2.3 Riz, dinde et brocolis

Mardi

12 h 37

 

Tout en mâchouillant sa salade de carottes et de chou blanc, Séraphin scrute le pansement caché sous la manche d’Élise. Il se repasse en boucle le récit de son agression et analyse chaque mot employé par son amie, chaque expression de son visage, découvrant de nouveaux détails à chaque visionnage. A-t-elle dit vrai ? A-t-elle réellement été mordue par une inconnue ? Comme ça, sans raison ? Que peut encore cacher ce chemisier au tissu si léger ? Sa jupe n’est-elle pas plus longue qu’à l’accoutumée ? Qui essaie-t-elle de protéger ? Que doit-il comprendre derrière cette explication saugrenue ? Séraphin est le seul à douter et préfère donc garder ses questions pour lui. Il sait que Sophie ne partage pas sa méfiance. D’ailleurs, la sportive est inhabituellement agréable avec Élise depuis la pause café. Elle ne lui sert plus toutes les piques qu’elle n’hésite pas à lui décocher d’ordinaire. 

— Tu fais une drôle de tête depuis tout à l’heure, Séraphin ! remarque Élise avec une pointe de malice dans sa voix. Si la salade est dégueu, il fallait me suivre du côté grillades et prendre un bon gros steak bien juteux.

— Ce n’est pas la salade le problème, marmonne Séraphin. Je suis un peu… contrarié.

— Élise a raison, t’as pas été très inspiré ce midi ! ajoute Sophie. Le plat du jour, c’est riz, dinde et brocolis. Bon, c’est pas hyper raffiné, mais je me régale plus avec ça que toi avec ta salade pleine de sauce, là.

Les deux jeunes femmes pouffent de rire avant de se replonger dans leurs assiettes. D’ailleurs, Séraphin ne le remarque que maintenant, mais… depuis quand Élise a-t-elle autant d’appétit ? Elle déteste la viande rouge. En tout cas, c’est ce qu’elle a toujours prétendu. Ce midi, Élise dévore son steak comme si elle n’avait pas mangé depuis quatre jours.

— Je suis un peu étonné… lui fait remarquer Séraphin. Et amusé ! Normalement, c’est plutôt toi, la Miss Salade, non ?

Élise hausse les épaules et continue d’attaquer son steak à grands coups de couteau.

— C’est vrai ! admet-elle. Mais ce midi, non. T’imagine pas ! Ça faisait genre dix mille ans que je n’avais pas mangé un aussi bon morceau de viande !

Sophie tilte à son tour. Un « aussi bon morceau de viande » ? Sérieusement ? Ici, à la cafèt’ ?

— Il y a plein de sang, j’adore ça !

« Je sais pas si ce sont les analgésiques ou les antibiotiques, mais les médicaments qu’elle a reçus doivent altérer son sens du goût ! » ricane Sophie à part elle.

— Je sais ce que tu es en train de penser, Séraphin, lui dit Élise en le pointant avec sa fourchette, mais zéro inquiétude : j’ai été vue par un médecin et j’ai eu ma dose de rappels de vaccins ! La dégénérée qui m’a mordue à l’arrêt de bus ne m’a pas refilé la rage ; je ne vais pas te dévorer après avoir fini mon assiette !

À ce moment, Ulrich passe à proximité de leur table. Sur son passage, plusieurs filles se retournent plus ou moins discrètement pour reluquer ses fesses. On ne sait pas trop ce qu’elles regardent, vu qu’il ne porte que des baggys.

— Bon appétit, bichette ! lance-t-il à Élise en ignorant complètement Sophie et Séraphin.

Élise minaude :

— Bon appétit, Ulrich…

Le surfeur poursuit son chemin et va s’asseoir quelques tables plus loin avec sa bande de copains. Sophie lui fait une grimace en le regardant s’éloigner. N’y prêtant aucune attention, Élise s’écrie, plus pour elle-même que pour les autres :

— Lui, en revanche, je croquerais bien dedans !

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