3.Mala

Par Codan
Notes de l’auteur : Et un nouveau chapitre ! Je vous propose de faire la connaissance de Mala, une Alayi sous l'égide de la déesse Naïa. Bonne lecture !

Un chant d'oiseau, perdu dans les hauteurs des arbres millénaires. Le bruissement du vent dans les feuilles. La douceur d'un rayon de soleil qui traversa la forêt et vint caresser la joue de Mala. La jeune femme n'ouvrit pas les yeux pour autant, tout juste laissa-t-elle un sourire s'étendre sur ses lèvres. Elle restait concentrée, en position du lotus, et laissait la magie de la déesse reprendre ses droits sur les terres et les êtres. 

Leur cérémonie n'avait pas les frasques de celles des Orgoïs, peuple du feu et de l'hiver, qui accueillait Waal à grand renforts de feux nocturnes et de concours de lutte au milieu de la neige. Ni l'artifice des grandes parades de la déesse Laoha, préparées par les Mushadins pendant toute une année dans l'espoir que leur protectrice leur soit favorable et fasse tomber les pluies d'automne sur leurs terres arides. Encore moins la joie pure et délurée du carnaval des Thaelins lorsque Lan, dieu du vent et de l'été, prenait ses quartiers sur les falaises de l'est.

C'était un océan de calme dans lequel chaque âme venait se ressourcer. Une sérénité pure, qui permettait à chaque être, homme, femme, enfant, de se connecter les uns aux autres, tissant un lien invisible entre leurs cœurs. C'était un grand souffle que chacun prenait des autres, une inspiration commune, un instant sacré et précieux, immobile, silencieux et pourtant plein de tout. Mala frôlait les consciences et s'abreuvait des vies qui entouraient la sienne. Ressentait ce qu'elles ressentaient. Sans aucun tabou ni secret, chaque Alayi partageait avec les siens tout ce qu'il était, tout ce qu'il avait. Personne ne pouvait comprendre ce que signifiait être un Alayi s'il ne vivait pas l'intensité de ce moment. Peut-être était-ce pour cela qu'ils étaient un peuple si différent des trois autres, sans gloire ni parure, avec pour seul orgueil celui de savoir comprendre le moindre signe de la nature et d'entrer en communion avec elle.

Mes enfants...

La douce voix de Naïa, déesse de la terre et du printemps, vint résonner dans chacune des consciences ouvertes à elle. Mala se sentit encore plus sereine qu'elle ne l'était déjà, et s'abandonna toute entière à sa déesse.

Le Grand Choix arrive, mes enfants... Et comme mes frères et ma sœur, je dois éveiller ceux qui vont arborer mes couleurs pour poursuivre le cycle de vie du Dieu père.

Des représentants des quatre peuples se combattaient dans une lutte sans merci pour choisir la prochaine réincarnation du Dieu père, l'Entité suprême, garant de l'équilibre et de la paix entre ses quatre enfants et les peuples qu'ils avaient fait naître. Un être de la plus haute importance. 

Mala avait appris tout cela de la bouche de ses ancêtres, perpétuant la tradition orale des Alayis, et s'était préparée pour cette cérémonie plus spéciale que les quinze précédentes auxquelles elle avait déjà assisté. Elle était prête à accepter n'importe quelle décision de sa déesse, qu'elle choisisse de l'éveiller ou non, Naïa savait qui la servirait le mieux. La confiance que la jeune femme avait en elle était absolue.

Soudain, une étincelle la toucha en plein cœur et tout ce qui l'entourait lui parvint avec plus d'acuité. Les oiseaux qui lui paraissaient si haut semblaient maintenant chanter à son oreille. Elle avait l'impression que le cours d'eau auquel ils allaient s'abreuver, à dix minutes de marche, s'écoulait à ses pieds, et que chaque personne autour d'elle respirait avec force. Sa peau ressentait chaque infime poussée du vent, à ses narines parvenaient les plus subtiles odeurs. Puis, cette ouverture au monde si surprenante se referma, en quelques secondes, aussi soudainement qu'elle était apparue.

Mala ouvrit les yeux. Éveillée.

 

— Grand-mère, je crois que c’est assez, rit Mala.

