25 | Les indociles (1/2)

JULES.

Caligo, Eustache et Taya ont regardé Jules un long moment après que Taya a fermé l’ciel. Ils la regardaient encore lorsqu’elle y a plus supporté leur ahurissement et qu’elle leur a crié d’ssus : c’est bon, vous m’lâchez bientôt ? Leur corps s’est crispaturé. Caligo a détourné la tête, est allé s’appuyer contre l’bureau là-bas. L’a sorti son ‘tit flacon d’désinfecto-pue, s’est pué les mains d’propre, les muscles d’sa figure tout givrures, figés, comme si rien l’perturbait jamais et tout l’était toujours sous contrôle. Le hic y’avait son papillon qui volitait partout autour incap’ de s’poser et pour Jules c’tait la preuve qu’Caligo était l’archi tornade là-d’ssous. Gneh. Foutu faux-calme. Eustache, d’son côté, l’a pas arrêté l’examination de Jules. Ses deux yeux bleus perçants, surlignés d’maquillage, pis sa beauté ténébreuse, il était impénétrable. Jules savait pas c’qu’il pensait d’elle, et ça l’inquiétait, trop… Nan en fait elle s’en fichait de l’opinion qu’il pouvait s’faire d’elle à cause qu’elle s’en fiche s’en fiche. S’en fiche vraiment ! Quant à Taya, elle a tenté de réégayer la situation. Les mains sur les hanches, un grain-sourire, elle a lancé un pfiou ! Il en était moins une ! l’air d’penser que ça s’était passé pas trop mal encore. Ensuite, l’a fait un ‘tiot tour de la pièce, un doigt tapotant sa lèvre, étudiant les lieux avec minutie. Soudain elle s’tourne, sa robe verte-lugubrée volette, observe Caligo nonchalamment appuyé contre son bureau. Pis Eustache qui fixe Jules. Pis Jules-r’croqueville à terre qui les défie tous du regard sous la capuche et qui tremblote des mains tellement qu’elle sait pas où elle s’trouve ni comment c’est possible de traverser les endroits comme ça ? Taya s’exclame qu’il fait un peu sombre par ici, vous ne trouvez pas ? Elle claque des doigts. Et des p’tites boules roses, lumineuses, éclatent pis flottent dans la pièce.

Ses yeux à Jules, sa bouche : tout ça s’ouvre de stupeur. Les lumioballes dépassent pas la taille d’son poing, elles planent partout, c’est stupéfax, colorent l’espace en rose, c’est époustouflax, comme des minios lanternes du ciel. Et maintenant que c’est plus luminé les choses, Jules peut y voir tous les détails qu’elle passait à côté : un tapis aux motifs pourpres, une vieille commode, un vase dessus, un secrétaire roco’moche, une biblio’ grise d’livres et d’poussière, un bureau boisé noir, un fauteuil décolore, une table basse qui boite, des tableaux d’nature morte, des murs d’papier peint démod’, un chandelier au plafond. Antique la pièce, d’un genre qui fait comme la Brocante. Voilà qui doit faire plaisir à Eustache, moins à Caligo, et Jules c’est surtout toutes ces sphères-lumières barbouillant leur silhouette en lilas qui l’épatent. Ils sont plongés dans une demi-obscurité. Demi-lumiérosé. Ébranlée, Jules tourne la tête en direction d’miss-chignon. Ayant presque tout oublié d’avant c’que Jules a fait l’féroce. Juste secouée par la beautise du truc quoi.

Taya l’observait déjà et lui souriait, amusée par sa réaction. En fluetto-voix, Jules lui demande si c’sont des idéelles ? Chignonne a ri, lui répond par l’affirmative, s’apprête à ajouter quelque chose mais Caligo, nullement impressionné par son numéro, la coupe froidement tout pressé qu’il est :

— Où sont les autres ?

— Oh ! Calmos mon gars, se défend-t-elle, vous étiez les premiers dans mon planning. Je vais les chercher tes autres. D’ailleurs…

Fouillant dans une poche d’sa robe, Taya sort une montre à gousset, lit l’heure alors s’exclame :

— Oui c’est bien ce que je pensais ! Bravo les gars, à cause de votre ridicule altercation tout à l’heure, qui a attiré les deux Grisœils j’en suis sûre, j’ai six minutes de retard sur mon programme. Bon. Je reviens de suite, m’attendez là !

