30. En haut de l'Édifice

Par tiyphe

Louise

Dans l’Autre-Part, les cinq compagnons s’engageaient à la suite de plusieurs habitants de la cité. Ils pénétrèrent dans le bâtiment le plus somptueux, le plus haut et celui qui semblait être le plus récent de cette étrange ville. Louise crut entendre des citadins nommer cet immeuble « l’Édifice », nom qu’elle avait vu sur plusieurs écrans à l’extérieur. Lorsqu’ils entrèrent, ils découvrirent le hall démesurément grand. Tout était fait de métal brillant. Plusieurs pierres précieuses venaient compléter la décoration beaucoup trop chargée au goût de la Princesse. Au-dessus de leur tête se balançaient des dizaines de lustres aussi luxueux que nombreux. Le sol, un damier de marbre rose et noir, était incrusté en son centre de milliards de diamants formant un chemin menant à plusieurs doubles portes d’acier.

« Sacrée décoration, ça change du château. », taquina Johny.

La dirigeante soupira. Ce n’était pas plaisant à regarder ou même chic. Tout était de trop et elle n’aimait pas cela. Il n’y avait aucune forme d’art, de peintures ou de sculptures. Tout n’était que paillettes et excès. Qui pouvaient bien être les propriétaires pour posséder tant de luxes ? En fait, qui étaient les responsables de ces lieux ? Comment un autre monde que l’Entre-Deux pouvait-il exister ?

Alors qu’une multitude de questions sans réponses se bousculaient dans sa tête, Louise commençait à ressentir des migraines. Elle ne réalisait pas qu’il puisse y avoir quelque chose après ses propres frontières. Cela remettait en cause la vision de tout leur univers : ils n’étaient pas seuls. Qui était ce peuple ? D’où venait-il ? D’une autre planète, ces corps célestes dont on lui avait appris l’existence au début du XVIIe siècle ?

Les personnes devant eux parlaient joyeusement et bruyamment de choses qui leur étaient communes, faisant sortir la Princesse de ses songes. Plusieurs mots revenaient souvent, ils semblaient excités par un événement qui se déroulait en haut de l’Édifice. Apparemment, la fête serait spectaculaire. Louise n’en entendit pas davantage, les personnes étaient entrées dans une cabine spacieuse dont les doubles portes se fermèrent en coulissant. Lucas s’avança vers un homme plus grand et plus large que Hans.

— Bonjour, salua le jeune Créateur.

Le gorille ne lui répondit pas et replaça ses lunettes noires sur son nez. Des traits fuchsia formant comme des arcs électriques passèrent sur le verre foncé, faisant sursauter le groupe.

— Vous êtes nouveaux, ricana l’homme. Allez-y, entrez.

Il leur indiqua une cabine de libre et les compagnons se glissèrent à l’intérieur. L’espace était assez vaste et semblait pouvoir contenir au moins vingt personnes. Sibylle parut un peu soulagée qu’ils ne s’y engouffrassent qu’à cinq. Livide, elle s’accrocha à une poignée sur le côté et ferma les yeux.

— Il fallait qu’on monte dans un ascenseur, siffla-t-elle entre ses dents.

— Nous n’allions pas grimper les 400 étages, ou plus, à pied, rétorqua Johny.

Hans ne semblait pas à l’aise également et Lucas se mit près de sa partenaire pour la rassurer. Alors que les portes se fermèrent, ils entendirent :

— Eh, les nouveaux, accrochez-vous.

Louise commença à s’affoler.

— Qu’a-t-il voulu dire ? demanda-t-elle en jetant des regards paniqués autour d’elle. Et qu’est-ce qu’un ascenseur ?

Elle n’eut pas le temps d’ouïr une réponse. Lucas la prit par les épaules et la plaqua contre le mur, tenant les deux jeunes femmes fermement de ses bras, mais également à l’aide de ses ailes. Johny se saisit de la barre verticale au centre de la cabine alors que Hans était projeté contre la paroi de métal de l’appareil. L’engin se mit à tournoyer en s’élevant du sol, d’abord doucement, puis de plus en plus rapidement. Louise ferma les yeux, complètement effrayée par cette machine du Mal. Heureusement que Lucas la tenait, car elle n’avait pas la force d’attraper une des poignées. Elle sentait son bras près de son épaule et l’effleurement des plumes de ses ailes.

Son appréhension sur l’identité du jeune homme et ses intentions s’était quelque peu dissipée. Elle était plus inquiète concernant leur montée, et d’autant plus désarmée face aux conséquences de l’existence d’un autre Entre-Deux. À présent, elle était persuadée que ce n’était pas un lieu secret supplémentaire qu’avait construit Jeanne. Jamais elle n’aurait imaginé un tel dispositif. Mais alors qui dirigeait cet endroit ? Est-ce que le Bien et le Mal en avaient connaissance ? En était-il les concepteurs ?