Son aïeule ne l’écouta pas et peignit encore une arabesque blanche sur son bras. Assise sur un simple tabouret depuis déjà plusieurs heures, Mala étaient aux mains de sa grand-mère qui la préparait pour la grande danse de ce soir. Simplement habillée de son pagne ocre, son corps entier était recouvert des marques rituelles de sa communauté. La jeune fille ne savait pas à quoi elle ressemblait : elle n’avait pas l’habitude de se voir autant apprêtée et craignait de l’être beaucoup trop. La main de Nonnan vint se poser sur les cheveux crépus de sa petite-fille.

— Tu es magnifique, ma petite. Je suis fière de toi, ne l’oublie jamais.

Et Mala la crut. Elles s’échangèrent un sourire plein de tendresse, puis elle prit les mains ridées de Nonnan entre les siennes et les embrassa. Le rire de son aïeule résonna comme une musique rassurante à son oreille.

Mala resta un instant à admirer le contraste de la peinture à l’argile blanche sur sa peau noire, comme hypnotisée. Dans le miroir que lui tendit Nonnan, elle vit que même son visage avait totalement changé d’aspect, comme disparu derrière la représentation de Naïa qu’elle devait être ce soir.

Dans le fond de la pièce, derrière un paravent tissé en fibres de kénaf, Mala entendit un léger toussotement. Elle se leva aussitôt pour rejoindre sa mère, couchée sur un tapis de sol. Derrière, Nonnan rangea les pots de peinture et trempa les pinceaux dans un récipient en terre cuite. Mala l’entendit quitter leur case. Elle prit la main de sa mère entre les siennes, et esquissa un sourire. Elle sentit le tremblement de ses doigts contre sa paume lorsque leurs regards s’ancrèrent l’un dans l’autre.

— Moi aussi je suis fière, chuchota sa mère. 

Mala sourit. Elle vit dans les prunelles d’Ossia clignoter cette lueur de vie qui s’éteignait de plus en plus. Depuis plusieurs semaines, Ossia ne pouvait plus quitter cette couche, victime d’intenses maux de tête et de fortes fièvres. Les décoctions d’écorce de saule n’avaient aucun effet, et le guérisseur ne pouvait rien y faire. 

— Je n’ai pas envie de te laisser, moda. 

Ossia caressa les doigts de sa fille avec tendresse. 

— C’est ton devoir, souffla-t-elle. La déesse t’a choisie. 

La quinte de toux qui la prit soudain la força à courber le dos. Mala tapota entre les omoplates de sa mère avec inquiétude, en silence. Quand la crise fut passée, Ossia posa sur sa fille un regard impénétrable. Elle tenta de se relever à l’aide de ses coudes pour être à sa hauteur, mais n’y parvint pas. Mala souleva l’épaisse couverture orgoïe qui protégeait la malade des courants d’air et se glissa dessous avec elle, comme lorsqu’elle était enfant. Les arabesques de peinture blanche qui n’étaient pas encore sèches lui importaient peu. Le souffle difficile de sa mère lui effleurait le visage. Elle se plongea dans les yeux d’Ossia, ces yeux si sombres qui avaient fait sa réputation lorsqu’elle était encore jeune et qui charmaient quiconque avait le malheur de s’y perdre. 

— Il faut que tu fasses attention à la capitale, meisie, chuchota Ossia. Très attention.

Mala fronça des sourcils, interdite. Quelque chose, dans la voix de sa mère, rendait l’avertissement plus lourd que ceux dont elle la gratifiait toujours. 

— Pourquoi ? demanda-t-elle sur le même ton.

Ossia posa sa main sur la joue de sa fille. Son contact était froid, trop froid sur sa peau.

— Je dois t’avouer quelque chose. 

Les mots semblaient lui coûter et elle les prononça avec difficulté. 

— Tu sais qu’on a toujours dit que tu étais née plus tôt que prévu ? 

Mala assentit. Elle connaissait les coutumes de sa communauté concernant la conception des enfants. Lors de ces réunions, les adultes en âge de se reproduire se réunissaient pour procréer. Il n’était pas rare que les femmes consomment avec plusieurs hommes, si bien que chaque enfant était considéré comme celui de tous. Mala, approchant ses seize ans et ayant déjà eu trois fois ses menstruations, aurait dû participer à la prochaine conception. 

— Tu es née plus tôt que les autres, car tu as été conçue plus tôt. Je te portais déjà depuis un mois. 

Mala se figea. Elle laissa sa mère continuer sans l’interrompre.

