3.2 Thé au citron

Mercredi

10 h 03

 

— Ça te dérangerait si je dormais chez toi ce soir ?

Les yeux écarquillés, Séraphin se demande d’où lui vient d’avoir autant de chance tout à coup. Il se retient de se pincer les joues et examine les traits d’Élise. Elle a l’air sérieuse. Très sérieuse !

— Séraphin ? Tout va bien ? Si tu ne veux pas, je…

Séraphin s’ébroue pour revenir à lui. Il n’y a pas foule autour de la machine ce matin. Tout en jonglant avec son café trop chaud pour ne pas se brûler les mains, Séraphin essaie de trouver une réponse qui ne divulgue pas son élan de joie.

— Oh, non non non ! s’exclame-t-il. Enfin, si ! Euh… non ! Ah ! Euh, t’as compris quoi ! Ha ha ! Aucun problème. Tu es la bienvenue, bien sûr !

De son côté, Élise détaille la réaction de Séraphin. Elle sait qu’elle peut tout demander à son ange gardien, mais sa dévotion ira-t-elle jusque-là ? Elle ne lui avait jamais demandé un aussi gros service. Elle a même attendu d’être seule à seul avec Séraphin avant de lui poser la question. Sophie est parfois un peu piquante et Élise ne sait pas si elle accepterait de l’héberger quelque temps. Elle en doute même.

— Je ne me sens pas très bien en ce moment, se justifie Élise. Surtout la nuit. C’est depuis cette…

D’un revers de main, elle désigne la morsure camouflée sous la manche de sa robe. Les robes d’été se contentent souvent de bretelles pour laisser la peau respirer ou prendre le soleil, mais Élise ne peut pas se le permettre ces jours-ci. Ce n’est pas qu’une question d’apparence ; malgré tous les soins apportés, le pansement suinte et une odeur de plus en plus forte s’en dégage. Elle est obligée de disparaître à intervalles réguliers pour nettoyer ce merdier et camoufler cette odeur immonde.

— Pourtant, je suis la prescription à la lettre ! s’alarme-t-elle. Tu voudras bien m’aider pour ça aussi ? Peut-être que toute seule, je ne le fais pas très bien.

Séraphin hoche la tête.

— On regardera ça ensemble, dit-il sur un ton réconfortant.

Hésitant, Séraphin passe une main dans le dos d’Élise. Il s’inquiète réellement pour son amie. Même si d’autres idées l’assaillent… À l’extérieur, il donne le change en s’appuyant négligemment contre la machine à café. À l’intérieur, sa cervelle est en ébullition.

« Élise va dormir à l’appart’… lui siffle une voix pleine de concupiscence.

— Oui, parce qu’elle a besoin de soins ! répond la voix de la raison.

— … et on va jouer au docteur!

— Elle veut du repos, pas se faire sauter dessus !

— L’un n’empêche pas l’autre. On peut se reposer et se sauter dessus!

— Tu es immonde ! Tu devrais avoir honte de penser des choses comme ça. Élise est en détresse. Pour une fois, elle a réellement besoin de moi.

— Tu n’auras plus jamais une aussi belle occasionhurle la voix du stupre et de la fornication. Suis les conseils d’Ulrich et utilise tes couilles, merde! »

Séraphin avale un grand trait de café noir pour chasser ces mauvaises pensées. Maintenant, il est tiède.

— Sophie sera d’accord, tu penses ? s’inquiète Élise.

Séraphin réfléchit une seconde, puis repense à leur conversation du matin.

— Il n’y aura pas de soucis, assure Séraphin. Sophie part demain matin. Elle va passer tout le week-end à Gravelines. En un sens, ça tombe bien ! s’enthousiasme-t-il.

Étonnée de cette effusion de joie soudaine, Élise arque un sourcil. Ses ongles fraîchement vernis de Red My Fortune resserrent leur étreinte sur son cappuccino ; un tic qui lui échappe quand elle se sent nerveuse.

— Enfin ! se rattrape Séraphin. Ça ne tombe jamais bien d’être malade, hein ! Mais… Bref ! Tu comprends ce que je veux dire.

Élise plonge ses lèvres dans la mousse qui déborde de son gobelet.

