36. Sacrifice

Par tiyphe

Louise

Bastet guidait les deux Créateurs chez Jacques aussi précisément qu’il le pouvait. Il se trouvait entre Louise et Lucas, les griffes dans le cuir pour éviter de basculer à cause de la conduite un peu brusque du jeune homme. Ce dernier semblait préoccupé par ses pensées. Peut-être imaginait-il qu’il était véritablement trop tard pour son frère. La Princesse pouvait presque sentir l’inquiétude émaner de son corps. Elle voyait les muscles de son cou se contracter sous sa tunique moulante. Elle décolla ses yeux du torse du garçon. Elle devait garder la tête sur les épaules et arrêter de penser à lui.

Le petit groupe roulait dans une décapotable qui permettait au félin de reconnaître son trajet au milieu des pavillons de l’Est de l’Entre-Deux. Lucas s’enquit auprès de Bastet afin d’être sûr de la direction qu’il les faisait prendre. Pour toute réponse, le chat acquiesça d’un miaulement.

C’est alors que Lucas ralentit. Certains Occupants qui profitaient de leur terrasse commençaient à se rassembler devant leur maison et sur la rue. Inquiets ou curieux, ils observaient Bastet et les deux Créateurs dans leur véhicule. Louise crut entendre des cris de joie, mais aussi de mécontentement quant à son retour. Les badauds comméraient également à propos du félin, n’ayant jamais vu d’animaux auparavant dans l’Entre-Deux. Sans s’en préoccuper, le jeune homme força le passage. Sous le regard de plus en plus confus des habitants, le bolide accéléra et fonça vers les montagnes blanches.

L’inventeur avait posé la carte sphérique sur le tableau de bord. Elle affichait l’hologramme en trois dimensions devant eux sur le pare-brise. Le plan indiquait alors au conducteur le chemin à suivre entre les maisons sans lui cacher la vue. Louise admira un instant l’imagination du jeune Créateur et ses extraordinaires compétences, avant de s’agripper de nouveau à son siège.

Il fallut encore plusieurs kilomètres après avoir quitté les derniers quartiers de l’Est pour qu’un imposant manoir apparaisse au loin. Entouré d’une clôture et fait de murs très blancs, il ne se voyait que lorsque l’on s’en approchait. Lucas gara son engin dans un crissement de pneus juste devant. Bastet sauta du véhicule et se rua à l’arrière du bâtiment, suivi de près par les deux Créateurs. Ils avaient encore leurs vêtements du monde de l’Autre-Part et Louise remarqua que la fente sur le côté de sa jupe était plutôt pratique pour courir.

Ils arrivèrent dans un petit jardin habillé de plantes en plastique. La cour était entourée d’une barrière de bois blanc, abîmée par endroits. En son milieu, un large puits en pierres rouges attirait particulièrement le regard. Il était effondré et quelques briques étaient brûlées. Bastet s’y précipita, mais il ne sembla pas trouver ce qu’il y cherchait. Il s’élança vers la clôture entre deux rosiers. Lucas le rejoignit, tandis que Louise s’approchait de l’excavation. Des décharges électriques parcoururent son corps. Elle ressentait comme une mauvaise énergie, quelque chose de sombre, de malfaisant. Elle se sentait attirée et repoussée par cette étrange sensation.

— Que s’est-il passé ici ? demanda la Princesse.

Le félin revint vers elle, l’air triste, les oreilles baissées.

— Tom devrait être là, miaula-t-il. Il était attaché à cette clôture.

Il montra de la tête le morceau de bois qui avait dû servir à garder son jeune maître prisonnier.

— Attaché ? s’énerva Lucas. Je dois le lui faire payer ! Il ne va pas s’en sortir comme ça. On ne s’attaque pas à ma famille sans conséquence.

— Calme-toi, s’exclama Louise. Il expiera ses fautes, n’en doute pas. Mais nous devons retrouver ton frère, d’abord.

