17 Un pouvoir sans limite

   Un sursaut d’espoir.

   L’affaire dans laquelle était embarqué le fils du député mettait à mal le député lui-même, et une des conséquences était que l’inauguration du complexe de la MBE était retardée de quelques semaines. Même si c’était peu, cela laissait du temps à Océane et son équipe de préparer une défense adéquate. Il fallait à tout prix empêcher la production de ce poison.

   Océane observait son mentor à travers la grande baie en verre. Un sourire satisfait, à la limite gênant, barrait le visage d’Ernest en deux. A ses pieds, les souris et les rats de laboratoire (tout ceux qu’ils avaient pu se prodiguer) l’observaient, posés sur leurs pattes arrière, attendant de quelconques instructions. Une véritable petite armée de rongeurs, répondant d’une façon différente à chacun de ses gestes, attendant des consignes qu’il se devait de trouver et d’apprendre. Ernest fit un mouvement de bras vers la droite : tous les rongeurs se mirent à courir dans une direction. Un mouvement sec en avant : ils attaquèrent avec férocité une betterave disposée au sol qu’il venait de viser avec l’index.

   Océane eut une contraction dans la poitrine ; un tiraillement nébuleux ; elle émettait un peu de jalousie que d’autres personnes maîtrisent son composé, bien que ces deux personnes soient ses collègues.

   Corentin avait lui-même eut de très bon résultats sur les crustacés, notamment les cloportes. Il arrivait à en faire venir à lui de très loin, les arthropodes rampant au travers des canalisations et des ventilations, s’amassant à ses pieds, recouvrant en partie ces vêtements. C’était assez dérangeant pour rendre le souvenir de cette image écœurante. Le gros avantage pour Corentin et qu’il pouvait renvoyer les cloportes où il voulait.

   Les crustacés avaient réagi rapidement et sans grandes modifications du composé. Les mammifères étaient une autre paire de manche. Bien qu’ils arrivèrent rapidement à attirer l’attention des souris, celles-ci n’obéissaient pas. Le composé ne faisait qu’interrompre les actions qu’elles étaient en train d’effectuer. Océane, Ernest et Corentin travaillaient depuis des semaines nuit et jour pour le rendre plus performant, pour donner la capacité de se faire obéir. Aujourd’hui, ce but était atteint.

   Une terrible prouesse scientifique.

   Le sang d’Océane se glaça. Bien qu’elle en éprouvait une immense fierté, il y avait tout de même quelque chose de dérangeant dans l’expérience. Les abeilles ? Le but était purement philanthropique ; leur sauvegarde était essentielle. Les cloportes ? Leur aspect grouillant et rebutant empêchait un attachement. Mais les souris… elles étaient trop proches de l’être humain.

   Océane frissonna. Ernest commençait à accumuler une flopée de mouvements précis qui chacun avaient une signification particulière pour les rongeurs, qui obéissaient désormais sans faille. Ernest commença à rire. D’abord un gloussement étouffé, rapidement transformé en un rire sonore, puis il finit par s’esclaffer à pleine gorge, sans qu’on ait l’impression qu’il puisse s’arrêter. Enfin le produit s’estompa peu à peu, les souris revenant alors à leur préoccupation : boire, manger, où fuir. Ernest s’épongea les yeux, rejoignant nonchalamment une Océane encore ébaubi du spectacle. Son mentor avait du mal à se remettre de son exploit.

   — Nous avons fait un énorme pas pour la science aujourd’hui ! s’exclama-t-il.

   Océane, avec un peu de retenue, plaça sa jambe droite derrière sa gauche, joignant ses mains en bas de son dos.

   — Oui, je ne pense pas qu’une telle avancée laissera indifférent la communauté.

   Elle joua avec le bout de son pied sur le carrelage, regardant distraitement les motifs du marbre.

   — Mais qu’allons nous en faire ? finit-elle par dire en relevant la tête.

    Ernest posa une main paternelle sur son épaule, la regardant droit dans les yeux.

   — Tu ne vois pas l’autoroute qui s’ouvre à nous ? Océane, à nous trois, nous ne pouvions pas grand-chose contre les pontes de la MBE. Nous n’allions que contempler la tombe qu’ils vont nous creuser, putréfiant l’avenir entier de la planète. L’entreprise est trop riche, trop puissante, trop encoquiné avec les gouvernements pour que quiconque puisse l’attaquer de front. Il nous faudrait une armée entière pour les combattre. Et aujourd’hui, (Ernest pointa du doigt le sas où les souris gambadaient librement désormais), cette armée s’ouvre à nous.

   Océane se braqua, les yeux grands ouverts.

   — Une armée ? déglutit-elle. Mais… mais Ernest tu es fou ! Ce ne sont que des animaux ! Nous n’allons pas rentrer en guerre !

   Ernest rigola, ouvrant les bras au ciel.

   — Mais non ! C’est métaphorique Océane. Je veux dire par là que nous disposons enfin d’une force de frappe conséquente. Si nous contrôlons les animaux, nous pourrons les faire se venger. De manière pacifique évidemment. Tu ne crois pas ?

   Océane remua la phrase dans sa tête, mordant sa lèvre inférieur de façon pensive. Elle imagina la scène, le titre dans les journaux. Les animaux qui se vengent. C’était une chouette idée.

