34. Trois p’tits chats

Par Rachael

Je n’avais pas anticipé ce qui risquait de se passer une fois séparée de mon corps. Tout à ma joie de retrouver Gus, j’en avais oublié les autres âmes, qui me cernèrent bientôt avec la même avidité que lors de ma toute première expérience faéerique, dans le laboratoire de mon oncle. Non, c’était pire, car la première fois, il n’y avait pas cette béance entre les deux mondes ni ce flot continu des âmes qui se précipitaient vers moi depuis l’autre côté. Était-ce moi qui amplifiais leur irruption par ma seule présence ? Quelle idiote, j’aurais mieux fait d’attendre avant de plonger que les clairvoyeurs du tong aient refermé la brèche grande ouverte. J’étais témoin d’un afflux incontrôlable, d’un emballement, d’une convergence de toutes les âmes vers la même destination : mon humble personne.

Soudain, devant moi apparut Gus. Loin d’être affaibli, comme je l’avais craint, il rayonnait. Il se rua vers moi et m’enveloppa d’une carapace d’énergie faéerique. L’avancée des âmes fut stoppée nette, elles se fracassèrent sur une bulle qui nous abritait de leur voracité. Il y eut un instant de répit, une ou deux secondes suspendues, et tout se mit à trembler. Le liquide dans la cuve s’agita en vaguelettes molles qui s’écrasèrent sur les parois ; elles devinrent vite des vagues qui soulevèrent le couvercle soigneusement fermé par les clairvoyeurs. Aussitôt les âmes se ruèrent dans l’ouverture et se dispersèrent, mais les secousses ne s’arrêtèrent pas pour autant.

Quand le couvercle se fracassa sur le sol, le choc m’éjecta. Je me sentis tirée en arrière. J’agrippai Gus dans un dernier effort avant de lâcher prise. Je rouvris les yeux en haut, de nouveau dans ma peau, au milieu d’un vacarme extraordinaire. Jules me secouait l’épaule en me hurlant dans les oreilles, tandis que tout balançait et tanguait autour de nous, comme en mer par gros temps. Les structures du bâtiment se tordaient avec des grincements sinistres de ferrailles malmenées.

— Bouge ! Bouge, bon sang !

Jules me tirait pour me faire lever, mais le sol remuait tellement que c’était impossible.

— Faut se carapater, Léo, c’est un tremblement de terre !

Hippolyte vint lui prêter main-forte en se cramponnant aux murs et, tous les trois, agrippés les uns aux autres, nous parvînmes à descendre l’escalier qui se tortillait comme un serpent. Mon frère nous tira aussitôt sous la structure de l’étage. Le vacarme était assourdissant, des vitres se détachaient du toit, puis s’écrasaient au sol avec fracas en projetant des poignards de verre tous azimuts. Paniquée, je cherchai des yeux une issue. Les clairvoyeurs du tong étaient déjà tous sortis du bâtiment par l’entrée principale, mais cette issue nous était malheureusement interdite : impossible de traverser sous la pluie de verre mortelle.

— Venez !

Hippolyte nous fit longer le mur sous l’avancée protectrice de l’étage jusqu’à une porte de service qu’il avait repérée plus tôt.

— Je n’arrive pas à l’ouvrir.

Il s’arcboutait sur la porte, sans résultat. Jules le poussa sans trop de ménagements et mit une main sur la serrure en entonnant une incantation que j’entendais par intermittence entre les bris de verre. À cet instant, une nouvelle secousse décrocha une brique qui heurta avec force le bras de Jules. Il jura, laissa tomber sa main, mais la remplaça par l’autre et continua de dérouler sa formule. La serrure céda avec un claquement ; nous nous ruâmes tous les trois vers l’extérieur, sur un sol dont les trépidations paraissaient s’apaiser.

— Jules, ça va ? fis-je.

— Ça roule.

Enfin dehors ! Là, je découvris que le tremblement n’était pas circonscrit au marché des âmes, ainsi que je l’avais cru de prime abord. La rue était noire d’une foule affolée, l’air gris de la poussière des maisons qui continuaient de s’écrouler tout autour de nous avec un fracas effroyable. C’était un chaos comme je n’en avais jamais vu.

Miraculeusement, les secousses s’étaient calmées ; chacun s’arrêta un instant pour le constater, avant de reprendre sa fuite éperdue, dans un vacarme de cris suraigus et de pleurs. Au milieu du flot, une vieille femme chinoise, aussi immobile qu’une statue, tenait fermement une cage à oiseau où trois chatons miaulaient avec détresse. Je me figeai à mon tour pour la regarder, elle et ses chatons, en réalisant que je n’avais pas vérifié la présence de Gus. Il était là, je le savais, au fond de ma poche, à sa place habituelle, mais une réticence me retenait. Effrayée, je finis par plonger nerveusement les doigts dans ma poche pour tâter doucement sa forme endormie. Avait-il changé ? Je le découvrirais si je le sortais… Non ! Pas ici ni maintenant : bien trop dangereux. De toute façon, il n’était pas en état de nous aider.

— Filons !

Sa main fermement dans la mienne, Jules s’apprêtait à nous ménager une place dans la furie hurlante quand les secousses reprirent, encore plus fortes que la première fois. Le sol tanguait si fort que les gens tombaient les uns sur les autres, comme des figurines d’un jeu de quilles. Je me cramponnai d’un bras à mon frère, de l’autre à Jules et ainsi, notre triangle résista tant bien que mal, chacun aidant les deux autres à garder son équilibre. Cela me sembla durer une éternité, puis le sol se stabilisa. Les rares éclairages publics avaient cessé de fonctionner : probablement un mal pour un bien, car l’obscurité dissimulait une partie des dégâts, qu’on devinait phénoménaux.

Je me mis à tousser et cachai mon nez dans mon coude. L’air était devenu irrespirable tant il était saturé de poussière, sans compter qu’il s’y ajoutait une forte odeur d’égouts.

— On file ! réitéra Jules.

Il n’avait pas fait un quart de tour que la gueule d’un revolver l’arrêta. Deux Chinois vêtus de tuniques noires, leur chevelure serrée dans une longue natte, aussi froids et impassibles que la foule était hystérique, nous firent signe de les suivre, du bout de leur canon.

Je reconnus des Smith & Wesson M&P, calibre 38. J’avais bien retenu ma leçon ; à croire que tout le monde en portait un, caché sous sa ceinture.

 

 

Malgré sa brièveté, je n’oublierai jamais le trajet qui suivit. Pas tant parce qu’un revolver était braqué sur moi qu’à cause du pandémonium que nous traversions. Dans Chinatown, des façades déchiquetées dévoilaient des intérieurs, à la façon de maisons de poupée, tandis que d’autres bâtiments semblaient s’être repliés sur eux-mêmes, en accordéons dégonflés. Il y avait forcément des morts sous ces décombres, mais l’obscurité ou la foule en panique les cachaient. Dans l’avenue que nous remontâmes à pied, la chaussée s’était ouverte en une longue plaie béante, en crachant des pavés comme autant de dents cariées. Je trébuchai malgré le bras d’Hipppolyte autour de ma taille. Jules marchait à côté, une main sous son avant-bras, pour le stabiliser. Il soufflait fort, si bien que je me demandai s’il souffrait, s’il était blessé. Sans logique, mes pensées dérivèrent : la mission se situait à quelques rues de là. Qu’était-il advenu des petites pensionnaires de Donaldina ? Pourvu qu’elles soient saines et sauves !

Bientôt, les Chinois nous confièrent à des Américains à l’allure louche qui nous embarquèrent dans une voiture. Jules se cala tant bien que mal contre une des portes, mais évita que son bras blessé ne touche la carrosserie ; il me fit une grimace rassurante. Je dois avouer que j’oubliai vite son infortune, tant la vue qui défilait derrière la vitre me choquait.

Nous découvrîmes à son bord que le reste de la ville n’était pas mieux loti que Chinatown. À mesure que tout s’éclaircissait avec le lever du jour, un spectacle des plus désolant se dévoilait : des immeubles tombés bloquaient le passage, des façades encore debout ne cachaient plus rien que du vide et la route défoncée nous laissait apercevoir ses entailles. Partout, des bâtiments éventrés, des maisons effondrées ou appuyées les unes sur les autres, comme pour se soutenir dans l’adversité. L’électricité était coupée ; la forte odeur de gaz n’était sûrement pas sans rapport avec les reflets d’incendie qui concurrençaient la lueur du soleil. Des gens hagards erraient dans les rues, à la recherche de parents, d’amis ou peut-être seulement de chaleur humaine. Çà et là, des efforts de sauvetage s’organisaient, mais ils paraissaient dérisoires.

La terre avait tremblé ce matin dans toute la ville – toute la région peut-être, pour ce que j’en savais. Des portions entières de la métropole semblaient avoir disparu. Tout n’était que ruines.

Cela ne perturbait pas nos ravisseurs à l’excès, tant qu’ils parvenaient à se frayer un chemin dans les décombres. Ils juraient et commentaient ce qu’ils voyaient dans un américain nasillard, mais restaient concentrés sur la tâche : le premier conduisait, le second nous tenait en joue.

Quand nous arrivâmes devant une grande propriété, dans un quartier moins touché que le centre, je n’aurais su dire la durée de notre trajet. La vision des immeubles détruits dans la ville rasée m’avait fascinée au point de suspendre le cours normal du temps.

Plus rien ne serait jamais normal, ici.

 

 

Malgré l’heure encore matinale, nous arrivâmes dans une maison en effervescence. Des instructions fusaient, des messieurs en costume sombre glissaient avec célérité d’une salle à l’autre, tandis que des femmes à longues jupes martelaient les parquets dorés de leurs petits talons. Tout cela dictait le rythme enfiévré qui seyait à la situation. Le chef d’orchestre se tenait un peu en retrait, dans une pièce au volume impressionnant, cernée d’une galerie ; je ne le découvris qu’une fois plus près, alors que les armes s’étaient faites discrètes à nos côtés.

Edison.

Il ne se distinguait pas par une taille ou une stature exceptionnelles, pourtant il en imposait par sa seule présence ; il injectait de l’ordre et du calme dans le chaos, aussi serein en apparence que lors d’une journée parfaitement ordinaire. Je ne comprenais pas ses paroles, mais sa voix était pleine de prévenance, son ton apaisant, ses gestes rassurants – une main sur l’épaule, un hochement de tête. Il distribuait les rôles avec une petite attention pour chacun, une phrase réconfortante. Une certaine… empathie. Oui, c’était le mot : Edison montrait une empathie remarquable dans une situation catastrophique. Je l’avais imaginé tyrannique, je le découvrais charismatique… avec un côté presque paternel.

Nous restâmes à distance. Il y eut un conciliabule entre un de nos ravisseurs et un costume sombre, puis on nous emmena dans un bureau richement meublé de bibliothèques en acajou. À l’image de son propriétaire, le lieu respirait l’aisance, le savoir et la puissance, non sans dégager une certaine chaleur. De larges fauteuils anglais en cuir nous accueillirent. Les senteurs raffinées de l’encre mêlées à celles d’un tabac de qualité me parurent familières. J’en tirai un étrange réconfort : cela avait un petit quelque chose du perchoir de notre oncle, à Paris. Avant l’explosion, cela va sans dire.

