19 Retour au pays

   La suie… L’odeur de suie.

   Rose ouvrit les yeux. Sa peau était encore entièrement dénudée ; ses poignets et ses jambes lourds comme du plomb. La chaleur lui léchait le visage, et elle apercevait au loin l’immense bûcher. Elle devait l’atteindre.

   Son corps était de nouveau lourd, chaque pas semblant lui demander un effort considérable. Le chemin qui menait au feu semblait s’étirer indéfiniment, et plus elle marchait, plus il s’allongeait. Les flammes au loin gagnaient en intensité, peignant les nuages à l’horizon de rouge. Elle se força à accélérer, puis enfin, elle les aperçut : ces cheveux roux qui se détachaient des flammes écarlates. Les cris arrivèrent alors à ses oreilles, son agonie la galvanisant, libérant enfin sa motricité. Elle courra jusqu’au bûcher. Alors qu’elle ne se retrouva qu’à un mètre, la voix douce la supplia :

   Libère moi.

   Ce soupir, glacial, la figea net.

   Rose, en larme, effleura son épaule blanche tachetée de sons, qui partit avec tout le reste de son être en cendre, suspendu un moment en l’air ; le temps se figea, tout devint noir, et elle fut comme happée en l’air par le nombril.

   Le cœur de Rose cognait dans sa poitrine. Elle calma peu à peu sa respiration, allongée sur le lit ; son corps était moite, et un douloureux mal de tête s’incrusta pendant quelques longues secondes, cognant sur sa boite crânienne au rythme des pulsations de son cœur. Elle ouvrit les yeux, fixant le plafond blanc de la cabine, la main sur sa poitrine. Son mal s’apaisa, mais elle serra tout de même les draps entre ses doigts. Son portable lui indiqua qu’il était 5h. Trop tôt pour se lever. Mais chaque fois qu’elle refermait les yeux, l’image de ce corps calciné venait la hanter. Il lui fallait de l’air.

   Rose prit son manteau de pluie, et s’en alla sur le pont, près de la poupe du ferry. Rachid la retrouva au même endroit, trois heures plus tard, les jonctions de ses doigts bleuis par le froid mordant, les tendons blanchis par la crispation de ses muscles sur le garde-fou.

   — Mauvaise nuit ? lui demanda Rachid en se plaçant à côté d’elle.

   — A chaque fois que j’y reviens, soupira-t-elle.

   On ne distinguait rien au travers de la brume épaisse, et le bateau arriva proche quand enfin apparût un bout de côte aux rochers noirs, surplombé de champs de verdure et de moutons en train de paître. Les Highlands.

   Le ferry s’accosta en douceur, et en milieu de matinée les deux comparses prirent la route vers le nord de l’île d’émeraude. La brume se dispersa au fur et à mesure de l’avancée de la matinée, rendant la visibilité moins pénible, la vieille 405 éclairant peu le brouillard. L’allure souple du voyage ne leur permis d’effectuer que deux centaines de kilomètres avant de s’arrêter pour se sustenter. La purée de pois avait alors totalement disparue. Il fallut trois heure de plus sur les routes caillouteuses et sans ligne droite pour enfin arriver dans la région de Donegal, au nord-ouest du pays qui vu Rose voir le jour il y a des années et des années de cela. En bordure de montagne, sous le Derryveagh, ils passèrent le panneau de Letterkelly, ce petit village pittoresque qui avait si peu évolué que les pierres et le bois semblaient être la seule contribution humaine. Il aurait pu le prendre pour un village magique, dépourvu de toute technologie, dont l’aura l’aurait protégé des griffes de l’urbanisation. Disposé en une sorte de long huit étiré, il était composé de trois hôtels de granit gris, une quinzaine de maison de structure semblable, et d’un pub. Une colline surplombait l’ensemble à l’ouest, au sommet de laquelle les ruines noircies d’un château témoignaient d’une certaine grandeur. Rose déposa à peine ses yeux dessus, plutôt préoccupée par la grande statue qui trônait au milieu du village, représentant une guerrière, l’épée levée au dessus de sa tête. Il s’agissait d’un des deux monuments qui animaient le bourg sinon simple, l’autre étant une énorme pierre lisse à la lisière de la forêt, à l’est, que l’on appelait pierre de lune.

