18. La foudre

Il avait raison. Ils étaient seuls. Personne ne pourrait l’entendre crier. Du moins pas depuis ce bout de couloir. Pas avec cette musique qui couvrait jusqu'aux éclats de voix de la salle. Elle était totalement à sa merci. Pourtant, loin de passer à l'action, loin de resserrer son étreinte dégueulasse comme elle s'y attendait, elle sentit brusquement son corps se désolidariser du sien. En une fraction de seconde, ce visage qui emplissait son champ de vision ne fut plus qu'une expression de stupeur, avant d’être projeté loin d’elle. 

— Pas tout à fait, avait énoncé une voix calme, posée, et incroyablement familière.

Astrée se laissa glisser contre la porte pour finir au sol, les deux mains autour de son cou. Elle toussotait sans discontinuer lorsque l’inattendu sauveur vint s'accroupir à sa hauteur. Alors, ce furent l'affolement et l'inquiétude qu'elle put lire pour la première fois dans son regard bleu acier. Peut-être un peu de colère aussi, mais pour une fois pas à son encontre.

— Ça va ? s’enquit-il tandis que ses sourcils formaient un accent circonflexe au-dessus de son nez.

Elle fut incapable de répondre. Et qu'aurait-elle bien pu dire alors qu'évidemment ça n’allait pas ? À la place, elle relâcha sa gorge et s'en alla étirer un bras en direction du danseur. Le bout de son index effleura une épaule masculine, s’assura de la réalité de sa présence. Puis, au constat qu’il n’avait rien d’un mirage, elle s’empressa de venir se presser contre lui. La peur ressentie et les battements incontrôlables de son cœur annihilaient la réticence qu'elle avait, jusqu’alors, éprouvée à son égard. Peu importe ce qu'il était, autoritaire, insupportable, injuste, égoïste, sinistre. En cet instant, il était simplement l'être le plus rassurant au monde. 

Alors, les bras crispés autour de son cou, les doigts déformant le dos de son tee-shirt, elle s'accrochait à ce sauveur inespéré. Elle passait outre la théâtralité de son apparition, les raisons de son improbable présence ici. Et même l'hésitation de ses bras avant qu'enfin ils ne se resserrent sur ce corps en proie à des tremblements incontrôlés. Elle avait juste besoin qu'il soit là. Et il était là. Le reste n'avait pas d'importance. Du moins pour l'instant. Ses grandes mains vinrent frotter et réchauffer son dos, tandis qu'il la relevait avec lui. 

Peut-être que la chaleur de son corps aurait suffi à la calmer progressivement, mais ce qui émanait de lui était tellement plus chaud, tellement plus puissant et apaisant. Il ne fallut que quelques secondes à son mètre soixante pour se décontracter à son contact étrange. Elle aurait pu rester ainsi une éternité. Elle aurait souhaité rester ainsi une éternité, s'il ne l'avait pas lui-même tiré de sa cachette d'une simple phrase.

— Il faut partir.

Elle n'avait pas voulu regarder, mais l'urgence dans sa voix l'avait poussé à jeter un œil à la forme ramassée contre le mur opposé. Une forme qui reprenait vie, progressivement. Il avait dû frapper sacrément fort contre le mur pour finir de la sorte. Le danseur n'avait fait que l'écarter d’elle et pourtant, il gisait là comme après un passage à tabac. 

Syssoï avait raison. Il leur fallait partir vite avant qu'il n'ait à répondre de son geste devant toute la famille de cet ivrogne. D'un hochement de tête, elle lui signifia son accord. Au moins, cette fois, il n'aurait pas à la porter pour l'entraîner au loin. Il se contenta d'un bras autour de ses épaules et d'une main puissante pour la maintenir d'aplomb contre lui. Sans le savoir, il lui offrait la transition parfaite pour se sevrer doucement de sa chaleur. 

Dans la salle, elle chercha Pierre du regard. Il se trouvait toujours au bar, mais cette fois, il tournait le dos à sa conquête. Si elle ne voyait pas avec qui ce dernier s’entretenait, elle nota l’agitation de la discussion. Ses bras bougeaient en tous sens, matraquaient chacune de ses paroles. Et puis, brusquement, il se retourna vers eux pour les observer avec stupéfaction.

— Soïa ? Qu'est-ce que tu fais là ? s’étonna-t-il avant de s'intéresser à une Astrée dans un piètre état. Qu'est-ce qui s'est passé ?!

— On réglera ça plus tard, grogna le russe.

Un son qu'elle sentit naître dans la cage thoracique masculine contre laquelle elle se pressait. Une désagréable promesse qui l'obligea à offrir un regard désolé à son compagnon de soirée. Astrée ne le tenait pas pour responsable. Seul l’abruti ivre mort à tendance sexuellement agressive l’était. Mais en arrivant à sa hauteur, tandis que le danseur s’occupait de récupérer ses affaires, Astrée découvrit finalement l’interlocuteur de Pierre. L’interlocutrice. La mince silhouette se détacha de l’ombre de Pierre et lui offrit ce même regard intense que plus tôt dans la journée, à la mairie de Sarlat. 

Toutefois, Astrée se garda bien de formuler la moindre interrogation, et se laissa conduire à l'extérieur du bar sans émettre la moindre objection. Elle avait des questions, mais pas la force. Il y avait la présence de cette fille qui l’interrogeait, mais également celle de Syssoï. Et son comportement. Elle était tellement reconnaissante d'être entière qu'elle passerait temporairement sur sa légitimité à demander des comptes à qui que ce soit la concernant. N'était-il pas censé n'avoir d'intérêt que pour ses propres objectifs ? N’était-ce pas ce que Pierre lui avait confié à son propos ? N'avait-il pas dit, justement, qu'elle n'avait probablement aucune existence concrète aux yeux du danseur ? Preuve du contraire était faite. 

 

*

 

Il la retint lorsqu'elle se dirigea d'instinct en direction du bolide qui l'avait amené jusqu’ici. Il ne lâcha prise qu'à la portière d'une berline noire brillante. Portière qu'il lui ouvrit sans jamais cesser de surveiller, par-dessus son épaule, le bar dont l'intérieur n'était plus perceptible que par une clameur diffuse. Encore secouée, elle se ratatina sur le siège en cuir après avoir bouclé sa ceinture à la hâte. Que venait-il de se passer ? La portière côté conducteur claqua, la faisant sursauter au passage. D’un coup d'oeil prudent, elle s'assura de l'état émotionnel du géant. 

Il était si silencieux, si renfermé sur lui-même, impossible de discerner la moindre micro-expression sur ses traits. Elle l'observa mettre le contact, se contorsionner sur son siège pour reculer, et finalement broyer le volant sous ses doigts. Elle non plus ne disait rien, elle estimait ne pas en avoir le droit. Si ces derniers jours lui avaient appris quelque chose, c’était bien que le son de sa voix l'indisposait, ou encore qu'il préférait le silence à n'importe quelle conversation. Alors elle se taisait, et gardait pour elle l'avalanche de questions que sa présence en ces lieux avait engendré. Ça pouvait attendre. 

Après l'affolement des dernières minutes, elle se sentait parfaitement en sécurité désormais, et de cela aussi, elle lui était infiniment reconnaissante. Il conduisait vite, comme Pierre. Mais à la différence de ce dernier, il semblait dompter la route avec agilité et fluidité, sans à-coups, sans la moindre légère embardée. Comme si le bitume se délestait de ses obstacles avant son passage. Il faisait si bon dans l'habitacle qu'elle aurait pu s'y endormir, juste fermer les yeux et enfin, se reposer. Mais pour ça, encore aurait-il fallu qu'elle puisse se débarrasser de ce goût d'inachevé sur sa langue. 

Un goût qui se traduisait par son incapacité à témoigner sa reconnaissance. Elle aurait voulu pouvoir prononcer au moins un merci. Mais tout dans l’attitude du russe traduisait le contrôle de soi. Une bulle qu'elle avait peur de faire éclater au son de sa voix. Il se taisait toujours, demeurait impassible, et pourtant elle réalisait avec surprise qu'elle avait appris à décortiquer sa gestuelle au point de savoir et de voir ce dont personne ne devait se douter. La ligne contractée de sa mâchoire. Ses paupières qui disparaissaient sous l'horizontal de ses sourcils. Les deux plis de son front. Et ses doigts qui s'étiraient et se resserraient sur le volant. Autant d'indices qui témoignaient de la colère qu'il s'efforçait de juguler.