— Oui, je comprends…

« Vous aurez l’appart’ pour vous tout seul pendant quatre jours! »

— Je ne sais pas si je vais rester si longtemps que ça, explique Élise. Ça dépend de ma plaie et… de mon état. C’est juste le temps que ça aille mieux ! ajoute-t-elle avec un sourire contrit.

— Bien sûr ! Tu peux compter sur moi, en tout cas. Aucun problème.

« C’est pas le moment de faire ton puceau, Séraphin! Et j’espère que tu as fait du rangement hier soir! Si elle vient dans ta chambre et qu’elle tombe sur… tu sais quoi… elle partira en courant et tout sera foutu! »

Le cœur de Séraphin manque un battement. Pour cacher ce petit trait de panique, il s’empresse de commander un deuxième café. Faisant mine d’avoir du mal à choisir entre expresso, cappuccino, américano, macchiato… Séraphin fait l’état des lieux. Qu’a-t-il rangé et qu’a-t-il laissé sur son bureau ? Si Élise voit les photos qui lui servent de support pour se palucher… Non, non, il vaut mieux ne pas y penser ! Qu’il s’arrange juste pour que ce soir, elle n’entre pas dans sa chambre avant lui !

Introduisant sa pièce dans la fente, Séraphin pose son doigt sur une touche au hasard.

— Tout va bien, Séraphin ? l’interroge Élise. Tu as l’air nerveux…

Pas de bol. Thé au citron.

— Si ça te dérange, je peux faire autrement.

Cette odeur de citron industrielle lui refile un sérieux mal de tête. Tant pis… Il va être obligé de le boire maintenant, pour faire bonne figure.

— Pas du tout ! Pas du tout ! s’écrie Séraphin. Non, non… Euh… Il faudra juste me laisser un peu de temps en arrivant pour mettre de l’ordre dans toute cette pagaille. Ha ha ! Tu sais ce que c’est !

Élise a l’air rassurée.

— Si ce n’est que ça, ne t’inquiète pas ! J’ai juste besoin d’un endroit où dormir tranquille, je ne viens pas faire une inspection des lieux.

— Oui, c’est vrai… répond Séraphin, l’air faussement gêné.

— Et puis, connaissant un peu Sophie, je suis sûre que si l’appart’ était tant que ça en désordre, ça fait longtemps qu’elle t’aurait arraché la tête !

Séraphin acquiesce douloureusement.

— Mais au fait… « dormir tranquille » ? s’inquiète soudain Séraphin, comme s’il se réveillait en sursaut. Chez David, tu n’es pas tranquille ? Ça ne va pas entre vous ? Il te met dehors ?

Élise tente de le calmer. Elle ne veut pas voir Séraphin partir sur ce registre.

— Non, non ! Tout va très bien ! le rassure-t-elle.

— Mais alors, pourquoi tu…

— Je ne veux pas qu’il me voie dans cet état, tu comprends…

Séraphin lui répond avec une moue dubitative.

— Tout va très bien avec David. Mais là, dans l’état où je suis, je ne pourrai pas lui donner ce qu’il attend.

« Et il attend quoi? Hein, à ton avis? »

— Je sais que ça peut paraître futile, mais ça me gêne. Ce n’est pas toujours facile de dire non à un mec comme David.

« Il la baise sans lui demander son avis. Tu vois, c’est ça qu’elles aiment! »

— Depuis lundi, je passe vraiment de très mauvaises nuits. C’est peut-être aussi à cause du traumatisme, tu me diras… Je ne sais pas. Juste : je n’ai pas envie d’avoir à me justifier toute la soirée, tu comprends ? Là, je n’ai pas envie de lutter.

« Elle n’aura pas besoin de lutter, si tu l’attaches au pied du lit… »

— Je suis sérieuse ! J’ai vraiment besoin de repos. Ça serait vraiment super que tu m’accueilles quelques jours chez toi. Je sais que tu prendras soin de moi comme il faut et… J’ai besoin de pouvoir me sentir rassurée. Je n’ai pas vraiment d’autre endroit où aller, tu sais. Il n’y a qu’en toi que j’ai confiance. Tu es le seul avec qui je suis sûre qu’il ne se passera rien !

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez