24. Je te dirai tout

Par Eurys
Notes de l’auteur : Désolée du retard, ma semaine a été très difficile et je n'avais plus du tout le morale de tenir ma publication. Me voici de retour ♥

Elle expira doucement, laissant l'air s'échapper de ses poumons. Six paires d'yeux la fixaient intensément, la clouant sur ce dressoir aussi bien que ne le ferait des pics.

Oh oui elle appréhendait. Mais elle avait aussi hâte.

Elle avait autant peur de révéler sa vérité qu'elle exaltait de se libérer de son fardeau. Son regard se releva, vif, se promenant sur chaque personne présente. Ils la fixaient et elle le leur rendait. Ses premiers mots étaient entendus comme la parole du prêtre. Elle avait insisté pour la présence de Constance. Elle voulait que son amie sache, et aussi, plus inconsciemment espérait son soutien.

Si elle ne savait pas comment ses amis réagiraient, une seule réaction la terrifiait, celle de Porthos.

L'homme s'était tu autant qu'il le pouvait durant le voyage. Il l'avait évitée, et en même temps observée.

Que devait-il se dire ?

Elle savait qu'il y'avait de fortes chances pour que sa relation si particulière avec l'homme ne soit brisée, mais au fond elle espérait, d'une flamme forte et brulante, qu'il ne lui tourne pas le dos.

Elle savait que Porthos aimait les femmes, cela était une certitude. Et s'il s'était épris de l'homme qu'elle était, pourquoi n'en serait-il pas de même de la femme également ?

Debout au fond de la pièce, le dos contre la cloison de bois, elle savait qu'il l'observait, malgré son air détaché.

Ses prunelles vertes ne le lâchèrent pas jusqu'à ce qu'une sensation d'être épié ne le force à lever le regard. Armand le happa, capturant aussi longtemps qu'il le pouvait les yeux d'ambre.

Ils partagèrent ce moment, secondes parmi d'autres, et se détachèrent, sans savoir ce que l'autre refermait dans l'antre de son cœur.

Elle expira une nouvelle fois et bomba la poitrine, à la recherche de chaque parcelle de courage. C'était maintenant. Elle allait clore le jeu, sortir de scène.

Après des mois d'existence, Armand n'était plus.

—Je vais commencer par la base. Je me nomme Ornélia de Beaumont, comtesse d'Artois.

Elle chercha une réaction de la part de Porthos. Si l'homme avait relevé la tête, clairement intéressé, il ne dit cependant rien.

—Beaumont... comme la compagnie maritime, déduit Athos d'un air interrogatoire.

—Oui, souffla Ornélia. Elle m'appartient. Enfin, plus exactement elle appartenait à mon père et après cela... à mon époux.

Un silence accueillit cette révélation. D'Artagnan avait ouvert la bouche, hébété, Athos arqua un sourcil, sans plus de dramaturgie. Aramis lui grattait son petit bouc d'un air pensif.

Et Porthos .

—Votre époux, répéta le métis pantois.

Si elle fit l'impasse sur le vouvoiement, le ton froid lui glaça les entrailles. Le jugement dernier serait certainement moins pénible que de se confronter à Porthos.

Mais malgré cela, elle le comprenait. Il allait de déconvenue en déconvenue et elle en était seule responsable.

—Je me suis mariée il y a deux ans ; je l'aimais.

La fin fut crachée comme la pire des fautes. Ornélia eut un rire, aussi amer que dur envers sa propre personne. Plus personne ne dit rien.

—Et bien que mon père espérait un époux d'une plus haute noblesse, reprit la femme, Florian restait un bon parti, équivalent au mien. Mon père a donné sa bénédiction et je peux dire que j'ai vécu des moments de bonheur.

Son visage se ferma. La mâchoire crispée, la jeune femme joignit les mains contre son buste, cherchant à se détacher autant que possible de son récit.

—Malheureusement il y a de cela un an mon père décéda brutalement. Et là, Florian commença à changer. Je n'y ai pas pris garde au départ, jusqu' à constater de moi-même ces changements...

Ses bras entourèrent son corps. Elle subit le frisson qui lui remonta l'échine et ne vit pas le regard brulant de Porthos sur poser sur elle, ni son poing se serrer à en faire craquer les jointures.

—Il était devenu arrogant, mesquin ... et aussi brutal. J'ai eu l'impression que toute trace d'amour dans son regard avait disparu, je me demande même maintenant s'il en ressentait réellement. Il a engagé un nouveau personnel, congédié les anciens. Les marins de nos navires avaient aussi été congédiés pour être remplacés ; je l'ai découvert complètement par hasard, via le mari d'Amelia. Et là j'ai réellement commencé à avoir des doutes.

—Des doutes sur votre mari... déduit Aramis.

Elle hocha la tête.

—Oui, et sur son implication dans la mort de mon père.

Ornélia retint le sanglot qui lui remonta à la gorge mais son accablement était clairement peint sur son visage. Le plus gros était désormais révélé, elle pouvait supporter le reste.