   Rachid se gara sur le parking de l’hôtel le plus proche de la statue, bâtit sur deux étages de granit gris sombre et avec des carreaux épais et granuleux. L’établissement était tenu par une vieille dame voutée et tout aussi acariâtre que son hôtel. Après quelques échanges entre grognement et discussion, ils prirent deux chambres et y montèrent.

   Les pièces étaient petites, basses de plafond, avec des poutres apparentes d’un bois aux teintes profondes. Il n’y avait qu’un bureau en bois brut, une lampe, et un lit en chêne. Les murs de la salle de bain étaient recouverts de linteaux aux teintes similaires à la poutre. L’ensemble était épuré, d’un autre temps, ravissant de nostalgie Rose, ravivant de vieux souvenirs parfois doux, et encore plus singulièrement, rarement mauvais. Un temps où les choses étaient elles aussi plus simples.

   Elle ouvrit sa valise, et au dessus de la pile de vêtement trônait le petit pendentif en cuivre, dont la surface était polie à force d’être caressé avec le doigt. Avec une certaine révérence, elle le sortit et enfila la chaine autour du cou, cachant le bijou dans sa poitrine. Elle se releva et partit rejoindre Rachid qui l’attendait dans le couloir. Ils sortirent sur la place principale, se dirigeant vers la statue sous un soleil qui avait désormais fait fi de sa timidité.

   Le bronze verdi à certains endroits représentait une femme, haranguant la foule, brandissant une longue épée au dessus de sa tête en un geste guerrier. Sa main gauche, lestée le long de sa hanche, tenait un objet indéfinissable car à cet endroit précis, la statue était cassée. La jeune femme était habillée d’une armure légère, un arc et son carquois dans le dos, et sur son épaule gauche, une héraldique représentait un oiseau en flamme. Rose et Rachid s’approchèrent au plus près, s’accoudant sur les barrières en fer qui entouraient et protégeaient le monument. La posture de la statue invoquait un certain respect.

   — Eh bien, on peut dire que ça en impose, dit Rachid d’un air contemplatif.

   — Tu as vu ça ?

   — Ça détonne même complètement dans un si petit village.

   Rachid observa autour de lui. Des files entières de voitures venaient et repartaient, s’arrêtant pour visiter le village, regarder la statue et surtout, la pierre de lune au bord de la forêt. Le pub ne désemplissait pas. Une petite fille, dont la mère assise sur le banc le plus proche donnait le sein à son petit frère fraîchement né, s’approcha de la statue, s’agrippant à la rambarde juste à côté de Rose. Elle devait avoir quatre ou cinq ans, brune, les yeux noirs, ressemblant à Rose au même âge. Cette dernière l’observa avec une certaine tendresse, s’amusant de l’énergie de la petite guillerette. La petite fille observa les sourcils froncés la représentation, puis lui demanda d’une voix espiègle, en anglais :

   — C’est qui la dame ?

   — C’est une guerrière, répondit Rose avec gentillesse, en observant elle-même la statue.

   — Une guerrière ? demanda la petite fille, incongrue.

   — Un chevalier si tu préfères.

   — Un chevalier fille ?

   — Oui un chevalier fille, lui sourit Rose.

   — Les filles ça peut être chevalier ?

   — Oui ça peut l’être, lui sourit Rose. Tu peux l’être toi si tu veux.

   — Non moi je voudrais être un vampire !

   — Tu serais un vampire très effrayant !

   La petite fille sortit ses dents et mit ses mains en position de serres acérées. Rose rigola. Puis la petite fille continua ses questions :

   — Qu’est ce qu’elle a fait la dame ?

   Rose, qui connaissait l’histoire par cœur, prit une grande inspiration, et récita avec passion le récit :

   — Au départ, cette guerrière était une jeune fille innocente, la fille ainée d’un grand seigneur, destinée à devenir une vraie dame, voir une reine. (Les yeux de la petite fille commencèrent à pétiller). Elle s’était mariée, et attendait son premier enfant. Mais un homme, avide de pouvoir, complota contre son père ; la jeune fille, trahie, fut condamner à mourir.

   Rose appuya cette dernière phrase de façon théâtrale, imitant une personne en train de flancher. La petite fille recula de peur, et Rose se releva d’un coup ce qui fit sourire de nouveau la petite fille.