Alors elle a ressorti son scalpel. L’a levé, mais elle a hésité… jeté un bref coup d’oeil à Jules. Mince soupir. S’approche pis s’accroupette d’vant moi. Incline sa tête. L’est toute jeune Taya, malgré l’masque vert des pommes ça s’voit elle a la vingtaine, guère plus. La vingtaine et une telle douceur, une telle caresse, que ça doit être interdit ou faux ou trop trop ou j’sais pas, c’qui est sûr : rar’ment on a douceré Jules d’un yeux’ment comme ça. C’était comme le f’rait une maman ou un papa… ‘Fin, j’suppose mais j’sais pas trop pask’ voilà quoi, comment j’pourrais savoir ? Et tout ça que tout cet halo de bienveillance m’entourloupinait la gorge. J’renifle ma fatigue et mes sanglots. Taya monte sa main, j’tressaille j’me ferme dans mes genoux quand elle glisse là sa main m’enlève la capuche. Ses doigts ont ensuite filé son mon menton, l’ont levé, tout pour m’examiner pendant que j’me figeax, hurlante lâche-patouille à l’intérieur mais silenceuse à l’extérieur. Qu’est-ce qu’elle m’veut, qu’est-ce qu’elle m’veut ?¿?¿ Et pourquoi ma méfie-toi s’étiole comme ça, pourquoi j’retire pas sa patoche alors que les contacts physiques j’déteste ça ? Pourquoi j’me surprends même à vouloir que jam’ jam’ elle enlève tout c’tendroux d’mon minois ?

— Les garçons, pendant que je suis loin, vous lui expliquez ? leur demande Taya.

Pis m’souffle, d’une bello voix :

— T’inquiète pas ma grande. Ça va aller.

Jules rougiole les joues. Ouvre la bouche. La ferme. La rouvre. La ferme. À cause que jamais on l’a appelée « ma grande » et que, sans savoir pourquoi, c’est comme si ça voulait tout dire. D’la miniopeine passe sur l’visage d’jolie-rousse. Jules s’sent aussitôt toute honte d’son chétif, d’sa crasse, d’ses cernes, d’ses lèvres explosées, mais fichtre ! C’est pas une raison pour prendre pitié d’tout c’qu’elle est d’dérangé. Alors Jules marmonne que j’ai pas peur moi. Taya sourit petit. Taya sourit peine. Taya s’relève, lui tend une main pour l’aider à s’lever mais Jules s’en empare que dalle pas. Brusquette Jules renfile sa capuche. Elle gonfle le buste même si y’a rien à gonfler. Ça la fait même pas grandir d’un freluquet d’centimètre et ça l’enrage comme pas permis. Butée comme pas possible et c’est si débilos j’devrais p’t-être… changer… mon… rapport aux… gens ?

— Taya, intervient Caligo, je pense t’as bien dix minutes de retard maintenant.

— Ah oui bien sûr !

Taya alors ressort son scalpel et, d’la malice aux lèvres, cruiche-cruiche sous les yeux fascines de Jules. Fente-fente une brèche verticale, toujours plus bas, comme si l’ciel ça l’était un rideau qu’on déchire. Accroupie, nana-masque sourit à Jules, s’redresse, comme elles sont jolies ses ‘tites bottines, glisse un pied dans sa ligne invisible, ensuite c’est la jambe la hanche bientôt tout l’corps qui disparait quand elle entre dans la brèche. L’y reste plus qu’sa tête qu’on a coupée maintenant, une tête qui tisse un rire et cligne de l’oeil à Jules au moment où elle s’volatilise de l’autre côté… Effaçure, plus rien qu’y reste ici d’elle, la Volteuse. Vive des paniques, Juliot-Jules tourne l’visage direction les garçons pis s’agite :

— Pourquoi l’est partie, l’est partie où pis c’est quoi sa magie-là ?

Flapi-claque, Eustache s’assied dans l’fauteuil qui ratatine et ça reste l’élégrâce avec sa chico-cape et les flotti-boules qui l’rosi-éclairent. Frotti-frotta ses paupières, l’dos arrondi, avant qu’il épingle Jules d’ses yeux du ciel électrique et qu’il explique avec son timbre tout grave et glissant :

— C’est ce qu’on appelle un volte-lieu : avec l’aide de son couteau, Taya a fissuré le réel et l’a ouvert sur un nouvel endroit. Elle vient de s’y glisser, exactement comme nous avant, quand on est passés de la ruelle à ici.

— Donc la fissure c’est comme une porte trop quoi ?

