42. Après la tempête

Par tiyphe

Louise

Ensevelie sous les décombres, Louise essayait de trouver une solution pour s’en dégager. Elle se creusait la tête pour imaginer un outil qui la sortirait de cette situation. Elle tenta même de penser comme Lucas, lui qui inventait des gadgets capables de tout. Mais elle suffoquait sous la roche. Sa respiration était de plus en plus saccadée tandis que l’air se faisait rare. Ses émotions l’empêchaient de créer. Et à moins d’être secourue, elle allait s’évanouir sous les gravats de son château.

Elle ferma les yeux, essayant de calmer les battements de son cœur. Sa jambe droite était coincée sous une lourde poutre. Elle devait être brisée, peut-être même sectionnée puisque Louise ne sentait plus ses orteils. Son bassin et sa cage thoracique étaient également à l’étroit. Seuls sa tête et ses bras avaient un peu d’espace.

Elle porta ses mains à son cou. Elle connaissait malheureusement trop bien cette sensation d’asphyxie. De mauvais souvenirs refirent surface. Elle en avait très peu reparlé et ne voulait plus y penser. Ce moment était beaucoup trop douloureux pour elle. On lui avait pris sa vie, mais également sa dignité.

Alors que l’oxygène se faisait de plus en plus rare, la colère monta en elle. Elle ne serait plus aussi faible qu’elle l’avait été ce jour-là. La Créatrice sentit des picotements dans ses doigts. En ouvrant les paupières, elle aperçut de fins arcs électriques se faufiler entre ses phalanges, dans ses mains, le long de ses bras. Tout son corps s’illumina d’un halo bleuté. Elle discernait la puissance émaner de tous ses membres, même de sa jambe immobilisée.

Un bouclier irradiant se forma autour d’elle et la souleva dans les airs, telle une bulle de savon. Les pierres au-dessus d’elle s’écartèrent, poussées par la boule de protection qui s’élevait hors des gravats. La carapace électrique déposa délicatement la Princesse sur le sol. Louise se tint sur ses jambes. Elle pensait qu’elle allait s’écrouler, à cause de ses blessures, mais son organisme avait entièrement guéri. Chaque partie de son corps était redevenue parfaite. Seuls ses vêtements étaient déchirés.

Sans se préoccuper du regard des autres, elle arracha les lambeaux de sa tenue. L’instant suivant, un ensemble confortable dans un tissu souple couvrait sa peau laiteuse. Toujours avec une forme de corset pour le haut, elle portait le pantalon assez long sur des bottines à talonnettes. Elle enfonça un diadème sur sa tête, muni de petites émeraudes en étoile. Et par manque de temps, elle laissa sa chevelure brune tomber dans le creux de ses reins.

Les mains sur les hanches, elle observa le désastreux spectacle qui s’offrait à elle. Du château, il ne subsistait qu’une tour et quelques pans de mur à peine debout. Le reste n’était que des ruines de pierres, de bois et d’ardoise. Des Occupants s’extirpaient des décombres, difficilement. Louise se précipita pour aider son peuple.

Tout en passant entre eux, elle cherchait Jeanne. Elle l’avait vue sur le balcon, se faire attaquer par les ombres, puis tomber. Elle avait voulu crier son nom, mais aucun son n’était sorti de sa bouche immobile. La Créatrice s’empressait de matérialiser des outils pour dégager les lourdes pierres, mais ne restait pas avec les habitants. Elle devait absolument retrouver son amie. Où était-elle ? Et Lucas ? Et Jacques ? Si l’homme fou avait envoyé la personne la plus importante à ses yeux en Enfer, elle ne s’en remettrait pas.

Après de longues minutes à parcourir les gravats de son château, elle aperçut finalement une chevelure noire, en bataille. La Princesse sourit. Pour une fois qu’elle n’était pas parfaitement tirée dans un chignon. Sans plus attendre, la Créatrice se précipita vers sa partenaire de toujours.

— Jeanne ! s’exclama-t-elle, avec joie.

La femme se retourna et eut à peine le temps d’ouvrir ses bras que Louise s’y jetait dedans. Des larmes de soulagement s’écoulèrent sur leurs joues tandis que les deux amies se retrouvaient. Elles restèrent un moment ainsi enlacées. Ni l’une ni l’autre ne voulait se défaire de cette emprise. La plus jeune avait imaginé tant de scénarios où Jeanne n’en faisait plus partie. Ils étaient tous emplis de chagrin et de désespoirs. Elle ne pouvait concevoir un monde sans cette merveilleuse personne qui veillait sur elle à tout moment.

Lorsque la femme aux cheveux noirs se dégagea, la Princesse aperçut un voile de tristesse dans son regard. Elle pencha la tête sur le côté et posa une main sur la joue froide et humide de son amie.

— Jeanne, qu’y a-t-il ? s’inquiéta-t-elle.

L’intéressée sembla profiter un instant de ce geste d’affection avant de repousser tendrement les doigts fins de la jeune femme. Elle essuya ses pommettes, puis plaça un sourire timide sur ses lèvres.

— Tout va bien, Louise, murmura-t-elle dans un souffle. Je suis juste heureuse de savoir que tu es sauve.

La Princesse ne releva pas la nouvelle familiarité de son amie. Finalement, elle la remercia intérieurement d’avoir elle-même pris l’initiative. Après tant d’années, elles avaient vécu tellement de choses.

