4.4 - La découverte

Par Seja

— Non.

Zora encaissa le refus. Mais ne baissa pas les bras pour autant.

— Ça peut être une info importante.

— Sauf que dehors, ça grouille de mercenaires. Ça ne vaut pas le coup.

— Admettons. Donc le plan dans l’immédiat, c’est quoi ? Rester là jusqu’à ce qu’on meure de vieillesse ? C’est vrai que c’est nettement mieux.

— La rébellion est en train de rechercher les mercenaires. Quand cette menace sera écartée, tu pourras sortir.

— Sauf que j’ai besoin de sortir maintenant. Eh, se défendit Zora, c’est votre rébellion qui a besoin que j’alimente Fleter en ragots de toute sorte. Si vous ne me donnez pas la matière pour travailler, je ne peux rien faire.

Elle vit Niven hésiter.

— Si quelqu’un va chercher ces infos et nous les ramène…

— Non. Je connais ce contact, il va prendre peur.

— Zora, je ne peux pas te laisser y aller.

— Je peux être prudente. Tu crois que j’ai survécu comment jusque-là ?

— Laisse-moi en parler avec la rébellion, lâcha-t-il après un silence.

— Je… ça ne pourrait pas rester entre nous ?

— Quoi ?

Ce qu’elle ne lui avait pas encore dit, c’était que le message stipulait de n’en parler à personne. Mais elle ne pouvait pas s’éclipser avec Niven à côté. Elle avait donc choisi de lui faire confiance.

— Tu me demandes de désobéir à des ordres.

— Pas directement. Je te demande juste de ne pas le mentionner.

— Zora…

— Ça pourrait aider la rébellion.

— Ça pourrait surtout être un piège.

— Non. Fais-moi confiance pour le coup.

Elle le voyait hésiter. Et c’était une bonne chose. Ça voulait dire qu’il considérait l’option.

— J’espère que tu réalises, dit-il enfin, que si c’est un piège, on est morts tous les deux.

 

×

 

Ils avançaient d’un pas pressé. Niven avait décidé du lieu de rendez-vous et de l’heure. Il n’avait aucune confiance en ce contact et Zora espérait qu’il n’avait pas rompu sa promesse et tout révélé à la rébellion.

Elle ne connaissait du contact que son matricule, une suite de chiffres sous couvert de laquelle il l’avait toujours contactée. Globalement, tous ses informateurs suivaient la même procédure. S’ils avaient choisi de lui fournir les informations, c’était parce qu’ils ne voulaient pas apparaître à visage découvert.

Ils voulaient dénoncer le régime sans s’exposer. Personne n’aurait pu les blâmer pour ça. Il fallait une bonne dose d’inconscience pour risquer sa peau aussi ouvertement que Zora.

Bien sûr, cet indic pouvait aussi être un mercenaire qui aurait œuvré longtemps à gagner sa confiance et qui allait la descendre dès qu’elle se montrerait.

Ils finirent par arriver à l’endroit fixé, une petite place à côté des quais. L’avantage, c’était que les accès y étaient limités, seulement deux issues possibles. Elle était bordée de sorbiers dont les fleurs blanches s’agitaient sous la brise printanière. Zora contourna la place. L’indic ne semblait pas encore arrivé. Niven s’éloigna, mais elle savait qu’il interviendrait de suite si quelque chose tournait mal.

— Zora ? entendit-elle soudain à côté d’elle.

Elle pivota et tomba des nues. Le contact était une fille, petite, frêle ; elle semblait nager dans son blouson. Ses cheveux clairs lui fouettaient le visage et ses yeux étaient l’innocence même. Zora ne s’était pas attendue à ça. Elle acquiesça.

— Merci d’être venue, dit la fille en jetant des coups d’œil autour d’elle.

Zora la vit s’arrêter un bref moment sur l’endroit où devait se trouver Niven.

— Je vous avais demandé de venir seule.

— Il a toute ma confiance.

La fille grimaça, mais acquiesça. Aux regards qu’elle jetait sans cesse autour d’elle, Zora comprit qu’elle n’avait pas pour habitude de ce genre de manœuvres.

Ça devait être un gros morceau pour qu’elle sorte ainsi à découvert.

— Je ne pouvais pas faire passer ces infos par le réseau, poursuivit-elle en gardant la voix baissée. Ça aurait pu être intercepté.

— Et ces informations sont… ?

La fille fit la moue, elle devait craindre de dévoiler ses méthodes.

— Disons qu’il y a quelque temps, je suis entrée par hasard sur un espace sécurisé de la rébellion.

— Par hasard, hein ?

— Et je suis tombée sur un dossier qui récapitulait les noms des mercenaires qui étaient engagés pour vous… supprimer.

— Quoi, c’est tout ?

Zora ne voulait pas se montrer rude, mais cette information voulait dire tout et son contraire.