   — Oui je…

   La MBE était de toute façon intouchable, et personne n’agirait, ou n’aurait la force d’agir assez efficacement contre eux. Quelqu’un devait les stopper c’était sûr. Alors, si c’était les animaux eux-mêmes ? Pourquoi pas.

   Pourquoi pas ?

   Les yeux toujours fixes, Océane esquissa un sourire au coin des lèvres. Oui, il y avait un certain charme là-dedans. Et si on pouvait simplement détruire l’installation de l’intérieur…

   Des pas résonnèrent derrière eux, et Corentin apparu, le visage haut et fier, les mains dans les poches.

   — Alors, ça a marché ? demanda-t-il à Ernest avec envie.

   — Parfaitement, répondit celui-ci en frottant son index et son pouce l’un contre l’autre, appréciant la cire que le composé avait déposé sur ses doigts.

   « Il faudrait juste que l’effet dure plus longtemps, et ça serait parfait.

   Ernest étrécit les yeux, réfléchissant.

   — Non, ce qui serait parfait, c’est que cela dure indéfiniment…

   Son regard se perdit dans une réflexion lointaine, avant de revenir à ses subalternes, toujours un sourire au coin.

   — De quoi parliez-vous ? demanda Corentin sur un ton badin.

   — Maintenant que le composé est efficace sur les souris, nous nous disions que nous avons la force de combattre la MBE, n’est ce pas Océane ?

   Les joues pleines d’Océane prirent une couleur rosée, et elle détourna le regard vers le marbre.

   — Je n’ai pas… Je n’ai pas encore donné mon accord.

   — Tu devrais, appuya Corentin toujours en décontraction. Ernest à raison, nous avons trouvé un moyen de mettre des bâtons dans les roues à ses empoisonneurs ! Regarde à quelle vitesse j’ai réussi à maitriser les cloportes ! Je peux littéralement leurs insuffler la consigne de ronger les câbles électriques !

   Océane se rappela l’odeur de grillé, et une nausée lui remonta dans l’œsophage.

   — C’est… c’est de l’exploitation animale.

   — Non, rétorqua Corentin. C’est un sacrifice pour la bonne cause. Et ce sont eux qui se vengent. De cette démence d’un groupe d’humain.

   Corentin respira profondément, et posa une main sous le menton d’Océane pour diriger son regard vers le sien. Marc était son homme, et sans doute celui qu’elle trouvait le plus beau. Mais Corentin avait toujours eu ce charme… Son coté brun ténébreux aux yeux gris. Le souvenir de ce soir où elle y avait succombé (bien avant Marc), lui tortillait parfois les entrailles. Depuis quinze ans qu’elle le connaissait désormais, Corentin était digne de confiance. Son sourire acheva de la convaincre, et elle hocha la tête.

   — Nous devons sauver les abeilles, murmura-t-elle.

   — Nous devons sauver les abeilles, confirma Corentin. A nous trois, nous pourrions être les sauveurs de la terre. Ernest, Corentin et Océane, pour l’histoire.

   Ernest esquissa un doux rire.

   — Qu’est ce qu’il y a ? demandèrent en cœur Océane et Corentin.

   — Ernest, Corentin et Océane. ECO. C’est comme si cela était écrit à l’avance.

   Ils sourirent à leur tour à la remarque. Océane se détendit, esquissant dans son esprit l’image d’un monde meilleur. Et elle en était l’origine. Un poil mégalo, mais divinement réjouissant.

   — On agit alors ? demanda-t-il à Océane.

   Elle hocha la tête, les yeux désormais admiratifs et enjoués.

   — Parfait. Nous allons sauver cette planète, déclara Ernest en réajustant sa blouse.

   — Personne ne sera blessé hein ? demanda Océane.

   — Personne, je te le promets.

   Ils restèrent quelques minutes dans le silence, à contempler les divers sas qui contenaient leurs nouveaux alliés. Libres, les animaux gambadaient tranquillement dans leurs cages en verre.

   — Qu’allons-nous faire alors ?

   Ernest jouait toujours avec la cire qu’il avait au bout des doigts ; il regarda son pouce ; l’empreinte de sa main était couverte d’une fine couche jaune et brillante.

   — Il nous reste un peu de temps. Nous devons trouver un moyen de maitriser parfaitement ce pouvoir, et de le pérenniser. Voir de le rendre… infini.

   — C’est impossible, lui répondit simplement Océane, les bras croisés derrière elle. Simplement impossible.

   — Peut-être pas.

   Ernest avait un sourire tordu assez inquiétant.

   — J’ai… un collègue, qui a fait des tests sur un produit ; un nouveau produit, qu’ils testent dans son laboratoire de technologie. Il aurait des capacités miraculeuses. Avec, ils ont réussi à rendre lumineuse une souris. De façon pérenne. Il m’en devait une, il m’a montré la composition et… Je pense qu’il se marierait bien avec notre composé. Bien entendu, il est rare et cher, mais on peut s’arranger pour s’en procurer.

   Sans qu’Océane ne le remarque, Ernest fit un clin d’œil à Corentin, qui approuva d’un signe de tête.

   — Cela ne coûte rien d’essayer, répondit distraitement Océane qui observait ses abeilles butiner.

   Ernest eut un nouveau sourire glaçant. Ils allaient accomplir de grandes choses. De très grandes choses.

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