4 Rentrée des classes

Notes de l’auteur : Un petit chapitre permettant d'en savoir un peu plus sur nos protagonistes. Voilà, je pense que deux petits sujets peuvent pousser à débat, mais j'attends de voir vos réactions a savoir si nous devons ouvrir ces débats.

Son déménagement venant de finir, Edmond se disait, en voyant la petite chambre étudiante, que plus les années passent, et plus le temps file. Déjà le 31 août. La vie étudiante allait reprendre son cours, avec ses avantages et ses inconvénients ; au stress des cours et des examens s’opposaient le plaisir de retrouver ses amis le soir autour d’une bonne bière. Chez ses parents, dans le village natal, il ne voyait pas grand monde. Il regarda le cadran de sa nouvelle montre qu’il avait reçu cet été pour son anniversaire. 16h. Ses deux comparses de la fac l’attendaient en fin d’après midi dans leur QG habituel (nommé « la Tour Solidor »). Le temps de déballer ses cartons, de faire son lit, de préparer ses affaires pour la pré-rentrée. Il avait beaucoup réfléchit à « l’évènement » de cet été. N’ayant pas tenté de le reproduire, et ne voyant pas sa santé se dégrader, il avait décidé de garder cela secret. D’une part parce qu’il avait peur qu’on le prenne pour un fou, et d’autre part, parce qu’il avait peut-être peur tout court.

   Vers 18h, quand il eut finit de ranger ses affaires et donner un coup de nettoyage, il prit le tramway et rejoignit ses amis rue Ecuyère, la rue où la plupart des bars et des étudiants se retrouvaient avec complicité.

   Les pavés de cette rue piétonne étaient légèrement humides d’une pluie fine s’étant abattue quelques instants avant, les rendant traîtres. Les quartiers semblaient reprendre vie après un été dépourvu d’étudiant, et dans les commerces on s’agitait joyeusement. Quelques jolies filles de son âge passèrent en jupe et débardeur et il ne put s’empêcher de dévier un regard. Leur parfum, le claquement de leur chaussure sur le sol et un subtil sourire de la brune du groupe envers lui suffirent à l’imprégner de quelques secondes d’allégresse, faisant oublier quelques instants sa détresse encore trop récente. Après tout, le début de l’âge adulte est toujours propice aux amourettes. Oui, cette année sera une bonne année, se persuada-t-il. Arrivant devant le bar habituel, il vu que George et Serge l’attendaient. Le premier avait toujours la même dégaine ; sa maigreur, sa démarche chaloupée et ses lunettes vissées sur le nez lui donnaient un air de premier de la classe, ce qu’il n’était absolument pas, en chemise bleu clair et en pantalon marron foncé, ses efforts vestimentaire lui donnaient quelques années de plus ; Serge était assis à sa gauche ; plus grand, aussi maigre que George, lui au contraire voulait toujours suivre la mode, le rendant presque candide. Ces trois là réunis n’étaient certes pas les plus séduisants des étudiants. Rien que leurs trois prénoms étaient, comme ils le disaient eux même, ringards. Cependant, ils avaient toujours eu la réputation d’être sympathiques, et plutôt sociables. Appréciés de leurs camarades en somme, et une épaule à qui parler. Serge et George, avant qu’Edmond n’arrive, étaient occupés à observer deux filles assises quelques tables plus loin. Pas un bonjour, ni un « ça va », non, la première chose que George lui demanda fut :

   — Les deux filles là bas sont jolies, qu’est ce que tu en penses Eddy ?

   Edmond, s’assit, disposant convenablement sa veste sur le dossier de la chaise en métal. Dirigeant alors son regard en direction du bar, il entama un premier round d’observation ; il n’était pas doué pour un tas de chose, certes, comme en sport ou en littérature ; on pouvait même dire qu’il était globalement moyen un peu partout. Cependant il avait un don certain pour l’investigation.

   Les deux filles étaient assises au comptoir. La première était une petite brune, d’1m64 jugea-t-il, avec des yeux marron en forme d’amande. Ses cheveux étaient attachés avec une queue de cheval très serrée, une mèche de cheveux courbe lui tombant sur le front. Un débardeur bleu électrique révélait un buste de taille moyenne. Elle portait un jean large ne révélant pas grand-chose, mis à part des hanches saillantes. Edmond se demanda comment elle pouvait tenir en jean avec cette chaleur. Elle buvait une pinte de stout, et devait avoir à peine 19 ans. Un peu plus jeune que lui donc.

   En face d’elle, l’autre fille ; plus grande, les cheveux détachés et lisses d’un roux splendide, la peau blanche piquetée d’éphélides, regardait la première de ses yeux verts foncés. Ou marron. Edmond n’arrivait pas à discerner précisément la couleur. Le torse plus mince, elle était aussi plus fine, sans être filiforme. L’élégance était ce qui la définissait le mieux. Un verre de vin blanc à la main, elle portait un chemisier blanc léger avec de la dentelle transparente, et une jupe crayon verte de très bonne facture. Elle devait avoir le même âge que lui, environ 22 ans. Les deux jeunes femmes discutaient entre elles, et partageaient parfois de grands moments d’hilarités.

   — Alors ? insista George. Tu penses qu’on peut aller les voir ?

   — Elles sont en couple, répondit tranquillement Edmond, tout en trempant ses lèvres dans sa menthe a l’eau qu’on venait de lui servir.

   — Bah non, comment tu peux deviner cela ? Il n’y a pas de garçons avec eux, s’objecta George.

   — Non, elles sont en couple, ensemble, expliqua Edmond en haussant les épaules. Patate !

   — Hein ? se demanda George.

   Edmond leva les yeux en l’air de dépit quand George ne comprit toujours pas. Ce dernier se retourna, et au même moment, la brune pris la main de sa copine rousse.

   — Haaaaa ! reprit George. Bah elles sont mignonnes toutes les deux ! Sa voix laissait entendre qu’il était quelque peu déçu.

   Serge se moqua de lui.

   — Tu n’avais aucune chance de toute façon avec ta dégaine de coton-tige ! se tournant vers Edmond, et lui demanda :

   — Alors ton été ?

   — Bof, bien ennuyeux, je n’ai pas fait grand-chose. Et vous ?

   — La même, j’ai travaillé à l’usine, je suis parti en vacance avec mes parents, j’étais pressé que ça soit la rentrée quoi ! lui répondit Serge.

   — Idem pour moi, continua George. Le seul truc un peu intéressant ça a été le camping avec mes potes du lycée. Le soir à la belle étoile, c’était cool.

   La belle étoile. C’est vrai que le point positif de cet été, c’était que le ciel constamment dégagé la nuit avait permit la contemplation, pratiquement tout les soirs, de la voie lactée. Un spectacle qui laissait difficilement indifférent.

   — Tiens en parlant de ça, dit Edmond tout en se redressant sur son dossier, vous avez vu les étoiles filantes qui…

   Edmond s’arrêta.

   Merde. Inutile de leur parler de ça. T’es con ou quoi ?

   Serge et George le regardèrent, se demandant pourquoi il s’était arrêté d’un coup et était devenu tout blanc.

   — Ouais bah comme d’habitude quoi reprit Serge blasé, il y en a eu cet été.

   Les autres ne comprenaient pas cette remarque ; Edmond devait dévier rapidement le sujet pour ne pas paraitre trop bizarre.

   — Et vous avez rencontré du monde cet été ? se précipita-t-il.

   L’astuce avait fonctionné, le regard de ses camarades redevint normal.

   — J’ai eu un flirt avec une fille qui s’appelait Marie en vacance, mais c’est tout, indiqua Serge.

   — Et moi que dalle, continua George. Comme d’hab. Et toi ?

   — Non, répondit Edmond, pas depuis…

   Serge faillit à ce moment s’étouffer avec son café, et manqua d’ébouillanter George qui se recula de peur.

   — Qu’est ce qu’il y a ? demanda Edmond.

   — En parlant du loup, dit-il en appuyant son regard derrière Edmond.

   Edmond se retourna sur sa chaise, et son cœur fit un bond : Anastasia arrivait au bar, accompagnée de son nouveau copain, le fabuleux Etienne. Grand, brun ténébreux, il était habillé de vêtements chers et à la mode, témoignage de son origine de bonne famille. Des lunettes de soleil de marque sur le nez cachaient ses yeux gris profond ; les cheveux brillant soigneusement placés en arrière, il était très beau malgré son air hautain. Un parti splendide.