— Si je te dis tout cela, c’est pour que tu fasses attention. C’est à la capitale qu’un homme m’a violée. Même si je t’aime de tout mon coeur et de toute mon âme, je ne veux pas que tu vives ce que j’ai vécu.

Mala dut tendre l’oreille pour entendre la fin de sa phrase, tellement la honte et la peur empêchaient la malade de s’exprimer. Avec une infinie tendresse, Mala embrassa le front d’Ossia et la serra contre elle. Elle sentit les larmes d’Ossia humidifier sa peau et couler sur les traits blancs que Nonnan avait peints sur sa poitrine.

— La capitale est dangereuse, Mala. Promets-moi de faire attention. 

Dans un geste plein de douceur, la jeune fille caressa le dos de sa mère.

— Je te le promets.

 

Un pas de plus, et elle s’arrêta. Le coeur lourd, Mala leva les yeux vers la cîme des arbres qui l’entouraient. Elle posa la main sur l’écorce d’un vieux limba dont les branches s’étendaient encore avec vigueur vers le ciel, avec l’espoir que ses méninges cessent de turbiner pendant quelques instants. Le contact contre sa paume était familier et rassurant. 

Un craquement de branche la fit se retourner. Derrière elle, Baako, avec qui elle avait été élevé, l’avait rejointe. Grand, sa peau noire recouverte de motifs plus secs et plus droits que ceux de Mala, il s’exhalait de lui une impression de puissance. L’air toujours tranquille et calme qu’il arborait nuançait sa robuste silhouette toute en muscles. 

— Toi aussi tu es venue te ressourcer ? 

Elle lui sourit. 

— Je suis venue dire au revoir aux ancêtres. 

Il se rapprocha, posa sa gigantesque main près de la sienne, et ils restèrent ainsi, silencieux, dans le bruissement de vie de la forêt, à écouter la nature et à ressentir les pulsations de vie que le grand limba leur faisait parvenir. Un instant, elle fut tentée de s'épancher pour ne plus avoir à porter ce lourd secret seule, mais elle se ravisa. Les pleurs de sa mère résonnaient encore en elle. Elle ne pouvait pas raconter la honte d’Ossia, même à son meilleur ami.

— Comment va Ossia ? demanda Baako. 

Mala s’efforça de cacher la tristesse mêlée de colère que l’image de sa mère, malade et presque morte, faisait toujours naître en elle.

— Elle va partir et je ne pourrait pas être là. 

Son ami lui étreignit l’épaule avec une douceur que son apparence ne laissait pas soupçonner. 

— Tu lui offres le plus beau cadeau avant son passage. Tu es choisie. 

Elle hocha la tête. C’était un grand honneur que de faire partie des heureux élus, mais cela signifiait aussi laisser Ossia se battre seule dans la douleur. C’était laisser le soin à sa grand-mère, déjà âgée, de s’occuper du quotidien difficile de la malade. C’était abandonner les deux femmes de sa vie, sans lesquelles elle n’aurait pas pu devenir ce qu’elle était. Mala ne pouvait se défaire de la boule de culpabilité qui lui bloquait la gorge.

Dans un silence qui leur était familier, ils rejoignirent la clairière où les festivités devaient se tenir. Le vieux Tafari rassemblait déjà les Fils et Filles de Naïa en leur distribuant des consignes. Les pères de la communauté allumaient les feux, installaient les nattes au sol, faisaient bouillir le sorgho et dispersaient les fruits dans des coupelles qu’ils distribuaient. Les mères, elles, rassemblaient leurs enfants autour d’elles. Mala reconnaissait celles dont l’enfant se trouvait parmi les sélectionnés, car elles ne les lâchaient pas du regard. Dans la foule qui commençait à se rassembler, Mala chercha la silhouette de Nonnan. Si Ossia ne pouvait venir, peut-être que sa grand-mère pouvait assister à la cérémonie… 

Elle ne l’avait pas encore trouvée quand Tafari lui tomba dessus. Réputé pour son intransigeance, le vieil homme organisait toutes leurs cérémonies depuis des années et ne tolérait aucune fausse note. Dans le sac de jute que transportait un petit garçon qu’il initiait, il piocha un serre-tête en tissu où des plumes avaient été cousues, puis le glissa dans la chevelure épaisse de Mala.

— Tu es au quatrième rang, cinquième colonne, dit-il avec sécheresse. 

