix de la traversée en bateau. Nesli devait absolument économiser pour se nourrir, se loger, et surtout pour le trajet du retour. Tant pis pour les souliers.

− Alors désolée, mais je ne vais pas pouvoir en acheter.

La cordonnière parut déçue. Le commerce n’allait peut-être pas fort, comme en témoignait la quantité de chaussures invendues sur les étagères près de l’entrée. Mais d’ailleurs…

− Vous êtes sûre que je ne pourrais pas trouver une paire à ma taille au milieu de toutes ces chaussures-là ?

L’humaine fronça ses sourcils blonds d’un air perplexe, puis ses grands yeux se plissèrent de nouveau. La seconde suivante, elle éclata de rire.

− Oh, ça ! Ce ne sont pas des chaussures, ça ! Enfin, pas encore. Mieux vaut encore vous promener pieds nus que d’essayer de marcher avec ces guenilles mal dégrossies.

− Ah, d’accord.

Nesli allait prendre congé quand un tout autre genre d’idée lui effleura l’esprit.

−  Votre enseigne en métal, est-ce que c’est un Révélé qui l’a fabriquée ?

− Mon enseigne…Ah, ma nouvelle enseigne !

L’humaine frôla Nesli pour sortir sur le seuil de l’échoppe. Comme l’avait fait sa cliente un peu plus tôt, elle leva le nez vers la forme de chaussure qui pendait au-dessus de la porte. L’armature rivalisait presque d’élégance avec l’objet lui-même.

− Je ne l’ai pas depuis longtemps, alors j’oublie parfois son existence. C’est bien un Révélé qui l’a façonnée. Un petit nouveau dans le quartier. Il aurait pu m’en demander cher, mais non.

Elle baissa le menton et croisa les bras sur sa poitrine.

− Si vous voulez mon avis, il a bien compris que pour s’intégrer, mieux valait éviter les prix trop salés. Et puis aussi, c’est toujours chez lui que je vais rénover mes outils maintenant. C’est un bon gars, pas comme ceux qui vous bâclent le travail pour qu’on revienne plus rapidement demander leurs services. Lui, il est comme je l’étais dans ma jeunesse : passionné par son art.

Elle se mit à fixer le haut de la rue d’un air presque mélancolique.

− Je lui ai pas rendu visite depuis un bout de temps. Il faudrait que j’aille au marché par là-bas un de ces jours.

− Il habite loin ?

− Non, pas du tout. Vous voyez la maison aux balcons qui fait l’angle ? Son atelier est juste en face.

Le cœur gonflé d’attentes, Nesli scrutait le lointain bout de rue que lui avait indiqué l’artisane. Celle-ci continuait son bavardage :

− Je lui ai dit de mettre une enseigne, mais il ne veut pas. Il attend de trouver l’idée parfaite pour représenter son travail. Ça fait deux ans, et il a toujours pas trouvé. Un artiste, je vous dis.

Un bruit de clochettes finit par ramener l’attention de Nesli sur la cordonnière, mais un peu trop tard. Elle bafouilla un bref remerciement à la porte qui se refermait déjà derrière le chignon blond.

Sans perdre un instant, la jeune femme se mit en marche vers l’atelier de l’humain Révélé. Puisqu’il était « un petit nouveau dans le quartier », cet homme ne devrait pas manquer d’empathie envers une nymphe fraîchement débarquée de Ruissolvie.

Une fois devant l’atelier, paradoxalement reconnaissable à son absence d’enseigne d’aucune sorte, l’optimisme de Nesli agonisa silencieusement comme un poisson hors de l’eau. Personne.

Elle eut beau se hisser sur la pointe des pieds, se pencher par-dessus le comptoir qui séparait l’intérieur de la rue, Nesli ne vit pas d’autre silhouette que celles des ferrailles disposées contre un mur.

− Ohé ? appela-t-elle sans grand espoir. Il y a quelqu’un ?

− C’est pour quoi ? lui fit écho une voix bougonne.

