3.2

Je m’en vais comme je suis arrivée, mon café entre les mains. Cela n’a pris que quelques minutes et j’espère que ma victime ne s’est pas trop éloignée. Il manquerait plus que je perde sa trace. Je hume l’air à pleins poumons et suis rassurée lorsque je perçois encore son odeur. Il ne se trouve pas très loin. Je le flaire, me laisse guider par la piste. Je déambule dans la rue, m’écarte du chemin de quelques passants distraits et finis par m’arrêter devant la devanture d’un bar peu conventionnel nommé « La taverne du Geek ».

— Dans l’air de son temps, tout en étant très décalé…

Ça ne m’étonne pas plus que ça. C’est en parfaite adéquation avec sa personnalité. À l’intérieur, la clientèle est en majorité masculine à l’exception de la barmaid. Tous se retournent vers moi, surpris. Les femmes ne doivent pas beaucoup fréquenter ce lieu à mon avis. 

— C’est bon, foutez-lui la paix, les puceaux. Ou je vous arrose à coup de jets d’eau !

À ces mots, les clients rivent à nouveau leurs yeux sur leur écran respectif, cliquant de leur index d’une manière robotique.

Cette vision confirme mon constat ; le monde est anesthésié.

— Assieds-toi où tu veux, ma belle. Je viens prendre ta commande tout de suite.

Je ne vois ma victime nulle part, mais détecte ses effluves plus loin.

— Ça vous dérange si je vais d’abord aux toilettes ?

— Fais comme chez toi !

Je lui réponds par un sourire et me précipite vers les commodités. Je le sens s’approcher et me dépêche pour passer les portes à battants qui séparent le bar des sanitaires. Il les passe avant moi et me percute de plein fouet ! Pile-poil ce que je voulais. Mon café se déverse en grande partie sur moi et je feins la surprise.

— Oh, ce n’est pas vrai… Je suis désolé. J’allais trop vite. Je suis désolé…

Il ne sait plus où se mettre ni comment agir.

— Ce n’est pas grave, lui dis-je en prenant une voix légèrement agacée, je vais aller me changer. Heureusement que j’ai un haut de rechange dans mon sac…

Mon éther commence par absorber le liquide, comme pour s’en abreuver, mais je l’en empêche. C’est difficile de résister. Je dépasse ma proie, sans demander mon reste et m’enferme dans l’un des cabinets. À l’abri, je laisse l’essence de mon être faire son travail. La tache de café se résorbe. Mon corps n’y gagne pas grand-chose, à part stimuler mes sens par son goût et son parfum. Puis, l’apparence de mon haut se modifie. Je revêts un t-shirt, au design inspiré d’une affiche d’un jeu vidéo que j’ai vue à l’intérieur du bar. Autant se fondre dans la masse. Mais, j’hésite et réfléchis quelques secondes.

— Mauvaise idée, Asmodée ! Tu n’y connais rien, s’il te pose des questions, tu es fichue ! me murmuré-je.

Alors, j’opte pour la sobriété ; l’uniformité. Mon faux sac à dos en bandoulière, je sors de ma cachette.

Pourvu que mon plan fonctionne et qu’il ne soit pas parti !

À mon plus grand soulagement, il est toujours là, au bar, en pleine discussion avec la barmaid qui lui sert un café. De mon côté, je me dirige vers une table un peu reculée des autres clients.

— T’en rates pas une, Matthew, se moque-t-elle.

Il se gratte la tête, mal à l’aise. Du coin de l’œil, je constate qu’elle lui fait un signe de la tête pour l’inciter à venir me voir. Il se lève, nerveux, la tasse de café entre les mains et s’approche de ma table.

— Je m’excuse encore pour tout à l’heure, balbutie-t-il en déposant la tasse avec précaution devant moi. C’est un café tout simple, mais pour me faire pardonner, j’aimerais vous inviter à diner. Ce n’est pas de la grande cuisine, mais Cinthya est très douée.

— Hé ! rouspète la barmaid. Je ne te permets pas, ma cuisine est succulente !

Il lui sourit à pleines dents, amusé par la réaction de Cinthya. Ils semblent être de très bons amis. 

— Ça sera avec plaisir, lui réponds-je. 

Son malaise se dissipe et le soulagement le gagne que je ne lui en tienne pas rigueur.

— Tu as faim tout de suite ? Ou on commande un peu plus tard, si tu préfères ?

Très accommodant, comme je l’avais deviné lors de notre première rencontre. Il est si gentil, que je suis certaine qu’il se fait manger tout cru, dehors, face à la cruauté des gens. Par contre, le fait qu’il me tutoie si rapidement me surprend un peu. Je ne m’y attendais pas venant de sa part et l’aurais pensé plus timide.

Je réfléchis un moment à sa demande. J’ignore quel effet ma présence aura sur lui durant de longues heures. Prudente, je préfère réduire au maximum le temps passé ici.

— On peut commander tout de suite. Je suis curieuse des talents de Cinthya.

— Voilà qui fait plaisir à entendre, se manifeste l’intéressée. Je vous prépare ma spécialité ! Ça sera prêt dans trente petites minutes ! Vous avez un bon café pour patienter !

Matthew rit, d’un rire lent, forcé et sans joie.

— Très drôle ! T’as pas quelque chose à faire en cuisine ?

Elle disparaît en riant de plus belle et lui s’installe sur la chaise en face de la mienne.

Je ne pensais pas que mon plan fonctionnerait aussi bien. Une chance presque inespérée. Je n’ai plus qu’à gagner sa confiance et le faire parler.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Akiria
Posté le 02/10/2022
Hello,
J'apprécie beaucoup ton histoire, elle me renvoie indirectement vers la mienne alors qu'elles ne sont pas du tout dans le même thème.
Sur ce chapitre j'aurais quelques commentaires :
1er Je comprends que Matthew est très aimable mais j'ai un peu de mal avec le fait qu'il l'invite à dîner aussi rapidement.
2e le dernier dialogue, je n'arrive pas à savoir qui parle et à qui ?
Je continue ma lecture...
Isahorah Torys
Posté le 03/10/2022
Salut ! Ah bon, elle te renvoie indirectement à la tienne ?

j'ai bien pris en compte tes remarques ^^ je regarderai ça de plus près
Vous lisez