Nous n’avions pas échangé un mot depuis la sortie du marché des âmes. Jules et Hippolyte partageaient le même air sidéré, les mêmes yeux emplis d’incompréhension devant le spectacle que nous avions contemplé. Je n’étais pas aussi abattue qu’eux ; j’adressai un signe à Jules, d’un discret pianotage sur ma poche.

Mission accomplie.

Quel crève-cœur de ne pouvoir extraire Gus de sa cachette pour le regarder ! Je n’osai pas. Les personnes ordinaires ne voyaient pas les faées, mais nous n’étions pas dans un lieu ordinaire avec des gens ordinaires. Je me méfiais même du garde, planté devant la porte, juste derrière moi, qui me surveillait par-dessus mon épaule. Ces gens-là étaient payés pour avoir l’air stupides, cependant on leur apprenait à se servir de leurs yeux et de leurs oreilles. Hippolyte, en face de moi, l’avait d’ailleurs considéré avec une moue dubitative, puis il m’avait fait signe de ne pas parler. Nous ne pouvions qu’attendre. Je scrutais Jules avec inquiétude : le visage blême, il maintenait toujours son bras pour éviter de le remuer.

Edison arriva sans tarder. S’il n’était plus tout jeune, ainsi que l’attestaient ses cheveux blancs dégarnis et ses traits marqués, il paraissait imperméable aux faiblesses de l’âge, dans le physique comme dans le caractère. Il se tenait droit et semblait galvanisé davantage qu’abattu par la situation. Ses sourcils gris fournis animaient son visage, sous des yeux petits, mais pénétrants. Le plus remarquable, cependant, était sans conteste le dragon noir perché sur son épaule. Il faisait trois fois la taille des faées que je connaissais. Il me regardait de ses yeux de feu en agitant lentement une queue terminée par trois pointes effilées. Spectaculaire ! Savait-il que je le voyais ? J’espérais bien qu’il ne le déduisait pas de mon excitation, que j’essayais tant bien que mal de cacher : Edison était clairvoyeur.

L’homme d’affaires se planta devant nous. Il commença par dévisager Jules :

— I know you![1]

Pendant que Jules expliquait dans un anglais approximatif que oui, il le connaissait, car lui, Jules Renoir, travaillait en tant que clairvoyeur à la General Faeeric, il était déjà passé au suivant, à Hippolyte. Dans un français bien meilleur que notre anglais, il affirma, les sourcils remontés en accent circonflexe :

— Je vous connais, vous aussi.

Il y avait quelque chose d’étrange… de curieux… Le mouvement de ses lèvres ne correspondait pas à ce que j’entendais. Le dragon ! C’était le faée-dragon qui faisait en sorte que nous écoutions du français, un traducteur magique bien commode. Si seulement Gus avait pu me décoder de la même façon les anglophones autour de moi, je me serais sentie moins bête depuis mon arrivée ici. Mon évaluation du duo grimpa d’un cran. Très impressionnant. Ils étaient forts…

Edison avait ménagé une pause pour réfléchir, ce qui me laissa le temps de me reconnecter à la conversation.

— … vous, le jeune homme, accusait-il. Le jeune homme qui travaille pour cet illuminé de Tesla. C’est vous qui avez saboté mon chantier il y a deux mois.

À ma surprise, Hippolyte ne se récria pas. Le rouge me monta aux oreilles tandis que l’indignation accélérait mon cœur. Pas tant pour les entreprises d’Edison, mais parce que j’avais cru tout savoir : plus de cachotteries entre nous, œuvrons main dans la main pour sauver le monde ! Quelle naïve ! Une fois de plus, je me sentis trahie ; la malle aux secrets d’Hippolyte n’était pas encore vide. J’en avais plus qu’assez d’être manipulée par mon frère. Si je n’approuvais pas les méthodes d’Edison, je comprenais mieux pourquoi il l’avait fait rechercher.

L’industriel, dédaignant bien vite Hippolyte, se tournait à présent vers moi, homme et dragon en chœur. En tâchant de garder un œil sur chacun, j’eus la sensation de loucher. Un frisson me parcourut l’échine.

— Nous y reviendrons, car c’est cette charmante demoiselle que je souhaite interroger depuis un moment. Les faées du Mont Parnasse vous tiennent en haute estime, ou plutôt devrais-je dire qu’elles ont manifesté un désir pressant de vous retrouver. Qui êtes-vous donc, mademoiselle ?

Il feignait l’ignorance, mais je pensai quant à moi qu’il en savait davantage que ce qu’il prétendait ; j’avais intérêt à rester au plus proche de la vérité.

— Je m’appelle Léontine Le Mezec, je suis française. Je suis venu à San Francisco à la recherche de mon frère, qui avait disparu à Paris. J’ai le bonheur de l’avoir retrouvé.

Je désignai Hippolyte de la main, toutefois l’industriel ne lui jeta qu’un bref regard agacé. Il me tenait dans le faisceau de ses yeux ou plutôt de leurs deux paires d’yeux, car son dragon me portait la même attention soutenue.

— Ces faées parnassiennes ont manifesté leur… irritation, dirons-nous, devant votre soi-disant intrusion dans leur territoire. Elles m’ont tissé une fable selon laquelle vous auriez voyagé de Paris à San Francisco en traversant le monde faéerique. Cette histoire m’a paru bien extravagante, toutefois je me suis engagé à vous retrouver. Ne serait-ce que pour satisfaire ma curiosité…

Je voyais bien qu’Edison me mettait au défi de confirmer, mais je ne pipai pas.

— La situation est simple, poursuivit-il. Soit vous n’êtes qu’une jeune fille ordinaire, qui plus est avec des fréquentations douteuses et, dans ce cas, je me trouverai dans l’obligation de vous livrer aux faées parnassiennes. Je gage que vous n’aurez aucun mal à les convaincre de leur erreur.

Au rayon des fréquentations douteuses, il avait désigné Hippolyte, contre lequel il avait décidément une dent. Jules semblait pour le moment avoir échappé à sa réprobation.

— Soit vous êtes une clairvoyeuse de génie et je peux vous protéger de ces méchantes faées ainsi que de leur sens chatouilleux de la propriété. Et faire de vous une personne incontournable ici, à San Francisco. Vous sortir de l’ombre à laquelle votre sexe vous cantonne.

La tête me tournait presque. Si je n’admettais pas mes capacités, les faées parnassiennes, elles, n’auraient pas de doute. Si au contraire je lui avouais tout, j’avais peut-être une chance de le manœuvrer à mon avantage.

— Entre vos dons et les miens, nous pourrions accomplir beaucoup. Quel plus beau destin pouvez-vous imaginer que vous associer à moi pour rebâtir cette ville ? En faire une image de la modernité, un lieu de science, un havre de culture. Un laboratoire à ciel ouvert des dernières avancées de la civilisation.

Je ne pus m’empêcher de protester :

— Comment pouvez-vous penser à la reconstruction, alors que la poussière des décombres n’est pas encore retombée ? Alors qu’il y a d’innombrables morts sous les immeubles effondrés de la ville ?

Ce n’était pas exactement diplomate de l’attaquer de manière aussi directe. Il eut pourtant l’air désolé, comme lorsque je l’avais aperçu plus tôt qui tâchait de réconforter ses employés.

— Hélas, c’est un terrible prix, croyez-vous que je m’en réjouisse ? Mais ne voyez-vous pas ?

Un instant radoucie, sa voix se fit passionnée. Il s’enflammait, tandis que son dragon projetait – vraiment – un petit jet de feu.

— Ne saisissez-vous pas que nous avons l’opportunité de bâtir un monde meilleur : abattre les taudis insalubres de Chinatown ; détruire les vieilles maisons sans confort de la ville. L’avenir sera faéerique tout autant que radieux.

