17. Le temps des promesses

Par Eurys

 

Les semaines qui suivirent passèrent trop lentement aux yeux d’Armand. Il avait l’habitude de se lever tous les matins, s’habiller, s’entrainer et recevoir des missions. Il n’avait plus l’habitude de trainer dans une maison - un lit - sans rien y faire.

Il avait lu les quelques livres qu’il avait en sa possession. Aramis, constatant son désarroi lui avait porté les ouvrages qu’il avait dans sa chambre. Cela lui avait donné une nouvelle occupation, surtout que l’homme n’avait pas les mêmes gouts que lui en matière de littérature. Lui, qui était plus habitué au courant précieux et histoires romanesques, découvrait les essais politiques du cardinal de Richelieu et les traités moralistes de Saint François de Sales. S’il avait eu du mal à ne pas s’endormir aux premières pages, il devait avouer que sous ces suites de mots critiques et soporifiques la beauté d’un enseignement de maître finissait par captiver. Si seulement la plume s’y prêtait. Il passait quelques soirées à faire de grands débats avec l’homme de foi mais la majorité étaient passées en compagnie de Porthos.  Après le retour des mousquetaires, il apparaissait sur le pas de sa porte, s’installait au bord du lit d’Armand et lui racontait ses journées. Ils parlaient de leur travail, des prix qui augmentaient ou du passé du métis, sautant d’un sujet à l’autre jusqu’à la fin de la soirée.

—Viens près de moi, demanda le jeune homme en se poussant légèrement de côté.

C’était une envie qui le titillait depuis deux ou trois jours mais il n’avait pas osé l’énoncer. S’ils avaient fini par accepter qu’ils fussent plus proches que de simples amis, Une distance était toujours présente, surtout du côté de Porthos. Tout se tissait, les soirs se répétaient. Ils se rapprochaient en se parlant, comment faire autrement quand on passait tellement de temps ensemble, pourtant la gêne persistait ; Armand détournait le regard à chaque fois que l’homme l’observait et vice versa, chacun le savait mais l’entre-deux dans lequel ils étaient coincés ne les aidait pas à savoir quelle direction prendre.

Ils avaient pris l’habitude de se tutoyer quand ils étaient seuls, de laisser une caresse, faussement accidentelle effleurer une main ou un bras. Mais il y avait toujours la même réserve qu’Armand ne pouvait que comprendre de la part du mousquetaire.

Porthos hésita un instant, avisa la place libéré et après une courte réflexion se leva. Il franchit la courte distance lentement, sans regarder l’occupant du lit et s’assit à l’autre bout. Il se baissa pour se déchausser et finalement s’installa, une jambe étendue sur la couverture, l’autre pendante sur le sol. Il tourna la tête et fixa les prunelles d’un vert foret, une expression indéchiffrable sur le visage.

Le souffle d’Armand s’accéléra. Les battements de son cœur résonnaient jusqu’à ses oreilles et une chaleur indescriptible irradia doucement du creux de son ventre.

Ils étaient proches. Tellement proches. Porthos restait toujours assis aux pieds du lit, lui ne pouvait pas bouger, et voilà qu’il se retrouvait là, presque allongé, juste à ses côtés. Sa bouche s’assécha doucement en avisant les lèvres charnues légèrement entrouvertes.

O diable…

Là, maintenant, il avait plus envie de chaleur humaine qu’il n’en avait eue depuis longtemps. Il voulait des bras autour de ses hanches, des baisers sur sa gorge, une passion frénétique qui les ferait tous deux basculer. Il vit Porthos déglutir et compris étrangement qu’ils se consumaient tous deux du même feu.

Porthos amorçait juste un mouvement que des coups résonnèrent contre la porte en bois et Aramis entra, brandissant un objet dans sa main. Il s’arrêta après quelques pas et haussa un sourcil perplexe.

—Je n’interromps rien j’espère, demanda-t-il innocemment.

Armand senti un rougissement traitre orner son visage.

—Ne te fais pas d’idées, grommela Porthos.

—Je ne me fais jamais d’idée mon ami, uniquement des hypothèses. J’ai retrouvé ce livre aujourd’hui, ajouta Aramis en tendant le bras vers Armand. —J’ai pensé qu’il pourrait vous intéresser.

Armand, perdu, le remercia en prenant l’objet de ses mains et l’intrus sorti aussi vite qu’il était arrivé, non sans leur souhaiter une bonne soirée en refermant la porte.

Les deux hommes toujours sur le lit échangèrent un long regard et Armand se laissa retomber doucement contre l’épaule du métis.

—On peut dire qu’il a le don de choisir son moment.

—C’est exactement ce que j’étais en train de me dire.

Armand se contenta finalement du bras qui le serrait et de l’odeur de cuir qui lui chatouillait les narines.

X

Il avait bien fait d’oser dire à Porthos de se rapprocher. Le jour suivant celui-ci lui avait demandé de se pousser comme si de rien n’était et avait pris place à une distance aussi respectable qu’elle pouvait l’être dans ce genre de situation. Depuis, au lieu de s’assoir sur la chaise ou au pied du lit il prenait directement place à ses côtés, et la distance qui les séparait finissaient inexorablement par diminuer.

