20.Danaël

Par Codan
Notes de l’auteur : J'ai oublié de publier mercredi dernier... Pardon !

Quand Mala le rejoignit dans les gradins, il s’aperçut tout de suite que quelque chose n’allait pas : elle avait le teint blafard et ses gestes étaient teintés d’une lenteur que seule la fatigue pouvait apporter. 

— C’est ce qu’on a fait hier, qui t’a mise dans cet état ? 

— Mon jima est nominé, je lui ai donné mon énergie. 

Danaël se tut, ne sachant pas trop quoi dire d’autre, maladroit dans ce genre de situation. Avec ses lectures, il connaissait l’importance du jima chez les Alayis. Halioes ne regorgeait pas de sources sur les trois autres peuples, mais il avait retenu ce terme du seul ouvrage sur les us et coutumes des Alayis. Couplés depuis l’enfance avec une personne de l’autre sexe, ce lien était le plus fort qui puisse exister, dépassant la notion de couple chez les Mushadins ou les Orgoïs. Cela avait dû fasciner l’auteur de l’ouvrage, parce que les Thaelins ne connaissaient pas la fidélité. 

Enfin, ceux qui ne sont pas moines.

— Il est nominé aujourd’hui, à la place de la Mushadin de son équipe qui a disparu, ajouta Mala. 

Danaël se grignota les ongles, les yeux perdus fixés sur le vide et sa réflexion lancée au galop. 

— Disparue ? Disparue comment ? 

— Je n’en sais pas plus. 

— Ça explique peut-être pourquoi Peon n’est pas nominé… 

Il avait réussi à rentrer juste à temps pour écouter les nominations, la veille au soir. Tomaïan l’était, sans surprise, mais que Peon et tous ses malus y aient réchappé… 

— C’est une manière de punir les coéquipiers, tu crois ? demanda Danaël. 

Mala ne lui répondit pas. Pour la première fois depuis leur rencontre, il ne trouvait pas en elle cette flamme de vie si vive qui la caractérisait. Il choisit de la laisser en paix et de garder ses interrogations pour plus tard. 

Depuis la tribune d’honneur, le héraut, toujours la même jeune femme depuis le début du Grand Choix, s’annonça à l’aide d’un cor. Le silence se fit difficilement. Les gradins étaient bondés : des spectateurs étaient venus assister aux combat, et l’ambiance était électrique. Danaël coulait des regards en coin vers sa coéquipière, qui regardait l’arène avec un visage inexpressif. Il eut envie de lui prendre la main, pour la soutenir, mais se retint. 

Le héraut annonça l’entrée des dieux. Waal, Gaïa, Lan et Laosha vinrent s’asseoir les uns après les autres, chacun salué par une salve d’applaudissements. Leurs Donneurs s’installèrent derrière eux, toujours aussi fiers, et enfin le Dieu-père entra en scène. Comme à chacune de ses apparitions, sa venue teintait l’atmosphère d’une lourde solennité qui peinait à s’atténuer. Il s’appuya sur le bras de la jeune femme afin de rejoindre son trône, en retrait derrière ses enfants, puis lui fit signe de continuer. 

Le héraut gonfla la poitrine, pour annoncer : 

— Nous sommes ici pour assister aux duels de Gaïa. Les participants qui n’ont pas cumulé assez de points se retrouveront donc sur l’arène. 

— Mensonge, marmonna Mala. Il avait assez de points. 

Danaël lui donna un léger coup de coude pour la faire taire. Qu’est-ce qui lui prenait ?

— Il s’agit de leur dernière chance pour rester dans la compétition. Je rappelle la nouvelle règle de cette année : chaque éliminé emportera avec lui les trois autres candidats de son équipe.

Une vague de colère sembla s’abattre sur Mala. Elle fixa sa déesse des yeux et, malgré la foule, malgré tous les regards braqués sur elle, Gaïa la fixa en retour, pleine de curiosité. 

— Qu’est-ce que tu fais ? s’inquiéta Danaël. 

