L'incompréhension mélangée à la surprise, au choc produit par l'annonce, produisent en moi un sentiment que je ne comprends pas. Les larmes me viennent et me submergent de leur flot s'écoulant, s'écrasant sur la feuille de papier que je tenais. Sur la lettre de Thomas.
Georges est mort.
La guerre lui aura véritablement tout pris, jusqu'à la vie.
Depuis le début de cette boucherie, depuis que cet enfer se déverse progressivement telle une marée d'horreur et de drames, j'ai arrêté de croire. De croire que là-haut, il pouvait y avoir quelqu'un de bienveillant. Voilà une raison de plus. Comment peut-on rappeler un garçon comme Georges ? Il n'a même pas vécu la moitié d'une vie. Il avait encore plein de choses à vivre. Plein d'expériences à faire. Plein d'émotions à connaître.
Comment peut-on...
Georges s'en est allé, me dit Thomas, mais je peine à y croire.
Au fond, je souhaite, j'ose espérer follement que Georges fera comme Thomas, qu'il reviendra, mais je sais que ce n'est pas le cas.
Georges s'en est allé. Soudainement. Brusquement, trop brusquement, et cela est horrible.
Georges était comme un petit frère, il était notre promesse et notre lien avec qui nous étions "avant". Avant tout ça. Avant la guerre. Georges est mort et je reste assise là, dans la peine et la douleur, au bord de mon lit, pleurant silencieusement sa mort solitaire.
Tous les jours, des Georges meurent sans doute ici et ailleurs.
Tous les jours, quelqu'un s'en va. Seul.
La mort happe, arrache et enlève de plus en plus d'hommes, de femmes et d'enfants. On ne sait pas ce qui l'arrêtera ni quand elle sera satisfaite de son oeuvre, tout ce que l'on sait, c'est qu'un jour, notre tour viendra.
Aujourd'hui, demain. On ne sait pas. On attend.
Certains partent malheureusement trop tôt. Comme Georges. Ce petit garçon du village qui était, pour nous, un petit frère, un ami, une promesse que l'on s'était faite : celle de pouvoir se retrouver après tout ça. Mais Thomas a raison, on ne se retrouvera pas. C'est fini.
Quand bien même nous survivions à tout ça, rien ne sera comme avant. Nous. Nos relations. Nos vies. Nous ne pourrons rien récupérer de ce que nous avons laissé et nous finirons, un jour, par tomber dans l'oubli. Les gens ne se souviendront même plus de cette sombre et noire période. Ils oublieront. Un jour peut-être, on racontera une histoire : l'histoire de ces hommes s'étant battus aux portes de l'enfer. Ces braves ayant affronté le pire pour essayer de sauver le meilleur.
Et puis, l'héroïsme sombrera.
On oubliera.
On oubliera qu'avant, il y a eu ça. Cette période indescriptible où l'on pensait alors à l'impossible et où on allait jusqu'à même le réaliser.
Personne ne gardera assez longtemps en mémoire tout cela.
Les morts ne racontent pas d'histoire.
Les vivants, hantés par le syndrome du survivant, tourneront la page. Iront jusqu'à l'arracher.
On n'en parlera pas.
Parce qu'on ne veut pas se souvenir de tout ce que l'on a perdu. De tout ce que l'on a sacrifié. De tout ce que l'on a espéré et qui, tout compte fait, ne s'est jamais réalisé.
Pas un voeu. Pas une prière.
Rien.
Silencieusement, nous sommes morts muets.
Georges est parti et demain, ça sera au tour de Thomas. D'Antoine même. Demain, l'un des deux me quittera et voilà que je recevrai encore une lettre contenant des mots bien trop difficiles à lire. Bien trop douloureux pour réellement les comprendre ou pour bien vouloir les entendre.
C'est horrible.
Tout ceci est bien trop horrible.
Si ça se trouve, Élise va elle-même mourir, mais je ne pense pas, il faut bien que quelqu'un se souvienne de Thomas.
Là, l'espoir est au plus bas.
Avec son point de vue, ça rend tout plus doux, plus compréhensible sans pour autant nier la douleur que peut causer la situation. J'aime tellement sa mentalité <3