Armand soupira de soulagement quand le médecin finit par rebander sa plaie, après lui avoir certifié une fois de plus que la guérison suivait bonne voie. Si les premiers jours étaient durs et qu’il avait l’impression que sa plaie s’ouvrait à chaque pansage, celui-ci ne lui faisait presque plus mal. Sa cuisse cicatrisait bien, elle saignait rarement, le piquait parfois mais pas terriblement.

Mais il n’avait toujours pas essayé de marcher.

—Tous les risques d’infections peuvent être écartés, commença le docteur Le Mai. —Mais il faut encore être prudent. Je pense que vous pouvez vous déplacer légèrement. Mais sans forcer dessus ! S’empressa-t-il d’ajouter.

—Je peux vraiment sortir de ce lit ? Demanda Armand incrédule.

—Il faut que vous marchiez, rester trop longtemps comme cela vous sera tout aussi préjudiciable. Restez dans la maison, au moins au début, nous verrons si la plaie résiste.

Armand hocha la tête doucement, comprenant qu’il devait surtout réfréner son envie de sauter de son lit… s’il ne voulait pas y rester coincé plusieurs semaines de plus.

La couverture se rabattit sur ses jambes, lui procurant un peu de chaleur et après lui avoir conseillé de se faire aider et ne pas tenter de se lever seul, le médecin sortit.

Peu de temps après ce fut Porthos, qui sans surprise vint lui rendre visite.

— Alors ? demanda-t-il aussitôt.

—D’après Le Mai je peux enfin me lever ! Il m’a dit d’éviter de forcer mais j’ai hâte de sortir de cette chambre !

Porthos sourit et enjoignit le jeune homme à essayer, se proposant pour lui prêter main forte.

—Euh... vous pourriez me passer un pantalon, avant ? bégaya Armand.

Il aurait presque pu voir les joues de Porthos rosirent et celui-ci se détourna pour lui apporter le vêtement demandé. Il garda le dos tourné, semblant trouver l’observation intéressante et se permit de reporter son regard sur l’occupant de la chambre une fois que celui-ci dit être prêt.

Armand était assis au bord du lit et attendait manifestement l’aide du mousquetaire. Son regard était rivé sur ses pieds nus. Il n’aurait pas cru anticiper à ce point ce moment. Et s’il n’arrivait pas à rester debout ? Ou qu’il rouvrait sa blessure ? Porthos coupa court à ses réflexions en lui demandant s’il avait des chaussons d’intérieur. 

Il devait réellement avoir l’air aussi coquet qu’Aramis pour que le géant lui demande cela.  Il lui indiqua l’armoire, où Constance les avait rangés au début de sa convalescence.

—Des chaussons en velours, commenta le mulâtre avec un sourcil inquisiteur.

—Eh bien quoi ! Ça tient chaud.

Porthos répondit par un rire grave qui fit frissonner le corps du jeune homme et posa la paire à ses pieds.

Armand se chaussa lentement, puis après un moment d’hésitation inspira fortement et se leva.

Une grimace barra son visage face au tiraillement qu’il ressentait à la cuisse mais il décida que c’était largement supportable.

Porthos se tenait en retrait, prêt à intervenir mais Armand se sentait parfaitement stable sur ses jambes, à part la gêne, il savait qu’il pourrait marcher. Ils finirent par descendre l’escalier, même si plus lentement que d’habitude et s’installer autour de la grande table. Ni Athos ni Aramis n’étaient là. Il ne sut pas si c’était le lieu, ou le fait d’enfin se déplacer mais le ventre d’Armand émit un bruit plus qu’explicite.

—Vous voulez peut-être manger quelque chose ? Taquina le métis.

Armand fit la moue, peu habitué à ce que l’homme le charrie mais accepta.

— Attendez j’ai une idée !

Porthos partit fouiller le garde-manger et revint avec un panier d’œufs. Armand n’était pas certain de ce qu’il allait faire mais une idée pas si rassurante germa dans son esprit. En effet, le mousquetaire sortit une poêle, la posa au-dessus du feu déjà allumé pour chauffer la pièce et cassa plusieurs œufs à l’intérieur.

—Heu, il doit rester du potage de Constance, hasarda Armand.

—Dites aussi bien que je vais nous empoisonner !

—C’est ma crainte, en effet.

—Laissez-moi vous apprendre une chose alors : de nous trois, je suis sans doute le meilleur cuisiner ! Lança Porthos, fier de lui.

Armand ne répliqua pas et le laissa terminer son omelette qu’il servit ensuite dans deux assiettes. Malgré son appréhension, le convalescent devait bien admettre qu’elle avait une meilleure gueule que ce à quoi il s’attendait. En réalité elle était même appétissante. Il entama son assiette le premier et un gémissement de satisfaction lui échappa. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas mangé d’omelette aussi bonne, chez lui il ne savait même pas faire cuire un œuf. Il rata le sourire satisfait de Porthos.