Je contemplai un instant une vision d’une métropole magnifique, crachée par le dragon dans un panache de fumée. Des immeubles blancs baignés de soleil, des véhicules ailés qui sillonnaient le ciel, de larges avenues bordées de pelouses et d’arbres.

Tout le monde la voyait ; Jules avait ouvert la bouche et béait d’admiration ; Druse, qui montrait sa tête derrière l’oreille de celui-ci, affichait une mine éblouie ; seul Hippolyte paraissait sceptique. Je me surpris à tenter de saisir les détails, captivée moi aussi. Quand même, n’y avait-il pas comme un léger problème ?

— Impossible ! m’écriai-je, refroidie. Ce tremblement de terre, c’est à cause de la faille faéerique et des courants d’énergie qui transitent entre nos mondes.

Il me regarda avec commisération, voire un certain étonnement, avant de hausser les épaules :

— Balivernes ! Quelle absurdité. Il y a toujours eu des séismes ici. En 64, en 98 et même en 1900. Justement, nous pouvons nous en affranchir : nous reconstruirons des immeubles qui supportent les secousses grâce aux nouvelles technologies. Et pour cela, nous avons besoin de main-d’œuvre faéerique et d’énergie.

Je me sentis défaite. Quelles preuves avais-je à apporter face à ses visions d’avenir ? Je me voyais mal lui narrer dans le détail ma visite à Pantruche. Je tentai d’avancer un argument, mais malgré moi, mon ton était devenu hésitant, ma voix tremblante.

— Pourtant, Monsieur Tesla m’a montré des relevés sismiques, à San Francisco et à Paris.

— Je connais les contes colportés par Nikola Tesla. Cet homme est fou. Il ne cherche qu’à me nuire. Vous voulez la preuve que ce Tesla est un affabulateur, un menteur pathologique, un hypocrite ? Un scientifique qui a eu du génie, certes, mais un individu malade, assurément.

Très agité, son dragon secouait la tête et la queue en crachant des panaches de fumée verdâtre. Edison lui, restait très composé, l’image du savant intègre navré de devoir divulguer des informations incriminantes sur un collègue :

— Le point de contact entre nos mondes… le premier des deux, celui de Paris. C’est lui-même qui l’a ouvert, il y a quinze ans. Je gage qu’il ne vous l’a pas dit ?

 

[1] Je vous connais !

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Raza
Posté le 22/11/2023
Belle rencontre avec Edison! J'aime toujours le retournement de : mais en fait, le méchant est-il si méchant ? :)
Seul point peut-être, je ne suis pas convaincu par la fin, car en quoi est-ce un problème ? On peut être le premier à avoir fait exploser une bombe nucléaire, mais se dire qu'en fait c'était pas une très bonne idée... :D
OphelieDlc
Posté le 23/07/2021
Je suis admirative de ta manière très imagée de planter un décor. Chinatown en ruine est le plus bel exemple, et j'ai adoré les images choisies, l'ambiance, le champ lexical. A mes yeux c'est un peu ton superpouvoir.

J'ai aimé également le parallèle que l'on peut faire entre Tesla/Edison et lanceurs d'alerte/climatosceptiques de notre actualité. De manière générale, j'aime la manière dont tu touches à l'actualité sans en avoir l'air. Et puisque ce roman est à destination de la jeunesse, c'est très très bien joué pour éveiller les conscience.

Bon, sinon hâte de pouvoir jeter un oeil à Gus. Ai-je raison de redouter le pire ? Non, ne me dis rien, haha !
Rachael
Posté le 30/07/2021
Hello,
Merci pour tes commentaires toujours sympas. J'ignorais que j'avais un super pouvoir ! ^^
En effet, mine de rien, je suis dans l'actualité au niveau des thèmes: écologie, place des femmes, inégalités...
Pour Gus, je ne dis rien... mouhahaha !!
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