Oui ! Quelqu’un !

− Bonjour ! s’exclama Nesli.

− Bonsoir, ronchonna l’écho.

Une tête ronde émergea de dessous le comptoir. Un nain ? L’homme se redressa en entier. Non, pas un nain. Juste un très vieil humain, un peu ratatiné et complètement chauve. En voyant Nesli, il haussa d’étonnement ses sourcils quasiment inexistants.

− Qu’est-ce que…

− Je cherche l’humain Révélé.

− Qu’est-ce que tu lui veux ?

− Une simple démonstration de son Don ! assura-t-elle.

− Je ne travaille que le matin.

Quoi ? Le Révélé, c’était lui ? Le petit nouveau, c’était ce vieillard ?

− Mais je suppose, continua-t-il cependant, que pour une jolie fille à moitié déshabillée je peux faire une exception.  

Nesli se sentit bleuir violemment. Est-ce qu’elle avait vraiment l’air à moitié déshabillée ?

Le Révélé se détourna du comptoir. Nesli en profita pour rabattre discrètement les pans du grand manteau qu’elle portait par-dessus ses vêtements habituels. Une pointe d’agacement la saisit tout de même. Les humains montraient moins leur peau que les nymphes, mais elle ne se promenait pas non plus toute nue ! D’ailleurs, la cordonnière n’avait fait absolument aucun commentaire. D’accord, elle était miraude, mais ça n’expliquait pas tout.

Le vieil humain revint et déposa sur le bois du comptoir un outil entièrement recouvert de rouille.

− Regarde bien, je ne le ferai qu’une seule fois.

Il positionna ses deux mains ridées au-dessus de l’objet et les traits de son visage se durcirent sous l’effet de l’effort et de la concentration. Nesli aurait voulu fermer les yeux pour voir si l’odeur émanait d’un métal aussi dégradé, mais hors de question de manquer une miette de la démonstration. La matière changeait déjà d’apparence à vue d’œil. Après avoir retiré, sans rien toucher, la surface rouillée de l’outil, l’expert se consacra au remodelage de l’acier, qui récupéra lentement son aspect lisse et tranchant.

Alors que le Révélé avait bientôt terminé, ses mains se mirent à trembler dans les airs. Il persévéra malgré la fatigue.

− Et voilà le travail…

Le résultat intéressait moins Nesli que le processus. Elle jeta un regard oblique au vieil homme qui tamponnait son visage suant du revers de la manche. A son âge, exercer le Don devait lui demander plus d’effort que dans sa jeunesse.

− Vous faites ça souvent ?

− Des démonstrations aussi époustouflantes à la fin de ma journée, non jamais. Je t’ai dit que tu faisais exception.

Epoustouflantes ? Nesli n’avait peut-être aucune répartie, mais elle savait reconnaître un ton ironique. Et celui-ci n’en était pas.

− Non, je voulais dire travailler sur des objets aussi abîmés. Ça vous arrive souvent ?

− Eh oui, c’est même mon petit fond de commerce. Je récupère la ferraille qu’on repêche dans le port, ou le métal mal entretenu dont personne ne veut. C’est intéressant pour moi parce que les forgerons traditionnels ne peuvent pas s’occuper de ça. Tandis que moi, en un tour de bras je leur rends leur forme d’origine.

− Vous ne leur donnez jamais une forme nouvelle ?

Le Révélé secoua sa tête chauve.

− Mes créations ne se font que sur demande expresse. Je ne vais pas m’épuiser pour transformer quelque chose si je ne suis pas sûr de trouver preneur par la suite.   

Nesli baissa les yeux vers l’outil flambant neuf qui reposait encore sur le comptoir. Si le vieil homme ne considérait pas l’effort fourni pour ça comme de l’épuisement, dans quel état se mettait-il donc pour une de ses fameuses créations ?

− Ça fait longtemps que tu es en ville, je me trompe ?

Oui.

− Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

− J’en étais sûr. Une nymphe qui s’arrête devant mon atelier, c’est forcément qu’elle est bloquée de ce côté de la mer pour une raison ou une autre et qu’elle a fini par se lasser des divertissements habituels.

Nesli ne préférait pas savoir quels étaient les divertissements en question. Elle n’était pas venue sur le continent pour faire comme tout le monde, de toute façon. Simplement faire comme les Révélés.

− Vous vous trompez, dit-elle. Je viens juste d’arriver.

− Ah bon. Que me vaut alors ta curiosité ?

Elle s’attendait à une question de ce genre. C’était là que voulait en venir l’humain depuis le début.

− Je vous le dirai si vous m’expliquez pourquoi changer la forme du métal est aussi difficile.

Le Révélé la jaugea d’un œil intrigué. Finalement, il s’accouda au comptoir et lui exposa lentement :

− La Rénovation consiste à retirer une partie du métal, puis à déplacer très légèrement la matière qui reste. Mais sculpter, c’est une toute autre histoire, un désordre sans nom où plus rien ne reste à sa place, et le lien entre les entités change radicalement, elles n’ont plus la même relation.

− Parce que selon vous, il y a plusieurs entités qui forment l’élément ?

− Evidemment. C’est le principe de base de la Rénovation. Celui qui n’a pas saisi ça ne peut pas aller loin.

− Vous n’envisagez pas le métal comme un tout ? insista Nesli.

− Quelle drôle d’idée ! Le métal, c’est l’association étroite de mille particules. Elles forment un tout, bien sûr, mais le Don ne peut les manipuler qu’en les considérant individuellement. Mon mentor comparait ça avec une croûte de pain : on croit qu’elle est lisse et solide, mais en fait ce ne sont que des miettes.

Ainsi donc le Don du métal différait bien plus de celui de l’eau que Nesli ne l’avait pensé. Est-ce que maintenant qu’elle en avait conscience, son pouvoir lui obéirait davantage ?

− Alors ? Pourquoi tu t’intéresses tellement au Don ? Il me semble que ce sont des informations plutôt inutiles quand on est pas du métier. Tu cherches à épater quelqu’un ?

Nesli renonça à lui demander s’il avait connaissance d’une odeur que seuls les Révélés du métal pouvaient percevoir. Ce n’était pas si important. Moins que de trouver un moyen rapide de tester ce qu’elle avait appris. Le regard de Nesli glissa vers les objets rouillés posés contre le mur de l’atelier. Des ferrailles dont personne ne voulait.

− Est-ce que vous accepteriez de me céder une de vos épaves contre un peu de monnaie ?  

− Et ma question ? Tu n’y réponds pas !

Nesli conserva un silence obstiné. Le Révélé céda le premier, exactement comme prévu. La cordonnière avait raison : cet homme n’était pas un commerçant dans l’âme. Il attrapa un objet dans son atelier et le posa à côté de l’outil rénové.

− Tiens, prends ça. C’est une tête de lance. Elle n’est pas seulement rouillée, la pointe est cassée. Non, non, garde ton argent. Je n’en aurais pas tiré grand-chose de toute façon. Et ça ne vaut rien en l’état, ce serait malhonnête de t’en demander quoi que ce soit.

Nesli ne pouvait pas simplement partir comme elle avait prévu de le faire. Raconter sa vie à un inconnu n’était pas dans ses projets, mais elle avait promis au vieil homme de lui répondre s’il remplissait sa part du marché, ce qu’il avait fait. Et puis, si jamais elle n’arrivait toujours pas à manipuler le métal, il accepterait peut-être de lui donner des conseils concrets.

− Merci, dit-elle en tendant une main vers la tête de lance comme pour s’en emparer.

Au lieu de finir son geste, Nesli garda sa paume en suspension au-dessus de l’objet rouillé. Derrière ses paupières closes, elle appela son pouvoir. Au fur et à mesure que son Don agissait, l’odeur s’intensifiait. Le hoquet de stupeur de l’humain lui fit rouvrir les yeux.