Aussitôt, Mala gémit et ferma les yeux pendant de longues secondes. Depuis la tribune d’honneur et malgré la distance, Danaël voyait que l’expression de Gaïa affichait un dégoût qu’elle peinait à dissimuler. 

— Elle sait, lâcha Mala. 

Danaël sentit l’angoisse sourdre en lui.

— Mais pourquoi t’as fait ça ? 

— Elle ne l’a pas protégé, elle a menti. 

Danaël n’eut pas le temps de méditer sur les paroles de sa coéquipière car le héraut annonça :

— Pour ce premier combat, j’appelle Baako, fils de Falima, et Tomaïan Hugwin ! 

Danaël se tendit en même temps que Mala. Baako entra par l’une des deux portes réservées aux combattants et balaya la foule du regard. Quand Mala fit un léger signe de la tête, il lui répondit, puis il avança vers le milieu de l’arène. 

 Tomaïan entra alors et Danaël serra les dents. Son visage était partagé entre l’angoisse et la fureur, loin de ce calme qu’on leur imposait au Haut Monastère. Autour de l’arène, des organisateurs se tenaient immobiles : ils n’allaient pas intervenir. Personne ne devait le faire jusqu’à la fin du combat. Un gong retentit pour annoncer le début des hostilités.

L’Alayi se baissa sur ses appuis, alors qu’au contraire, le Thaelin se redressa pour gagner de la hauteur. Ils se regardèrent en chien de faïence, n’osant pas attaquer. Danaël devina ce que faisait Baako : dans le sol, il faisait pousser des racines qu’il pourrait utiliser plus tard dans le combat. Il avait déjà vu ses compatriotes utiliser cette technique. 

Tomaïan fut le premier à réagir : il envoya une lame d’air qui s’abattit sur les côtes de Baako et qui déséquilibra sa position. Il grimaça. Le vent souffla sur l’arène et le Thaelin sourit. La chance était de son côté. Mala serra les poings. 

Baako abandonna sa tactique et s’avança vers le Thaelin, mais sa grande carrure le ralentissait. Le Thaelin se réfugia derrière un bouclier d’air et l’empêcha d’approcher. Baako y balança un coup de poing, qui fit naître une large fissure et le brisa. Tomaïan recula. Pas assez rapidement. Une liane lui entrava la cheville et le fit tomber à terre. Baako s’installa sur ses hanches, simplement pour l'immobiliser, mais le Thaelin, pris de panique, s’ébroua sous lui. Baako renforça sa prise et lui bloqua un bras. Mais n’eut pas le temps de le faire pour l’autre. Danaël reconnut le geste qu’il avait lui-même exécuté, alors qu’il était à sa place : la main levée, les doigts courbés, comme se resserrant autour d’une balle invisible. 

Il le prive d’air. 

Baako le lâcha, porta ses mains à sa gorge, le visage rougi par l’effort. Son râle résonnait dans l’Amphithéâtre silencieux. 

— Il faut qu’il arrête, murmura Danaël. 

Mais la respiration saccadée de Tomaïan et son regard fixé sur son ennemi lui donnaient des airs de bête sauvage. Baako le frappa. La main de Tomaïan se referma. 

Mala regarda, impuissante, son meilleur ami s’effondrer sur le sol de sable, les mains essayant de se défaire de cette prise invisible. Elle regarda ses gestes cesser. Elle regarda ses mains tomber, sans vie. 

Son cri se perdit dans les hourras de la foule. 

 

Danaël n’avait pas attendu la fin des duels d’élimination pour rejoindre Tomaïan. Que s’était-il passé ? Qu’était devenu son ami d’enfance, doux, patient, inoffensif ? Il se fraya un passage dans les couloirs, cachés sous les tribunes, jusqu’à la Tour Ouest où Tomaïan s’était réfugié. Il le chercha dans la salle commune mais trouva la pièce complètement déserte. Il grimpa alors quatre à quatre les escaliers jusqu’à la chambre de son ami. Tomaïan était là, recroquevillé sur le lit, le visage enfoui dans l’oreiller. L’image du gamin naïf débarquant dans les dortoirs des Hugwins, complètement perdu, les yeux effrayés par tout ce qui l’entourait, lui revint en mémoire. 

