5.2

Je retrouve presque aussitôt mon apparence première et me sens soulagée. J’aime ma petitesse, mon visage d’ange, ma simplicité.

En sortant de la ruelle, je focalise mon attention sur le téléphone portable et m’amuse à le réinitialiser. La première chose que j’enregistre, c’est le numéro de Matthew qu’il m’avait donné la veille sur une serviette en papier.

Je vérifie l’heure… 9h12.

Il me reste du temps.        

Je parcours les chemins de Présire et prends garde aux moindres détails, la moindre conversation que j’entends. Je dois emmagasiner le plus d’informations possible sur la vie de ces gens pour ne plus me retrouver au dépourvu. En passant devant une boutique, je remarque une tenue qui pourrait convenir à mes besoins. En général, j’évite les choses larges, aériennes. L’illusion du mouvement de légèreté, de tissu qui vole au vent est trop compliquée à reproduire. Voilà pourquoi mon choix se porte toujours sur des vêtements près du corps. Même si j’aime particulièrement la simplicité, un peu d’extravagance n’est pas pour me déplaire et je désirerais m’intégrer à l’ambiance de « La taverne du geek ». Le pantalon au motif des briques de construction très connues auprès des humains me fait de l’œil. Il est plutôt sympa, original. Je pourrais l’agrémenter d’un t-shirt noir, passe-partout et d’une paire de baskets assortie. J’imprime cette image dans ma mémoire pour pouvoir la reproduire sur moi lorsque je trouverais un coin isolé.

J’aurais bien aimé croiser Matthew, mais j’ai peur de passer pour une folle furieuse si je traîne trop souvent devant son immeuble.

Que faire ?

Je n’ai pas envie de me contenter de l’espoir qu’il vienne de lui-même à la Taverne, mais je compte aussi sur l’inquiétude que j’ai perçue la veille dans son regard pour qu’il prenne de mes nouvelles. Enfin… si Cynthia lui en a parlé… évidemment.

Cela fait beaucoup d’incertitudes, beaucoup de si. Mais, autant éviter les erreurs d’hier, je dois me montrer patiente et ne plus le brusquer. C’est donc avec frustration que je me rends au bar, mais à peine ai-je marché quelques minutes que le téléphone m’échappe. Perdue dans mes pensées, j’ai oublié de garder l’effet de prise dans ma main et l’appareil est passé à travers mon éther.

Je me maudis et reste figée devant cette vision d’horreur. S’il est cassé, je me vois mal répéter la même opération que tout à l’heure… Pas question !

Même si cette technologie ne m’est pas encore familière, je ne suis pas idiote au point d’ignorer que le combat entre un écran et un trottoir n’est pas à mon avantage. En prenant mon courage à deux mains, si je peux m’exprimer ainsi, je me baisse et vérifie l’étendue des dégâts. Une fêlure divise la vitre en deux parties, quelques éclats se délogent sur un des coins supérieurs du téléphone, mais l’affichage demeure intact.

Je soupire de soulagement.

Quelle frayeur !

Le pire, ce sont les passants qui m’ignorent… aucun ne s’inquiète. La situation doit être courante à mon avis. Ce n’est pas le genre de choses qui doit les faire réagir. Pourtant, je ne cache pas que l’émotion ressentie me tenaille encore.

Mais je crois que c’est ce qui m’a toujours fascinée chez l’Homme. M’intéresser à eux me procure des sensations que je ne pourrais pas vivre autrement. J’en suis accro. C’est fugace, mais si intense. Le plus étrange, c’est que je n’arrive jamais à me souvenir à proprement parler de ces émotions, elles s’atténuent, disparaissent et, même en essayant de toutes mes forces, je ne parviens jamais à les restituer à l’identique. Je trouve le phénomène très étonnant.

Mais plus que tout, je suis frappée par la difficulté de me fondre parmi eux pendant un long laps de temps. Je n’ai jamais gardé autant de contrôle sur mon amanime et je devine qu’une telle maîtrise consommera beaucoup d’énergie.

Je vais devoir chasser plus qu’à la normale.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez