4. La défaite, c’est de capituler.

Par Jason, avec philosophie, le 8 décembre 201*.

« Patience : a minor form of despair disguised as a virtue »

Ambrose Bierce, The Devil’s Dictionary.

C’est pas que ça m’ennuie d’attendre un mec qui ne viendra probablement pas, mais j’ai quand même bien failli rentrer chez moi. Genre dix fois. Mais bon, j’ai dit que j’attendrais, alors c’est ce que je fais. À défaut d’être riche, ma parole vaut de l’or.

Et voilà que contre toute attente, mes espoirs sont récompensés. Il était temps…

Enfin, vu la tronche qu’il tire, la partie n’est pas gagnée d’avance. Les sourcils froncés creusent des rides dans son front. On pourrait croire que c’est le vent froid ou l’étincellement du beau Soleil hivernal qui lui font plisser les paupières. Mais je suis sûr que ce n’est pas ça. C’est comme s’il dégageait de la colère. Je ne sais pas ce que sa mère lui a dit, mais ça n’a pas dû le ravir.

– J’ai failli attendre…

J’accompagne la pique de mon plus beau sourire. Il faudra bien ça pour désamorcer un peu la tension.

– Eh bien il ne fallait vraiment pas.

Pas une once d’humour, la voix contrôlée, le ton sec… Bon, d’accord, il n’est vraiment pas commode.

– Tu es venu pourtant, pourquoi ?

– Pour clarifier les choses une fois pour toutes. Je n’ai pas besoin que tu m’attendes et tu n’as pas besoin que je vienne.

– Et qui sera là pour toi, alors ? je demande pour essayer de calmer le jeu.

– Je n’ai pas besoin de toi, je ne veux pas de ta pitié.

– C’est pas de la pitié.

– Et c’est quoi alors, hein ? T’as des amis, qu’est-ce que t’irait foutre avec un mec bizarre si ce n’est pas pour te donner bonne conscience ?

Il me l’a craché à la figure, comme si je l’avais insulté. Il me tape sur les nerfs avec son discours de Caliméro, mais ce qui m’énerve encore plus, c’est de ne pas pouvoir répondre à sa question.

– Mais j’en sais rien, putain ! T’es casse-couilles, sérieux ! Pourquoi tu peux pas juste accepter que je m’intéresse à toi ?

Dans un accès de colère, je l’ai poussé en arrière. Ça ne me ressemble pas, mais là, j’ai eu envie de le cogner. S’il ne s’était pas immobilisé en ouvrant de grands yeux, je l’aurais peut-être fait. Le mec me fait perdre mon temps, m’insulte limite parce que je veux être son ami, et maintenant, alors que je le touche à peine, il fait le choqué ? C’est bon, je me tire. Qu’il aille se faire voir, ce taré !

Je tourne les talons, bien décidé à le planter là.

– Attends, je veux comprendre.

Je devrais l’ignorer. L’ignorer et complètement l’oublier. Ce gars a un sérieux problème. L’instant d’avant il était bouillant de rage, maintenant il est tout confus. Quelque chose dans sa voix me retient. De la vulnérabilité, peut-être.

– Moi aussi j’aimerais bien comprendre, je souffle.

J’ai fait un effort pour ne pas lui gueuler dessus. Je serre toujours la balle de basket dans les mains, à deux doigts de la lui envoyer dans la face.

– Pourquoi tiens-tu tant à te rapprocher de moi ? On se connaît à peine…