—Je n'arrivais plus à vivre. J'essayais de me convaincre que mes doutes étaient infondés mais je ne faisais que penser à cela, jour et nuit, dès mon réveil, à chaque seconde. Il fallait que je sache mais je ne pouvais rien faire. J'avais les mains complètement liées. Je n'avais personne à qui demander de l'aide !

La jeune femme s'arrêta, reprenant son souffle sans avoir senti son ton monter vers la fin de sa phrase.

—Nos comptables, nos administrateurs, même les conseillers de mon père ; mon époux les a tous remplacés. Je connaissais chacun d'eux, mon père avait insisté pour m'instruire sur ses affaires, j'étais sa seule héritière. Et je me suis retrouvée à être comme une inconnue dans mon propre domaine. Alors j'ai fini par m'introduire dans son bureau, en réalité, dans l'espoir de faire taire mes doutes ... J'ai fouillé les papiers, les livres de comptes, puis je me suis rappelé les tiroirs secrets ; cette pièce était avant le cabinet de mon père. Et dès les premières feuilles j'ai compris que quelque chose était faux. Il transportait des marchandises pour lesquelles on n'avions jamais jamais eu d'autorisations, et je le sais car mon père avait tenté de les avoir. Il faisait plus de voyages de nuits, sans indiquer taxes ou autre payements. J'ai vite compris qu'il s'agissait de contrebande.

Elle se mordit la lèvre.

—Et j'ai fini par réaliser qu'il avait certainement tué mon père pour s'emparer de nos affaires. Et qu'il ne m'a peut-être épousée que dans ce dessein.

Sa voix se brisa sur la fin. Elle ne retint ni le tremblement de sa mâchoire, ni le sanglot qui s'échappa.

—Je ne pouvais plus ignorer cela, et je n'avais plus personne sur qui compter. C'est à ce moment que je me suis rappelée Monsieur de Tréville et qu'il était un vieil ami de mon père, pour avoir guerroyé ensemble sur les champs de bataille d'Henri IV. Je me souvenais encore de votre dernière visite, alors que je n'avais pas encore 20 ans, rappela la jeune femme.

Le capitaine hocha la tête, se remémorant ce court séjour.

—Je n'avais plus que deux choix, j'ai finalement décidé de fuir, avant l'aube et demander l'aide du capitaine de Tréville. Je ne m'étais travestie que dans le but de voyager sans me faire repérer, mais à la moitié du chemin j'ai décidé de rester homme et devenir mousquetaire. Je voulais moi-même accomplir ma vengeance, pas qu'un autre la réalise à ma place. La suite, vous la connaissez.

Ornélia leva les yeux, guettant chaque réaction de la part de ses amis. Chacun la regardait à sa façon, intrigué, étonné, compatissant, mais elle fut heureuse de ne déceler aucune rancune envers elle. Dans le silence qui régnait, la jeune femme décida d'en finir.

—Bien que ce soit un drame qui m'a menée ici, je suis réellement heureuse de vous avoir connus, d'avoir été à vos côtés. Je ne pensais pas que ce voyage m'apporterait autant. Je pensais mener une vengeance solitaire, et retourner tout aussi seule chez moi une fois cela fini. Mais je vous ai rencontrés, et j'ai été heureuse, réellement. Avec vous, je me suis sentie mieux que je ne l'ai été depuis longtemps. Vous m'avez beaucoup apporté, chacun d'entre vous. Je suis désolée, réellement désolée de vous avoir menti, mais vous devez me comprendre. J'ai dû faire mes preuves en tant qu'homme, qu'est-ce que cela aurait été en tant que femme ? Aurais-je vraiment eu une seule chance ?

Personne ne dit rien, et la jeune femme reprit :

—Je ne dis pas cela contre vous, c'est juste ainsi. Et je ne le regrette pas, car j'ai aussi aimé être Armand. Je vous demande pardon, pardon de vous avoir menti, et j'espère pouvoir vous revoir, un jour.

Elle ponctua sa phrase en plantant ses yeux dans ceux de Porthos. L'homme ne la fuit pas, il la regarda aussi, impassible.

—Pourquoi faites-vous sonner cela comme un adieu ? Lâcha Athos mine de rien.

A ce moment tous les regards convergèrent vers Athos, surpris.

—Athos ..., le capitaine le fixa avec reproche, sans savoir où son soldat voulait en venir.

Le mousquetaire fit mine de ne rien voir de l'avertissement de son supérieur.

—Je ne vois pas pourquoi Armand Lacroix devrait quitter notre compagnie. Il est un des rares à ne pas chercher duel et provoquer les premiers gardes rouges qu'il croise. En plus de cela il doté d'une intelligence qui nous a déjà servie par le passé. Certes, il hésite encore avant de se lancer dans un combat mais sait se battre. Selon moi, il est aussi méritant que d'autres hommes en ces murs, capitaine. Le congédier serait injustifié et arbitraire, et je pense que nous tous désirons qu'il garde son poste, assena Athos.