   — La jeune femme échappa à la mort. Elle avait perdu son père, son mari, sa moitié, ainsi que l’enfant qu’elle portait. Elle erra longtemps sans but, jusqu’à ce qu’elle fut recueillie par un village de personnes très gentilles. Ils firent d’elle une guerrière et bientôt, elle fut assez forte pour combattre l’homme responsable de ses malheurs, et qui tenait d’une main de fer le peuple oppressé. Elle délivra la région, dont le chef lieu était ce village. Alors, ils érigèrent cette statue en son honneur.

   La petite fille avait des yeux tout ronds ; elle semblait conquise par l’histoire, et regarda la statue en poussant un « waouh ». Sa maman l’appela, alors elle se retourna vers elle ; avant de partir, elle remercia Rose et lui dit que son histoire était belle. Rose sourit. Elle regarda la statue une dernière  fois, posant la main sous son nombril, baissant les épaules en soupirant. Elle ressentit le métal froid du pendentif entre ses seins.

   — Est-ce que ça va ? lui demanda Rachid poliment.

   Rose baissa la tête, ce qui ne lui ressemblait pas, puis le regarda aussi droit dans les yeux qu’elle le put.

   — J’ai… j’ai un petit truc à faire.

   — Je sais.

   — J’ai besoin de le faire seule… tu… tu comprends ?

   Rachid fit un geste de la main qui signifiait « arrête-toi là ».

   — Adélaïde me l’a dit. Ne t’inquiète pas, fait ce que tu as à faire. Je t’attendrais au pub.

   Le souffle de Rose se coupa, le coin de l’œil commençant à piquer. D’un coup de folie, elle serra dans ses bras son ami qui resta penaud mais accepta l’accolade.

   — Tu n’en parle à personne hein, chuchota-t-elle.

   — Ton secret est ton secret, répondit-il solennellement.

   — Je parlais de l’accolade.

   Rachid rigola.

   — Promis.

   Elle le relâcha, se retourna rapidement pour ne pas qu’il voit sa faiblesse et partit en direction de la forêt d’une marche soutenue, sa main tenant le bijou pour ne pas qu’il se cogne sur sa cage thoracique au rythme de ses pas. Rachid la regarda pénétrer dans le bois, les mains dans les poches de sa veste, puis tourna les talons en direction du pub, un bâtiment épais, avec un toit de chaume et des carreaux jaunes ; il s’y dirigea, laissant Rose seule à sa tâche.

   Elle rentra dans la forêt, évitant soigneusement la pierre de lune, s’enfonçant dans l’épaisse touffe d’aulnes, de pins et d’épicéas dont les branches tordues et mousseuses s’entrecroisaient ; leur densité atténuaient les rayons du soleil, assombrissant l’atmosphère à mesure que l’on s’enfonçait dans le cœur du bois. La disposition des végétaux était totalement anarchique, et chaque mètre carré était différent de son voisin. Cela rendait l’exploration délicate et il y était très facile de s’y perdre, mais Rose connaissait cette forêt par cœur ; la moindre racine traitre, les chemins cachées, les endroits enchanteurs qui s’y renfermaient. L’humus lui rappela de vagues souvenirs, une nostalgie qui hérissa les poils de ses bras, entre cris espiègles et terre tachée de rouge.

   Bientôt, le doux clapotis d’un ruisseau chatouilla ses oreilles, et lui indiqua qu’elle n’était plus très loin de sa destination. Son cœur se mit à résonner dans sa poitrine, et sa gorge s’assécha. Le froid brumeux de la forêt s’insinua sous son t-shirt, empoignant un peu plus son être. Elle se dépêcha de rejoindre le ruisseau, qui se jetait quelques kilomètres plus loin dans la rivière Finn. La terre était molle et collante, et Rose manqua plusieurs fois de tomber entre des racines noueuses. Son cœur battait désormais à tout rompre, chaque pulsation faisant trembler ses tympans ; elle dut s’adosser plusieurs fois à un tronc épais pour enlever le bourdonnement flottant dans son cerveau ; elle posa sa main sur le pendentif pour calmer ses émotions. La courbe du ruisseau ne laissait pas de doute ; levant ses yeux au travers des arbres, Rose aperçut la petite clairière, formant un cercle quasi parfait, avec un arbre plus gros que les autres, tel un seigneur parlant à son assemblée. Dans un dernier effort lui permettant de traverser le tourbillon de ses afflictions, elle marcha brinquebalant vers l’arbre qui l’observait de sa hauteur, sombre mais bienveillant. L’adrénaline la quittant, Rose tomba sur ses genoux, au pied de l’arbre, une main contre le tronc, caressant malgré elle son écorce rêche. Une aspérité non naturelle se présenta sous la pulpe de ses doigts, vestige d’une gravure très ancienne. Rose ne put contenir plus longtemps ce qui la rongeait, et les larmes coulèrent le long de ses joues, la main droite toujours contre l’arbre, la gauche ressortant le pendentif de son corsage et le serrant à s’en faire blanchir les jointures. Cela dura quelques secondes, plusieurs minutes, peut-être une heure. Enfin, quand la rivière de larme s’assécha, Rose posa son front contre l’écorce, et supplia, d’une petite voix fluette :