La jeune fille fila s’installer à la place désignée parmi ses camarades. Alors que Tafari terminait de répartir les candidats de Naïa, elle observa les autres. Elle avait grandi avec la plupart d’entre eux. Elle les connaissait depuis l’enfance. Elle les considérait comme ses frères et soeurs. Et dès qu’ils auraient atteint la capitale, dès qu’ils auraient commencé le Grand Choix, ils seraient ennemis. Beaucoup allaient mourir et ne reviendraient jamais. Peut-être qu’elle-même rejoindrait sa mère dans les semaines à venir, dans cet endroit exempt de souffrance, avant de recommencer une nouvelle vie. 

Alors que la nuit tombait, la foule grossit devant eux. Eux aussi, elle allait devoir leur dire adieu. Autant de visages qu’elle avait gravés dans sa mémoire et qu’elle ne recroiserait plus. Parce que si certains avaient l’espoir de revenir en cas d’échec, elle sentait qu’elle ne foulerait plus cette terre de ses pieds nus, qu’elle n’entendrait plus le murmure de la forêt qui portait la voix des ancêtres ni le rire des enfants grimpant dans les arbres. Que plus jamais elle ne ressentirait cette chaleur lourde et humide accabler sa peau, qu’elle ne pourrait plus jamais sentir l’odeur des fleurs qui s’ouvrent aux premières lueurs. 

Elle allait quitter cet endroit qui l’avait vu grandir et ces gens qui l’avaient aimée pour la gloire de sa déesse. Elle ferma les yeux. Mala avait accepté ce sacrifice. Et maintenant, sachant ce qui était arrivé à sa mère, elle avait une raison de plus de se rendre à la capitale. 

Le premier son de tambour résonna et fit taire les discussions du public. Le musicien tapa à nouveau sur la peau tendue de son instrument. Parmi les danseurs, les jeunes hommes commencèrent leur chorégraphie. Une flûte le rejoignit quelques notes plus tard, et ce fut autour des femmes de les rejoindre. Mala enchaîna les mouvements qu’elle avait appris depuis l’enfance, cette danse où hommes et femmes se mêlaient tout en exécutant des gestes différents, complémentaires. Elle se tourna vers la gauche, et joignit ses paumes à celles de Bakoo. Il était son partenaire attribué, et elle n’aurait jamais voulu en changer. Elle était habituée à la douceur de ses gestes lorsqu’il la soulevait, à la hauteur avec laquelle elle devait lever les bras pour s’accrocher à son cou, à la constitution puissante et rassurante de son corps. Elle perçut dans les gestes de son ami qu’il était plus nerveux que d’ordinaire. Ce n’était plus une simple cérémonie pour l’ouverture de la saison de Naïa. C’était leur dernière danse, ici, et ensemble. Mala esquissa un sourire discret, qu’il lui rendit avec les yeux. 

Quand le tambour et la flûte s’arrêtèrent, quand les poignets cessèrent d’agiter les perles pour les féliciter de leur prestation, Mala tomba dans les bras de son ami, de son frère. Bakoo la serra avec un peu plus de force que d’ordinaire. 

Quand ils s’écartèrent de la foule, il la stoppa un peu brusquement. Elle le questionna du regard, de cette façon muette qu’ils avaient tous les deux de communiquer. Il leva son bras pour en retirer le bracelet que lui avait fait sa mère à son entrée dans l’âge d’homme. Puis, avec délicatesse, il attrapa le poignet de la jeune femme pour le lui passer. Il resserra les liens en les faisant coulisser, puis lui sourit. 

Elle admira le bijou. Fait de perles de bois peintes en rouge, bleu, vert, de plumes d’oiseaux rares, elle savait que c’était le bien le plus précieux de son ami. En échange, elle retira le sien, conçu avec fébrilité et lenteur par Ossia déjà malade, fait de perles de verres colorées attrapant la lumières et de grigis de métal éloignant les mauvais esprits. Elle en ajusta la taille sur le poignet de Baako. 

Ils échangèrent un rire gêné, puis il passa un bras autour des épaules de Mala et rejoignirent la fête. 

