4 - ...et de le cacher

Par SaNah
Notes de l’auteur : Hello,
Juste deux petites choses à savoir :
- ce récit comporte des scènes violentes ou dérangeantes,
- les premiers chapitres ont été complètement refondus, donc les commentaires n'auront pas grand chose à voir avec ce que vous avez lu.

Je vous souhaite une bonne lecture ! ^^

Rayan Sans-Nom de Rashad

 

La chute est courte, mais aurait pu être fatale s'il n'y avait rien eu pour me réceptionner. Heureusement, la rue inférieure est un marché permanent, où les comptoirs sont couverts de draps solides.

— Ce- c'est quoi ça ? s'écrie quelqu'un, alors que je m'effondre sur son échoppe.

Je me lève tout de suite et saute sur le toit du voisin, qui crie aussi, puis sur celui du voisin du voisin. Quelques secondes plus tard, je suis dans un passage sombre et m'enfuis en courant dans un dédale d'escaliers biscornus, tandis que les hurlements des marchands s'estompent peu à peu derrière moi.

Quand je débouche sur une petite place pavée, entourée de hauts murs en pierres jaunies et couverts de boue séchée, je ralentis. Une odeur âcre de fumée et de déchets flotte dans l'air, et se mélange à celle de la poussière et de l'urine. Une vieille femme habillée de noir me regarde d'un air méchant depuis le seuil de sa porte.

— Va-t'en, crasseux ! grogne-t-elle.

Je l'ignore et poursuis mon chemin. À Rashad, les citoyens les plus pauvres haïssent les servants avec encore plus de férocité que les autres, surtout s'ils ont été servants eux-mêmes.

Avant de m'engager à l'intérieur d'un long tunnel, je remarque les graffitis écaillés qui couvrent l'entrée. Mon œil s'y arrête un instant :

Judith, Gynve, Olivia, les Disciples d'Automne vous traqueront et accompliront sa vengeance.

On trouve ces mots griffonnés un peu partout dans la ville. Ils font référence à deux illuminés, des mages sortis du Tombeau d'Automne qui se sont proclamés Disciples du héros légendaire. Véritables calamités, ils réclamaient justice pour la mort de leur soi-disant maître, mais ne faisaient que semer les désastres autour d'eux.

Perdu dans mes pensées, et cheminant dans des ruelles sombres et sordides, je m'arrête devant un escalier étroit et décrépit. Je vérifie que personne ne m'espionne, puis creuse un petit trou dans la boue humide entre deux pavés fissurés. Je sors mon sou d'or de ma bourse, le pose sur une pile de pièces en cuivre et recouvre le tout de terre.

J'ai des cachettes similaires un peu partout dans la ville, près des endroits où je travaille régulièrement. C'est nécessaire pour moi, car je me déplace seul la plupart du temps. Je suis donc une cible facile pour les voleurs.

Un moment plus tard, je retrouve une large avenue du quartier, avec ses énormes immeubles en pierre, ses façades ornées de motifs en relief et ses vastes balcons en marbre. Le long de la chaussée, les magasins exhibent leurs vitrines colorées, remplies de bijoux, de vêtements élégants et de poteries.

Cette avenue est un contraste parfait des petites rues sales et désertes que j'ai traversées. Il y a tellement de bruit et de monde qu'on a l'impression que tout bouge en même temps : des marchands ambulants, des dromadaires, des chevaux, des acrobates, des musiciens, des voisins qui se disputent sur le pas de leur porte, des parents qui hurlent après leurs enfants, et des adolescents qui rient aux éclats.

Avant de quitter la ruelle, je vérifie qu'il n'y a aucun Noctule parmi cette foule.

— Rayan ?

Mon cœur s'arrête brusquement de battre, puis tape comme un sourd contre ma poitrine. Mais une seconde plus tard, un torrent de calme se déverse dans mon corps.

Je me retourne pour voir Bassant et Jakeem, de vieilles connaissances. Bassant est une jolie jeune femme aux yeux verts et au visage constellé de tâches orangées. Jakeem, lui, est un grand bonhomme musclé qui a l'air constamment contrarié, surtout quand je suis dans les parages. Il me regarde un moment avant d'examiner la ruelle que je viens de quitter.

Il esquisse un sourire suspect, mais l'étouffe aussitôt.

— Je suis contente de te voir ! s'exclame Bassant, les bras tendus.

Je recule d'un pas.