Une secousse fit ouvrir les paupières de la Princesse. À côté d’elle, Sibylle semblait aussi paralysée qu’elle, voire plus. Quant à Lucas, il luttait pour ne pas lâcher. Louise le regarda, il était très proche d’elle. Son visage était crispé par la douleur. Elle sentait son souffle chaud sur son front. Ses râles lorsque l’appareil accélérait ou freinait étaient graves. La Princesse tenta de se reprendre en secouant la tête, se déséquilibrant un peu de la poigne du Créateur. Mais à quoi pensait-elle ? Il n’était pas Conan et il ne le serait jamais. Le Mal avait sûrement voulu lui faire une plaisanterie de mauvais goût. Son Conan était mort et il ne se trouvait pas dans ce monde ou dans un autre. Elle ne le reverrait malheureusement jamais.

D’un seul coup, la cabine s’arrêta, les projetant tous au plafond. Des coussins d’air apparurent au sol, amortissant leur chute provoquée par la pesanteur. Les portes s’ouvrirent, alors qu’ils se relevaient péniblement. À la sortie, un homme, ressemblant trait pour trait à celui qui les avait fait entrer dans l’appareil, leur souhaita la bienvenue au sommet de l’Édifice. Il offrit un sac, fabriqué dans une matière inconnue, à Hans. Le colosse s’en empara précipitamment et rendit tripes et boyaux à l’intérieur. Louise avait également l’estomac retourné à cause du transport, mais elle résista, tout comme le reste de la compagnie.

Sur leur gauche, une autre cabine s’ouvrit, les personnes qui en sortaient semblaient avoir apprécié le voyage. Ils dansotaient de joie et riaient de bon cœur, les joues rouges. Leur coiffure était parfaite et n’avait pas bougé d’un pouce, contrairement aux deux jeunes filles qui replaçaient tant bien que mal des mèches dans leurs bijoux de cheveux.

— C’était quoi ça ? balbutia Hans.

Il semblait encore nauséeux et remit la tête dans son pochon.

Une femme, aux ongles incroyablement longs, tout comme ses cils pailletés de violet, s’approcha d’eux.

— Oh ! Comme c’est adorable, vous êtes des nouveaux, s’extasia-t-elle. Magnifiques vos tenues, Mezelles.

— Mezelles ? interrogea Louise.

Quel était ce dialecte des plus familiers ? La Princesse fronça les sourcils, mais la femme ne remarqua pas, car elle expliquait toujours aussi excitée :

— Trop mielleux ! C’est comme ça que nous nous appelons, Mazelle ! Voyons, entre filles, s’esclaffa-t-elle avec un clin d’œil.

Elle pouffa avec ses amies avant de les talonner tout en sautillant. Dans quel monde de fous venaient-ils d’atterrir ?

« Je ne sais pas, Princesse, lui répondit Lucas. Mais il va falloir être prudent. »

Elle hocha la tête. Le groupe s’engouffra à la suite de la femme alors que d’autres cabines s’ouvraient dans leur dos. Ils passèrent un tunnel de verre, où de faux poissons, requins et raies mantas nageaient paisiblement. Leurs yeux semblaient incrustés de rubis ou d’améthystes tandis que les ailerons se finissaient en lambeaux de satin ou de tissu tout aussi fin et soyeux. Leurs écailles artificielles brillaient comme des boules à facettes, reflétant de magnifiques couleurs à travers le bassin. Louise resta un instant ébahie devant ce spectacle. Elle n’avait jamais vu tous ces merveilleux spécimens des eaux profondes à part sur les livres que lui prêtait Jeanne dans son enfance.

La Créatrice trouva l’idée lumineuse. Pourquoi Jeanne et elle n’y avaient-elles jamais pensé ? Si elle pouvait faire des plantes de verre, pourquoi pas des animaux de cristal ? Malgré ses craintes et ses doutes quant à ce nouveau monde, Louise ne pouvait qu’admirer cette splendeur féerique.

Ils arrivèrent finalement sur le toit de l’immeuble qui avait été aménagé et ouvrirent leurs yeux encore plus grands, entièrement émerveillés. Pour la première fois depuis qu’ils étaient partis, ils voyaient l’obscurité de nouveau. Le ciel se grisait, prenant les mêmes nuances métalliques que les bâtiments autour d’eux. Des spots lumineux envoyaient des jets de toutes les couleurs sur la terrasse comme dans les airs. Une foule impressionnante de personnes se mouvait au milieu. Louise supposa qu’ils dansaient, puisque leur corps suivait le rythme du refrain. Au son des basses, qui composaient principalement le bruit proposé, les hommes et les femmes déplaçaient leurs bras, leurs jambes, leur tête, avec des mouvements très géométriques.