 

La nuit qu’ils passèrent fut rythmée par les danses, les contes et les rires. Nonnan ne put pas la rejoindre, occupée par les soins apportés à Ossia, mais hormis cela, Mala passa un excellent moment. Elle était assise maintenant depuis plusieurs heures à la natte de  Retha, une tante de sa mère, qui lui racontait ses années passées à la capitale lorsqu’elle était plus jeune. Des années qu’elle avait passées avec Ossia, dans cette petite échoppe tenue par les leurs depuis des siècles. De l’attraction qu’exerçait encore cette cité sur elle, maintenant mêlée à un dégoût teinté d’amertume.

— Mais ne te fies pas à ce que tu vois, ma petite, soupira-t-elle. Là-bas, on croit qu’on peut faire ce que l’on veut, que le dieu que tu pries n’a pas d’importance, et que celui des autres non plus. On te fait croire que la paix existe entre les peuples. 

Retha secoua la tête, tiqua de la langue contre son palais.

— N’oublies jamais, Mala, jamais, que tu es une Alayi, que tu pries Naïa et que ce sont là les deux seules choses que l’on voit de toi. Personne ne cherchera à te connaître. On te mettra dans une case pour que tu n’en sortes plus. Et si tu essaies de la quitter on te rappellera à l’ordre. 

Un frisson parcourut le dos de Mala. Elle repensa à l’aveu de sa mère, quelques heures plus tôt. Était-ce ainsi qu’on l’avait remise à sa place ? Comment pouvait-elle faire parler Retha pour le savoir ? Retha porta sa coupelle de liqueur de manioc à la bouche et en siffla une bonne rasade. Mala eut un geste pour l’arrêter mais se retint au dernier moment : les anciens avaient souvent la langue déliée par l’alcool. 

— Pourquoi êtes-vous rentrées ? Qu’est-ce qui s’est passé pour que vous changiez d’avis ? 

Retha gloussa, mais son rire n’avait rien de joyeux. Il avait ce ton sec et froid de ceux qui ont perdu leurs illusions. 

— Toi, ma belle. Toi. On pouvait pas te laisser naître là-bas. Ils auraient su et… 

Elle s’arrêta d’un seul coup, consciente d’en avoir trop dit. Elle reposa sa coupe, s’essuya la bouche avec le dos de sa main, puis fort craquer quelques vertèbres. 

— Je crois qu’il est temps pour ma vieille carcasse d’aller se reposer quelques heures. Ces fêtes ne sont plus de mon âge.

Mala l’aida à se relever et la raccompagna à sa case. Elles traversèrent la clairière pour rejoindre les allées plus étroites entre les arbres où habitait Retha. Mala tenta bien de faire repartir la conversation, mais la vieille femme resta silencieuse. Avant de la quitter, sa grand-tante lui serra l’avant-bras. Les peintures s’effacèrent sous la moiteur de sa paume.

— Oublie ce que j’ai dit, d’accord ? Fais attention à toi et ne te fies à personne. Ce n’est pas un bon endroit. Là-bas, on oublie ce qu’on doit aux autres. 

Mala acquiesça et Retha ferma la porte. En revenant vers la clairière, elle médita sur ces paroles. Oublier ce qu’on doit aux autres ? Ne se fier à personne ? Pour eux, Alayis, vivant en communauté soudée, c’était inenvisageable. Elle mit en relation les dires de sa mère avec ceux de Retha. Ce qu’elle en comprit lui donna le vertige. 

Quand elle vit Baako en train de rire avec des amis, elle choisit de ne plus penser et les rejoignit. Baako lui fila un léger coup de coude en guise d’accueil, et son malaise passa au second plan. Demain, ils deviendraient des concurrents. Pour l’instant, jusqu’à la fin de la nuit, ils restaient ces jeunes adolescents qui avaient grandi ensemble et qui partageaient un moment de joie.



 