   Toutes les filles tombent pour lui. Alors que je suis certain que ce n’est  qu’un sombre crétin qui les méprise. Il va la tromper. C’est sûr. Pourquoi les filles craquent pour ce genre de type ?

   Edmond ruminait. Le dégout lui remontait du fond de la gorge. Dieu qu’il aurait voulu les casser ses dents trop parfaites !

   Et ensuite vers qui elles se plaignent ces filles ? Des gens comme moi, George ou Serge ! « Han, heureusement que tu es là ! Tu seras toujours mon ami ! »

   Son point s’était serré sans qu’il ne s’en aperçoive. Il dévisagea son rival avec haine, et commença à porter cette rancœur sur Anastasia. L’image de Charlotte apparut alors au coin de sa tête, lui répétant ce qu’elle lui avait martelé cet été. Elle était dans son droit. Il imagina sa petite sœur lui taper sur la tête avec une grande tige de bambou.

   Tu penses mal Dédou ! Elle fait ce qu’elle veut ! Arrête de critiquer !

   Anastasia se retourna et le vit alors, rougissant légèrement, esquissant un sourire mi-appuyé mi-sincère, et s’installa deux tables plus loin.

   — Bah putain, elle a du culot, s’indigna George. Et lui il n’a pas l’air de se prendre pour de la merde.

   — C’est Etienne Lambert, lui indiqua Serge. C’est le fils du directeur de la société pharmaceutique Myblood-Early en France. Autant te dire qu’il a de quoi se la péter.

   Edmond bouillonnait de plus belle. Qu’est ce qu’elle lui trouvait, à part qu’il était riche ? Il était séduisant, certes. Il avait des yeux magnifiques certes. Il était bien plus musclé que lui, certes. Et il était plus grand. CERTES.

   Il reçut un deuxième coup de bambou imaginaire de la part de sa sœur.

   En fait, ce qui rendait Edmond si triste, c’était de se sentir si nul, si petit comparé à lui. Dégouté, nerveux, il sortit deux euros de sa poche et les plaça sur la table.

   — Tu fais quoi Eddy ?  s’inquiéta George.

   — Désolé les gars, là je ne peux pas rester. Je ne suis pas à l’aise. Sa voix tremblotait un peu.

   — T’inquiètes pas, on comprend, lui indiqua Serge.

    Edmond se leva rapidement, reprit sa veste et s’en alla. Elle n’eut même pas un regard pour lui.

 

    En rentrant du bar, Rose prépara ses affaires pour la rentrée : son métier officiel était l’enseignement de l’histoire de l’architecture à l’université.

   Fermant sa sacoche, elle observa les vêtements qu’elle avait posés, impeccablement pliés, sur le lit. Elle n’était pas trop douée pour le choix de ses habits ; à vrai dire, la féminité était un domaine qu’elle ne maitrisait pas, malgré beaucoup d’efforts. Sophie, elle, était totalement à l’opposé. Alors, la plupart du temps, c’est elle qui choisissait les vêtements de sa concubine.

   — Chaton, je mets le pantalon beige ou le bleu demain ? demanda-t-elle en les tenant chacun dans une main.

   — Tu ne veux pas mettre une jupe et un tailleur ? répondit Sophie en parlant fort, les deux femmes se trouvant aux deux extrémités de l’appartement.

   — Tu sais bien que non. Je ne veux pas de jupe, dit Rose d’un ton sec, presque outré.

   — Même avec des collants sombres ?

   — Même.

   — Prend ta chemise à carreaux alors. Et le pantalon bleu. Sophie se remit la tête dans sa casserole.

   Rose s’exécuta. Elle observa l’ensemble.

   Ouais, peut-être.

   Les vêtements n’étaient vraiment pas son fort. Ça, et la cuisine. Mais Sophie étant cuisinière, cela ne posait pas de problèmes majeurs. Le couple se complétait fort bien. Rose choisit ensuite un débardeur et des sous-vêtements, qu’elle plia et mis au dessus de la chemise et du pantalon, dans un silence cachotier. Elle ressentit alors un méchant coup de cuillère en bois sur la main.