Le jeune homme donna un violent coup de pied dans une pierre ayant appartenu au puits détruit. Il poussa un petit cri peu viril tandis qu’un objet brillant volait. La dirigeante le ramassa. C’était deux cercles de métal reliés l’un à l’autre. Elle les tendit vers le Créateur qui se tenait les orteils, apparemment en peine.

— Qu’est-ce que c’est ? questionna-t-elle.

Bastet s’avança. La Princesse s’accroupit pour qu’il puisse renifler l’objet. Ses moustaches chatouillèrent la main de la jeune femme.

— C’est ce qui attachait Tom, affirma le félin.

— Ce sont des menottes, confirma Lucas. On y enferme les poignets de la personne, qui est donc réduite de ses mouvements. C’est principalement utilisé par la police.

Louise trouva le concept barbare. Elle ne savait pas ce qu’était une police. Mais elle se souvint alors de son époque. Il était vrai que les criminels étaient attachés aux poignets et aux chevilles par des bandes d’acier courbées et fermées par des sortes de rivets. Ce devait être la même chose que ces chaînes. Pourquoi Jacques avait-il attaché l’enfant ? se demanda-t-elle.

Les deux Créateurs et le chat firent le tour de la maison, ils trouvèrent des pièces vides, d’autres remplies d’objets cassés. L’identique sensation inquiétante parcourut la Princesse dans cette habitation. À son tour, Lucas eut un comportement étrange lorsqu’ils entrèrent dans une sorte de laboratoire. Il n’y avait qu’une chaise et un bureau, aucune fenêtre ne menait vers l’extérieur et les murs de métal étaient recouverts de cercles rouges ou de chronomètres. Les ailes noires du jeune homme se déployèrent d’un seul coup. L’expression de surprise sur le visage du Créateur montrait qu’elles agissaient contre son gré. Elles se refermèrent autour de lui, comme un cocon de protection.

Paniquée, Louise se précipita sur Lucas, tentant par tous les moyens de l’extirper de ce piège. Peut-être Jacques était-il responsable de cela. Elle cria plusieurs fois le nom du jeune homme avant de l’entraîner hors du manoir. Les longues plumes de jais s’ouvrirent finalement pour relâcher le pauvre Créateur.

— Que vient-il de se passer ? demanda la Princesse, interloquée.

— Au... aucune idée, bredouilla le garçon. J’ai ressenti quelque chose de maléfique, je ne saurais le décrire. Et c’est comme si mes ailes avaient voulu m’en protéger.

— Je l’ai éprouvé également, souffla Louise. Partons d’ici, Jacques a quitté les lieux depuis bien longtemps.

— J’ai peur que Tom aussi, pleura Bastet qui avait aidé la dirigeante à extraire le garçon du bâtiment.

Lucas acquiesça avec amertume. Il semblait abattu de ne pas avoir trouvé son frère. La Princesse posa une main sur son épaule. Le jeune homme la remercia d’un hochement de tête et mit la sienne par-dessus. Le contact de leur peau surprit Louise qui le lâcha précipitamment. Elle se racla la gorge, ignorant le regard étrange qu’il lui lançait et s’apprêta à se glisser de nouveau dans la voiture du garçon.

Le son d’une mélodie l’arrêta. Elle provenait du curieux petit objet que Lucas nommait téléphone portable. Elle le sortit de sa poche et aperçut l’image de Jeanne sur un des côtés plats. Son amie clignotait, elle semblait prisonnière de l’appareil.

— Jeanne ! cria la Princesse. Jeanne, je vais te sauver de là ! Tu m’entends.

Lucas lui arracha l’objet des mains alors qu’elle protestait, puis il glissa son doigt sur l’image de la femme.

— Que fais-tu ? s’écria Louise.

Apparemment blasé, il lui tendit l’appareil. Il lui indiqua alors le positionnement du boîtier sur l’oreille afin d’entendre l’autre personne, ainsi que la manière pour lui répondre. La Créatrice prit le téléphone du bout des doigts comme si c’était de la porcelaine et le plaça comme le lui avait conseillé le jeune homme.