— On peut dire qu’au moins la musique ressemble à celle de chez nous, sourit Lucas, qui semblait enthousiaste.

Louise ne répondit pas, elle n’aimait pas ce son. Il n’y avait aucune harmonie, aucune mélodie, seulement du boum qui l’irritait. Elle parcourut la foule du regard.

« Tadjou doit être là, confia Sibylle. J’ai le sentiment qu’il n’est pas loin. Que dit la carte ? »

Le Créateur, caché de ses compagnons, sortit la sphère et afficha l’hologramme.

« Oui, il est sur le toit. », approuva le jeune homme qui observait le building en trois dimensions.

« Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Johny. On se sépare et on le cherche ? »

« Non ! », s’exclama la Princesse.

Au vu de la réaction des autres, Louise avait encore une fois pensé trop fort, ses compagnons se massaient les tempes.

« Je vous demande pardon, s’excusa-t-elle. Je veux dire, nous ne connaissons rien de ce peuple, ni si nous sommes en danger ou si c’est une autre épreuve des plaines vides. Nous devons être les plus discrets possible. Qui sait ce qu’il nous arriverait si nous étions découverts ? »

« Louise a raison, l’appuya Sibylle. Restons ensemble pour retrouver Tadjou. »

Johny ne semblait pas de cet avis. Il s’expliqua :

« Nous pourrions faire deux groupes. Personne n’est seul et nous doublons nos chances. »

Hans approuva l’idée d’un hochement de tête. Louise dut alors céder et les deux amis se faufilèrent entre les danseurs à la recherche de leur compagnon.

« Chouette, lança Sibylle. Nous voilà tous les trois. »

La jeune femme rousse semblait la seule ravie de cette équipe. Louise soupira et commença à slalomer entre les individus qui se déhanchaient comme des automates. Ils regardaient chaque homme à l’épiderme couleur chocolat. Cependant, il y en avait des centaines. Certains avaient la peau peinte en cette teinte foncée, augmentant le nombre de personnes pouvant ressembler à Tadjou. Lucas proposa d’utiliser ses ailes pour prendre de la hauteur, mais Louise refusa de l’exposer aussi facilement. Et s’il se faisait capturer, ils ne pouvaient pas risquer de perdre un autre membre de l’expédition ou même un autre Créateur. Ce qu’elle redoutait par-dessus tout c’était de ne pas pouvoir un jour retourner auprès de Jeanne. Elle ferait tout pour rentrer chez elle.

Le concept de se mettre au-dessus de la foule restait une bonne idée, alors Sibylle se hissa sur les épaules de son partenaire ailé pour observer les danseurs. Plusieurs personnes les imitèrent. Ils semblaient amusés par cette nouvelle façon de profiter du concert. La jeune femme descendit finalement au sol.

« Je ne vois plus rien maintenant, raconta-t-elle. Nous devons trouver autre chose. »

Louise indiqua une estrade de l’autre côté de la piste de danse. Elle était assez haute. Un homme l’occupait. Placé derrière une table, il appuyait sur des boutons devant lui. Il était élancé et bien bâti, il dégageait quelque chose d’attirant, de presque hypnotisant. Un casque en diamants sur les oreilles, il semblait être à l’origine de ce massacre auditif. Il ne portait pas de haut, mais son torse était entièrement recouvert d’argent du cou jusqu’à la naissance de l’aine, comme si on lui avait peint le corps avec ce métal liquide. Cela soulignait ses abdominaux parfaitement dessinés, ainsi que ses obliques.

« Les filles, s’énerva Lucas. Vous bavez. »

Louise sortit de sa torpeur et se tourna vers Sibylle. La jeune voleuse lui rendit son regard. Elles avaient les mêmes yeux pétillants d’admiration et de désir. En observant autour d’elle, la Princesse remarqua que toutes les personnes présentes sur ce toit étaient parfaites. Une perfection qui la faisait douter de la définition même de ce mot. Leur apparence ne pouvait en aucun cas être critiquée, tout n’était qu’harmonie. Aucune dent de travers, aucune disproportion entre le corps et la tête ne venait gâcher le physique de ces individus. Cela en devenait presque effrayant et complexant. C’était exactement comme ils avaient vu sur les publicités. La chirurgie esthétique offrait une source de bonheur pour ce peuple qui se voulait idyllique.