Etonnamment selon Ornélia, tous les mousquetaires acquiescèrent, même Porthos d'un petit hochement de tête.

Ornélia dévisagea Athos complètement perdue. Elle ne s'attendait pas à une telle opposition, et encore moins de ce mousquetaire précisément. Une joie imprévue au creux du ventre, ses oreilles se mirent à bourdonner alors qu'elle attendait la réponse de leur chef.

Le capitaine se tint l'arête du nez quelques secondes et souffla.

—Si toutes les personnes ici peuvent garder certaines informations pour elles, je pense que l'on peut s'arranger, s'inclina De Tréville.

—Attendez, bredouilla Ornélia complétement perdue, Cela veut dire que... je vais rester mousquetaire ?

Le capitaine hocha la tête et la respiration de la jeune femme s'accéléra, jusqu'à se hacher sous les pleurs qu'elle ne retint plus. Ses mains se posèrent sur ses yeux, cachant du mieux qu'elle le pouvait son visage. Elle sentit les bras et la poitrine de Constance se presser contre elle et elle s'y laissa couler, enveloppée dans l'étreinte.

—Merci, bredouilla Ornélia.

Le dos de ses mains passait sur ses joues, essayant d'effacer les traces de son soulagement. Aramis s'approcha pour une courte accolade et elle l'emprisonna de ses bras, le remerciant de tout le soutient qu'il avait été. Elle releva la tête, laissa son regard parcourir la pièce et se figea.

—Où est Porthos ? souffla la jeune femme alors qu'elle ne trouvait plus le mousquetaire à la peau sombre.

—Il vient de sortir, répondit platement Athos.

Ornélia grimaça, déçue.

Constance fronça les sourcils, les poings sur les hanches.

— Eh bien, qu'attendez-vous !

Les autres la regardèrent sans comprendre.

—Mais ma chère, suivez-le !

La jeune femme ouvrit les yeux mais ne se le fit pas dire deux fois. Elle sortit précipitamment de la pièce, traversant les couloirs, dévalant les escaliers pour débouler dans la cour. Sans réfléchir ses pieds prirent la direction de leur habitation, et après une courte hésitation, elle frappa à la porte de la chambre de Porthos.

Aucune réponse.

Soudain hésitante elle réitéra son geste puis finit par saisir la poigné de la porte, faute de réponse. Cette fois-ci elle ne se défilerait pas ; elle ouvrit la porte.

La chambre était vide.

Ornélia resta sur le seuil, sans savoir quoi faire, et décida de fouiller la caserne. Il devait bien être quelque part.

Après plusieurs dizaines de minutes à fouiller la caserne la jeune femme abdiqua ; elle ne le trouvait pas. Elle finit par retourner dans la cour demander aux soldats présents s'ils avaient vu le mulâtre, un espoir, aussi mince soit-il, était un espoir. Après plusieurs refus c'est une nouvelle recrue qui lui donna réponse : Porthos était sorti.

Ornélia encaissa l'annonce, restant le plus stoïque possible. Elle lorgna sur la porte d'entrée, hésitant entre la franchir ou abandonner ; mais comment pourrait-elle le retrouver ? Paris était grande, et même si ça lui faisait mal de l'admettre, elle ne connaissait pas grand-chose des habitudes de son ami.

Les épaules basses elle retourna sur ses pas, prenant la direction de leur appartement. A peine la porte ouverte qu'elle tomba sur toutes les personnes présentes dans le bureau de leur capitaine, à part le capitaine lui-même.

—Ce fut rapide, conclut d'Artagnan.

Ornélia hésita, ne sachant si elle devait avouer son échec ou rentrer se terrer dans sa chambre.

—Je ne l'ai pas trouvé, avoua la jeune femme du bout des lèvres. Il est sorti de la caserne.

—Aramis, apostropha Constance après un moment de silence, vous êtes son plus proche ami, vous n'avez pas une idée d'où il peut se trouver ?

L'homme pinça les lèvres, réfléchissant à la question.

—C'est compliqué, ce serait plus simple de citer les lieux où il n'irait jamais. Il peut être en train de jouer, boire, déambuler, ce n... .

Aramis s'interrompit soudainement.

—La cour des Miracles !

—La cour des Miracles ? répéta Ornélia.

—Mais oui suis-je bête ! C'est de là que vient Porthos, il y a vécu toute son enfance. Je suis certain qu'il a dû y retourner, dès qu'il cherche du réconfort ou à se retrouver seul c'est là-bas qu'il va !

—Elle se trouve entre les rues Montorgueuil et Saint Sauveur, c'est bien cela ?

Athos acquiesça mais préféra mettre la jeune femme en garde :

—Faites attention, une fois là-bas, indiquez que vous êtes un ami de Porthos. C'est une zone de non-droits, même le roi n'y a pas de pouvoir.

Armand hocha la tête, prenant en compte les avertissements de son ami. 

 

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