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EryBlack
Posté le 12/02/2023
Salut ! J'ai découvert cette histoire pendant les HO, j'ai apprécié le début et comme il est temps que j'avance dans ma PàL, me voilà, toute contente de continuer :)
Il y a un truc un peu critique que j'aimerais soulever avant de te dire ce que j'apprécie dans l'histoire. Je suis d'accord avec le commentaire d'Isa concernant le décalage entre la découverte de Péon qu'on découvre sous un prisme plutôt actif et celle de Mala qui est plus passive et qu'on a donc l'impression de moins bien cerner. Ça rejoint en fait un peu leurs deux civilisations : feu, force, activité, colère / forêt, douceur, faiblesse, sérénité. Je schématise et je me doute que tout ça sera nuancé (la colère de Péon est aussi une forme de faiblesse, tout ça), mais c'est quand même ce qui nous est présenté dans ces deux premiers chapitres. Or, tout ça est aussi très ancré dans une binarité masculin / féminin, Waal et Naïa étant peut-être les dieux les plus "caricaturaux" de ce point de vue-là, et donne donc une coloration un peu stéréotypée à ces deux premiers personnages (Lys étant visiblement un cas à part). Je te livre cette analyse sans bien savoir quoi en faire, il n'est pas question ici de te reprocher quoi que ce soit. A priori, dans mes lectures, je vais chercher plutôt des choses qui détournent les stéréotypes, qui les critiquent ou (mieux) qui s'en émancipent. Ici je ne sais pas si ce sera le cas, j'ai donc une petite réserve sur ce point mais ça me rend aussi très curieuse de découvrir les personnages liés à Lan et Laosha qui semblent se positionner un peu différemment ! Et pour être claire, je n'ai pas du tout l'intention de te conseiller de changer quoi que ce soit à tout ça, simplement je me demande si tu en avais conscience quand tu as conçu les civilisations et les personnages. J'aurais été très accrochée par un début d'histoire avec les mêmes civilisations, mais en échangeant les genres de Péon et Mala. Là je suis accrochée aussi, mais différemment :) je vais lire la suite avec plaisir et voir si mon point de vue sur cette question évoluera ! Le plus important à mes yeux n'étant pas qu'il n'y ait aucun stéréotype (ce qui est sans doute impossible de toute façon) mais que ceux-ci soient maniés avec maîtrise et au service de l'histoire, et après chaque lecteur/lectrice a sa propre tolérance à tout ça.
J'espère que j'ai bien exprimé ce que je voulais dire et que ce ne sera pas blessant ou désagréable, je voulais partager ce ressenti mais vraiment pas arriver en mode "ouhlàlà ça va pas du tout". D'autant plus que cette impression que j'ai eue pourrait bien s'évanouir très vite ! Parce que tu glisses des tas de choses qui indiquent qu'on ne va pas être dans un univers forcément très normé ni binaire : les regards et les attirances des uns et des autres, les amitiés aux frontières floues, les pratiques sexuelles/romantiques des différents peuples... c'est d'ailleurs précisément parce que j'ai l'impression que tu as porté de l'attention à tout ça que je te partage ce point de vue, je me suis dit que ça pourrait nourrir tes réflexions sur l'histoire.
Mais sinon, pleiiiin de trucs cools : agréable petite vibe Avatar le dernier maître de l'air, la relation trouble entre Lys et l'empereur qui m'intrigue beaucoup beaucoup, les rivalités des divinités qui promettent de sacrés rebondissements (la plus offensive semblant être Naïa, c'est par principe d'elle dont je me méfie le plus, mais les trois autres sont aussi inquiétants et hauts en couleur, ça me plaît !) et le topos des jeux olympiques / Hunger Games qui a déjà fait ses preuves ! Là aussi, je vais guetter la façon dont tu te le seras approprié (... désolée c'est hyper pressurisant dit comme ça, pardon xD je veux juste dire que je serai attentive !) et j'ai hâte de voir à quoi ça ressemblera. J'aime bien que ce soit dit dès le début qu'on n'est pas obligé de mourir pendant les épreuves. J'aime aussi le côté "c'est un rituel bien connu mais avec une nouveauté cette fois-ci", avec l'idée des équipes. Je trouve que ça a vachement de sens : l'empereur a l'air de se soucier de la stabilité du peuple et pour ça c'est sûr, la rivalité entre les tribus/divinités peut finir par poser problème, même si elle les pousse aussi à donner le meilleur d'elleux-mêmes. Et cette tension est très, très cool.
Un point de détail concernant la temporalité : dans le premier chapitre, on voit le palais en effervescence, fin prêt à accueillir les gens qui viendront assister aux jeux (si j'ai bien compris ?), mais c'est seulement là que l'empereur annonce que les jeux vont se tenir et demande à ses enfants-dieux de sélectionner leurs champions. Est-ce que ça ne devrait pas se passer quelques temps en amont ? Sinon, toutes les réserves accumulées au palais vont se flétrir le temps que chaque dieux choisisse ses 50 représentants, non ? Voilà, juste une petite question en passant, j'ai peut-être raté quelque chose qui m'aurait permis de comprendre.