La Créatrice reporta son regard vers l’homme sur l’estrade. Il tapait dans ses mains la fin de son show. Tout le monde l’applaudit alors que la table dont il s’était servi disparaissait, comme par magie. Il portait un simple jean très clair et déchiré, marqué de plusieurs taches argentées. Une ceinture ouverte, dans les mêmes tons, faisait office de décoration. Il s’inclina, remerciant son public avant de se retourner. Il se courba de nouveau devant une magnifique femme qui s’avançait vers lui et vers la foule.

Elle était aussi grande que l’homme qui lui tendait la main, amoureusement. Sa chevelure blonde et lisse volait derrière elle, comme la crinière d’une jument. Sa peau était d’une pâleur étourdissante. Elle était couverte d’une robe faite de morceaux de métal doré enroulés les uns sur les autres, produisant des boucles et des rosaces sur la poitrine. Son ventre était à peine caché par les lamelles qui descendaient jusqu’à ses parties intimes. Le volume créé par ces filaments épais était plus important au niveau de la taille et s’achevait au-dessus des cuisses.

L’homme fit tourner la femme sur elle-même, laissant apercevoir le dos de la robe. Tout comme à l’avant, sa peau était visible à travers les lames dorées tout comme la chair ferme du bas de ses fesses. Louise pensa à une œuvre d’art. Malgré la provocation qui dégageait de cette tenue, elle ne pouvait qu’admirer la façon dont ce qui avait à être caché l’était subtilement.

La femme mit les mains sur ses hanches et posa devant les spectateurs. Des flashs fusèrent tandis que des personnes, proches de l’estrade, utilisaient d’étranges appareils. Elle invita son partenaire à se pavaner à ses côtés. Un vent, qui paraissait venir de nulle part, soufflait sa chevelure blonde alors qu’elle se jetait sur les lèvres de son compagnon. Ils s’embrassèrent ainsi pendant de longues minutes. Louise finit par détourner le regard, gênée par cette démonstration d’intimité. Lucas et Sibylle semblaient penser la même chose au vu de leurs grimaces. Cependant, le peuple sur le toit criait et applaudissait son excitation devant ce baiser fougueux.

L’obscurité était maintenant complètement tombée, mais elle n’était pas menaçante grâce aux spots braqués à présent sur le couple enlacé. La femme à la robe d’or décolla sa bouche de l’homme et se tourna vers le public. Elle leva ses bras, encerclés de larges bracelets dorés, vers lui. Des lumières se dirigèrent sur la foule, éblouissant Louise et ses compagnons.

— Bonsoir, l’Autre-Part !

Sa voix était amplifiée et raisonnait dans les enceintes près de la population. Elle était envoûtante, claire, presque léthargique. L’homme se posa à côté et ajouta :

— Bienvenue au 472e Solstice !

« 472e hein, fit Sibylle. Comme c’est original. »

Louise ne releva pas. Elle s’approchait de l’estrade. Hypnotisée par ce couple magnétique. Après avoir souri à son compagnon et baissé les bras, la femme reprit :

— Je ne sais pas si nous avons encore à nous présenter.

Le peuple réagit immédiatement à ses paroles. Plusieurs crièrent non, tandis que d’autres riaient aux éclats. L’animatrice calma le public de sa main.

— Mais j’ai entendu dire qu’il y avait des nouveaux parmi nous.

Son sourire s’étira alors que l’homme continuait :

— Venez, ne soyez pas timide. Venez nous rejoindre.

Plusieurs personnes montèrent sur l’estrade. Louise reconnut instantanément Tadjou dans le groupe. Elle tira sur le bras de Lucas pour le lui montrer. Hans et Johny durent le voir également puisqu’ils grimpèrent sur la tribune.

« Nous devons y aller aussi. », s’exclama la Princesse.

Elle n’écouta pas les avertissements du jeune Créateur, qui dut se résoudre à la suivre puisque tous les trois se retrouvèrent finalement avec le groupe.

— Eh bien, eh bien !

La femme frappa dans ses mains.

— Ne sont-ils pas mielleux ces petits nouveaux ?

L’audience s’esclaffa bruyamment. L’homme lui répondit d’un ton sensuel.

— Plus que mielleux, certains feraient bien mon huit heures.

La réaction du public ne se fit pas attendre. La grande aphrodite feignit de se vexer.

— Voyons, Drew.

L’interpellé s’agenouilla devant elle, les lèvres sur sa main. Avec un regard enjôleur et une voix séduisante, il la cajola.

— Andreja, mon amour, je n’ai d’yeux que pour toi.