— Mademoiselle Louise ? fit une voix près de son oreille.

La concernée lâcha l’appareil et regarda autour d’elle, effrayée. Lucas le rattrapa in extremis et le lui rendit.

— C’est Jeanne qui te parle via le téléphone, lui expliqua-t-il, complètement désabusé. Vois ça comme une bille de télépathie que tu peux tenir dans la paume. Je ne comprends pas comment tu peux être aussi impressionnée.

Elle s’en saisit et l’avança de nouveau vers son oreille, l’agrippant à deux mains.

— Mademoiselle Louise ? répéta la voix qui semblait inquiète.

— Jeanne ? murmura la jeune femme.

Elle vit Lucas souffler. Il lui conseilla de parler plus fort pour être comprise.

— Jeanne, c’est bien toi ? demanda-t-elle, haussant le ton.

— Oh, Mademoiselle Louise, je suis si contente de vous entendre, lui répondit son amie. Comment vous portez-vous ?

— Je vais bien, ne t’en fais pas, s’enchanta la Princesse. Je suis heureuse également.

— Mademoiselle Louise, écoutez-moi attentivement, reprit la femme. Jacques est dangereux. Il fait disparaître des Occupants. Il aurait une arme lui permettant de les transformer en nuage de fumée.

— Comment ça ? s’effraya la plus jeune. J’ai eu connaissance de sa nouvelle condition de Créateur, mais comment peut-il réduire à néant des personnes ? Notre peuple ! C’est impossible ! Nous sommes déjà morts. Pouvons-nous cesser d’exister ?

— Je ne sais pas, avoua Jeanne. Je me pose les mêmes questions. En attendant, Sibylle a réussi à s’échapper de nos cellules. Nous pensons qu’elle cherche à rejoindre son ancêtre.

— Quelle garce ! s’exclama la Princesse.

— Mademoiselle Louise, votre vocabulaire, la reprit son aînée.

La jeune dirigeante sourit. Jeanne était toujours la même. Après toutes ces années, elle n’avait pas changé.

— Faites attention à vous, s’inquiéta sa grande amie.

— Toi aussi, Jeanne. Nous devons découvrir les intentions de Jacques. Si son but est de faire disparaître les Occupants, il est nécessaire de savoir comment il s’y emploie et surtout l’en empêcher.

— Je suis d’accord, opina la femme dans le combiné. Je me charge de rassembler le peuple et d’interroger ceux qui ont pu voir Jacques à l’œuvre. Rentrez vite, Louise.

La Princesse la remercia et la communication fut coupée. Elle se tourna vers Lucas qui avait dû entendre la conversation puisqu’il ne lui demanda rien. Il fouillait dans son sac qui était devenu une besace à cause des ailes dans son dos. Il en sortit sa carte holographique et l’alluma devant eux. Il pointa un triangle rouge qui bougeait vite et zigzaguait entre les maisons. Il le changea en orange et Louise comprit que c’était l’indicateur de Sibylle.

— Si elle se dirige vers Jacques, nous pouvons les tracer grâce à la carte, annonça le Créateur.

— Et nous pourrons retrouver ton frère, finit la jeune femme plongeant ses yeux émeraude dans ceux du garçon.

— Je n’y crois plus vraiment, soupira-t-il. Mais c’est attentionné de ta part que de me donner un peu d’espoir.

Il lui rendit son regard et ils restèrent un moment comme cela. Louise sentit le feu réchauffer ses joues, ce qui lui fit tourner la tête.

— Nous devons nous mettre en route, fit-elle, embarrassée.

Lucas approuva et ouvrit la portière passagère pour laisser monter la Créatrice. Bastet, qui avait observé la discussion de loin, le museau vers le bas, s’installa de nouveau entre les deux compagnons à l’avant du véhicule. La Princesse ne s’aperçut pas de son état. Le chat semblait affaibli et perdait doucement de sa consistance. Le jeune homme ne remarqua pas non plus et démarra en trombe. Louise dut se tenir à la poignée au-dessus de la vitre une fois de plus. Elle préférait définitivement les calèches.