   — S’il te plait… pardonne-moi.

   Pour toute réponse, une brise se leva, et deux branches de l’arbre se rapprochèrent, comme voulant l’étreindre. Rose sourit à la coïncidence, et desserra la main du pendentif ; sa forme, un petit oiseau, resta quelques temps apparente au creux de sa main, lui esquissant un maigre sourire. Elle resta quelques temps au pied de l’arbre, se recueillant, tachant de rappeler les bons souvenirs, souvent bien plus timide que les mauvais. Quand enfin le froid devint trop encombrant, Rose se leva religieusement, caressant une dernière fois le tronc et le sol, et fit demi-tour vers le pub où elle n’enviait plus qu’un bon remontant.

 

   L’intérieur du pub avait cette touche authentique semblable au reste du village ; Rachid s’y était sentit comme chez lui dès l’instant où il avait posé le pied à l’intérieur. Un pic d’affluence avait rempli la salle aux alentours de 17h, mais désormais, seuls quelques clients étaient dispersés dans la salle. Rachid était resté toute l’après midi accoudé au bar fait d’un seul morceau de bois taillé dans la masse ; le barman lui-même était atypique, grand et mince, chauve, avec des lunettes rondes et une moustache épaisse très « british ». L’atmosphère sentait le houblon, le vieux bois et la pierre, et les carreaux épais éclairaient l’établissement d’un halo doré, encore plus prononcé ce soir avec les lampadaires jaunes eux aussi et qui longeaient la devanture. Rachid reprit une gorgée de sa stout, et grignota un morceau de croute qui restait dans son assiette. La grande porte en bois grinça, et dans la pénombre, Rose entra ; enfin, ce qu’il en restait. Les cheveux détachés, et très probablement mouillés, sa démarche était chancelante, ses yeux bouffis et sa peau rosé par le froid. Elle marcha jusqu’au bar et s’installa lourdement sur le tabouret à droite de Rachid, remettant sa tignasse en arrière, son éternelle mèche retombant encore plus mollement que d’habitude. Sans dire un mot, Rachid fit glisser une assiette devant elle, contenant un croque-monsieur bien gras et une grosse portion de salade verte. Pour accompagner le tout, il donna avec un double whisky vieillit comme il faut et d’un malt de qualité. Il ne la regarda pas, ses yeux se posant tour à tour sur le barman avec qui il discutait, ou un écran qui diffusait un match de football. Rose s’attacha les cheveux, but une bonne gorgée du breuvage qui lui réchauffa avec douceur le gosier, reposant le verre en un soupir de délectation. Un bon cru, c’était certain. Elle attrapa le croque monsieur à pleine main, et croqua comme une mort de faim dans un coin, le fromage dégoulinant sur la commissure de ses lèvres. Elle poussa cette fois ci un cri d’extase.

   — Ah cha fait du bien ! Merchi Rachid.

   — Pas de quoi, dit-il sans détourner les yeux du match. Ça a été ?

   Rose déglutit bruyamment, faisant passer le morceau trop gros avec une gorgée de spiritueux, recroquant dès l’instant d’après dans le sandwich chaud.

   — Toujours aussi difficile.

   — Tu es tombée dans l’eau ?

   — Je me suis rincé le visage dans un ruisseau.

   Rachid pouffa. Le barman essuya le bar avec un torchon, et posa ses yeux quelques secondes sur Rose, avant de reprendre sa tache.