Sans trop savoir pourquoi, ni quelle force la poussait à agir de la sorte, elle décroisa ses bras de sa poitrine pour en avancer un jusqu'au levier de vitesse. Et là, sur la très légère théorie que ce qui fonctionnait dans un sens ne pouvait que marcher dans l'autre, elle déposa sa paume chaude sur un poignet masculin. Elle enroula ses doigts, s'accrocha tandis que le choc électrique se faisait ressentir. Le russe tourna si vivement regard et visage vers elle qu'elle dut retenir un mouvement de recul. Elle se préparait à l'entendre hurler, ou plus vraisemblablement grogner. Il n'en fit rien. Pas plus qu'il ne bougea sa main. Au contraire, il laissa le véhicule ralentir plutôt que d'avoir à changer une vitesse. Elle se sentait comme une dresseuse totalement inexpérimentée. Le cou tendu dans la gueule grande ouverte d'un fauve indomptable. Il y avait quelque chose de totalement suicidaire dans son geste. Naïf, et pourtant si altruiste. 

Elle souhaitait juste le remercier, lui rendre un peu de cet effet apaisant que son touché avait sur elle. Astrée n'aurait su expliquer le phénomène. Elle l’aurait même nié totalement si on lui avait posé la moindre question, de peur que sa folie ne soit révélée au grand jour. Mais s'il existait la moindre chance pour que ce soit un tant soit peu réel, alors elle se devait de lui offrir cela. Au moins ça. Et sa main contre sa peau, elle n'osait plus bouger d'un cil, toute à sa fixation de son profil. 

Pas un mot, pas un son ne s'échappa d'entre ses lèvres. De nouveau concentré sur la route, il se contentait de considérer cette main comme une sorte d'extension de son propre corps. Il agissait comme si elle n'était pas là, sans, pour autant, risquer le moindre mouvement pour l'en chasser. Il lui suffisait d'un mot, d'un regard même. Cependant rien ne vint, et Astrée se laissa prendre à son propre piège. Elle aussi subissait l'apaisement qui grimpait le long de son bras. Elle ne fut tirée de sa torpeur qu'en apercevant le panneau annonçant Beynac à la prochaine sortie.

— Est-ce que vous pouvez continuer un peu en direction de Sarlat ? demanda-t-elle, la voix enrouée par le silence prolongé et la prudence dont elle faisait preuve.

— Pourquoi ?

Le ton n'avait rien d’agressif. Ni de sec. C'était le même qu'il avait utilisé lorsqu'il l'avait ramassé dans le couloir. Avec douceur et mille et une précautions, comme s'il cherchait à ne surtout pas la brusquer. Peu habituée à ce genre de comportement de sa part, elle mit un certain temps avant de lui répondre. Il fallut qu'il détourne le regard de la route et le reporte sur elle pour qu'enfin elle cesse de fixer son profil bêtement et qu'elle réagisse.

— Hm... À cinq kilomètres se trouve ma voiture. J'ai toutes mes affaires dedans.

S’il ne posa aucune question, il se referma légèrement, et laissa le silence reprendre ses droits dans l'habitacle. Il roula sans le moindre commentaire sur les cinq kilomètres. Une fois la berline à l'arrêt devant sa vieille Mini hors d'âge, il se contenta de se laisser aller en arrière, son crâne venant cogner contre l'appui-tête. Elle comprit qu'elle pouvait attendre longtemps ainsi, si elle ne prenait pas d'elle-même l'initiative de s'arracher à son contact. Ce qui lui demanda bien plus d'efforts qu'elle ne l'aurait imaginé, réalisa-t-elle en claquant la portière pour se diriger vers la sienne. Pliée en deux pour atteindre le siège arrière de sa voiture miniature, entre sacs et cartons, elle entendit un nouveau claquement. La jeune femme se cogna la tête en voulant se redresser pour voir. Quelque part, elle craignait qu'il ne parte sans elle, qu’il l'abandonne à la case départ. Il n'en était rien. Appuyé contre la tôle luisante, il s'allumait une cigarette.

— Voiture de location, précisa-t-il comme elle l'interrogeait du regard.

— Voiture en panne, fit-elle preuve d'un peu d'humour en sortant la tête de la sienne, les deux sacs en bandoulière.

Puisqu'il ne semblait pas vraiment pressé, elle s'autorisa quelques secondes supplémentaires afin de fouiller ses sacs, s'assurer que ce dont elle aurait besoin pour la nuit s'y trouvait bien. Et alors que, le nez dans l'un d'eux, elle s'était accroupie au sol, elle vit une main apparaître dans son champ de vision pour lui tendre la cigarette à demi consumée. Ne souhaitant surtout pas le contrarier alors qu'il se montrait si conciliant, elle attrapa ce qu'il lui offrait, et l'observa, perplexe, se diriger vers l'avant du véhicule pour en soulever le capot. Son geste prenait désormais tout son sens.