À bientôt sur la suite, j'ai hâte !
Tac
Posté le 25/01/2023
Yo !
ça faisait longtemps que je n'étais pas venü sur ton texte ! Pour la bête raison qu'il faut que je scrolle beaucoup dans ma PAL pour l'atteindre :')
J'apprécie d'avoir un personnage issu d'un viol ; je ne crois pas en avoir déjà vus, encore moins dans de la fantasy. ça change des persos qui se font violer ! J'ai hâte de découvrir comment tu l'as exploité.
Plein de bisous !
Isapass
Posté le 23/11/2020
Pour l'instant, je dois dire que Péon m'accroche plus que Mala, mais c'est peut-être parce que dans ce chapitre, tu ne l'as finalement pas mise dans des situations qui en révèlent tant que ça sur elle. L'histoire de sa naissance (de sa conception, plutôt), elle l'apprend dans le présent de l'histoire, ce n'est pas "fondateur" comme pouvait l'être pour Péon son éducation par son grand-père revêche et strict. Mais je n'ai aucun doute qu'on en apprendra plus après. Sinon, j'aime bien le découpage que tu as fait des lieux/dieux/pouvoirs. Ca paraît évident mais tu fais appel à chaque fois à un imaginaire collectif qui t'évite de trop t'étendre sur le décor. C'est très évocateur et du coup, ça marche vraiment bien. Tu peux te concentrer sur les personnages et l'intrigue. Bien joué !
Je repasserai bientôt pour la suite !
Codan
Posté le 28/11/2020
Chacun à ses préférences ! Le personnage de Mala parle plus à d'autres lecteurs, c'est fou ! Et quand j'y réfléchis, ce chapitre est un poil plus passif que celui de Peon.
En tout cas oui, dans cette histoire, chaque dieu est lié à un lieu et partage son pouvoir avec son peuple. Je suis contente que tu aimes ce découpage.
À bientôt pour la suite alors :D
Elenna
Posté le 26/10/2020
J'adore totalement Mala et Naïa. Il s'agit pour l'instant de mon chapitre préféré notamment pour son trait de douceur et de sérénité vraiment appaisant. J'espère de tout coeur que Mala ne mourra pas pendant le grand Choix, se serait beaucoup trop triste !
Codan
Posté le 27/10/2020
Je ne dirais rien mouhahahaha ! Je suis contente que tu aimes ce trait de personnalité de ma petite Mala <3
Notsil
Posté le 09/06/2020
Nouveau point de vue, nouveau peuple, nouvelle héroïne !
Quelle douceur et quel contraste avec le chapitre précédent.
Et malgré tout, Mala va devoir apprendre à se méfier des autres. Tiens, le viol existe-t-il, dans sa culture où tout est partagé ?
Car j'ai presque eu l'impression qu'elle ne comprenait pas vraiment ce qui était arrivé à sa mère. Bon, ceci dit, entre la Révélation et son départ prochain, c'est sûr qu'elle a d'autres trucs à penser, surtout que sa mère l'a assuré de son amour.
Mais elle cogitera peut-être davantage par la suite ^^
Je ne sais pas si tu t'es inspirée d'un peuple ou pas pour les peintures blanches sur la peau, mais le rendu que j'ai imaginé était vraiment magnifique.
Codan
Posté le 10/06/2020
Ah ravie que le contraste se fasse sentir ! J'ai essayé de les faire très différents, tous !
Le viol, dans sa culture, est... pas banni, mais anormal. Sa culture rejette la violence. Je ne sais pas si c'est clair, mais sa maman a passé une partie de sa jeunesse à Urbaïs, la capitale, en dehors du territoire alayi, et c'est là qu'elle a été violée. Et ton ressenti m'intéresse, parce que je ne comprends pas trop comment j'ai pu faire les choses comme ça... Faudra que je me penche sur la question lors de ma réécriture.
Pour les peintures, j'ai eu de l'inspiration quand je suis tombée sur des images sur Pinterest, et j'ai voulu les reprendre ! Ça colle bien avec ce peuple, je trouve :) Ravie que ton imagination ait fonctionné avec mes mots ! :D
Notsil
Posté le 10/06/2020
Alors je précise que j'avais bien compris pour la maman, qu'elle a gardé le secret tout ça. Ma question était juste en parallèle, plutôt côté background, dans le sens où avec un peuple non-violent et qui partage ses pensées, le viol / le meurtre doivent déjà être très très rares, du coup un alayi qui viole / tue, comment serait-il traité par son peuple ? Exilé ? Et de fil en aiguille, comment ce peuple règle ses conflits, par ex.
Mais pour revenir au viol, si ça n'existe pas vraiment dans leur culture, comment Mala peut comprendre exactement ce dont il s'agit, c'était plutôt ça en fait ^^ Vu qu'on doit en parler moins que de la guerre par ex, qui me parait un sujet potentiellement moins tabou.
Je sais pas si je suis claire ? :p
Mais la suite va très très bien pour les explications ^^
Codan
Posté le 12/06/2020
Tu me donnes vraiment des points à réfléchir pour ma future correction / réécriture, du coup merci énormément !
Le fait est que ce n'est pas un Alayi qui l'a violée... mais effectivement, ça me donne des idées pour voir comment ils règle la violence. Aaaaah tu me donnes plein de pistes, merci ENORMEMENT !!!!!
Codan
Posté le 12/06/2020
Règlent* évidemment hein, merci les fautes XD
Vipère
Posté le 01/04/2020
C'est toujours aussi bon, bravo Codan!