   — Cela faisait longtemps que je ne vous avez pas vu, dit enfin le barman sans dévoiler d’émotion.

   Rose déposa ses yeux sur lui, sur sa chemise blanche, son gilet noir dont dépassait de la poche la chaine d’une montre à gousset. Il n’avait pas beaucoup changé.

   — Cinq ans Alfred, finit-elle par répondre. Cinq ans.

   Il la regarda de nouveau et eut un sourire en coin.

   — Un temps bien trop long pour nous ; c’est toujours un plaisir de vous voir.

   Il lui fit un clin d’œil, posa son chiffon sur son épaule et alla de l’autre côté du bar servir un autre client.

   Rachid l’observa enfin, témoignant de l’émotion qu’avait son passé sur Rose. Il leva son verre devant elle.

   — A ton histoire.

   Elle esquissa à son tour un sourire.

   — A mon histoire.

   Ils trinquèrent et finirent chacun leur boisson. Elles furent suivies de beaucoup d’autres, et dans la chaleur du pub, ils rigolèrent, ressassant avec Alfred des évènements et des anecdotes vieilles de décennies, rigolant de moments intimes et gênants. Ce qu’il fallait à Rose pour se remettre sur les rails. Ils ne rentrèrent à l’hôtel qu’à la fermeture du pub ; les rues étaient alors désertes et éteintes. La lune nouvelle rendait la nuit sombre et parfaite pour une incursion. Cela tombait rudement bien.

   Dans leurs chambres, Rose et Rachid se changèrent dans des tenues noires et sobres, munis de gants de voleur, et se retrouvèrent en toute discrétion devant l’hôtel. Rose avait une dernière épreuve à passer.

   Ils se dirigèrent vers la grande place centrale, restant sous la statue, observant leur objectif. Puis, Rose se dirigea enfin vers la pierre de lune, celle qu’elle redoutait tant. Comment un objet inanimé pouvait possédait en même temps le meilleur et le pire souvenir d’une vie ? Et pourquoi le pire prenait-il toujours le pas sur le meilleur ? Déterminée, Rose s’approcha jusqu’aux barrières qui empêchaient les touristes de trop s’approcher, suivit de près par son acolyte.

   Rachid passa par-dessus avec aisance, se retrouvant au plus proche du monument historique. Rose resta stoïque, un mètre derrière la barrière.

   — Si tu veux que je le fasse Rose, il n’y a pas de soucis, murmura-t-il.

   Le regard de la jeune femme resta fixe un moment sur cette surface lisse qui semblait la narguer, l’odeur âcre de la fumée emplissant imaginairement ses narines. Elle expira en forçant par le nez.

   — Non, c’est mon épreuve.

   Elle sauta à son tour par-dessus la barrière, contourna l’immense galet plat et se retrouva derrière, à l’endroit le moins visible. Son cœur battait de nouveau la chamade, mais elle contrôlait désormais ses émotions. D’une poche arrière, elle sortit un petit scalpel en diamant, et elle gratta la base de la pierre de lune, pour y récupérer de la poussière de la roche quelle enferma hermétiquement dans un tube à essai. La beauté froide du monument resta intacte.

   — Tu penses trouver des réponses ? lui demanda Rachid.

   Rose observa le tube à essai, oubliant un instant la proximité de la pierre de lune.

   — Nous avons désormais un élément de comparaison. C’est un début de piste.

   Elle rangea le scalpel et le couteau dans la poche, et se releva dans la pénombre.

   — C’était plus simple que je ne le pensais. Bon, dit-elle en regardant sa montre. On a encore du travail demain, il est peut-être temps d’aller se coucher.

   Rachid approuva d’un signe de tête.

   Rose, rincée par une douche revigorante, se glissa dans un lit tiède aux couvertures épaisses, complètement chamboulée par sa journée. Elle rêva cette nuit encore, et de nouveau de la pierre de lune. Elle vit les flammes, mais non pas ces flammes brulantes qui la dévorait trop souvent, mais la couleur roussie d’une chevelure qui chatouillait ses épaules. Les cheveux d’une des plus belles femmes qu’elle ait jamais connues. Cette jeune femme, au dessus d’elle, lui sourit, et nue comme au premier jour, l’embrassa, l’allongeant sur la pierre de lune.

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