***

Lucas

Lucas conduisait aussi vite que les ruelles étroites le lui permettaient. Il avait un mince espoir de retrouver son frère, il n’était peut-être pas trop tard. Jacques l’avait probablement emmené avec lui pendant qu’il terrorisait l’Entre-Deux. Il freina et immobilisa la décapotable à quelques pâtés de maisons de l’indicateur orange. Sibylle semblait s’être arrêtée. Elle avait dû trouver son ancêtre et lui racontait toutes les misères qu’ils avaient subies par sa faute. Lucas rageait en repensant à sa trahison. Il se sentait particulièrement dégoûté, il avait placé toute sa confiance en elle et elle l’avait trompé.

Les deux Créateurs descendirent du véhicule, Bastet sur leurs talons. Son pelage était de plus en plus pâle, mais ni lui ni les humains ne firent de commentaires, ils ne paraissaient pas avoir remarqué le changement. Ils se glissèrent alors entre les habitations qui semblaient vides. Ils aperçurent finalement une longue chevelure rousse se balancer. En s’approchant, ils purent entendre :

— Mais ça va pas ! criait Sibylle. Tu es devenu complètement fou ! Je ne te reconnais pas Jacques. Que t’est-il arrivé ? Qui es-tu ? Je croyais que tu devais apprendre à maîtriser la Création, pas… ça, finit-elle, de la terreur dans la voix.

Lucas croisa le regard de la Princesse. Elle semblait aussi intriguée que lui.

« Pourquoi s’énerverait-elle contre son allié ? », lui demanda-t-elle par la pensée.

« Aucune idée, répondit-il. On dirait qu’ils sont en désaccord sur quelque chose. »

Il pencha de nouveau la tête vers la dispute. Il s’attendait à entendre la réplique cinglante du Grand Occupant, mais il en fut autrement.

— Tiens, tiens, tiens, susurra l’homme. Qu’avons-nous là ?

Sibylle se retourna. Lucas affronta ses yeux rougis. Les siens étaient enflammés également, mais de colère. Sans réfléchir, il fit un pas en avant, guidé par ses sombres émotions. Il voulait défier celle qui avait joué avec sa tête et son cœur, mais surtout celui qui avait torturé son frère.

— Va-t’en ! l’interpella son ancienne partenaire. Jacques est dangereux !

— Lucas, rejoins-nous, proposa ce dernier, ignorant superbement sa descendante. Où est donc la Princesse ? ajouta-t-il.

« Ils ne t’ont pas vue. Reste cachée. », ordonna le Créateur.

Il sentit Louise se tendre derrière lui, puis s’effacer. Bastet dut demeurer avec elle puisque personne n’intervint à son sujet. Lucas s’avança dans la lumière de la ruelle vers la jeune femme qui lui barbouillait l’estomac et lui brouillait le cerveau. Il se sentait divisé entre ses sentiments et son aversion pour elle. En face apparut l’homme, le bourreau, le tortionnaire de Tom. La rage bouillonnait à présent dans ses veines, il voulait le faire souffrir, qu’il paie pour ce qu’il avait fait. Il s’imageait toutes sortes de tortures : l’empaler, l’écorcher vif, lui verser de l’acide lentement sur les yeux, puis sur le reste du corps.

Il se contenta d’imaginer une multitude de petits poignards qui vinrent s’enfoncer dans la chair de l’homme. Celui-ci hurla de douleur alors que son sang s’écoulait au sol. Il tomba à quatre pattes tandis que de nouvelles pointes s’introduisaient dans des endroits peu confortables.

— J’espère que tu souffres huit mille fois plus que Tom, cria Lucas avec toute la haine qui l’habitait.