— Tomaïan… souffla Danaël.

Il le rejoignit en quelques enjambées, et s’agenouilla à côté de lui. Son ami ne bougea pas. Danaël avança une main prudente vers son épaule, dans un geste qu’il voulait réconfortant, mais Tomaïan se retourna et l’arrêta avant qu’il ne le touche. La poigne dans laquelle il emprisonna son poignet était aussi ferme que son regard était sévère. Orageux comme une nuit d’été pleine de tonnerre.

— Qu’est-ce que tu fais là ? 

Les traits de Tomaïan avaient une rudesse que Danaël ne lui connaissait pas. 

— Je viens pour… 

— Pour faire quoi ? Où étais-tu hier quand j’avais besoin de toi ? 

Danaël accusa le coup. 

— Je… Tu as tué quelqu’un aujourd’hui, Tomaïan. 

Son ami se redressa avec fureur et le poussa. Danaël tenta de se réceptionner, mais se tordit le poignet sur le dur plancher de la chambre. Il grimaça.

— C’était lui ou moi ! 

— Tu avais le choix de… 

— Ah parce que tu crois que tout le monde est comme toi ? Tout le monde a ta magnanimité ? J’avais peur, j’avais besoin que tu me rassures, et tu n’étais pas là. 

Danaël se releva. Tomaïan fixa d’un œil noir la jambe malade de son aîné, jambe qui n’avait pas protesté. 

— Tu as préféré t’envoyer en l’air avec cette Alayi n’est-ce pas ? 

Danaël ouvrit la bouche sans répondre. Dans un autre contexte, cela aurait été risible. 

— Mais n’importe quoi ! C’est son ami que tu viens de tuer, idiot ! 

— Arrête ! Tu passes ton temps avec elle ! 

Tomaïan le frappa, et comme il put, Danaël essaya de l’en empêcher.

— Elle est de mon équipe !

— J’ai tué quelqu’un aujourd’hui, et c’est de ta faute. Parce que tu l’as choisie elle au lieu de moi. 

— Qu’est-ce que tu… 

— Sors d’ici. 

L’ordre tomba comme un couperet. 

— Explique… 

— Sors. D’ici, tonna Tomaïan. 

Danaël serra les dents. Il chercha à accrocher le regard de son ami, mais celui-ci s’échinait à fixer le mur derrière lui, la mâchoire tendue. Danaël soupira. Il obéit, non sans lui jeter un dernier regard avant de s’éclipser. 

Il venait de perdre un frère, et ce sentiment de vide empêchait sa réflexion. 

 

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Tac
Posté le 19/02/2023
Yo !
Bonj'avoue je ne me souvenais plus qui était Tomaïan pour Danaël, mais c'est assez cruel (mais du coup, intéressant) d'avoir mis en face-à-face Tomaïan et Baako. Je suis un peu déçü de pas avoir la réaction de Mala ; tout au long du combat on a des updates sur ses réactions et pas à la fin, c'est peu-être fait exprès mais... je sais pas. j'ai une impression d'avoir été flouë.
Je ne savias plus non plus ce que nominé voulait dire non plus, mais ça va j'ai raccroché les wagons ^^
Je trouve intéressant que les amis de Danaël lui reproche son absence, comme Mala ou Peon. Les relations, c'est décidément compliqué ! Cela étant c'est peut-être un peu trop définitif, dramatique de dire que Danaël a perdu un ami : ça fait vraiment grosse condamnation : tu as tué quelqu'un donc on n'est plus amis. Pour moi, je pensais que danaël aurait plutôt eu une réaction du style "bon bahc'est clairemnet pas le moment, on s'expliquera plus tard" ou un truc du genre, j'ai du mal à concevoir que Danaël tire un trait si vite sur leur amitié, à part si effectivement le meurtre (en dépit des circonstances très atténuantes, d'autnat que manifestement c'est la norme que ça arrive lors des épreuves) est un turning point irrémédiable. Je trouve qeu Danaël manque un peu d'empathie sur ce coup-là envers son ami !
Plein de bisous !
Isapass
Posté le 30/06/2021
Ce chapitre est le symétrique du précédent : Danaël paye son absence auprès de ses amis et culpabilise, comme Mala. Je trouve quand même qu'il est culotté, Tomaïan, de reprocher son geste à Danaël, mais bon, c'est vrai que c'est un peu traumatisant. Ou alors Tomaïan aurait-il appris quelque chose sur les origines de Danaël ?
Je n'ai pas compris ce que Mala voulait dire quand elle dit "Elle ne l'a pas protégé. Elle a menti." Les dieux seraient donc mêlés au complot ? En tout cas, Mala joue un jeu très dangereux en laissant Gaïa lire ses secrets. D'autant qu'il y a aussi les secrets de Danael et de Peon, maintenant, dans sa tête. J'ai très peur des conséquences.
En tout cas, la maîtrise de l'air semble être un gros avantage, quand même, avec la bulle de vide.
Codan
Posté le 18/09/2021
Mala parle de la déesse, elle lui reproche de ne pas avoir protégé Baako ! Perdre Baako lui fait un peu perdre les pédales à ce moment-là ^^
Notsil
Posté le 07/03/2021
Coucou !

Oulà on sent qu'on passe à un autre stade, là ! Fini la rigolade des jeux... Jima, je ne me souviens plus si tu avais mentionné ce terme précédemment. On comprend mieux le lien qui les unit, en tout cas.

Donc des gens qui auraient dû être nominés ne le sont pas, des gens qui n'auraient pas dû l'être le sont.... y'a quelqu'un qui tire les ficelles en douce.

Et donc la déesse sait. Elle sait que Mala est sang-mêlé ou que ça n'aurait pas dû être Baako ?

Tomaïan, il a bien changé lui aussi. Et ça va faire mal à Danaël, ça aussi. Tomaïan qui lui tourne le dos et Mala qui j'imagine ne va pas non plus être ravie de le voir, il va se retrouver bien seul...

Les pauvres, je suis curieuse de savoir ce qu'il va leur arriver maintenant...
Codan
Posté le 20/03/2021
Coucou Notsil !

Non, je n'avais jamais fait mention de ce terme justement ! Il arrive comme un cheveu sur la soupe ?

La déesse sait que Mala est sang-mêlé, tu as raison, c'est trop sous-entendu >< Et puis, ce sont les dieux qui ont envoyé les concurrents des équipes incomplètes en duels, donc Gaïa sait qu'elle fait quelque chose d'injuste en envoyant des gens qui pourtant s'étaient bien qualifiés... et c'est ce qui met en colère Mala. Gaïa est vue comme une mère par les Alayis, et comme une mère, on attend qu'elle soit juste.

Tomaïan est ravagé par la peur en fait, et j'imagine que beaucoup de monde, alors qu'on est dans une position de vie ou de mort, réagirait d'une manière similaire...
Notsil
Posté le 20/03/2021
Non le jima est bien expliqué, c'était juste pour vérifier si c'était bien un nouveau mot, ou pas ^^

Si les dieux/déesses ont conscience des sang-mêlés, je suis curieuse de leur opinion sur la question ^^ ils agissent pour les supprimer en douceur depuis toujours, ils ont incité leurs peuples à tuer les mêlés, ou , ils ont juste peur de perdre leur peuple/leurs pouvoirs ? ^^
Codan
Posté le 20/03/2021
Les dieux incitent leurs peuples à ne pas se mélanger en disséminant une culture xénophobe chacun de leur côté, ce qui fait qu'il y en a très, très peu. Les sangs-mêlés sont très mal vus (et donc victimes d'une violente discrimination) dans les quatre sociétés, et leur seul refuge est à Urbaïs, et encore...
Le fait est que chaque dieu est associé à un peuple : il ou elle donne son pouvoir en échange de la place que le peuple lui donne. Si on a des individus qui ont associent plusieurs pouvoirs, on ne sait plus à qui va sa fidélité et c'est ça qui les dérange. Ils savent aussi que les personne qui ont plusieurs maîtrise sont une menace pour eux.
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