— Vous y connaissez quelque chose ? demanda-t-elle, la cigarette aux lèvres, tandis qu’elle refermait ses sacs.

— Sur un malentendu... lui répondit la voix derrière le panneau ouvert.

Ça voulait dire non ? Au vu de la rapidité avec laquelle il referma le capot, oui, ça voulait très certainement dire non. Les mains sales qu’il essuyait sur son jean, il fronça les sourcils en approchant. Elle ne comprit ce qu'elle avait fait de mal que lorsqu'il troua son espace vital pour récupérer délicatement la cigarette qu'elle avait glissé, machinalement, entre ses lèvres.

— Il ne faudrait pas que ça devienne une habitude.

Il avait beau maintenir son froncement de sourcils et utiliser son ton le plus réprobateur, le frémissement au coin de sa bouche dénotait le manque de sérieux de sa remarque. Ce qui n'empêcha pas Astrée de se sentir idiote devant son geste totalement inconscient. Elle ne voulait pas qu'il s'imagine une quelconque familiarité de sa part. Il n’avait qu’à mettre ça sur le compte de sa presque expérience de mort imminente quelques minutes auparavant.

— Désolée, balbutia-t-elle tandis qu'il se baissait pour ramasser ses sacs et les jeter sur la banquette arrière de sa berline. Et merci...

Merci pour tout, pour le sauvetage façon romanesque, pour la reconversion en taxi, et merci aussi pour les deux ou trois bouffées gratuites de nicotine. Merci de ne pas crier, merci de ne pas être fâché, merci d'être presque normal pour une fois. Il y avait tant de remerciements à formuler qu'elle ne savait par où commencer, ni même si elle devait vraiment commencer. Elle espérait juste qu'il comprendrait d'où ce merci sortait, et surtout tout ce qu'il englobait. Comme à son habitude, il ne répondit rien. Il se bornait à la contempler à l'en mettre mal à l'aise. 

Piquant un fard, elle préféra trouver refuge dans l'habitacle assombri, et remercia les cieux qu'il fasse nuit noire. Lorsqu'il se réinstalla derrière le volant, il ne se hâta pas de mettre le contact. D'un mouvement de bras rapide qu'elle n'avait pas vu venir, il alluma le plafonnier. La lumière crue qui inonda l’habitacle obligea Astrée à plisser des paupières. Lorsqu'elle parvint à retrouver un peu de sa vue, se fut pour découvrir un russe soucieux, ses deux icebergs pointés en direction de son cou.

— Je peux ? demanda-t-il l'autorisation en avançant une main aux doigts hésitants.

Elle était incapable du moindre mot, du moindre mouvement, de la moindre inspiration. Il était trop proche pour ça. Catatonique, elle voulut lui offrir cette autorisation qui se mua en un son de gorge très approximatif. Qu'importe, il s'en contenta, et approcha cette main jusqu'à toucher sa peau. Précautionneusement. Très précautionneusement. Avait-il peur de lui faire mal ? Elle ne sentait plus rien, mais à l'air contrarié qu'il affichait, elle se mit à craindre le pire. Pas suffisamment, cela dit, pour réprimer le mouvement instinctif consistant à lever le menton pour lui faciliter davantage l'accès et accessoirement élargir son terrain de jeu.

— Ça fait mal ? insista-t-il avec toujours cette pointe d'inquiétude qu'elle lui découvrait dans la voix.

— Non. C'est moche ?

— Non plus, dit-il en laissant traîner ses doigts encore un peu. Juste un peu rouge.

A peine avait-il ôté sa main, qu'elle abaissa le pare-soleil pour jeter un coup d'œil dans le miroir qui s'y trouvait. En effet, une légère trace se dessinait contre sa peau, là où le type du bar avait serré. Mais rien de plus. Etait-ce seulement possible ? 

— Je marque très facilement, s’entendit-elle, tout de même, lui assurer. Demain, il n'y paraîtra plus.