Il le regarda se débarrasser des couteaux un par un. Sibylle n’avait pas bougé d’un pouce, pétrifiée par la scène. Lucas s’écartait de son code moral, de celui que lui avaient enseigné ses parents, mais il ne s’en rendait pas compte. Il était aveuglé par sa soif de vengeance.

L’homme se releva finalement. Ses plaies se refermaient doucement alors que son sang imbibait ses vêtements déchirés.

— Ça va mieux ? ironisa-t-il.

Lucas grogna. Il n’allait pas mieux. C’était même pire.

— Où est Tom ? cracha-t-il. Qu’avez-vous fait de lui ?

Jacques lâcha un rire gras, qui hérissa les plumes du jeune Créateur. Il ne ressemblait plus au Grand Occupant qu’il avait rencontré une vingtaine de jours auparavant. Il semblait complètement possédé, comme si ce n’était plus lui.

— Tu veux peut-être le rejoindre ? s’enquit l’homme. Sympa les ailes, ce sont les mêmes que les siennes, n’est-ce pas ?

Lucas ne répondit pas. Une sphère transparente de la taille d’un ballon de handball venait d’apparaître dans la main de Jacques. Une substance noire ondulait à l’intérieur. Le quarantenaire jongla avec, comme pour intimider son adversaire. Prudent, le jeune Créateur observait l’objet qui ne lui inspirait pas confiance.

Sibylle, qui était restée à l’écart tout ce temps, se décida finalement à réagir. Elle se plaça entre les deux hommes et leva les mains vers son ancêtre.

— Jacques, arrête ! s’époumona-t-elle. Tu n’en as pas après lui. Ce n’est pas toi, répéta-t-elle.

L’intéressé pouffa avant de pointer un doigt sur les deux anciens partenaires. Passant ses yeux sombres sur l’un puis sur l’autre, il replaça ses lunettes sur son nez.

— Je t’avais demandé de le séduire, pas de tomber amoureuse, railla-t-il.

Lucas vit le dos de Sibylle se tendre, puis la jeune femme se reprit. Un duel de regards se jouait entre les deux parents. Jacques le brisa en grognant :

— Si tu ne t’écartes pas, Sibylle, tu finiras en Enfer avec lui.

Cette fois, ce fut Lucas qui se raidit.

— Comment ça, en Enfer ? C’est là où vous avez envoyé Tom, comprit le jeune homme, s’exprimant avec force.

De son bras, il éloigna la voleuse devant lui et avança d’un pas vers le vieux fou.

— Vous avez jeté un enfant de 8 ans en Enfer, répéta-t-il. Mais c’est vous qui méritez d’y aller ! Les Créatrices ne vous laisseront pas faire ! Nous en informerons les Êtres Supérieurs.

— Parce qu’à ton avis, ils ne sont pas déjà au courant ? ricanna le quarantenaire. C’est le Mal lui-même qui m’a offert ces pouvoirs, c’est sa volonté.

Lucas fut déstabilisé par la réponse. Comment les divinités pouvaient-elles être en accord avec cela ? Surtout le Bien. L’homme allait faire un génocide si personne ne l’arrêtait. Que devenait l’équilibre entre le Paradis et l’Enfer ?

Jacques profita de ce moment de déconcentration pour lancer la sphère. Surpris, Lucas se protégea le visage de ses bras. Il attendit l’impact de l’objet, mais rien. Il ouvrit les paupières et baissa ses poignets. Une fois de plus, ses ailes avaient bougé de leur plein gré. Comme dans la maison du bourreau, elles s’étaient repliées sur lui, le protégeant. Un mur de plumes noires cachait sa vue.

Lucas leur ordonna de s’écarter par la pensée et elles obtempérèrent. Il ne s’attendait pas à constater Sibylle devant lui. Elle l’observait d’un air triste alors qu’une matière visqueuse l’enveloppait lentement des pieds à la tête. Ses lèvres articulèrent un "Je suis désolée", tandis que le liquide noir la recouvrait entièrement. La jeune femme à la chevelure de feu s’évapora dans un nuage de fumée grisâtre sous les yeux effrayés de son ancien ami.