— Oui. Sauf qu’on nomme ça une sille.

— Et ça peut être n’importe quoi comme endroit ?

Il hoche la tête, j’énorme les yeux d’stupeur tellement c’est dément. L’beau-ténèbres l’y sourit et c’est riquiqui mais l’y sourit quand même quand il continue avec un grain d’fierté dans les mots :

— Taya, c’est elle qui nous déplace et nous rassemble lors des réunions des Ondés. Le lieu de rencontre change tout le temps, tu vois, et personne ne sait jamais par avance où on ira. Parfois, on bouge même pendant qu’on discute. Ça nous permet de rester imprévisibles, fugaces, et si l’un de nous se fait prendre, aucune chance qu’il livre à l’ennemi le point de rendez-vous ou le positionnement de notre quartier général puisque, littéralement, on n’en a pas.

J’mords-lèvres. J’fronce-nez en méditant c’qu’y dit et après moi j’demande :

— Et elle est toute seule à faire ça ?

— À ma connaissance, oui.

— Mais c’est pas un peu la galère d’aller chercher tout c’tas d’personnes ? Pask’ genre, vous d’vez être beaucoup nah, dans l’Onde ?

— Pas tant que ça. Deux cents, tout au plus ? Mais de toute façon, on ne se réunit jamais au complet : certains sont plus actifs que d’autres, et nos tâches sont si variées qu’un épieur n’aurait aucun intérêt à rencontrer un grapheur ou un gemmeur, pour ne citer que ces exemples. Nos actions s’organisent plus en petits comités, tu comprends ?

— Est-ce que ça veut dire y’a des Ondés que t’as jamais rencontrés ?

Les luoballes dansent près d’sa tête et brillent ses ch’veux noirs et comme le rose ça tombe dans ses yeux bleus, ça reflète du violet lorsqu’il me fixe sans rien dire, perturbio, et que final’ y dit :

— Oui.

— Mais Taya elle connaît tout l’monde.

Encore l’y m’regarde.

— Oui.

— Donc elle a archi l’importance quoi ? Sans elle, tout croule.

— Oui…

— Et si elle s’fait prendre, alors là c’est fichu pour vous tous. Y’a l’risque qu’elle balance tous vos noms d’un coup et alors c’est ballot.

— Tu veux en venir où là, Jules ?

J’voulais en venir que leur organisation l’est maxi zarbe et que ça m’inspire encore moins la confiance. L’fait que personne sache vraiment qui y’a dans l’Onde ? Qu’on voyage les rendez-vous à l’infini ? Comme l’y dit Eustache, ça rend l’truc plus choppe-nous-pas, insaisissable quoi, donc extra l’astuce, mais ça transforme aussi les Ondés en marionnettes à cause qu’on sait pas c’qui s’passe vraiment et c’que fichent les autres. Moi j’y sais bien après l’avoir vécu toute ma vie : l’ignorance y’a rien d’mieux pour manipuler les gens. L’noyau du mouvement, lui l’a… argh comment qu’il s’appelle déjà ? Eustache pis Jasmin eux l’y m’disaient… l’Nombril ? Nan… Ah ! L’Ombilic v’là. Ouais bah l’Ombilic, j’disais, eux ils ont bien capté que garder les gens dans la brumasse ça leur permet d’tirer les ficelles comme l’y veulent. Non seulement personne peut s’faire un avis sur eux ou leurs projets, mais en plus, impossible d’savoir si d’autres insurgeards la partagent notre opinion sur les chefs. Et après, comment qu’on s’allie si on est masse pas d’accord ? Comment qu’on s’oppose à l’Ombilic quand on sait pas qui sont les copains-copines de l’Onde ?

Sûrement que j’aurais dit tout ça si l’y avait pas Caligo dans la pièce. Eustache s’méfie du mouv’ autant qu’minette-Jules, et là il a grave besoin qu’on lui ouvre les yeux, ou p’t-être ces réflexions il se les a déjà faites. Mais Caligo j’en sais archi rien comment qu’il aime l’Onde ou l’aime pas ? Alors j’ai haussé les épaules dans une r’nifle d’nez. J’ai mâchonné j’sais pas trop. C’est juste ça fait beaucoup d’responsablements pour Taya d’volter l’Onde entier et que j’voudrais pas être à sa place quoi, tellement ça porte l’angoisse c’genre d’importance sur l’dos. Eustache, suite à ma r’marque, a hoché la tête, en expliquant que certes elle tient un rôle primordial, mais c’est aussi qu’elle a les nerfs pour. Même s’il en sait rien comment qu’elle en est arrivée là, c’est pas pour rien si l’Ombilic lui accorde une confiance pareille. Ça doit avoir ses raisons.