— C’est déjà beaucoup. Il y avait des dossiers très complets sur les mercenaires. Ça ne ressemblait pas juste à d’innocentes recherches.

— Ça n’a pourtant pas de sens.

— Bien sûr que ça en a. C’est la rébellion qui veut vous voir morte.

Zora garda le silence un long moment, le temps de vraiment digérer l’information.

— Ces dossiers, demanda-t-elle finalement, tu les as récupérés ?

La fille acquiesça et Zora la vit sortir une grosse enveloppe de son sac.

— Tout est là, dit-elle. Jugez par vous-même.

Zora se saisit de l’enveloppe et la fit glisser dans son propre sac. Elle allait avoir besoin de calme pour étudier tout ça.

— Pourquoi t’as fait ça ? demanda Zora.

Une grande lassitude venait de s’abattre sur elle. Si ce que disait la fille était vrai, elle était fichue.

— J’ai pensé que ça serait plus juste que vous le sachiez, répondit-elle en haussant les épaules.

Et s’en alla comme elle était venue.

 

×

 

Le retour au palais se fit bizarrement sans embûches. Aucun mercenaire ne leur tomba dessus et ne tenta de les abattre. Zora n’était de toute façon pas en état de se défendre. L’information de la fille avait fini par arriver jusqu’au cerveau et avait plongé son esprit dans un épais brouillard. Elle ne répondit même pas aux questions de Niven. Elle n’arrivait pas à les enregistrer.

Elle serrait son sac contre elle et se répétait que les informations étaient peut-être trompeuses. Parce que c’était inconcevable. Inconcevable, mais tellement logique, lui souffla son esprit. Elle tenta de ravaler la panique.

Le silence du palais la réveilla soudain. Elle loucha sur Niven, présence silencieuse. Si c’était une commande de la rébellion, peut-être qu’il était dans le coup. Et ça lui faisait tellement mal d’envisager cette possibilité.

De retour à la bibliothèque, elle s’enferma dans la petite loge attenante. Niven ne protesta pas. Il semblait avoir compris qu’elle avait ses raisons. Ou peut-être que ces raisons, il les connaissait déjà et qu’il était en train de se demander quel était le meilleur moment pour lui mettre une balle entre les deux yeux.

Elle décacheta l’enveloppe et sortit les documents qu’elle contenait. Puis elle les étala devant elle et sa respiration se bloqua.

Il y avait une vingtaine de mercenaires. Assise à même le sol, Zora les observa. Elle lut encore et encore chaque dossier. Elle avait besoin de comprendre ces hommes et ces femmes qui étaient prêts à lui ôter la vie pour une récompense.

Quand la lumière ne fut plus suffisante pour distinguer quoi que ce soit, elle rangea les feuilles dans l’enveloppe et s’appuya contre le mur. Elle n’avait pas le courage de se relever pour allumer.

Elle ne savait plus quoi penser. Bien sûr, la fille avait eu raison. Les dossiers tels qu’elle venait de les voir étaient utilisés pour le recrutement. La rébellion avait donc recruté des mercenaires pour la descendre. Voilà, c’était dit.

Elle se prit la tête entre les mains.

En fait, elle ne ressentait même pas de la colère. Non, tout ce qu’elle trouvait au fond d’elle, c’était une grande fatigue et une profonde tristesse. Bien sûr, ils l’avaient manipulée toutes ces années, mais elle n’arrivait pas à leur en vouloir. Ils avaient fait ce qu’ils devaient pour survivre et elle allait y contribuer par sa mort.

Leur tactique était pourtant toute bête. Créer un symbole à partir de rien en faisant croire que la journaliste était la dernière personne de Fleter à pouvoir dire les choses telles qu’elles étaient réellement. S’approprier ce symbole, en faire le visage de la rébellion. Et, une fois le symbole usé jusqu’à la corde, le tuer, en faire un martyr de la cause. Forcément, ça allait les requinquer un peu.

Que c’était triste, tout ça. Qu’est-ce qu’ils ressentaient, ces gens qui jouaient avec les vies des autres ? Est-ce qu’ils dormaient bien la nuit ? Est-ce que ça leur donnait seulement mauvaise conscience ? Ou est-ce qu’ils étaient trop aveuglés par la cause pour ne plus y prêter attention ?

Zora savait qu’elle aurait dû lutter, qu’elle aurait dû s’accrocher à la vie coûte que coûte, mais elle n’en avait plus la force. Elle revoyait le moment où la rébellion était entrée en contact avec elle. À cette époque, elle avait déjà une mauvaise réputation auprès du gouvernement.

La rébellion avait pris son sort à cœur, la journaliste avait gagné en visibilité et les menaces s’étaient multipliées. Pendant des années, elle avait pensé au gouvernement. Et il y était sans doute pour quelque chose dans la censure de ses articles. Seulement, le gouvernement s’en moquait bien qu’elle le dénonce. Il se savait bien trop fort. Et il fallait aussi en venir à l’évidence, le peuple n’était pas si opprimé que ça.

