25. Vivre

Katy hurlait, gigotant dans tous les sens et se tordant dans son lit.

— Non ! Arrête ! Je t’en supplie ! Arrête ! cria-t-elle, au bord de l’étouffement.

Un sourire amusé aux lèvres, George laissait courir ses doigts sur le corps de la fillette. Elle en pleurait de rire.

— On ne demande pas la pitié de ses ennemis, soldat !

— Moi aussi ! supplia Timmy de l’autre côté de la chambre. Moi aussi je veux des chatouilles !

— Tu l’auras voulu, prévint son père en fondant sur lui.

Quelques secondes plus tard, le petit garçon criait grâce.

— Et moi ? demanda Katy.

Comme George ne semblait pas lui prêter attention. Elle se redressa.

 

___

 

— Alors ? demanda Anodetta.

Cette fois, Katy se trouvait dans la cour du manoir, juchée précairement sur un Cheval de Fer.

— C’est haut.

La jeune femme hocha la tête.

— C’est normal, je les ai conçus pour qu’ils soient un peu plus grands que des chevaux. Alors pour avancer, tu dois…

— C’est bon, Maman, tu m’as déjà expliqué.

— Mais…

— Au galop ! cria la fillette faisant bondir la machine en avant.

Ses cheveux s’envolèrent alors qu’elle s’éloignait de sa mère à toute vitesse. Son rire clair jaillit vers le ciel.

— Attends ! hurla Anodetta. Tu n’as pas accroché ta ceinture !

Mais la fillette ne l’entendait plus. Elle arriva face à un mur et actionna la commande de virage. Le brusque changement de direction la désarçonna et elle chuta avec un cri de terreur.

 

___

 

L’herbe tendre lui caressait la peau, elle était tombée dans la prairie du parc. Son souffle haletant témoignait de sa longue course. Onetto se laissa tomber à ses côtés, exagérant sa respiration.

— Tu es drôlement rapide, dit-il, j’avoue ma défaite.

— Ne dis pas n’importe quoi ! Je t’ai vu courir réellement, tu as fait exprès de perdre !

— Ah, je suis si mauvais acteur que ça ?

— Tu es bête, j’ai l’âge de la raison maintenant, je sais que vous me laissez tout le temps gagner.

— C’est vrai, j’avais oublié à quel point tu étais brillante.

— Exactement.

Il partit dans un grand éclat de rire.

— C’est pas drôle.

— Si, je t’assure, petite soeur.

— Arrête de m’appeler comme ça.

Le visage de la petite fille se rembrunit alors que la stupeur se peignait sur le visage du jeune homme.

— Pourquoi ? C’est toi qui me l’a demandé.

— J’étais petite. Les gens disent que c’est malsain de considérer un serviteur comme son frère. Je les ai entendus. Je n’ai plus le droit de t’appeler « grand frère ».

— Je vois. Laisse-moi t’expliquer quelque chose. Dans la vie, il y a deux types de famille : la famille du sang et la famille du cœur. On ne choisit pas la famille du sang, d’ailleurs, on peut très mal s’entendre avec ses membres. La famille du cœur en revanche… même si ce n’est qu’une personne, on est lié à elle pour toute la vie par les sentiments. La famille du cœur est celle que tu aimes, ses liens sont plus forts que ceux du sang, ce sont les liens du cœur. Bien sûr, la famille du sang peut aussi être celle du cœur.

Katy fronça le sourcils.

— J’ai du mal à comprendre…

— C’est normal. Ça veut dire que, même si tu es grande, je peux rester ton frère de coeur.

— C’est vrai ?

— Oui.

— Chouette alors ! dit-elle en se redressant.

 

___

 

Une douce brise fit onduler ses boucles brunes. Près d’elle, Onetto s’était redressé aussi. Mais il n’arborait plus la même expression. Elle jeta un œil à sa légère robe noire, qui moulait sa poitrine et laissait ses genoux dénudés jusqu’à ses pieds nus. En un instant, ses jambes et ses cheveux s’était allongés, sa poitrine avait poussé et ses hanches s’étaient élargies. La Katy du présent était assise dans l’herbe du parc de son ancienne demeure. Tout était comme dans ses souvenirs, tout paraissait réel.

— Alors, fit Onetto, tu as finalement décidé de vivre ?

La jeune fille tourna la tête vers son ancien ami.

— Oui.

Un sourire aux nuances tristes s’épanouit sur le visage du jeune valet.

— Et je peux savoir la raison de ce revirement ?

— Je ne sais pas… je pensais que le destin s’acharnait trop sur moi, que je continuerai de perdre tous ceux que j’aime. J’ai essayé de ne pas aimé… mais ça n’a pas marché. Je pensais que je ne me remettrai pas de la mort de Rupert… Puis Théo m’a sauvée, j’ai compris que je ne voulais pas le rendre. J’ai pensé à tous ceux qui sont morts pour moi… alors je voudrais vivre pour eux.

— Merci, Katy.

— Je suis déterminée mais je ne suis pas sûre d’y arriver.

— Ça, c’est une autre histoire. Pour l’instant contente-toi d’essayer. Nous sommes fiers de toi.

— Nous ?

— Oui, moi et eux.

Katy suivit le regard d’Onetto et aperçut soudain un groupe de personnes qui lui souriait.

La première chose qu’elle reconnut fut la tignasse rousse de Rupert, puis elle vit la haute stature du Commandant Otto, la grâce d’Anodetta, les yeux bienveillants de George, le sourire éclatant de Delphine, l’air ironique de Roy. D’autres étaient là, dont les noms surgirent de sa mémoire : Abby, Gislaine, Robert, le professeur Écuyer et son assistant, Briggs…

Pantelante, elle se dressa, incertaine sur ses jambes et fit quelques pas hésitants vers le groupe. L’émotion paralysait son corps.

— Je… je….

Une main lui prit le bras pour l’arrêter.

— Qu’est-ce que tu fais ! cria-t-elle à son frère de cœur en essayant de se dégager.

Onetto se pencha sur elle, une infinie tristesse dans ses yeux.

— Ils sont morts, Katy, et je suis mort aussi. Ce n’est qu’un rêve, et il est temps de se réveiller.

Elle le fixa sans réagir. Un rêve ? Non, tout cela était trop réel, elle voulait que ce soit réel. Elle se tourna vers ses proches, ils avaient tous disparus.

— Non ! hurla-t-elle. Non ! Où sont-ils ? Ils étaient là, ils étaient…

— Chut, calme-toi, murmura Onetto.

Il la tint dans ses bras un bref instant.

— Allez, essaye maintenant. Vis.

Elle lui rendit son étreinte, des larmes chaudes dévalaient ses joues.

 

___

 

Katy ouvrit les yeux, le ciel avait été remplacé par un plafond de bois. Elle sentait tout son corps la tirailler, sa blessure la lançait et quand elle tenta de se redresser, une douleur cuisante aux côtes la cloua sur son lit.

Près d’elle, elle perçut un mouvement. En découvrant ce qui se tenait à côté de son lit, elle ne put s’empêcher d’avoir un hoquet. Car il s’agissait d’un léopard, qui fixait sur elle ses prunelles ardentes.

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