— Son pouvoir a ses limites, s’immisce Caligo.

Tressautés qu’on est, Eustache et moi, de l’entendre parler. C’était frimas, c’était inflexible. On a tourné la tête dans sa direction, lui qui l’était toujours assis une fesse sur l’bureau. L’front tout lisse, son nez d’aigle foulé zarbo par la lumiérose, il nous fixait en frottant ses mains d’récuro-pouah!-pue. Son papillon brun s’était calmos, perché sur son épaule mastocos, et quand Caligo l’a rangé sa bouteille, c’était comme si notre conversation l’ennuyait archi à cause qu’il a soupiré et que sa binette c’était fermé, vide. En plus, l’y portait ni son chapeau ni sa capuche, alors on voyait que ça, l’impassible d’son expression, et que tout ça c’était éclatant dans la pénombre ses ch’veux blancs, un chouille jaunissants, et son teint plus blême que l’blême. Uniforme et tout gris quand l’y dit :

— Par exemple, elle ne peut nous transporter sur guère plus de neuf ou dix kilomètres à la ronde.

— Ce qui est déjà un petit miracle, riposte aigrement Eustache.

— Ensuite, ça doit être un lieu dans lequel elle s’est déjà rendue.

— Parce que tu crois que c’est simple toi, de nous transporter dans un endroit qui existe mais que tu n’as jamais vu ?

— Enfin, effectuer un volte-lieu est une pratique qui repose sur la mémoire du volteur et est, de ce fait, faillible. Ce facteur n’est pas à minimiser. Des cas ont déjà été recensés où les gens sont restés bloqués entre deux espaces, avec des membres qui se détachent de leur corps, parce que le volteur ne se serait pas rappelé avec suffisamment de précision la destination cible.

Eustache n’y a pas résisté. Avec vivace, il a décollé d’son siège et s’est avancé en laissant dans l’envolée d’sa cape la souplesse d’sa rage. Bim, il s’est planté d’vant Caligo, les pupilles vibrantes, une main posée sur l’pommeau d’sa rapière. En face, Calbinos l’a étiré un rictus narquois, sans bouger d’un millio d’millimètre, que dalle impressionné le moins du monde. Pis Jules, qui s’était un peu détendax par terre, ça l’a hérissée elle s’est levée. Propulsée par un frisson qu’elle capischait pas, elle a fugacé à travers la pièce pour aller s’camper face garçons. Sa capuche l’y tombe. Pis comme ça, les lèvres r’troussées, les mains sur les hanches, elle a levé fort la tête tout en maugréant que non, on s’calmos les gars, ça va pas recommencer comme avant. Vlan qu’elle lâche tout ça, avec tout l’cran qu’elle peut dans la voix pis des yeux qui griffent. Bien sûr, tout ça l’ahurissait qu’elle ose s’affirmer comme ça, mais en fait non, trop pas, pask’ il y avait tout c’raz-l’bile que Jules avait d’la violence et que sa migraine menaçait d’exploser si ça reprenait le sifflement des lames. Y’avait d’quoi râler, et les deux garçons avaient beau faire deux têtes d’plus qu’elle – Caligo c’tait carrément trois – ils la flipouillaient rien du tout. Gnark !

Pour détourner leur attention, eux qui s’jaugeaient toujours du regard comme si Jules existait pas, elle demande : y’en a beaucoup des gens cap d’volter comme ça ? Eustache réagit pas, ou alors y’a juste la veine à son cou qui palpito’vite, et Caligo, lui il raffermit sa grimace d’rictus lorsqu’il reporte son attention sur moi et qu’il largue :

— Non. À notre connaissance, Taya est la dernière volteuse que nous connaissons. Et pour cause…

Miniot ricanement.

— Ce pouvoir d’effectuer des volte-lieu, ils sont réservés qu’aux Estampes. Dessinateurs, illusionnistes, ils étaient chargés de modeler nos espaces eurythméens. D’avantage architectes ou paysagistes que peintres, finalement, bien que leur fonction d’origine s’arrêtait à ça : colorer des toiles.

Il attend une réac’ d’ma part mais comme rien n’vient, il s’sent obligé d’ajouter, sur un soupir exaspéré :

— Signe du Cancer.

