24 | Tsunami

NOVA  ELLÉE.

Ouvre, ouvre, ouvre… ga arde  ouvert No  N o v A aa  te s  paup i   paupi èé res  en  g rAn d  Ne Lâ cHe   pa as surTout n e dodors pAS  P A s  res te  -là  E t  concentre - toi comme ci coOMme ça a a. Pr ends un e  go rgé e de boisson ! énergisante ! ce sucre qu i  p p ulse  d A n  s  tes V eI ne s . .. Là ça v a  mie u u x  l’énergie revient çA révei lle-moi  enco o re quelques  Mi nute s  encore quelques temps sous les Étoiles  l e n t e m e n t  j’ atte nds que ça f asse ef fet LÀ mon pouls se hâte tape mes tempes à la brutale que j’en tremblerais presque, de soulagement, tellement ça carbure et qu’alors la valse des yeux déli ire moins et que le fil de ma pensée, tous les mots unis, ça glisse plus structure dans la tête. C’est bon… C’est bien. Je ne m’endormirai pas. aujourd’hui. jamais. d’ailleurs. Ni déjanterai. complètement. Parce que, tout de même ?

Main lasse dans les cheveux. Froissés-brouille. Humides tellement la nuit transpire de chaud. Cheveux que je laisse pousser je ne sais encore jusqu’à où. Jusqu’aux épaules, jusqu’à la poitrine, jusqu’aux fesses ? Jusqu’à la terre où je suis arc-boute, les jambes pliées en tailleur, les yeux épinglant ce visage ce visage ce visage de Léon qui encore un peu se  flo u te  parfois. Mon bras tombe. Un feu-frisson me vibre. Mes doigts se déchaînent. Ils arrachent dérrachent rarrachent la prairie, toutes les fleurs ensemble. L’autre, le bras de l’autre est dans le plâtre ça me gratte là-dessous que je dois pincer mes lèvres pour ne pas glisser un crayon dessous et râper et racler et chapeler cette peau desséchure. À quand qu’on me l’enlève, déjà ? Soupir soupirette. À peine une quinzaine de jours depuis ma vélo-volée et l’électrocure des Grisœils, et le médecin avait dit quoi… six semaines, en tout, de blanc-ciment ? Joie ! Même pas fait la moitié, ça promet, d’autant plus que j’en suis juste à ma quatrième… ou cinquième… nuit sans dodo, et que souvent je corps-flanche et pensée-chancelle et que tout, tout, tout, me paraît tellement plus… l o n g… et ! et ! et ! énervant que tu vas te concentrer, oui ?!

Là reg arde Lé on  et focus ton esprit sur lui, fais le vide sois le vide, malgré… focale focale-toi… ! malgré la ventile lourde des poumons, l’odeur sombre et chaude de la nuit, qui frétille à mes narines et pèse sur ma poitrine… main herbo-verte sèche mon front humide… la lune pèse et me colle à la peau… foca… ! ‘lisation ! Ou m’écraser dans le sommeil… je m’y laisserai glisser… en faufile dans le noir… non ! Non non NON NOVA ! Je ne le permettrai pas ! Nopinop l’Eurythmie c’est un plus jam’ tu n’y déraperas pas ! Alors ouvre ouvre OUVRE-moi ces saletés de paupières en GRAND et les yeux te trouent le crâne mais on s’en FICHE tu redresses ton buste te grandiettes fort fort haut haut ! t’empares de la canette et tu, et tu… vide ? ! ? Pardon ? Feulement. Vision rouge. La serre fichue canette de… fer tordu, élan du bras et VLAN je l’envoie valser là-bas ça vole ça métal dans l’herbe (pas loin hélas) et yeux qu’encore ça mouille-mouille mais aah, bon sang. Sèche-moi ça. Sèche j’ai dit ! Tu vas quand même pas pleurnicharder à chaque fois que t’es un peu l’agacère, ou bien ? La moindre piqûre te rend fâchure, toujours t’es sur les nerfs, mais c’est pas possible de vivre comme ça. Faudra bien que tu t’habitues aux mille nuits indormies, donc tu sais quoi ? Tu vas retaper une apparence digne de ce nom, là comme ça, tu vas étiria tes lèvres à l’hypra FORT et sourire comme toujours tu dois SOURIRE et dire aux gens que tu vas BIEN et être décontract’ au max et te concentrer quand tu le dois et jamais tout ira pour le SOURIRE.