A côté de l’outil, la tête de lance étincelait de mille feux. Nesli n’avait rencontré aucune difficulté : la Rénovation ne consistait qu’à appliquer une technique toute bête, il n’y avait pas grand mérite à en retirer. Un succès restait un succès, mais Nesli se sentit d’humeur à repousser les limites.

Le métal formait un tout, elle en était intimement convaincue. Seulement un tout différent de celui de l’eau.  

Elle entendit le vieil homme retenir son souffle tandis que la tête de lance prenait une apparence complètement différente. Evidemment, Nesli n’avait jamais tenté de transformer ses bagues en lame. Ce genre d’idée ne lui serait jamais venue en Ruissolvie, le seul endroit du monde où les seules « armes » tolérées étaient les hameçons et les couteaux à fromage. C’était bien plus facile que de sculpter des formes de vagues ou de dragons. Est-ce que l’essence du métal était de se rendre tranchant ?

− Comment…comment as-tu fais ça ?

Le Révélé avait l’air de vouloir prendre l’arme dans les mains, mais ses doigts restèrent prudemment éloignés des bords acérés. Au lieu d’une simple pique, la tête de lance se constituait désormais de trois grandes dents qui hérissaient chaque côté. Avec ça, Nesli pourrait pêcher, peut-être même mieux qu’avec un filet.

− Comme vous, dans un premier temps, répondit-elle gracieusement. Mais pour la suite, j’ai suivi mon instinct. A mon avis, vous auriez plus de facilité à modeler l’acier en arrêtant de le voir comme une croûte de pain.

S’entendre donner des conseils sortit un peu l’humain de son hébétude.

− Tu es très douée, mais ne viens pas remettre en question l’enseignement que j’ai reçu, s’il-te-plaît.

Nesli hocha la tête en souriant malgré elle. Le compliment lui faisait plus d’effet que la réprimande. D’autant que le Révélé n’était pas du tout fâché. Au contraire, il fit une nouvelle fois montre de sa générosité en lui donnant un bâton où encastrer sa nouvelle création. Nesli dut modifier encore le métal pour l’adapter à la hampe, mais tout se déroula à merveille.

− Pour une sang-mêlée, tu ressembles quand même sacrément à une nymphe.

Une quoi ? Mais oui. Pour lui, si Nesli était une Révélée du métal, c’était forcément qu’elle avait des origines humaines. La jeune femme ne trouva pas utile de l’informer de son erreur. Une véritable nymphe dotée d’un pouvoir réservé aux humains, ce n’était pas seulement difficile à croire. A moins d’être immédiatement concerné, c’était une situation inenvisageable. Elle s’était confiée à ses parents, sa sœur, et à Cyren. Mais un homme qu’elle venait de rencontrer et ne reverrait plus après ce jour, quelle utilité de chercher à le persuader de ce qu’il ne croirait jamais ?

Nesli prit la lance couchée sur le comptoir et enroula sa main autour du bâton.

− Ah ! s’exclama le vieil homme. Tu ressembles déjà plus à une humaine comme ça !

Pour lui, cela relevait sûrement du compliment, aussi Nesli le remercia-t-elle d’un sourire. Du reste, il n’avait pas tort sur un point : aucune nymphe ne se tiendrait ainsi, arme en main. Elle ne pourrait pas rentrer en Ruissolvie avec cet objet, quel que soit l’accomplissement qu’il représentait pour elle.

Nesli réalisa alors une chose tout à fait étrange. Inexplicable, même, mais qui ne faisait aucun doute. Elle n’avait pas du tout envie de rentrer chez elle. Elle voulait voir d’autres humains, faire de nouvelles rencontres, découvrir d’autres royaumes, des Révélés aux Dons encore différents. Le monde s’étendait là, sur cette terre, à portée de main.

Cyren lui avait demandé de ne pas prendre de risques. Voyager n’était pas dangereux : même si aucun royaume n’avait poussé le pacifisme aussi loin que la Ruissolvie, la paix régnait partout sur le continent. Et puis, Cyren lui avait dit aussi qu’elle pouvait rester un an, cinq ans, dix ans, si elle le désirait. Quelques semaines lui sembleraient déjà une éternité. Son argent n’était pas illimité, mais elle se débrouillerait.

C’était le même acier que celui de ses bagues qui étincelait au sommet de la hampe. Pourtant, celui-ci semblait doté d’un pouvoir bien particulier. Il lui donnait envie de s’écarter un moment du chemin qu’empruntaient les nymphes. Ce qui brillait au-dessus de sa tête, c’était l’éclat irrésistible de l’aventure.  

 

Le carillon de la porte tinta joyeusement.

− Navrée, mais je vais fermer la boutique, annonça d’emblée l’artisane aux cheveux blonds.

− Je serai brève, promit joyeusement Nesli. Il me faut des souliers sur mesure. Des chaussures pour un voyage à pied. Un long voyage !

 

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Mart
Posté le 13/06/2020
Je suis plus triste qu'heureux de cette fin de chapitre. L'épanouissement personnel, c'est super, mais je ne peux m'empêcher d'avoir un pincement au coeur pour ce pauvre Cyren (qui me fait penser à un certain requin d'ailleurs xD). (Alors que j'écrivais la phrase précédente, sur Ghost Love Score de Nightwish, ça a justement prononcé "The siren from the deep" xDD)

J'ai beaucoup aimé ce chapitre, j'irais même jusqu'à dire que c'est mon préféré pour le moment !

J'ai repéré quelques toutes petites coquilles, mais n'ai noté que celle-ci, pardon : "Cyren les essuya maladroitement, et renifla l’air étrangement amusé." -> il faudrait une virgule après "renifla", je pense.
Hinata
Posté le 13/06/2020
Coucou !
Ah, je comprends l'amertume de la séparation qui est partie pour se prolonger... Il faut se consoler en se disant que même si elle était restée, ils n'auraient pas pu se voir pendant un an à cause du Service processionnaire, donc techniquement ça n'aurait rien changé qu'elle rentre en Ruissolvie à ce stade..
Haha, mais c'est MOI qui ait inventé MON Cyren la première d'abord XD mais oui, on est d'accord que la coïncidence est assez folle, ça vaudrait même le coup de griffonner un petit crossover ^^ (et le coup de la musique, woua, nouvelle coincidence !!)
Je note pour la virgule, elle me semble nécessaire en effet !

Je suis très contente que ce chapitre t'ait plu, comme d'hab j'espère que la suite sera à la hauteur !
Merci pour ta lecture et ton commentaire ^^

Mart
Posté le 13/06/2020
Oh oui ! Je veux ce crossover ! Je veux voir Syren en Ruissolvie, rassurant ce pauvre Cyren...
Je ne sais pas, quelque chose dans l'attitude de Nesli m'a poussé à penser qu'elle ne reviendrait pas. Et ça, ça briserait mon petit coeur.
Hinata
Posté le 14/06/2020
Aww Siren qui réconforte Cyren, je fonds déjà !!

Haha, est-ce que c'est mal que je sois contente dans tout ça que tu te sois assez attaché à la relation de Nesli et Cyren en un chapitre pour que ça te fasse souffrir ? XD Anyway, t'inquiète pas, j'essaierai de pas malmener ton petit cœur haha ^^ (la meuf fait genre elle a pas déjà fini d'écrire la trilogie, alors que si, heh XD)
Mart
Posté le 14/06/2020
Mais oui, ce serait parfait ! (Bon à part pour le pauvre Kappa ^^')
L'ambiance ne correspond pas trop à l'image que je me fais de la Ruissolvie, mais je viens de chercher la chanson à laquelle ta réponse de com' m'a fait penser (ouais, le mec pense à un truc mais ne se souvient pas exactement duquel...). Alors ce n'étaient ni Don't go breaking my heart de Elton John, ni Heart of glass de Blondie, mais bien Achy breaky heart de Billy Ray Cirus (dans mon opinion moins "bon" pourtant). Voilà voilà, tu sauras tout maintenant xD.
Notsil
Posté le 06/06/2020
J'ai beaucoup aimé ce chapitre ! La présence de la lune rousse doit permettre de se situer temporellement au niveau des personnages, non ? Je crains pour Cyren que la petite Nesli ne prenne le goût du voyage ;)