Bien sûr, on pouvait parler de liberté bafouée, mais avant, ce n’était pas mieux. C’était différent. D’ailleurs, depuis quelque temps, elle en était venue à la conclusion que ce gouvernement était peut-être ce dont Fleter avait besoin. Un passage obligé pour se développer et prospérer.

Et maintenant que ces derniers faits sur la rébellion étaient tombés, elle ressentait du dégoût. Elle avait toujours vu les rebelles comme des idéalistes, un brin radicaux sur les bords, mais pas foncièrement méchants. Ils étaient un élément obligatoire du schéma. Un régime militaire avait vu le jour, il était donc logique qu’une résistance se crée en face.

Mais la rébellion avait franchi une ligne. En voulant descendre ce gouvernement, elle s’était placée à son niveau. Elle avait répondu aux horreurs par d’autres horreurs. Elle n’était pas mieux, ça non.

 

×

 

Avec le jour nouveau, Zora sembla émerger d’un brouillard visqueux. Elle avait passé la nuit à ressasser les faits, à chercher les coupables, à compter les victimes. Et puis, le matin vint et elle réalisa qu’elle ne pensait pas comme il fallait. Cette révélation fut comme un coup de poing dans l’estomac.

Elle ne pouvait pas rester ici à ne rien faire. Si la rébellion était responsable des mercenaires envoyés à ses trousses, alors elle connaissait très bien son emplacement. Et il ne leur faudrait pas longtemps pour communiquer aux chasseurs de primes sa localisation. Il fallait qu’elle agisse, qu’elle sauve sa peau.

D’ailleurs, il y avait un rebelle dans la pièce d’à côté.

Zora s’attarda sur cette pensée. Elle n’arrivait tout simplement pas à intégrer l’idée que Niven était au courant de tout ce manège. Elle l’aurait vu dans ses yeux, non ? Elle aurait compris que quelque chose clochait. Elle n’était pas stupide à ce point, quand même !

Il fallait qu’elle parte, il fallait qu’elle quitte Muresid.

Comme électrisée par cette décision, elle se releva et fit quelques pas jusqu’à la fenêtre condamnée. Oui, elle partirait. Loin. Le mieux serait un secteur minier du nord, comme Fyres. Elle le savait peu peuplé, il pourrait être facile d’y disparaître. Et puis, elle pourrait aussi mettre de côté son activité de journaliste. Elle devait se faire oublier dans tous les sens du terme.

Mais ce qu’elle n’osait pas formuler clairement, c’était qu’elle ne voulait plus être associée à la rébellion. Elle ne voulait pas prêter son visage à ceux qui avaient modelé sa vie à leur guise.

Elle s’arrêta un instant avec une pensée subite.

Est-ce qu’elle devait révéler ce qu’elle avait appris ? Est-ce qu’elle devait écrire un article pour descendre la rébellion ? Ça pourrait être le coup fatal. Bien, répliqua aussitôt une voix dans sa tête. Oui, c’était forcément bien, elle aurait sa petite revanche. Mais en faisant ça, elle allait détruire ce en quoi croyaient des centaines de personnes. Elle allait détruire ce en quoi ils avaient besoin de croire.

Elle revit Ankha, elle revit tous les autres rebelles qui l’avaient aidée dans sa fuite. Et elle hésita. Ils en avaient fait leur vie, ils avaient sacrifié tout pour se battre pour cette cause qu’ils croyaient juste. Comment réagiraient-ils à son article ? Est-ce que ça serait vraiment leur rendre service ?

Non. La réponse était claire comme de l’eau de roche. Non, elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne pouvait pas leur ôter l’espoir. Ils n’auraient qu’à continuer leurs luttes, ils n’auraient qu’à continuer à chercher du sens là où il n’y en avait pas. Et tout ça ne la regarderait pas. Elle allait être loin. Elle allait disparaître.

Oui. Après avoir faussé compagnie à Niven.

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Cocochoup
Posté le 30/03/2020
Ouah ce retournement de dingue !
Déjà que ça soit une petite fille qui soit son indic
Et donc c'est la rébellion qui veut tuer Zora ! Décidément... Les gentils ne sont pas si gentils et prêt à tout pour atteindre le pouvoir....
Alice_Lath
Posté le 16/03/2020
Mais ce retournement de situation! Je m'y attendais tellement pas, et en même temps, je suis pas surprise, ce qui est vraiment le best sentiment ever. Faire de cette rébellion cette zone aussi sombre que le gouvernement dans un contexte qui rappelle 1984, c'était vraiment une idée géniale pour le coup! Bon, RIP Niven ou Zora pck y'en a clairement au moins un qui aura plus l'opportunité de faire cuire des merguez l'été venu.
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