Oui et… ? Oui et enfin, j’percute. Stupéfac’, j’têtotourne vers Eustache qui l’a baissé l’visage dans ma direction, pis j’reregarde Caligo, pis Eustache, Caligo, Eustache, Caligo, droite gauche droite gauche, encore encore. Dandinée d’un pied à l’autre, j’rajuste mon béret et j’fourre les mains dans les poches d’ma salopette.

— Taya est une… Hỳdōr ? fluetté-je enfin. Une porte-chaos quoi ?

L’sinistre minois, ils acquiescent.

— J’croyais l’y sont tous crevés, avoué-je.

— Justement, nous demande pas comment elle survit en Eurythmie, répond Eustache, on le sait pas nous-mêmes. Cette fille, ça tient du miracle qu’elle soit encore en vie.

— Ben…

Que j’ai commencé et que j’ai rien fini à cause que j’étais pas sûre. J’glisse un doigt dans la bouche et j’le mordille un ‘tiot peu.

— Ouais ? s’moque alors Albi-frigo. Quels grands éclairages va encore nous apporter la demi-portion Jules sur le sujet ?

— Gars, claque Eustache avec menaço-voix, tu la traites encore une fois de demi-portion que…

— Demi-portion plus violente qu’aucune autre demi-portion et même qu’aucune autre personne que j’ai été amené à rencontrer. Ses idéelles sont si-

— Elle porte un masque c’est pour ça ? les coupé-je. Personne sait qui Taya est dans la vraie vie ?

Ça fait que ça les tait. Deux pairs d’yeux s’jettent sur moi et m’épinglent ahuris. Caligo fronce ses sourcils, sombrit ses traits :

— T’es vraiment si simplette que ça dans ta tête ou tu te joues de nous ? Des Ondés masqués on en connait un tas et certes leur identité en est protégée mais ça ne les prémunit pas de tout.

— Hé, s’énerve Eustache, t’arrêtes là ou mon poing tu vas vraiment le recevoir dans la gueule ?

— Voyons camarade, avoue que ça craint quand même, non ? Que ce soit elle qui doive nous mener à l’Anima de Noée ?

Eustache ça ‘xplose dedans : il jette la main à son épée et la tire dans une hurlée d’métal mais Jules, Jules, oh Jules, tellement ça crisse dans sa tête c’son striiiident qu’elle réagit plus foudre que la foudre. Jules elle lance son bras en avant et la lui ferme sa rapière, vlam ! d’retour dans l’fourreau. Ses doigts grippent brutalée les phalanges d’Eustache sur l’pommeau. Et lui, y lève son sourcil au piercing, les cernes rondissant un r’gard sidéré, tout pendant que Jules l’brûle, encore toujours, l’brûle d’ses yeux fous. P’t-être qu’à c’moment là, sa tronche à Jules c’était vraiment terrible, pask’ lentissimo, l’aristo’lame a levé sa main valide en signe de paix, comme si l’était flippé et qu’enfin il comprenait que Jules faut pas lui chercher des crasses et que quand elle décide quelque chose, on l’écoute et pis c’est tout. L’pouls battant chez elle chez lui. Il déglutit, elle plisse l’nez, pis v’là. Une fois qu’elle était bien assurée qu’il recommenc’rait pas, elle lâche tout et pivote vers Caligo. Hors d’elle :

— Et toi d’abord c’est quoi qu’Uranie t’a dit juste avant et qui t’a foutu la sacrée flipouille comme ça ?

Caliglace fait genre ça l’affecte pas, mais son oeil tressaille pis surtout son papillon décolle s’pose sur son autre épaule. Frénético-ailes. La flotti-balle qui l’rosait d’lumière s’en va planer plus loin, grimant son visage d’obscur’ombre quand l’y répond :

— Rien.