Alors que le silence s’installait, Louise sursauta. Consciente de ce qui se passait autour d’elles, la jeune femme tourna vivement pour désigner les alentours.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-elle. Le château, les Occupants ? Nous devons les aider.

Jeanne poussa un petit soupir et sembla se reprendre également. Son regard gris changea d’émotion, redevenant sérieux et concentré.

— Le Bien, répondit-elle dans un premier temps.

Après une pause, elle poursuivit :

— Le Bien est responsable des dégâts causés sur le château. Il a emmené Jacques.

Louise accusa le coup. Qu’est-ce que l’Être Supérieur était venu faire dans son royaume ? N’avait-il pas leur propre monde à gérer ? Ses doigts frétillèrent tandis que la colère montait, colorant ses joues pâles et son petit nez d’une teinte sanguine. Jeanne ne sembla pas effrayée cette fois. Elle observait les filaments bleutés qui parcouraient les paumes de la Princesse, puis elle posa une main sur l’épaule de sa jeune amie, la calmant instantanément.

Cette dernière prit une longue inspiration et l’électricité disparut.

— Qu’a-t-il à voir avec tout cela ? demanda-t-elle finalement. Avec Jacques ?

Jeanne sembla embarrassée. Louise connaissait trop bien l’expression qui barrait son visage, la grande Créatrice était souvent incommodée lorsqu’il s’agissait de dire ce dont elle savait, particulièrement quand cela pouvait avoir des conséquences sur l’interlocuteur.

— Tu m’inquiètes, lâcha la Princesse.

— L’Être Supérieur qui dirige le Paradis t’a fait don de tes pouvoirs, annonça l’aînée. Quant à Jacques, c’est le Mal qui lui a offert la possibilité d’envoyer des âmes en Enfer.

Louise resta pantoise : ses facultés venaient d’une divinité ! La jeune femme était à présent partagée entre son sentiment d’honneur d’avoir été choisie par un être céleste, mais également la désagréable impression d’avoir été utilisée.

— Alors Jacques… ? hasarda-t-elle.

— Jacques n’est pas entièrement responsable de ce qu’il est devenu, compléta la grande dirigeante.

La Princesse ne savait plus quoi penser de toutes ces informations. En un peu plus d’un mois, tout son monde avait été chamboulé. En fait, depuis l’arrivée des deux garçons, tout se bousculait. Une autre question traversa alors son esprit.

— Lucas ?

Jeanne passa une main dans sa tignasse emmêlée.

— Il est allé aider les Occupants, ses ailes lui permettent de soulever de lourdes charges, expliqua-t-elle. Les souterrains étaient bloqués, je pense qu’il s’y trouve.

Louise la remercia d’un hochement de tête. Elle le retrouverait plus tard. Pour le moment, elles devaient dégager les gravats du château. Les deux femmes se mirent d’accord et passèrent la journée à déterrer leur peuple sous les décombres. Grâce à son pouvoir, la Princesse souffla une partie des ruines où elle était sûre que personne ne s’y trouvait. Et cela, elle le vérifiait à l’aide de jumelles qui avaient survécu à l’explosion du rempart de métal. Puis de ses mains, la jeune femme envoyait des éclairs sur les morceaux de plâtre ou de roche qui se désintégrait sous l’intensité de la décharge.

Ce phénomène eut pour effet d’intriguer la Créatrice. L’électricité qu’elle pouvait lancer détruisait les objets, les faisant disparaître de ce monde. Pourtant elle avait foudroyé des êtres humains et ceux-là s’étaient seulement évanouis.

Pendant que Louise se posait une multitude de questions, Jeanne construisit un chapiteau dans un lieu dégagé où les blessés furent regroupés. Certains guérissaient plus vite que d’autres. Cette capacité était entièrement arbitraire, personne n’avait jusque-là réussi à déceler les prérequis nécessaires à un rapide rétablissement.

Un peu plus tard en fin d’après-midi, la grande femme à la chevelure couleur ébène qui tombait simplement sur ses épaules vint rejoindre Louise qui rassurait un enfant. Le pauvre petit à la peau hâlée ne trouvait pas ses parents, mais la Princesse lui caressait affectueusement son crâne tout bouclé. Elle lui offrit une sucette et lui proposa de l’accompagner à leur recherche. Elle se releva et croisa le regard de son amie. Jeanne avait un sourire tendre sur le visage.

— Qu’y a-t-il ? pouffa la jeune dirigeante.

— Je ne te connaissais pas ce côté maternel, Louise, se moqua gentiment la Créatrice.

Les deux femmes rirent de bon cœur alors que la cadette faisait une moue exagérée face à la remarque. Finalement, Jeanne reprit une expression sérieuse et soupira.

— Je vais retrouver Naïra, expliqua-t-elle doucement.

La Princesse crut sentir une pointe de chagrin dans sa voix.

— Je vais voir si tout va bien près de la Porte d’Argent, continua-t-elle.

Louise acquiesça et reçut l’étreinte de son amie avec surprise. Son comportement était étrange, mais elle ne fit pas de commentaires. Elle regarda sa grande partenaire de toujours lui faire un signe de la main et s’éloigner vers la gare. Une larme roula sur sa joue sans qu’elle y fasse attention. Elle avait un mauvais pressentiment qui contractait son ventre.

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