Inspi-i-i-ire… Expi-i-ire… Respi-i-ire… Voilà. C’est parfait comme tu es belleau pas du tout gorge emmaillotée. La tête opée à reprendre l’observation. Tenter de contrôler l’Anima de cet enfant qui te ressemble tellement et que tu ne comprends à l’évadée toujours pas… et qui t’écoeure un petit peu… car enfin ?

Sa joue n’a toujours pas cicatrisé après la pluie acide, et je doute qu’elle le fasse un jour. Muscles ligaments qu’on voit, rouges luisants, sous la peau qui ridule au jaunissant. Et les dents même, à travers la pommette, une éclatée grisâtre juste là, qui sourient et sourient et sourient, comme ça, à la candeur de ce qu’il n’est pourtant pas. Son cache-oeil tache son visage. Ses cheveux foncés et bouclures dansottent sur son front. Il jongle avec son couteau et c’est un appel au fond des yeux, comme un : viens et folâtre avec moi ! que je tombe-sourire nauséeuse à l’anxieuse ici tout ici je me tiens le sternum comme si ça allait m’aider à mieux me recentrer il faut que ça calme là ca!me !à ! focale-toi… et je... ça sssssouffle à mon oreille ! sursaute alors.

Je me tourne à l’instinctive. Découvrir l’origine du murmure. Et je soubresaute une seconde fois. Parce que, tout de même ? C’est Siloé qui se trouve là. Enfin… Siloé-idéelle, à l’heureuse ce n’est pas la vraie ! Ça ne m’empêche pas de sang glacer quand je la surprends là. Encore une fois. Encore… une… fois… Crispure du coeur. À  dire vrai, ce n’est pas la première fois. Ça fait depuis que je me suis rendia à l’Observatoire, il y a quelques jours de cela, que l’idéelle me poursuit, me hante, sans que j’ai réussi à déterminer ce qu’elle signifie exactement.

Là-bas, j’aurais aimé ne jamais y aller. Je n’avais pas tellement le choix. Lorsque les Grisœils ont inspecté le Pensionnat, Siloé avait été très claire : soit je venais à elle et l’aidais à trouver le vivème de Jules Orion via Léon Ariel, alors les sanctions seraient moindres sur mes deux mères, soit j’ignorais son offre et le Pensionnat en subirait de fâcheuses conséquences. Comment ne pas céder à sa promesse ? À contre-âme, j’ai rivé là-bas, sans rien dire à personne si ce n’est Maxine, ne sachant même pas pourquoi je tenais à garder ça secret. Trop de méfiance vis-à-vis de Milan, maman-Rosa, maman-Angie ? Quoiqu’il en soit, après cette première entrevue, Siloé m’a demandé de revenir. Encore j’ai rivé là-bas, encore elle a exigé ma présence le jour d’après, encore encore, encore, et depuis, ça ne me quitte plus cette idéelle. Mélange entre souvenirs de Siloé, ma peur d’elle, mon stress dû aux hautes exigences qu’elle pose vis-à-vis de Léon Ariel, toutes ces informations qu’elle veut soutirer de lui, impression qu’elle m’épie où que je vis, paranoïa alors ? Elle est là, pas là, là, pas là, là, bien sûr qu’elle est là, avec sa mâchoire massive, ses yeux métalliques mais dérangement chauds, voraces, quand elle me souffle-douce à l’oreille :

— Concentre-toi, Noévan… Concentre-toi ! Et dis-moi… Ce que tu sais, ce que Léon Ariel te montre. Tout, raconte-moi tout. N’importe quel détail peut nous être utile et nous mener au vivème de Jules Orion…

Pénible déglutition. Membres raides. Je réancre mon attention sur l’Anima. Avec Siloé qui cercle autour de nous, marchant avec mécaniqué, claquant sa langue d’impatience, ses mains jointes derrière son dos. Un tour. Un second. Un troisième. Un millième tour. Et chaque orbe supplémentaire me presse davantage le thorax. L’angoisse ! J’essaie j’essaie j’essaie mais je je je… n’y arrive... pas. tellement. bien. Feu d’impatience se rallumant en fond-poitrine. Impuissance me brumant les yeux. Car enfin : pourquoi, pourquoi, POURQUOI tu ne veux pas, hein ? Foutu Anima qui me colle aux basques depuis si longtemps, pourquoi tu ne veux pas m’obéir, un peu au moins ? Siloé m’a appris, pourtant. Fine experte des idéelles et Animas, ayant mené un tas d’expériences sur eux, elle m’a dit des choses comme : « Concentre-toi d’abord sur ta respiration, inspire expire en prenant des longues et lentes bouffées d’air. Voilà, parfait ! Détends-toi au maximum, ancre-toi dans l’ici et le maintenant. Vide ton esprit, épure-le de toutes pensées parasites, là comme ça, c’est bien ! Tu peux poser une main sur ton sternum si ça peut t’aider… avoir une sensation à laquelle te raccrocher… parfait ! Et lorsque tu te sens prêt, lorsque ta conscience est suffisamment claire et stable pour cela, compose un ordre simple, bref, impératif. Ne le complique pas trop ou tu t’égares. Puis, projette ta pensée en avant, en l’axant bien sur ton but final, à savoir Léon Ariel. Et alors, si tu as été suffisamment précis et ferme, l’Anima t’obéira, t’ouvrira son coeur avec d’autant plus abandon qu’il te fait confiance et te considère comme un ami. Sinon voilà longtemps qu’il t’aurait déjà déserté… »

Et j’ai essayé. Vraiment j’ai essayé, tous types d’ordre, des plus basiques aux plus compliqués, avec Siloé qui me conseillait de commencer par des pas trop contraignants. Il est évident que Léon ne va pas tout me dévoiler d’un coup, qu’elle affirmait, la première étape étant d’abord de l’habituer à un rapport de hiérarchie. Et si juste la perspective de dominer quelqu’un d’autre me révulse, j’ai fini par me plier, craquer en fait ! Car enfin ça suffit son sourire et son mystère et son couteau et son dérangia dans la tête il y a un problème dans sa tête il faut que je trouve le problème dans sa tête alors entraînons-nous, hopihop ! malgré le brouillard dans les yeux tant je suis déso’, Léon Ariel, de jouer au conquista, mais voilà tu ne me donne pas tellement le choix.

Vide vide la tête… Respire en grand respire en fort. Et un ordre. À l’ultra simple. Autoritaire. Ferme. Tranchant. Comme : lâche-moi donc ce fichu couteau avec lequel tu jongles avec bien trop de fol’adresse ! Voilà. Comme ça c’est bien. Comme ça c’est… non ? Rien, aucune réaction ? Pas même un battement de paupière ? Bon. Peut-être que ma phrase est trop vague. Vague et vaste. Horizonnée. Réessayons : lâche-moi donc ce foutu couteau ! Allez allez ! Non, toujours pas ? Si ce n’est l’agrandia de son sourire ? Et son rire-malice, celui que je n’entends pas mais que je vois tellement il se moque de moi, moi, moi, et de mes essais tous plus infructueux les uns que les autres. Hontise je suis alors mes joues se gonflent se dégonflent d’explosif. Lâche-moi ce couteau ! Le couteau, lâche-le moi !! Lâche le couteau !!! Lâche. Couteau. Lâche lâche LÂCHE allez COUTEAU LÂCHE tomber il DOIT fichu LÉON de LÂCHE LÂCHE non toujours pas ce que ça me … et je vais je jure je vais bon un ordre plus simple alors comme parle parle PARLE parle-moi Léon dis-moi ce que tu veux ce que tu es ou Siloé elle va Siloé elle je sais pas mais si elle n’obtient pas des résultats bientôt elle va s’en prendre au Pensionnat à maman-Rosa à maman-Angie aux enfants du Pensionnat si elle fouille trop proche nos secrets et qu’alors elle découvre nous sommes tous des enfants-chaos hélas LÂCHE et dis-moi s’il te plaît COUTEAU toutes ces choses que Siloé aimerait savoir sur le passé elle cherche elle cherche COUTEAU je LÂCHE ne sais pas ce qu’elle cherche mais elle cherche elle cherche et moi aussi je cherche CHERCHE lâche pourquoi tu as DANSÉ sous les pendus ça me trauma COUTEAU ça me cauchemarde en plein jour même si je ne dors plus LÂCHE je t’en prie dis-moi je ne comprends PAS jamais rien du tout ça m’énervons fort fort FORT ça me fait MAL ces ongles plantés dans ma paume MAL ces doigts qui me perforent le COUTEAU sternum tellement je presse et ça me TREMBLE le dedans pourquoi je n’y arrive pas pas pas PARLE parle-moi raconte-moi ton histoire je te l’ordonne s’il te plaît et je je calmons je moi ça ne sert à rien lâche lâche j’arrête voilà j’arrête je détourne COUTEAU la tête je soupire et m’allonge dans l’herbe chaude et olive et humide et je regarde le ciel épais et vaste et constellé et j’ai les yeux qui tombent de sommeil mais je prends ma main valide j’enlève mes lunettes je flou je prends mes paupières et je les tiens grandes ouvertes SOURIRE comme ça yeux injectés de sang de feu ÉTOILES voilà plusieurs jours que j’ai l’impression de brûler à l’intérieur comme si j’avais enlevé la sourdine de mon enfance de ma COLÈRE contre les Grisœils qui m’ont cassé les os rendu mon visage si LAID je suis LAIDEUR toutes ces croutes et mon oeil au beurre noir et ma HAINE contre l’Eurythmie et l’AGITÉ au fond de la boussole LÂCHE que je tiens fort sur mon ventre la boussole m’apaise me glace me brûle me console m’obsède tout son CHAOS ça m’amplifie les COULEURS à l’intérieur comme si parfois ce n’était plus moi la COLÈRE mais une armée de porte-chaos dans moi dans moi dans moi ô les étoiles comme elles sont jolies les étoiles garde OUVERT tes yeux NOVA et j’essaie de résister à ça l’appel-au-NOIR mais c’est dur de ne pas vouloir monde-démolir quand les voix de la boussole hurlent au ciel de ma tête ça m’effroie mais ça me raffoufolle de vous je ne me séparerai jamais de nous malgré le BLEU que ça me laisse à l’estomac SOURIRE au COUTEAU quand l’Ombre s’invite chante poétise vole te dis-je ramène aux rêves Naïa éternelle ÉTOILES réparatrice d’injustice elle noiera l’oppression en terre ÉTOILES et s’en ira à la rage la seule mer qui ÉTOILES à la fin de tout ÉTOILES sera ère de Victoire JE LES AIME les étoiles quoi pardon Siloé s’est allongée à ma droite Léon à ma gauche il y a l’Ombre aussi je crois je me couche en chien de fusil aïe mon bras je regarde la dame savante elle sourit gigantale murmurisse dis-moi dis-moi TOUT et moi je ne te dirai jamais tout parce que tout de même tu ne sauras jamais ce que porte la boussole à savoir le vivème de Jules Orion et la Mer le chaos les pendus leur colère les voix qui se souviennent de la guerre et la Mer la Mer ÉTOILES toi tu sauras juste ce que je veux bien te dire c’est une promesse je te regard-furie avec une vague non un tsunami qui monte en moi monte monte tellement nous sommes ORAGE de ne pas savoir ce que tu voiles ÉTOILES nous hurlons le silence et le dam des années écrasées nous voulons SAVOIR ce que tu SAIS ce que tu VEUX pour mieux enfoncer le COUTEAU dans la plaie quand tu ne regarderas pas je m’assieds Siloé s’assied Léon s’assied l’Ombre derrière nous se lève et nous surplombe c’est une idéelle à la silhouette fragmentaire qui souffle du noir et qui souvent me visite depuis les Grisœils sous la pluie et m’apaise m’apaise se confond avec mon ombre à moi puis chante c’est dans les chaînes que naît la solidarité le tsunami comme un CRI s’élève si fort qu’il me vrille le crâne me tremble les membres empeste le sel marin Léon se lève et danse danse en jongli-jonglette le COUTEAU surtout ne le lâche pas pas il servira à ASSASSINER nous assassinerons ENSEMBLE ce JE qui s’éprouve avant tout comme un NOUS tempêtons NOUS nous unissons NOUS vengerons les étoiles tous les couteaux ensemble NOUS ne sommes qu’un NOUS vivons comme la foudre NOUS sommes l’éclair anarchiste NOUS sommes immortels NOUS sommes TSUNAMI qui lorsqu’il touche le ciel emmène avec lui l’ordre destiné à SILOÉ elle doit nous DIRE CE QUE TU SAIS CE QUE TU VEUX POURQUOI LES VIVÈMES DE NOÉE ELÉVIE ET JULES ORION SONT SI IMPORTANTS tout le monde retient son souffle tout le ventre qu’on aspire lorsque

FLAAAASH

il tombe le tsunami il s’effondre le tsunami il détruit le tsunami m’anéantit la poitrine me suffoque de douleur je nausée je tremble je rejette l’amer bile dans un vomi guttural je redresse le regard je vois Siloé sourire et sortir un livre de sa blouse et me le tendre, comme ça, et moi, je suis tellement stupéfaction qu’elle nous obéisse que voilà, ils partent tous les porte-chaos en moi, me vidant m’épuisant j’ai un début de migraine qui me pique l’oeil et je ne comprends pas ce qu’il s’est passé et je me demande si ça vient de la boussole tout ça cette colère cette haine trop forte pour n’être qu’à moi et je sue et j’ai chaud et j’ai froid et j’essuie ma bouche et c’est comme s’il ne restait de moi que des cendres ou des poussières ou des ruines oui voilà je suis ce qu’il reste de roué quand on ne dort pas je suis les ruines du sommeil.

Encore Siloé me tend le livre, la face bloquée dans une grimace disgracieuse, large sourire grandes dents c’est plaqué et factice, comme si elle voulait pas mais que voilà elle n’y pouvait rien et qu’alors elle faisait comme si de rien. Et moi j’hésite car enfin, après tout c’est un livre-idéelle. Ça ne sert à rien que je le prenne, il va s’échaporer au touché de ma main. Soupir soupirette sourire. las. Je range ma boussole dans la poche. J’enfile mes lunettes. J’approche mes doigts je touche la couverture je la touche vraiment, attendez mais quoi pardon ? L’objet passe d’elle à moi et éberluette je me retrouve là, à porter une idéelle comme on porte du vent, avec un tas de questions fluant !! dans la tête. Parce que, tout de même ? Est-ce que toutes les idéelles sont comme ça, aussi matérielles, ou seulement certaines d’entre elles ? Est-ce que certaines sont plus puissantes que d’autres, est-ce que Léon pourrait me poignarder la vie avec son couteau ? Est-ce que ça tient juste à la force de l’esprit, tant je sens que ça vole-s’en-va quand je ne me focalise pas à maintenir l’idéelle en existence ? Des pointillés gris s’égrainent, comme de la poussière, ou des miettes, filafilées dans le souffle chaud de la nuit, non non NON !

Me concentrant au plus fort que je peux, je pose l’ouvrage dans l’herbe. Centre toute mon attention dessus. Yeux plissés. Pensées appliquées. L’idéelle se stabilise. Je l’examine. Il y a mon pouls qui folle soudain, main sur le sternum je me grandis et respi-i-i-ire à l’hypra calme, calme, calme ! Parce que, tout de même ? C’est le carnet de Siloé, celui où elle griffonne un tas de notes quand elle m’observe m’exerçant avec Léon Ariel. Celui que Léon voulait que je vole, d’ailleurs, une fois, quand Siloé s’était éclipsée deux minutes dehors. Elle l’avait rangé dans son tiroir, mais son tiroir était fermé à clé et puis voilà, je n’ai pas eu le courage de biduler la serrure. De toute façon, Siloé est revenue bien trop vite et elle souriait tel qu’elle avait peut-être deviné mes intentions est-ce qu’il y a des caméras dans son laboratoire ?

Usagé le carnet… Couverture brune flétrie… Épais bourrés de fiches volantes, marque-pages, j’épeur et j’exalte de découvria les mots à l’intérieur,

concentration,

intense…

focalisation !

Avant de l’ouvrir j’élève un bref coup d’oeil en l’air, sursaut ce n’est plus Siloé en face de moi mais Léon Léon Léon, qui est une lumière dans la nuit à s’égayer comme ça, des luolunes glissés dans son couteau. C’est comme si aucun regret, aucun chagrin, ne l’atteignait jamais et qu’il portait une paix intérieure, inébranlable, l’excusant pour plus ou moins tout, même ses méfaits les plus horrifiants. Répugnance, mal de ventre, ne voulant même pas savoir où Siloé a coulissé, je rive-regard à nouveau sur le livre-idéelle. Il est flou fait de brume non non non reste reste petite idéelle, ne t’efface pas dans les étoiles, focus Nova ! F O C U S ! Ça revient, se cristallise, fiouf ! J’avance des doigts tremblotants j’ouvre le carnet. Le touché est caressant, un brin piquète-piquote. La page de garde il y a des lettres, hélas elles sont nuageuses, à demi-effacées elles paraissent danser. Je  v i d e - e s p r i t  et me concentre plus vif à l’incisif les mots se fixe-précisent, je lis : jour al  e Si oé D gmar.

Je bats des paupières. Journal de Siloé, Siloé qui porte un deuxième prénom donc ça ne peut signifier qu’une seule chose : Siloé est eurythméenne. Je déglutis, me demande quelle vie elle mène en Eurythmie, espère que là-bas au moins, elle gouverne rien du tout. J’en doute, tourne la page, lis, tente du moins, c’est un brouillard de mots, de phrases aux morceaux manquants. Je lis je lis et relis et rerelis, mais les lettres sautillent sur la page et la ponctuation ne veut rien dire, si dur de déchiffrer une idéelle dont je n’ai même pas touché le référent en vrai. Bâillement, corps-courbature, je m’appuie contre le vieux chêne, je flotte, je nuage, je… NON ÉVEILLATION il y a l’Ombre, soudain, qui s’approche. Doucereuse elle est couchée dans l’herbe, rampe à mes pieds, avec la lune là-haut qui clair-lumine si fort le jardin du Pensionnat que les contours de l’Ombre sont rendus d’autant plus nets. Mais ce n’est pas seulement elle qui tache-ténèbres tandis qu’étincelle le ciel. C’est elle et tout l’ombrage du verger, elle et toutes les z’ombres elles sont si zombres et s’étirent et se distordent, je pâle-falot, encore plus lorsque l’Ombre chansonne un chuchotis noir-charbon écoule-toi dans la vague d’obscurité où règne tout ce que tu ne t’avoues pas. C’est froid mais câlinement doux, je ferme les paupières à demi, j’entends le bercement du ciel et de la mer. Mon souffle flou-flux-fluide, je tombe non je glisse là-bas ici et quelqu’un me couvre d’un soir tout noir comme un voile rempli d’étoiles. Je souris à demi, entrevois l’Ombre lever un bras, le maintenir au-dessus du livre ouvert. Je me redresse je regarde ses mouvements. Sa main coule sur le livre et cristallise les mots sur la page. Je regarde je lis noir-au-calme, l’esprit étrangement relâche.

Les phrases, c’est Siloé qui écrit sur les effréelles. La graphie est petite et étroite. Rien de nouveau jusqu’ici, Max’ m’a expliqué le concept lorsqu’elle m’a parlé du Pandémonium d’Océane Libelle de Céleste Volia de leurs enfants Jules Orion Noée Elévie Léon Ariel. Siloé affirme que les effréelles étaient partout durant la Belle Guerre et que les voilà de retour, elle les a même listées : invasion de rats, pluie acide comme du sang, nuit d’une extrême obscurité. Ça ne peut signifier qu’une seule chose : le Pandémonium est en pleine renaissance. Il est dès lors de plus en plus urgent de trouver ceux à la source de ce fléau. Que ce soit les signes maudits, les Animas venus du passé qui se réveillent, les Ondés, on ne peut les laisser s’unir et répandre la peur la colère la discorde pour renverser l’ordre.

Et moi, Nova Ellée, et nous, les porte-chaos, lire tout ça m’élève des vagues à l’intérieur, les douces et caressantes vagues de haine, car enfin c’est moi c’est nous que Siloé vise ! Je tourne la page mais c’est vide c’est vide je cligne des yeux l’Ombre s’étale sur tout le livre c’est une flaque-noirceur qui fulgurisse : ce sont les seuls mots que j’arrive à extraire je ne peux pas plus…

Et là voilà qui s’élève en une colonne de fumée sombre tandis que le livre-idéelle s’estompe sous la lune qui cireuse. Je me lève aussi, voulant me fondre dans son flui’mouvement, un brin frustration de n’avoir rien mais alors là RIEN appris de nouveau. Debout devant sa silhouette informe, glacée, sinistre mais gracieuse, je fais un pas vers elle. Tout à l’hypnotique je lui demande qui elle est. Deuxième pas. Elle me susurre je suis moi je suis toi je suis mouve’vent je suis le ciel et son cyclone je suis l’émeute je suis l’innocence trouvée dans la pureté de l’action je suis la joie enfantine la joie assassine je suis la beauté de l’âme je suis ce qui se surmonte soi-même à jamais à jamais je suis la poésie je suis l’anarchie je suis la vie je suis nous je suis NAÏA et elle m’embaume tellement le coeur et elle glisse un doigt sur ma joue qui pleure et je souris dans un tremblement de lèvres et je ferme les paupières et je pleure vraiment c’était la fatigue le stress la nausée la joie bien que je sache pas d’où ça me vient j’ai souri j’ai eu envie de danser j’ai dit il faut que je vole le livre de Siloé mais à l’Observatoire comment c’est possible les caméras partout et les portes avec tous les badges spéciaux d’identification peut-être que Maxine peut m’y volter il faut que je la contacte mais l’Ombre elle s’est crispée elle s’est avancée elle était sur moi presque presque elle m’a dit c’est trop dangereux mais il existe un livre on le nomme le Métamorphe il perçoit les désirs du lecteur et se transforme en donnant à lire ce qu’on veut lire et moi j’ai gonflé le buste d’espoir elle m’a dit qu’elle peut m’y emmener j’ai hoché la tête j’ai serré la boussole il y avait le bleu roi il roucoulait au fond de moi tandis que nous nous élancions à travers toute la Ville Ombrère, avec Léon derrière qui souriait plus lumière que jamais. Son couteau, il ne l’avait pas lâché mais, pour une raison qui m’échappait, ça ne me gênait plus. J’étais presque légèreté à courir en bas le Pensionnat, voguant à travers l’horizon cendré, en rêverie d’azur de sel d’euphorie. J’avais la vague impression que j’avais le coeur rongé, ou poisonné, enfin je ne savais pas trop, mais que je m’en fichais car, pour la première fois depuis quelques temps, je retrouvais un peu d’insouciance et d’hardiesse qui me disait non, non, tu ne tairas pas la vie au fond de toi. Tu seras révolte, tu seras valse, et tous les fantômes qui s’en sont allés vivre dans les étoiles tu les recueilleras, pour qu’à minuit-noirceur où s’élève Naïa, tu portes des étoiles plein le ventre. Des étoiles qui se souviennent et brûlent et hurlent et rient et dansent et chantent aux parois de la nuit. Nuit-chaos, nuit-liberté. Parce que toujours,

nous Naïa, Naïa, Naïa,

Naïa, Naïa, Naïa,

Naïa, Naïa,

Naïa...

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