On sent que c'est un chapitre intermédiaire, marqué par l'attente et l'anticipation, et en même temps on y découvre plein de choses.

L'immersion dans la culture des Alayis fonctionne particulièrement bien, c'est peut-être ce que j'ai préféré. On y entre par plusieurs portes en plus: la spiritualité, la gastronomie, les arts... et ce sans effort, je n'ai été perdue à aucun moment.
Mala est attachante et on se met aisément à sa place, même si je trouve que sa réaction à la révélation de sa mère est peut-être un poil "anticlimactique"? Je ne sais pas trop comment dire ça, mais j'ai envie de penser qu'une révélation pareille pourrait susciter de la colère voire de la défiance envers sa Déesse, ou le Dieu père. Or elle ne semble pas du tout ébranlée dans sa foi, MAIS... c'est peut-être tout simplement son caractère, forgé à l'acceptation et au sacrifice de soi.

Autre chose que j'ai beaucoup aimé, ce coup ci au niveau de la forme: ta prose est à la fois fluide et dynamique, ça coule et ça rebondit à la perfection.
Exemple, ce passage: "C'était un grand souffle que chacun prenait des autres, une inspiration commune, un instant sacré et précieux, immobile, silencieux et pourtant plein de tout. Mala frôlait les consciences et s'abreuvait des vies qui entouraient la sienne. Ressentait ce qu'elles ressentaient."
ou "C'était un grand souffle que chacun prenait des autres, une inspiration commune, un instant sacré et précieux, immobile, silencieux et pourtant plein de tout. Mala frôlait les consciences et s'abreuvait des vies qui entouraient la sienne. Ressentait ce qu'elles ressentaient."

Bref, c'est riche sur le fond et plaisant sur la forme, bravo à toi!
Vipère
Posté le 01/04/2020
Mince, j'ai loupé mon copier-coller, je voulais donner la réplique de la grande-tante "— N’oublies jamais, Mala, jamais, que tu es une Alayi, que tu pries Naïa et que ce sont là les deux seules choses que l’on voit de toi.", que j'ai beaucoup aimée :)
Codan
Posté le 05/04/2020
Coucou Vipère !
Et bien merci >< C'est en effet un chapitre intermédiaire, mais j'en profite pour glisser des éléments de culture, comme tu l'as remarqué, histoire qu'il ne serve pas à rien :) En réalité, elle a grandi dans une foi intense envers Naïa, et sa culture alayi la pousse au sacrifice de soi, comme tu le dis. Donc sa réaction première est celle qui est... instinctivement dictée par son éducation, on va dire. J'essaie de la faire progresser au fur et à mesure pour qu'elle questionne l'enseignement de Naïa, mais c'est un processus assez long de remettre tout ce que l'on a appris en question. J'espère que ce sera crédible dans les prochains chapitres avec son point de vue.

Tu me rassures énormément sur la forme. Si je maîtrise à peu près le fond, j'ai toujours des doutes à propos de ma plume : ce que tu en dis me va droit au cœur.

Merci de m'avoir lue et d'avoir pris le temps de faire ce long commentaire <3
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