   — Aïe ! Mais ça ne va pas !?

   — Je suis venu inspecter que tu ne faisais pas de bêtises. Et j’ai bien fait. Pas de brassière! Tu ne vas pas dans ta salle de sport demain, dit Sophie d’un ton sévère.

   — Mais les soutifs ça me fait mal ! se plaignit Rose.

   — Je m’en fiche. C’est bien plus élégant. Tu es professeure, aie un peu plus de classe.

   — Mais ce n’est même pas visible !

   — Si ça l’est, rétorqua Sophie. Et je ne veux pas, ne serait-ce qu’imaginer, que ma copine soit une mal fringuée.

   Sophie lui sortit un ensemble gris bien plus élégant. Rose grommela, même si il est vrai que cet ensemble lui allait plutôt bien. Elle le plia et le posa sur ses affaires.

   — Dieu bénisse l’époque où nous n’en portions pas, bougonna-t-elle entre ses dents.

   — Nous ne sommes plus au moyen-âge ma grande. Et tu parles de Dieu toi maintenant ? se moqua Sophie.

   — C’était pour protester. Tu sais ce que j’en pense. Rose lui lança un regard sombre. La pique avait fait mouche. Elle avait une aversion prononcée pour tout ce qui touchait aux religions. A toutes. Quelques mauvaises expériences l’avaient rendu fataliste envers leurs supposées bienveillances.

   — En parlant de ça, tu as eu des nouvelles de Laurent et Pierre alors ? lui demanda Sophie.

   — Oui. Il y a encore eu une église de vandalisée la semaine dernière.

   — Et tu n’es pas intervenue ?

   Sophie la regardait de ses beaux yeux, cette fois-ci marron dans la pâle lueur de l’appartement, légèrement étonnée du manque de témérité de sa partenaire.

   — Non. J’ai trop de choses à régler et il faudrait vraiment quelqu’un d’autre sur le terrain. Du coup on me cherche un partenaire ; je n’irai plus seule.

   Un large sourire se dessina sur les lèvres carmin de la belle rousse.

   — Ah enfin ! Je suis contente que tu m’écoutes.

   Rose n’allait pas lui dire qu’elle y songeait déjà avant, de peur de la blesser. Mais elle tînt à préciser :

   — Ne n’excites pas trop, il n’y a pas encore de candidats.

   Attrapant la pile de ses affaires, elle les mit sur une chaise. Toutes deux repartirent dans la salle. Rose se rapprocha du plat qui mijotait, et voulu y goûter, mais se fit rembarrer par Sophie avec un nouveau coup de cuillère, qui continua :

   — Et vous avancez tout de même dans votre enquête ?

  — Bof. Laurent pense comme moi que c’est une secte. On n’en sait pas beaucoup plus. Leur motivation, ce qu’ils recherchent. Et en plus, le bout de tissu n’a rien donné.

   Sophie se retourna et chercha des épices dans le placard du haut. Rose, qui l’avait rejoint dans la cuisine, en profita pour plonger son doigt dans la sauce, et gouta. C’était délicieux, comme d’habitude. Sophie ne remarqua pas, ce qui évita à Rose un nouveau coup de cuillère.

   — Pourquoi la police n’intervient pas ?

   — Pas leur problème.

   — Pourquoi toi tu interviens ?

   Rose réfléchit. Il est vrai que normalement, elle n’agissait que lors d’affaires qui dépassent l’humain.

   — Je ne sais pas, pressentiment.

   — Tu es sûre qu’ils sont nuisibles au moins ?

   — Ce qu’ils font est extrêmement louche. Je me méfie des groupuscules ; et leur chef n’a pas l’air d’être un rigolo. Il vaut mieux prévenir que guérir.

   Sophie fit un signe de tête compréhensible. Ce que Rose n’avouait pas, même à elle-même, c’est qu’elle aimait la chasse au monstre. L’action de terrain était une véritable drogue ; une vie trop longue à combattre l’empêchait de se ranger.

   En attendant, le diner était servi et Rose avaient d’autres monstres bien plus terribles à s’occuper le lendemain : des élèves sortant tout juste de l’adolescence.

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