— Non, Sibylle, qu’as-tu fait ? s’attrista le garçon.

Il glissa ses doigts dans la petite brume qui était en train de disparaître. Elle s’était sacrifiée pour lui, alors qu’il avait été le pire des abrutis. Il ne lui avait laissé aucune chance de s’expliquer. Il aurait peut-être pu lui pardonner si elle s’était justifiée. Elle regrettait probablement d’avoir choisi le mauvais camp et d’avoir agi ainsi, contre lui et à l’encontre de son frère.

Un ricanement lui fit relever la tête. Jacques ne semblait pas du tout ému par la perte de sa descendante. Son visage était déformé par un rictus inhumain et il riait à gorge déployée, faisant presque sortir ses yeux de leurs orbites. Lucas crut voir les trous oculaires noirs du Mal dans le regard de l’ancien ingénieur devenu fou.

Ce dernier créa une nouvelle boule dans sa main et la jeta sur Lucas. Trop secoué pour esquiver et résigné à cause de Sibylle, il attendit d’être envoyé lui aussi en Enfer. Mais la sphère s’écrasa à quelques centimètres de lui. Il dévisagea l’homme en face de lui. Venait-il de rater son lancer ? Jacques recommença une seconde fois, puis une troisième, une quatrième. Lucas devait seulement se déplacer d’un pas ou deux afin d’éviter les bombes. Le quarantenaire n’arrivait pas à le toucher.

Le jeune Créateur entrevit la colère monter crescendo sur le visage de l’ancien Grand Occupant. Il était vraiment mauvais viseur et Lucas ne put s’empêcher de sourire. Alors qu’il continuait d’envoyer à côté, le garçon aperçut la robe verte de la Princesse au coin d’une rue derrière Jacques. Bastet était avec elle, le poil clair hérissé et les babines retroussées.

Louise plaça ses mains devant elle. De petites étincelles apparurent entre ses doigts. Lucas esquiva de peu une boule, mieux ajustée que les précédentes, lorsqu’un éclair jaillit du ciel. Il foudroya Jacques qui s’écroula, terrassé.

— Comment as-tu fait ça ? demanda Lucas en rejoignant la Princesse.

— Je ne sais pas, répondit-elle. C’est comme près de la rivière dans l’autre ville. J’ai juste imaginé que je l’assommais.

Ils entendirent un grognement, Jacques se réveillait déjà.

— Viens, fit la jeune femme. Nous devons partir.

Elle lui prit la main et le tira.

— Attends, nous devons l’emmener au château et l’enfermer, la contredit-il.

— Nous n’avons plus le temps, il se relève, s’impatienta Louise. Nous allons nous préparer à le combattre, il finira forcément par nous retrouver. C’est Jeanne et moi qu’il veut, alors qu’il vienne nous chercher. Nous l’attendrons.

Elle n’écouta pas les protestations du jeune homme et l’entraîna à sa suite. Suivis de Bastet, ils coururent dans le dédale des rues, main dans la main. Au loin, ils entendaient les cris de rage qui s’élevaient jusqu’au ciel gris.

 ***

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Sorryf
Posté le 07/02/2020
je commente ce chapitre après avoir commenté ceux d'après xD parce que je me suis rappelée que j'avais été perturbée par une phrase :

"— Je n’y crois plus vraiment, soupira-t-il. Mais c’est attentionné de ta part que de me donner un peu d’espoir." -> Je trouve que ça sonne un peu mal, Lucas a l'air trop calme et blasé par rapport à tous les autres moments, et à l'idée que son frère ait été envoyé en ENFER PUTAIN, SANS AUCUNE RAISON ! A mon avis à ce moment là, Lucas devrait être plus agressif, plus désespéré, peut-être y croire encore (pour justifier qu'il ne pète pas encore les plombs).
tiyphe
Posté le 10/02/2020
Tu n'as pas tort, je peux jouer sur l'agressivité de Lucas ici en effet !
Merci du conseil :D
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