Ils mangèrent dans une bonne ambiance et c’est une heure après que Porthos conseilla à Armand de regagner son lit. Si la descente fut facile, la montée l’était un peu moins mais il réussit à gravir les marches sans l’aide de l’homme derrière lui.

Les jours suivants, Armand tenta de sortir de sa chambre aussi souvent qu’il lui en était possible, sans pour autant s’aventurer bien loin. Les mousquetaires absents durant la semaine, c’est en compagnie de Constance qu’il finit par sortir un jour de l’appartement. Sa jambe était presque guérie, la cicatrisation arrivait à sa fin et il n’avait développé aucune complication.

Pour citer le docteur, il avait eu de la chance.  C’était également l’avis de ses compagnons à le voir si bien rétabli. Il avait parlé avec le capitaine et pourrait reprendre son service la semaine suivante, il n’aurait jamais cru que cela lui manquerait autant. Ils devaient également parler de sa réaction lors de l’attaque. Armand savait qu’il n’y échapperait pas, mais une peur lui rongeait l’estomac. Et si le capitaine avait fini part réaliser qu’il avait fait une erreur ? Qu’il n’avait pas l’étoffe de faire ce travail ? Son supérieur ne lui avait donné aucune indication et il passa les jours suivants à réunir argument sur argument.

La veille de son service, il était sorti en compagnie de Constance. Ils avaient décidé de se diriger vers une praire aux abords de la ville, engoncés dans leurs manteaux. L’espace se prêtait à une tranquillité bienvenue et une liberté de parole dont ils avaient besoin tous deux pour discuter sans peur des oreilles indiscrètes.

Armand se posa sur un banc et la femme le rejoignit, plaçant entre eux un panier garni d’une collation qu’elle avait préparé.

—Je me demande à quoi vous ressembleriez en robe, déclara soudainement Constance.

Armand la regarda les yeux grands ouverts, étonné.

—J’en portais il y a quelques mois encore, soupira la travestie. Vous ne risquez pas de voir cela avant longtemps.

—Cela vous manque ?

—Oui, beaucoup ! Je n’en ai pas l’air ainsi, mais j’adore les dentelles, les bijoux et les tissus doux, rigola Armand. J’aime aussi les vêtements d’hommes. Plus amples, plus agréables, mais j’étais plus heureux quand je pouvais encore choisir l’un ou l’autre.

Armand remarqua que même avec Constance il continuait à parler de lui au masculin mais cette constatation ne le dérangea pas, c’était mieux que prendre le risque de se tromper plus tard.

—Cela n’est pas dur, de vivre entouré d’hommes ?

—Vous savez ils sont réellement respectueux. Mais de toute façon, je ferme toujours ma porte à clé avant de me changer. Même Porthos ne fait pas irruption sans taper avant.

—Mhh, Porthos, murmura Constance d’une voix coquine. Vous vous êtes bien rapprochés, n’est-ce pas ?

Le visage d’Armand se ferma et la femme sut qu’elle venait de parler d’un sujet sensible, plus que son secret.

—Qu’est ce qui ne va pas ?

Le visage d’Armand se décomposa, au point où Constance crut qu’il allait fondre en larmes. La femme suspecta que seul l’endroit où ils étaient l’empêchait encore d’exploser.

—Je m’enlise Constance, je m’enlise !

Il se cacha le visage entre les mains, abattu.

—Comment cela ?

—On s’est rapprochés, beaucoup trop. Toute notre amitié, ou quelque que soit le nom qu’on pourrait lui donner n’est basée que sur un mensonge.

—C’est peut-être un mal pour un bien ? Porthos est un homme bon, il aura sûrement du mal au début mais après vous pourrez réellement vous engager.

—Je ne peux pas. J’ai… déjà été engagé Constance, répondit Armand sans plus de précision. Je ne souhaite pas l’être à nouveau, pas maintenant. Je ne suis pas prêt.

—Vous savez que vous ne pourrez pas continuer comme cela. A un moment si vous ne lui dites pas, il le découvrira lui-même.

Armand se rongea l’ongle, le dos courbé, les yeux perdus dans l’horizon.

—Je lui dirais…, jura Armand. Je lui dirais et il fera ce qu’il veut, mais une fois que j’aurais terminé l’affaire qui m’a mené ici.

 

 

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deb3083
Posté le 11/08/2020
bon, on est mal là si "Armand" attend d'avoir régler ses problèmes ! plus il attend plus la situation va se compliquer avec Porthos. je me demande si Constance ne va pas essayer de les aider, d'une manière indirecte.

et donc on apprend que la demoiselle a été fiancée auparavant. sa fuite serai-elle liée à cela ? c'était une de mes hypothèses
Eurys
Posté le 18/08/2020
Oui, vraiment il est con X_X Il veut vivre ce qu'il ressent, il s'est senti passer a ca de la mort, mais en meme temps ce n'est pas malin.
Hum, ca a un lien, oui !
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