Et oui j'aime bien quand ça démarre doucement, on apprend à connaitre les personnages, l'univers, ça change de la mode où on est happé directement dans les ennuis ^^
C'est très chouette d'avoir le point de vue "nymphe" sur les bizarreries humaines, les petits détails comme bleuir et autre ça renforce la cohérence du peuple.
Hinata
Posté le 06/06/2020
Bonsoir Notsil ^^
Ooh trop bien!!
Oui, c'est exactement ça pour la lune rousse !
Haha oui on a tout de suite un peu de peine pour Cyren n'est ce pas ^^"

Yes c'est quelque chose que j'ai plus accentué pour cette version et c'est assez amusant, contente que ça te plaise ! :)
Alice_Lath
Posté le 23/04/2020
Un nouveau personnage très sympathique dis-moi haha, elle est choute avec Cyren mais je comprends son envie d'aventure. Le pauvre, il est parti pour nous faire une Pénélope et attendre un bon moment encore haha. N'empêche, du coup je ne peux pas m'empêcher de me demander comment l'histoire de cette nymphe hors du commun va s'imbriquer dans celle des Dirigeants huhu je suis toute curieuse
Hinata
Posté le 23/04/2020
Haan mais oui c'est tellement une Penelope XD
Pour les imbrications je te laisserai voir par toi même, mais en tout cas promis ça va finir par se lier un peu, les chapitres resteront pas isolés comme ça pendant tout le roman haha

Merci pour ton commentaire, ça me fait vraiment plaisir à chaque fois !
_HP_
Posté le 19/04/2020
Salut !

J'adoooooore Nesli, elle est simple, sincère, et spéciale :p J'ai hâte de voir ce qui va lui arriver !
Ce chapitre était en effet plus long mais perso ça m'a pas dérangée ^^
J'aime toujours autant ton écriture <3
Hâte de lire les aventures de Gwalyn (non je ne suis pas allée voir qui c'était, du tout du tout xD)
Hinata
Posté le 19/04/2020
Oooow je suis trop contente ! Du coup j'ai hâte aussi que tu la retrouve et que tu vois ce qui va lui arriver ^^

Tant mieux si la longueur te va, je ne sais toujours pas si je vais le diviser ou pas finalement ce chapitre, je remets la décision à plus tard Haha mais c'est toujours bien d'avoir un maximum d'avis de lecteurs sur la question

Merci merci pour tes commentaires enthousiastes, c'est très motivant !
Xendor
Posté le 09/11/2019
Et bien, c'est spécial en effet une nymphe qui manipule le métal. J'ai mis un meu de temps à m'en rendre compte, honte à moi ^^

Nesli est un bon personnage. Elle est simple dans ce qu'elle fait et c'est bien par rapport à son espèce. Ce que j'ai apprécié c'est sa sincérité vis-à-vis de sa jalousie à l'égard des trois "rigolos" ;)

Du coup je me pose la question de savoir si elle ira à Helgrind, le royaume de l acier et de la forge :)

Xendor
Hinata
Posté le 09/11/2019
Holà, il n'y a pas de honte à avoir! Merci beaucoup de lire et de commenter, c'est vraiment un plaisir de savoir que quelqu'un est en train de se plonger dans le monde d'Archangelsk ^^

Je suis contente qu'elle te plaise, son caractère a pas mal changé pendant la réécriture, je dois encore harmoniser la suite du coup ^^

Eh bien, elle y est déjà, techniquement, puisque c'est dans ce royaume qu'elle a accosté, mais quant à savoir où exactement ses pieds chaussés vont la guider, ça...tu risques de bientôt le savoir ;)
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