— Ne me touche pas, dit-elle immédiatement, anticipant mes propres mots.

Elle se met à rire à gorge déployée, visiblement ravie de m'avoir joué ce petit tour. Derrière elle, Jakeem a les sourcils si froncés qu'il risque d'attraper une crampe au visage.

— On rentre ensemble ? me demande Bassant.

Je hoche la tête en guise de réponse et nous nous mettons en route.

Le voyage jusqu'à Colchique est éprouvant. Ce n'est pas à cause des milliers de marches que nous devons gravir, je suis habitué à ça, mais une pensée m'obsède : on ne m'a pas payé ma journée de travail.

Et malheureusement, si mes émotions fulgurantes disparaissent en un clin d'œil, ce n'est pas le cas pour mes sentiments moins intenses, mais plus tenaces, comme la colère sourde qui m'engourdit l'esprit depuis que j'ai quitté le Grand Musée. Par conséquent, les paroles de Jakeem m'irritent, d'autant plus qu'il ne fait aucun effort pour rendre ses mensonges crédibles.

— J'ai pas peur d'eux, raconte-t-il à Bassant. C'est l'inverse. Quand les Noctules me voient, ils s'écartent sur mon passage. Alors, si un jour t'as un problème, tu viens me trouver.

Et quand Jakeem se tait enfin, comprenant peut-être qu'il n'impressionne personne, Bassant saisit l'occasion pour attirer mon attention :

— Hé, Rayan ! Tu sais ce que c'est, un chalumeau ?

La connaissant, je suis sûr qu'elle ne voudrait pas que je réponde : « un appareil doté d'une rune-feu qu'on utilise pour souder ou découper des métaux ». Donc je hausse les épaules et attends la chute à sa plaisanterie, mais Bassant s'étouffe dans sa propre hilarité.

— U-un dro, bégaie-t-elle. Un droma-

Je patiente — avec un peu de consternation – le temps qu'elle retrouve son souffle.

— Un dromaludaire à deux bosses ! hurle-t-elle, avant de plonger dans une véritable frénésie de rire.

Je sens une forme d'ivresse monter en moi, mais elle disparaît vite. En revanche, Jakeem simule un fou rire grotesque, qu'il stoppe dès que Bassant se calme.

Ma vieille amie s'est fixé il y a longtemps un objectif ambitieux, mais irréaliste : me faire rire. Durant le chemin qu'il nous reste à faire ensemble, elle me raconte les évènements les plus loufoques qu'elle a vécus depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, mais je demeure stoïque en l'écoutant, ce qui la peine.

J'observe de temps en temps Jakeem et devine qu'il prend des notes mentales sur ce qu'il entend. Dans les histoires de Bassant, il y a des informations sur ses clients qui intéresseront sûrement leurs concurrents...

Nous nous séparons sur la Grande Avenue d'Aster, la frontière entre le quartier des Mécènes et celui de Colchique, où je réside. Je regarde un moment mes deux camarades s'éloigner, leurs longues tresses, rousses pour Bassant, blond platine pour Jakeem, se balançant entre leurs hanches, puis je me remets en route et poursuis l'interminable montée de marches.

Une vingtaine de minutes plus tard, j'entre dans une petite rue bourgeoise et fleurie, aux carreaux surmontés de grilles d'acier. Les pavés marbrés sont immaculés, si bien qu'ils reflètent la lumière du coucher de soleil, et les murs dorés sont si propres qu'on ne trouve pas la moindre trace de poussière.

Le seul nuage à ce beau tableau est une vieille mendiante rabougrie et sale comme un pou, presque effondrée sur le sol et qui tend sa main tremblante vers les promeneurs qui la méprisent. Malgré ses lunettes fissurées, je sais qu'elle m'a vu, mais elle m'ignore.

Je m'approche silencieusement, puis m'installe à ses côtés. Au bout d'un moment, elle entrouvre enfin les lèvres et me demande de sa voix enrouée :

— La journée s'est bien passée ?

— Elle était longue, dis-je, soupirant et levant les yeux au ciel orangé.

Les promeneurs continuent à nous mépriser, mais j'entends leurs murmures dédaigneux alors qu'ils nous dépassent.

— Tu sais, Olivia, je suis sûr qu'on t'invitera bientôt à toutes les soirées mondaines de ce quartier, vu que tu es la seule mendiante ici.

— Imbécile, répond-elle enfin, après m'avoir filé un coup de coude. Allez, rentrons.

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