La puissance quoi. La puissance d’froideur dans juste un mot. J’frisson, j’croque ma joue. La tremblote des mains que j’planque derrière moi. J’baisse pas la tête mais j’insiste pas pour autant, j’sais on tirera rien d’lui. J’me promesse quand même d’le garder à l’oeil, Caligo. L’y joue sur deux fronts et clair qu’être épieur, au sein de l’Onde, ça l’est pas l’rôle l’plus fastoche d’entre tous. Encore on s’dévisage, et à l’dévisager autant, lui qui l’est tout ombre malgré l’anémie d’tout lui, ses lèvres-pas-lèvres aussi droites qu’une règle, j’surprends tout l’profondé d’ses angoisses, l’choc d’avoir été démasqué par Uranie. Sans me l’expliquer, j’suis prise d’sympathoche pour lui. Soudain, j’comprends pourquoi il exècre autant les gemmeurs. C’est vrai qu’à côté d’sa mission à lui, l’infiltration, pleine d’risques et d’soucis, Jasmin pis Eustache pis Jules font pâle figure. Eux ils servent juste à débarrasser les mensonges du passé quand l’y farfouillent les idéelles des morts, tranquilloux dans la Bordelante. C’est bien beau mais à quoi que ça sert ? Clair que les épieurs sont plus utiles et terrible comment ils risquent trop leur vie. Rien de comparable avec ces aut’ qui bidulent des trucs-muches en buvant du thé aux fleurs, l’postère bien au chaud dans la poussière.

Roh, pis d’abord pourquoi ça m’importerait l’mérite des gemmeurs, ou comment Caligo s’sent là-d’dans ? Moi l’Onde c’est pas pour faire la révolution mais juste pour grappiller des infos sur Noée Elévie. J’jure que jam’ j’m’engage sur le chemin des rebellions, donc ouais on s’en torche d’tout ça ? Et l’Eustache qui tout à k’ claque :

— Quoiqu’Uranie t’ait dit, ou pas dit, faudra quand même qu’on avertisse l’Ombilic qu’elle t’a surpris en notre compagnie.

À vitesse d’escargot, Caligo a tourné les yeux vers ceux bleus d’nobliau. Il l’a fixé et c’était si statue, si longtemps, que Jules a zieuté son thorax pour voir s’il respirait encore l’bougre ou s’il était pas mort debout, des fois qu’on l’aurait pas r’marqué. Bilan : c’était maigrot mais ça soufflait encore. Ça a quand même sursauté Jules quand Cali’ l’a r’trouvé vie en lâchant :

— Certes.

Silence. Intense regardation des deux gulus entre eux.

— Je doute que tu puisses rester épieur, a ajouté l’Eustache.

L’papillon l’a volé sur l’épaule d’gauche pis l’est r’venu sur la droite pis s’est campé sur l’crâne d’Caliblanc.

— Certes.

Mécaniqué l’mot. Tout froid tout gris. À Jules d’intervenir :

— Mais l’pourra quand même rester à l’Onde, dites voir ?

Silence. Intense regardation des deux gulus sur Jules. Ça a schlingué l’désinfectant, pis ça a regardé, encore, eux Jules, Jules eux, eux eux. Ils s’passaient l’observement de l’un à l’autre avec l’silence pour seule réponse, et tout ça l’bouffait l’ventre à Jules d’colère pask’ ça voulait dire quoi, heh ? Que l’Onde l’est si ordure qu’elle hésite pas à abandonner ses membres quand l’y sont plus utiles ou que c’est trop l’danger d’les garder avec soi ? Argh ! Les salopiauds qu’ils sont quoi ! Et… et… et wow. Wow ?

Qu’est-ce… Jules elle… avec Caligo et Eustache qui… y’a un truc, personne sait trop quoi, ça les traverse. Là. Juste là… Dans les yeux et ces visages qui s’sinistristent. C’tait d’la compréhension mutuelle, ou un chose d’émotion, un chose d’souvenir qui les lie et fait que toujours ils s’rappelleront, eux, qu’un jour ils étaient là et qu’ils avaient tout vu que c’était la poisse Uranie et injuste l’Onde. C’était eux qui… qui quoi, au juste ? Eux qui voulaient s’soutenir quoique décide l’Ombilic ? P’t-être… p’t-être pas. P’t-être bien. C’était là et c’était sans trop savoir pourquoi d’ailleurs, pask’ après tout rien, mais alors là, vraiment rien, ne leur disait qu’ils étaient tous du même côté. Et chez Jules, ça lui a pelotté la gorge tellement ça la zarbait c’sentiment trop étrange d’partager, pour la première fois d’sa vie, un truc d’important dans un groupe d’gens. C’tait partager pas juste une conv’ mais… cet aut’ truc là, une crainte ou un trauma ou j’sais pas, une promesse, qui vole dans l’air et s’essplique que dalle pas. Pertubio elle a fronce-nez pis s’coué la tête avant de !! faire un bond en arrière à cause que dans la pièce, l’y avait un nouveau quelqu’un.

— Tiens ! S’il y avait bien une personne que je ne m’attendais pas à voir ici ce soir, c’était toi. Salut fiston.

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