Il avait redémarré. Il était à nouveau concentré sur la route. Plongée dans l'obscurité et le silence imposé, Astrée se laissa happer par de sombres pensées. Le contre-coup. Mais lorsqu'un éclair stria le ciel, le profil masculin qui se détacha de la pénombre, récupéra son attention. Un profil aux mâchoires serrées. Une première goutte s'écrasa sur le pare-brise, et bientôt ce fut le déluge. Un concerto de percussions contre le toit et sur les vitres s'ajoutant au vacarme du tonnerre et de sa foudre. Un orage d'été, si soudain, si violent, qu'elle en replia les jambes contre son buste. Outre sa claustrophobie et son agoraphobie, Astrée avait toujours subi une forme de peur incontrôlée des orages. Le seul moyen pour elle de se rassurer un peu était de compter les secondes entre la lumière et le son. Trente deux. Il était encore loin. 

Syssoï avait ralenti l’allure. Les essuies-glaces s'élançaient dans une ostentatoire frénésie qui toutefois ne parvenait à refréner les torrents de larmes qui s'écoulaient du ciel. La pluie n’avait fait qu’amplifier, ne pouvant aller plus loin au travers des ruelles sinueuses par ce temps, il immobilisa le véhicule à l'orée de Beynac.. Bras croisés sur le volant, buste en avant, il scrutait le ciel. S'il attendait une accalmie, ses vœux n'allaient pas être exaucés dans la prochaine heure. Il sembla parvenir à la même conclusion, et s'étira sans mal jusqu'à la banquette arrière. De son périple, il ramena un pull qu’il lui tendit avant d’y retourner chercher les deux sacs.

— Je suis censée faire quoi avec ça ? demanda-t-elle en dépliant le pull immense entre ses mains.

— L’enfiler, répondit-il en réintégrant sa place, les deux gros sacs sur les cuisses. Eau et tee-shirt blanc ne font pas bon ménage. J'apprends vite.

Elle aurait pu sourire si elle n'avait pas été aussi terrifiée par ces coups de tonnerre de plus en plus fréquents. De plus en plus sonores. De plus en plus violents. Un détail qui ne sembla pas échapper au danseur. Il quitta précipitamment l’habitacle et s'aventura sous l'orage, tandis qu'elle se hâtait d'enfiler le pull qu'il lui avait offert. A peine avait-elle sortit la tête de l'encolure que sa portière s'ouvrait et qu'une main se tendait. Sans se faire prier, cette fois, elle s'en empara, et après une très courte hésitation, s'élança hors du véhicule. Lorsqu'elle entendit le son caractéristique de la fermeture centralisée des portes, ils étaient déjà loin. Ils couraient à toutes jambes dans les ruelles en pente, glissaient parfois sur les pavés. Toutefois, elle était la seule à sursauter après chaque éclair, et à appréhender le déchirement sonore qui viendrait bientôt. 

En moins de cinq minutes ses cheveux étaient trempés, la pluie lui gouttait jusque dans le cou, et son jean se collait contre ses cuisses. Les poumons en feu, elle suivait, ne ralentissait pas l'allure malgré les flaques d'eau venant se nicher dans la chaussée irrégulière. Il la devançait toujours, malgré les deux gros sacs qu'il portait au bout d’un bras et la trouillarde qu'il trimbalait de l'autre. Et ce ne fut qu'une fois au sec, après avoir peiné à ouvrir le cadenas de la grille, puis la serrure de sa porte, qu'elle remarqua son boitillement de la jambe gauche. Ce n'était pas la première fois qu'elle notait sa drôle de démarche. Maintenant elle comprenait pourquoi. Il boitait. D'ordinaire juste légèrement, mais là, en cet instant, c'était bien plus flagrant. 

Il laissa tomber les sacs détrempés dans un coin, et s'en alla s'affaler sur l'une des marches du grand escalier en pierre. Il s'accrochait à la rampe pour ne surtout pas plier sa jambe gauche. Noyée dans ce pull trop grand, elle ne savait que dire ou que faire. Les bras ballants dans ses manches trop longues, elle restait là, immobile, au milieu de ce hall vieillot, armée de cette peur irrationnelle de parler. Il était énervé, elle pouvait le lire sur son visage. Alors prendre le risque d'ouvrir la bouche, c'était prendre celui de voir cette colère se retourner contre elle. Ce qu'elle n'était absolument pas en état d'encaisser...