La femme entra dans son jeu et le fit se lever. Il l’enroula de ses bras et palpa les généreuses fesses de sa partenaire, insérant ses poignets entre les boucles dorées de sa robe. Plutôt que d’être gênée, elle répondit d’une main sur l’entrejambe de son compagnon.

— Nous reparlerons de cela après, mon iguane.

Elle se retourna vers la foule qui n’avait pas perdu une miette du spectacle, réagissant au moindre geste et à la moindre parole de ce couple phare. L’apollon se dirigea vers le groupe patientant sur la tribune.

— Venez, n’ayez pas peur.

Les hommes et femmes, habillés plus sobrement que le peuple de cette ville, s’avancèrent en ligne. Ils étaient au moins une quarantaine. Le couple décida que chacun devait se présenter devant le public, annonçant leur nom et la façon dont ils étaient morts. Alors qu’une bonne moitié était passée, ce fut le tour de Tadjou. Le jeune Dominicain semblait terrorisé. Il portait uniquement un col muni d’épaulettes noires scintillantes. Elles ne ressortaient sur sa peau foncée que par leur brillance. Ses jambes étaient couvertes d’un simple pantalon en cuir cuivré moulant.

— À toi, mon grand.

Le garçon leva un regard effrayé vers la séduisante femme.

— Bon… bonsoir, bégaya-t-il. Je m’appelle Tadjou…

— Tadjou ! fit une voix forte derrière eux.

C’était Hans qui avait brisé la ligne et s’était rapproché de son compagnon. L’homme au corps argenté le considéra d’un air menaçant.

— Attends ton tour, bonhomme.

Sa partenaire posa une main sur son épaule.

— Drew, voyons, laisse-le s’exprimer. Dites-nous qui vous êtes, grand gaillard.

Johny s’était joint à eux. Louise entendit dans sa tête la voix de Lucas.

« Les gars, vous vous faites remarquer. Nous devons récupérer Tadjou, sans créer de problèmes. »

Ils ne l’écoutèrent pas et se présentèrent au couple et à la foule, à présent intriguée et excitée par cet échange. L’homme et la femme semblèrent préoccupés également, mais n’insistèrent pas. Ils laissèrent ceux qui restaient s’annoncer, comprenant Louise, Lucas et Sibylle qui s’introduisirent comme les autres, en inventant de fausses morts n’indiquant pas leur époque.

— Une tempête d’applaudissements pour nos nouveaux Habitants.

L’aphrodite leva les bras au ciel, tandis que son partenaire frappait bruyamment des mains tout en montrant la file de personnes sur l’estrade.

— Drew !

— Oui, Andreja ?

— Il me semble que tu as prévu un set pour la soirée.

— Évidemment, ma lionne.

La table présente avant le discours réapparut subitement devant l’homme. Louise n’eut pas le temps d’essayer de savoir si c’était le pouvoir de la Création qui produisait ce phénomène. Il appuya sur un bouton, lançant une musique tout aussi enivrante que le couple l’était. Alors le public reprit sa danse d’automate sur le toit de l’Édifice. Celui qui semblait se prénommer Drew se tourna vers sa compagne. Les nouveaux Habitants descendaient de l’estrade, mais elle avait gardé Johny, Hans et Tadjou à ses côtés. Elle fit un signe de tête à son partenaire qui renvoya le reste des personnes présentes, sauf les deux Créateurs et la jeune rousse.

— Accompagnez-moi, fit-il d’une voix non amplifiée.

« Qu’est-ce qu’on fait ? », s’inquiéta Sibylle.

« On le suit. », répondit Lucas.

La Princesse était aussi préoccupée que sa rivale. Pourquoi le couple emmenait-il spécifiquement les six membres de l’expédition ? Ils descendirent de la plate-forme et durent les accompagner dans une cabine sur le côté du toit. Louise mit un certain temps avant d’habituer ses yeux à l’obscurité. Elle crut d’abord qu’elle allait subir un nouveau transport tournoyant, mais elle finit par apercevoir un escalier descendant à l’étage inférieur. Silencieusement, la femme et l’homme les invitèrent à s’asseoir dans des fauteuils blancs qui paraissaient étrangement confortables. Ils s’exécutèrent d’un même mouvement, plus méfiants que jamais. Louise s’enfonça dans le canapé. C’était comme se poser sur un nuage.

— Qui êtes-vous ? interrogea la grande blonde.

La Princesse crut voir des flammes danser dans ses yeux. Ce n’était plus celle qui divertit son public en embrassant son partenaire sur scène, mais une femme qui ne semblait pas apprécier leur présence dans Sa ville et à Sa fête.

 ***

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