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Morgane64
Posté le 28/04/2021
Hello !
J'ai beaucoup aimé ce chapitre. Hormis l'intrigue, il me semble que dans la confusion/le désarroi d'Astrée tu trouves une nervosité d'écriture qui s'accorde avec les événements.
Je suis bien sûr intriguée par la présence de la femme au bar, mais je ne me pose pas de questions et continue à suivre l'histoire. Tu vas rire, je suis bien plus embêtée pour Syssoi qui boîte, pour un danseur c'est la cata, j'ai mal pour lui.
J'ai vu que Notsil m'a précédée pour les coquilles !
Je continue, je me demande si Astrée va arriver au bout de cette journée/nuit.
OphelieDlc
Posté le 28/04/2021
C'est vrai qu'elle est sacrément longue cette journée. Pauvre Astrée. Et non, je ne me moque pas de ton inquiétude pour Syssoï qui semble bien mal barré avec son outil de travail en miettes. Mais n'oublie pas que Pierre est ostéopathe et que, de son propre aveu, avec Syssoï il a toujours du boulot. :)
Notsil
Posté le 08/01/2021
Coucou !

Il s'en passe des choses dans ce chapitre !

Le sauveur qui arrive au bon moment, et l'autre qui parle avec l'autre nénette... intéressant !

Bon j'ai cru vu le titre qu'ils allaient se manger un éclair dans la tronche, du coup j'étais moyen rassurée de les voir sortir de la voiture sous l'orage, mais en même temps rien n'indique qu'il est sur eux.

J'ai noté 2-3 trucs qui trainaient, si jamais.

"ce fut l'affolement et l'inquiétude qu'elle pu lire" -> put ? (et peut-être même "furent" ?)

"Si elle ne voyait pas avec qu’il s’entretenait, elle nota l’agitation de la discussion." -> avec qui il ?

"Soïa ? Qu'est-ce que tu fais là ?" -> c'est donc l'autre prénom de Syssoï ? ^^

"Ses paupières qui disparaissaient sous l'horizontal de ses sourcils." -> un doute là, on ne dirait pas "l'horizontale" ?

"Appuyé contre la taule luisante, il s'allumait une cigarette." -> il me semblait que c'était plutôt "tôle" pour le matériau ?

"Eau et tee-shirt blanc ne font pas bon ménage. J'apprends vite." -> il m'a tué :p

J'ai beaucoup aimé Astrée dans ce chapitre, plus en retenue, dans le silence.... ils parlent peu finalement, mais tout se dit autrement.

Intéressant le boitement (le terme me parait étrange tiens.... boiterie ? ^^), et sa colère à la fin (contre qui / quoi ?). On pressent qu'il va quand même y avoir une confrontation / explication, pauvre Astrée, je comprends qu'elle n'ait pas envie qu'on brise sa bulle :)

Je me demande si elle va enfin apprendre quelques trucs sur son passé...

C'est toujours très agréable à lire, en tout cas :)
OphelieDlc
Posté le 10/01/2021
Coucou Notsil !

"ce fut l'affolement et l'inquiétude qu'elle pu lire" -> put ? (et peut-être même "furent" ?) : Argh ! Je corrige tout de suite ! Merci oeil de lynx.

"Si elle ne voyait pas avec qu’il s’entretenait, elle nota l’agitation de la discussion." -> avec qui il ? : Pierre. Je vais changer le "il" en "Pierre" afin que ça ne prête pas à confusion.

"Soïa ? Qu'est-ce que tu fais là ?" -> c'est donc l'autre prénom de Syssoï ? ^^ : C'est le diminutif de Syssoï. En russe les prénoms ont souvent un diminutif "officiel" ce qui fait qu'il y a le prénom utilisé en société, et le diminutif utilisé dans la cellule familiale élargie. Du coup, les proches de Syssoï ne l'appellent quasiment jamais "Syssoï" ;)

"Ses paupières qui disparaissaient sous l'horizontal de ses sourcils." -> un doute là, on ne dirait pas "l'horizontale" ? : Bonne question. Je ne sais vraiment pas, pour le coup.

"Appuyé contre la taule luisante, il s'allumait une cigarette." -> il me semblait que c'était plutôt "tôle" pour le matériau ? : Parfaitement. Je suis une buse lol. Je corrige. Merci ;)

Je crois qu'on dit "boitillement". Les réponses ne sont plus très loin, désormais. Pas toutes, évidemment, mais le voile se lève. Promis. :))

Merci de ta lecture assidue, j'en suis absolument ravie. :))
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